02 Août

Pages d’été. Valhalla Hotel, le récit complètement rock’n’roll de Perna et Bedouel

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Il y a du Motörhead dans l’air ! Dans le rythme complètement hallucinant du récit, c’est certain, mais aussi dans les personnages. Il y a d’abord ce jeune champion de ping-pong, pardon de tennis de table, prénommé Lemmy comme le feu-chanteur du groupe de metal. Il y a aussi El Loco, passionné d’armes en tout genre, de courses-poursuites en bolides et de musique rock, toujours prêt à reprendre du Motörhead à la guitare.

Et le reste n’est pas moins rock. Valhalla Hotel met en scène une galerie de personnages complètement déjantés dans le décor sec et poussiéreux de Flatstone au Nouveau Mexique, petit clin d’oeil en passant au film Il était une fois dans l’Ouest qui se déroulait dans la ville de Flagstone.

L’histoire ? Lemmy, le fameux pongiste doit se rendre avec son coach Malone à Albuquerque pour une compétition de premier ordre. Mais leur voiture, une Fiat 500, rend l’âme en plein désert. Bloqué au Valhalla Hotel en attendant une hypothétique réparation, le tandem a tout le loisir de faire connaissance avec les autochtones, tous plus barrés les uns que les autres. Mais le plus grave n’est pas là, Lemmy s’est fait kidnapper. Son coach est persuadé que c’est un coup d’El Loco : « Il est évident que ce type respire la normalité! », ironise-t-il, « Y’a qu’à écouter sa musique ».

Scénario, dessin, dialogues, découpage, couleurs, Valhalla Hotel est typiquement le genre de bouquin qui vous nettoie le cerveau. Peu de bla-bla, beaucoup d’action et d’humour. Jouissif !

Eric Guillaud

Valhalla Hotel, de Perna et Bedouel. Glénat / Comix Buro. 14,95€

© Glénat / Comix Buro – Perna & Bedouel

01 Août

Pages d’été. il était cinq fois dans l’Ouest

Rien de tel q’un bon western pour s’évader le temps d’une chevauchée fantastique, d’une ruée vers l’or ou d’une poursuite infernale dans les Rocheuses. En voici cinq assez différents les uns des autres, avec des bons, des brutes et des truands…

On commence par Mauvaise réputation, un récit qui affiche sa singularité dès la couverture avec ce magnifique plan large de trois cavaliers vus de trois-quarts dos, noyés dans ce qu’on pourrait imaginer être une verte prairie. On est bien loin de l’imagerie habituelle des westerns dits classiques, plus proche d’un récit intimiste à l’approche psychologique. Et c’est le cas, Ozanam au scénario et Emmanuel Bazin au dessin nous racontent ici la véritable histoire d’Emmett Dalton, le plus jeunes de la fratrie, celui qui vivra le plus longtemps aussi, mort en 1937 après avoir écrit le livre When the Daltons Rode, adapté au cinéma par George Marshall avec Emmett dans son propre rôle. Absolument rien à voir avec les frères Dalton de Morris bien sûr, Mauvaise réputation est un récit réaliste basé sur l’histoire vraie de ces fameux hors-la-loi qui ne l’ont pas toujours été d’ailleurs. Tous ont été marshals avant de virer bandits. C’est sombre, brutal, un brin mélancolique et fataliste mais surtout magnifiquement mis en images par Emmanuel Bazin qui signe ici son premier livre. Une histoire d’hommes au coeur de la grande histoire, loin de la caricature ! (Mauvaise réputation, de Ozanam et Bazin. Glénat. 15,50€)

Il a le goût, l’odeur et la couleur d’un western mais n’en est pas vraiment un. L’histoire de ce récit publié aux éditions Delcourt, signé Thierry Cailleteau et Luc Brahy, nous embarque dans l’Amérique de la prohibition. Nous sommes en 1922 dans l’état de Virginie. Doyle Doohan, bootlegger, vient de se faire liquider par la mafia pour ne pas avoir accepté de vendre sa gnôle aux Italiens. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait, Julie Doohan, sa propre fille, interrompt ses études à l’université pour reprendre la petite affaire de son père et commence par rendre une petite visite de courtoisie aux Italiens, de quoi déclarer la guerre. Touche à tout, Thierry Cailleteau nous rappelle ici qu’il est l’un des grands scénaristes de la bande dessinée française avec une plume inimitable qui manie aussi bien l’action que l’humour. Un très bon scénario donc mais aussi un dessin qui a de la gueule, autant de gueule que la galerie de personnages qui traversent les deux volumes parus à ce jour. (Julie Doohan, 2 tomes parus, de Cailleteau et Brahy. Delcourt. 14,50€ le volume)

Vous avez aimé la série Chinaman d’Olivier Taduc et Serge Le Tendre ? Alors vous aimerez Le Réveil du tigre des mêmes auteurs, un one shot de 136 pages qui conclut la saga de très belle façon. Sorti au début de l’année dans la collection Aire Libre, ce récit s’offre un petit saut temporel de plusieurs années par rapport à la série mère pour nous entraîner dans les pas d’un Chinaman vieilli et drogué. Jusqu’au jour où son ami se fait descendre devant lui. Assoiffé de vengeance, il se lance à la recherche des assassins en suivant les Pinkertons, fameuse agence de détectives privés dans laquelle vient d’être recrutée Matt Monroe, un jeune métis qui se révèlera être le propre fils de Chinaman. Voulu comme un album de renaissance, de rédemption par les auteurs, Le Réveil du tigre est avant tout un magnifique récit dans une Amérique violente et raciste qui après la ruée vers l’or se lance dans une ruée vers l’or noir. Beau et sombre à la fois ! (Le Réveil du tigre, de Taduc et Le tendre. Dupuis. 28,95€)

Seulement huit petits mois auront été nécessaires pour tenir entre nos mains la suite de cette aventure qui nous emmène dans les Rocheuses en compagnie d’une légende de l’Ouest, Jeremiah Johnson. On avait dit tout le bien qu’on pensait du premier tome à l’époque de sa sortie, on ne fera que se répéter ici, le dessin du Brésilien Jack Jadson est splendide, racé, les couleurs de Nuria Sayago, sobres et efficaces, quant au scénario de Fred Duval et Jean-Pierre Pécau, il est la libre adaptation réussie du livre de Raymond W. Thorp et de Robert Bunker Jeremiah Johnson Le mangeur de foie, qui a lui-même servi à l’écriture du scénario du fameux film de de Sydney Pollack sorti en 1972. C’est aussi à la base une histoire vraie, celle d’un trappeur qui pour venger la mort de sa femme enceinte, une Amérindienne de la tribu des Têtes-Plates, scalpa plusieurs dizaines de Crows avant de, selon la légende, manger leur foie. (Jeremiah Johnson tome 2, de Duval, Pécau et Jadson. Soleil. 14,95€)

On garde les deux scénaristes, Fred Duval et Jean-Pierre Pécau, on change de dessinateur, passant du Brésilien Jack Jadson au Néo-Zélandais Colin Wilson, et on obtient une autre aventure dans un grand Ouest gagné par la fièvre de l’or noir et du cinéma. C’est Nevada, troisième volet de la série. Tout commence sur un plateau de tournage, un saloon pour décor, des cowboys à la gâchette facile pour figurants, un shérif dans le rôle principal qui s’écroule pour de vrai, victime d’une crise cardiaque. Pour le remplacer, une seule solution, un certain Mac Nabb, addicte à l’alcool, au jeu et à la drogue. Celui-ci accepte de reprendre le rôle au pied levé à une condition : rejoindre le lieu du tournage à cheval et passer une nuit avec les indiens navajos histoire dit-il de s’imprégner du vieil ouest. Pour l’escorter, un homme, Nevada Marquez… Un bon scénario, un bon dessin réaliste, une bonne série. (Nevada tome 3, de Duval, Pécau et Wilson. Delcourt. 14,95€)

Eric Guillaud

26 Juil

Pages d’été. Quelques lectures SF en attendant le retour de Metal Hurlant

C’est la grande et bonne nouvelle de l’année, le magazine Metal Hurlant fera son retour en kiosque en septembre. Pour nous parler de quoi ? Du futur bien sûr, comme il a si bien su le faire par le passé, plus précisément dans les années 70, 80 et dans une moindre mesure, 2000. Histoire de patienter, voici une petite sélection de récits SF à déguster sous le soleil exactement…

On commence avec Terrarium dont le premier volet est sorti début juin aux éditions Glénat. Ce manga repéré par les libraires français lors d’un voyage au Japon organisé à l’occasion des 50 ans de la maison d’édition, est un petit bijou graphique et poétique qui nous embarque dans un monde en ruine, dévasté par la guerre, où déambule un tandem bien étrange, Chico, technologue d’investigation, et son petit frère Pino. Tous les deux explorent ce monde ou du moins ce qu’il en reste, une succession de colonies délabrées où les robots poursuivent inlassablement leurs tâches, ici soigner des êtres humains réduits à l’état de squelettes depuis longtemps, là distribuer du courrier à des destinataires qui ne sont plus en état de lire quoi que ce soit. L’auteur, Yuna Hirasawa, explique en post-face répondre ici à certaines des interrogations qu’il avait à l’adolescence. Qu’est-ce qu’être humain ? Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que je suis ? Tout un programme. Vous avez tout l’été pour y réfléchir. Ramassage des copies à la rentrée. (Terrarium, de Yuna Hirasawa. Glénat. 7,60€)

2072. L’humanité a été décimée par une bactérie. Seuls 2746 hommes et femmes ont survécu, entassés dans une tour gigantesque du côté de Bruxelles, une tour indestructible, gérée par une intelligence artificielle et conçue pour être en totale autonomie alimentaire et énergétique. Mais, la vieille dame de 80 étages et de 30 ans d’âge commence à grincer de part et d’autre. À l’extérieur, le monde urbain est envahi par la végétation et les animaux sauvages. À l’intérieur, des tensions naissent entre les « anciens » qui ont connu le monde avant la bactérie et les « intrus » nés dans la tour et pas franchement prêts à accepter les règles imposées par leurs ainés. Pour ceux qui aiment les récits SF post-apocalyptiques dans le sillage du mythique Transperceneige… (La Tour, de Kounen, Mr Fab et Ladgham. Comix Buro / Glénat. 14,95€)

Si la Terre a été dévastée dans Sélénie, ce n’est pas dû à une bactérie, ni à un virus, mais à un envahisseur extraterrestre. À la différence de La Tour, les survivants ont trouvé refuge sous un immense dôme posé sur la face cachée de la Lune. Alors que certains d’entre eux envisagent d’envoyer une navette en mission d’observation sur la Terre, pour évaluer le danger encore potentiellement présent, un vaisseau sorti de nulle-part se scratche à quelques encablures du dôme. Espérant qu’il vienne de la Terre, Méliès, Verne et Sélénie montent une expédition pour le retrouver…  Si je vous dis que l’auteur de ce récit complet est Fabrice Lebeault, celui-là même qui a signé la série Horologiom, vous allez tout de suite vous imaginer un univers totalement singulier et dingue. Et c’est le cas. Sélénie est un bijou d’imagination tant au niveau de la galerie des personnages que du bestiaire et du design des engins spatiaux. En bonus : un cahier réunissant les recherches graphiques de l’auteur. Que du bonheur ! (Sélénie, de Fabrice Lebeault. Delcourt. 15,95€)

Inspiré à la fois par la conquête spatiale et le poids de l’image dans notre société contemporaine, Phobos nous embarque pour une épopée spatiale à forte dose de romance mais aussi de critique sociétale. Aux manettes de cette adaptation du best-seller de Victor Dixen, Victor Dixen lui-même pour le scénario et Eduardo Francisco pour le dessin. L’histoire ? Cap Canaveral a été racheté par Atlas Capital et sert dorénavant de base de lancement à une émission de télé-réalité  dont le principe est simple : six filles et six garçons dans le même vaisseau, six minutes chaque semaine pour se rencontrer et plus si affinité, l’éternité pour créer la première colonie sur Mars. Et tant pis si tout ne se passe pas comme annoncé… (Phobos tome 1, de Francisco et Dixen. Glénat. 16,90€)

Un petit format pour une grande aventure et un grand auteur ! Après Orignal, La Cire moderne, Bâtard ou encore Simon et Louise, Max de Radiguès est de retour et s’attaque cette fois à la SF. Et sans surprise, avec un égal bonheur. Alerte 5 raconte comment une attaque terroriste commise contre un vol habité déclenche le passage en alerte 5, le niveau maximum en matière de sécurité, sur tous les sites et dans toutes les missions en lien avec les agences spatiales. Sur la base martienne, les cinq astronautes reçoivent les consignes face aux menaces extérieures mais aussi intérieures. L’un d’entre eux, Amir, est musulman et donc suspect aux yeux de l’administration… De la SF comme vous n’en verrez pas beaucoup usant d’un contexte très contemporain, les attentats islamistes et les réflexes racistes. Une histoire singulière, un dessin simple, minimaliste, mais rudement efficace ! (Alerte 5, de Max de Radiguès. Casterman. 15€)

On termine avec un manga haut en couleurs, Comet girl, une histoire en deux volumes publiée par Casterman et signée de la jeune mangaka Yuriko Akase. Il s’agit là d’une première oeuvre largement imprégnée des productions japonaises des années 80. Les amateurs du genre ne manqueront pas de relever les nombreuses références à cet âge d’or et d’apprécier cette histoire en forme de space opéra mettant en scène Sazan, un jeune Terrien, agent de voirie interplanétaire, et Mina la fille-comète qui abriterait en elle une énergie folle que beaucoup de pirates de l’espace et autres personnages maléfiques aimeraient s’approprier. Tel le puissant Agurda qui projette d’attaquer la Terre et d’y installer son autorité… Frais et  coloré. (Comet girl, d’akase Yuriko. Casterman. 11,95€ le volume)

Il devrait être beau le bébé. 288 pages dont 225 d’histoire courtes en BD et 60 d’articles et interviews, voilà ce qui vous attend en septembre dans le premier numéro de ce Metal Hurlant nouvelle génération qui tournera autour de la thématique « near futur ». Qu’est-ce qui nous attend dans un futur proche ? Quel sera notre habitat en 2025 ? Pourquoi est-il nécessaire de se reconnecter à la nature pour survivre ? Autant de questions qui y seront abordées avec des interviews d’artistes, de scientifiques, d’écrivains, de designers et de chercheurs. Et en couverture : une illustration d’Ugo Bienvenu, auteur du très remarqué Préférence système paru chez Denoël Graphic. Souhaitons un futur le plus long et le plus heureux possible à cette nouvelle mouture ! (Plus d’infos ici)

Eric Guillaud

23 Juil

Pages d’été. Memento mori ou la vie après un AVC, un récit autobiographique de la Finlandaise Tiitu Takalo

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Publié début mars aux éditions Sarbacane mais toujours disponible en librairie, Memento mori est un roman graphique de la Finlandaise Tiitu Takalo, peu connue sous nos latitudes, même si l’édition française de Moi, Mikko et Annikki parue chez Rue de l’Échiquier lui a valu le Grand Prix Artémisia 2021, mais considérée comme l’une des plus importantes illustratrices contemporaines de son pays si l’on en croit l’éditeur.

Quoiqu’il en soit,Tiitu Takalo nous offre ici un récit graphique captivant et émouvant sur un épisode sombre de sa vie. Tiitu a alors 37 ans, beaucoup de travail sur sa table à dessin, un peu de pression, un peu de fatigue peut-être mais rien de dramatique. Rien en tout cas qui pourrait laisser présager quoique ce soit.

Nous sommes le 4 décembre 2015, Tiitu vient de se coucher lorsqu’elle est prise subitement d’un violent mal de tête. Appel aux urgences qui lui conseillent de prendre un ibuprofène. Mais rien ne passe, bien au contraire, c’est de pire en pire. Elle vomit, rappelle les urgences. Une ambulance est envoyée. Elle est hospitalisée pour un accident vasculaire cérébral.

Depuis son admission jusqu’à sa guérison, en passant par le long parcours de soins, la convalescence, la rééducation, les inévitables interrogations, les angoisses et au bout du compte l’espoir, Tiitu nous raconte comment elle a traversé cette tempête et retrouvé la force de vivre, de reprendre son travail, d’aimer à nouveau la vie. Mémento Mori n’est bien évidemment pas un récit léger mais il offre un témoignage précieux sur les AVC et un message d’espoir pour tous face aux accidents de la vie.

Eric Guillaud

Memento mori, de Tiitu Takalo. Sarbacane. 25€

© Sarbacane / Takalo

17 Juil

Pages d’été. Un Été cruel : le polar qui pourrait faire monter la température signé Ed Brubaker et Sean Phillips

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

En attente ? Pas vraiment. Fraîchement sorti aux éditions Delcourt, le 30 juin pour être précis, Un Été cruel méritait simplement un temps de lecture approprié, de celui que nous permettent enfin ces grandes vacances. Quelques pages à grignoter par-ci par-là, près de 300 à l’arrivée, et la douce sensation de tenir entre les mains l’un des meilleurs bouquins de ces dernières semaines. Alors oui, bien sûr, comment pourrait-il en être autrement avec Ed Brubaker et Sean Phillips aux commandes, me direz-vous ? On le sait tous, un mauvais livre, même quand on est considéré comme des maîtres en la matière, est toujours possible.

Mais ce ne sera pas celui-ci ! Le tandem de choc anglo-américain signe ici un polar qui nous embarque complètement, une plongée en eaux troubles avec des gus que les lecteurs de la série Criminal connaissent bien, Teeg Lawless et son fils Ricky, accompagnés ici d’une galerie de personnages aux gueules d’atmosphère, que la belle pagination a permis de mettre en valeur par un traitement plus profond de la part de Ed Brubaker.

L’histoire ? Teeg est sur un coup. Un gros coup. Peut-être le plus gros de sa carrière de truand. Mais c’est sans compter sur les rencontres, parfois mauvaises, qu’il va faire, et sur son fils Ricky qui lui aussi a décidé de faire carrière. Bien sûr, tout cela se terminera mal. Quand le crime devient une affaire de famille, la tragédie n’est jamais loin, en l’occurence au bout des 300 pages de ce récit très noir et poisseux magnifiquement mis en images par Sean Phillips dont le trait sombre est ô combien mis en valeur par les couleurs du fiston Jacob Phillips. Un été cruel mais un bel été, vraiment !

Eric Guillaud

Un Été cruel, de Ed Brubaker et Sean Phillips. Delcourt. 29,95€

© Delcourt / Ed Brubaker & Sean Phillips

07 Juil

Pages d’été. Le Spectateur : quand le héros prend la place du lecteur, ou l’inverse, un roman graphique de Théo Grosjean

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Vous ne verrez pas le personnage principal de ce récit. Ou presque pas. Ses mains, ses pieds, parfois, son visage dans le reflet d’un miroir. Et c’est tout. Ce que vous verrez, c’est le reste, tout ce qui se passe autour de lui, tous les gens qui gravitent à un moment ou à un autre dans son environnement, son père, sa mère qui se fait écraser sous ses yeux, ses camarades d’école, sa première conquête, un braqueur qui lui tire dessus…

On ne le voit pas parce qu’il est comme nous, spectateur de sa vie. Samuel, c’est son prénom, est muet, et peut-être comme le pensent ses parents, autiste, enfin tout prête à le croire. Jamais un mot, jamais un cri, pas une once d’implication dans sa vie. Il devient même un artiste de grande renommée sans le vouloir. On l’adule, on l’invite sur les plateaux des meilleurs talk-shows à la télévision mais rien ne change, Samuel reste une ombre dans le paysage…

© Soleil / Grosjean

Avec cet album sorti en avril dernier, radicalement différent dans le propos et le dessin de ses albums précédents, Un Gentil orc sauvage et L’Homme le plus flippé du monde, Théo Grosjean nous interroge sur la vie et ce qu’on en fait, en plaçant chacun de nous, lecteur, à la place de Samuel. Nous sommes dans son corps, dans son esprit, nous voyons défiler sa vie qui pourrait être la nôtre, un récit sombre, une expérience narrative qui ne devrait laisser personne indifférent.

Eric Guillaud

Le Spectateur, de Théo Grosjean. Soleil. 18,95€

05 Juil

Les éditions Steinkis fêtent leurs dix ans en dix rééditions

L’aventure Steinkis commence en mai 2011 par la volonté d’un homme, Moïse Kissous, et avec un objectif clair : publier des titres qui abordent la relation à l’autre. Objectif atteint ?

Trois des rééditions prévues sur l’année

Objectif atteint ! Et dès le départ avec les deux premiers titres publiés. Malik Ambar d’Eliane De Latour et Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins) de Sarah Glidden ouvraient de nouvelles portes sur le monde et donnaient aux éditions Steinkis leur légitimité dans un paysage éditorial déjà chargé.

Dix ans et une grosse centaine d’albums plus tard, la petite maison d’édition est devenue un groupe réunissant Steinkis, Jungle! et Splash!, de quoi lui donner des ailes pour l’avenir. Mais en attendant, histoire de fêter dignement ce dixième anniversaire, les éditions Steinkis se sont lancées dès le mois de janvier dans la réédition de dix albums marquants, depuis Là où se termine la terre de Désirée et Alain Frappier jusqu’à Au loin une montagne de Marco Rizzo, en passant par L’Algérie c’est beau comme l’Amérique d’Olivia Burton et Mahi Grand, Écumes d’Ingrid Chabbert et Carole Maurel, Tombé dans l’oreille d’un sourd d’Audrey Levitre et Grégory Mahieux ou encore Tsiganes de Kkrist Mirror. Un bel éventail de ce qu’a pu produire jusqu’ici la maison d’édition.

Des rééditions mais ce n’est pas tout. La maison d’édition a aussi annoncé des expos et une tournée de l’équipe et des auteurs à travers le pays tout au long de l’année. Pour en connaître le détail, c’est ici.

Eric Guillaud

04 Juil

Tomino la maudite de Suehiro Maruo, Prix Asie de la Critique ACBD 2021

Après Sous un Ciel nouveau de Kei Fujii en 2018, Les Montagnes hallucinées de Gou Tanabe en 2019 ou encore Sengo de Sansuke Yamada en 2020, c’est au tour du magnifique diptyque Tomino la maudite de Suehiro Maruo de se voir décerner le Prix Asie de la Critique ACBD. Une oeuvre remarquable parue en français chez Casterman…

« Maruo mériterait d’être traduit. C’est une urgence », écrivait Moebius dans les pages du magazine (A suivre) en 1991 à l’occasion de la prépublication du récit L’Aspirant flûtiste. Depuis, les éditions Casterman et Le Lézard noir se sont chargés de faire connaître son oeuvre en France avec une quinzaine de récits publiés en albums ou en revue.

Trente ans plus tard, après plusieurs prix, notamment le Grand Prix de l’imaginaire en 2011, et deux nominations en sélection officielle au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, le mangaka se voit décerner le Prix Asie de la Critique ACBD 2021. Juste récompense pour une oeuvre forte, à l’esthétique singulière, riche d’influences japonaises et occidentales, notamment surréalistes. D’aucuns reconnaitront notamment dans son univers, savant dosage de fantastique et d’horreur, des références aux films Un Chien andalou de Luis Buñuel ou Freaks, La Monstrueuse parade de Tod Browning.

Dans Tomino la maudite, publié en deux beaux et gros volumes de 300 pages chacun chez Casterman, Suehiro Maruo nous transporte dans le Tokyo des années 30 pour nous raconter l’histoire de deux jumeaux, Shoyu et Miso, abandonnés par leur mère à leur plus jeune âge, adoptés par un foyer, vendus à une baraque foraine qui trimbale des monstres de villes en villes, et finalement séparés par la cupidité des hommes et précisément celle d’Herbert Wang, propriétaire de la baraque et père des jumeaux.

Pas facile de ressortir indemne de Tomino la maudite. Suehiro Maruo nous y brosse, avec son style si particulier, son trait si élégant et lisible, le portrait d’un monde brutal où l’innocence de la jeunesse ne peut résister. Certains pourront trouver le récit déroutant, voire dérangeant, il est surtout éblouissant et captivant. Un chef d’oeuvre !

Eric Guillaud

Tomino la maudite, de Suehiro Maruo. Casterman. 22€ le volume

© Casterman – Suehiro Maruo.

01 Juil

Texas Blood : un polar qui transpire le Texas signé Chris Condon et Jacob Phillips

Dans la famille Phillips, je demande le fils, Jacob de son prénom, dessinateur comme papa et talentueux comme papa. Associé au scénariste Chris Condon, il nous livre ici un polar brûlant sur les terres du Texas…

Joe Bob Coastes est un vieux shérif du comté d’Ambrose au Texas. Vieux mais pas encore gâteux. Plutôt lucide même sur sa vie, à la fois sur ce qui est derrière lui et ce qui est devant lui. « Je pensais que ce serait différent », rumine-t-il simplement. Et les journées défilent, entre la neutralisation d’un serpent à sonnettes qui s’est approché un peu trop près des maisons d’habitation, un violent pétage de plomb qui finit très mal et un plat à gratin qu’il a pour mission de récupérer pour sa femme.

Jusqu’au jour où Randall Terrill, le frangin d’un petit voyou local tué dans des conditions mystérieuses, fait irruption dans le bourg. Alors forcément, ça interroge. « Ton frère et toi, nous n’avez pas vraiment conquis le coeur des habitants », lui dit le shérif. Pourquoi est-il là ? C’est la question que tout le monde se pose.

Pas de suspects à ce stade, seulement des pistes à fouiller pour les flics. Et peut-être des dettes à payer pour le frangin qui va croiser la route de très vieilles connaissances, pas forcément fréquentables. Une chose est certaine, le sang va couler…

Beau travail pour ce premier album, Jacob Phillips affiche une grande maturité sur le plan graphique, les paysages sont sublimes, ça respire, ça transpire même, le Texas à toutes les pages, même si le dessinateur n’y a jamais mis les pieds et les crayons. Quant à Chris Condon, son scénario est remarquablement bien ficelé et le personnage de vieux flic franchement attachant. Pour tous ceux qui aiment No Country for Old Men, Paris Texas ou encore Fargo.

Eric Guillaud

Texas Blood (tome 1), de Chris Condon et Jacob Phillips. Delcourt. 14,50€

30 Juin

L’épée à la main dans le creuset avec Conan !

Voici le troisième volume traduit en français de la dernière série en date dédiée au barbare le plus célèbre de la culture pulp, lancée en 2019 après son retour sous le giron Marvel. Avec, au passage, un retour aux fondamentaux, quitte à ne pas prendre (trop) de risque.

Avec sa couverture signée par Esad Ribic, son scénario du très apprécié Jason Aaron (‘Thor’, ‘Avengers’ etc.) et surtout son ton plus ‘adulte’, les deux premiers volumes de ce xième reboot de Conan le barbare avait mis tout le monde d’accord. Pour son retour chez Marve,l après presque vingt ans chez le concurrent Dark Horse, on avait clairement mis les petits plats dans les grands et cela a payé. Mais bon, il faut maintenant installer la série sur la durée.

D’où une nouvelle équipe artistique un chouia moins capée (même si le scénariste Jim Zub a déjà été récemment chargé d’écrire le destin du barbare) et le retour ici à un ton plus traditionnelle, moins sombre et collant plus aux standards imposés par le style ‘sword & fantasy’.

Cela se ressent particulièrement dans la première (et la meilleure) des deux histoires présentées dans ce volume, où notre héros se retrouve bien malgré lui piégé au sein d’un labyrinthe bourré de pièges et accompagné de vrai/faux alliés. Un scénario digne d’une bonne vieille partie de jeu de rôle et avec son lot de tyran, de créatures maléfiques et de cultes sanglants. C’est déjà vu et revu mais quand même très divertissant et tout à fait dans l’état d’esprit d’un ‘Savage Sword Of Conan’, la précédente incarnation de cette série dans les années 70.

Le second récit (‘La malédiction de l’étoile de nuit’) suit à peu près le même ton mais avec moins de réussite. Cette histoire d’épée maléfique et buveuse d’âmes mettant Conan sous sa coupe souffre d’une proximité bien trop grande, à la limite du plagiat, avec la saga d’Elric le nécromancien et de son épée Stormbringer, signée Michael Moorcock et adaptée de multiples fois en BD.

Un ‘petit’ Conan donc avec de bonnes choses dedans malgré tout mais à qui il manque ce petit plus qui aurait fait la différence.

Olivier Badin

Conan le barbare : dans le creuset de Jim Zub, Rogê Antönio, Robert Gill & Lucas Pizzari. Marvel/Panini Comics. 18€

© Marvel/Panini Comics – Jim Zub, Rogê Antönio, Robert Gill & Lucas Pizzari

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