31 Déc

Dix albums, dix regards sur notre passé avant d’entamer une nouvelle année

En cette veille de nouvelle année, petit retour en arrière avec une sélection d’histoires avec un petit h autour de l’histoire avec un grand H…

On commence avec le premier volet d’Hitler est mort !, un récit de Jean-Christophe Brisard mis en images par Alberto Pagliaro revenant sur l’un des plus grands mystères du vingtième siècle : le suicide du Führer. Depuis plus de 70 ans, les théories du complot se suivent et se ressemblent. Est-il vraiment mort en 1945 ? A-t-il fui en Amérique du Sud ? Jean-Christophe Brisard, écrivain, journaliste et réalisateur de documentaires, a sérieusement enquêté sur l’affaire, touché du bout des doigts des restes d’Hitler, sorti un livre aux éditions Fayard avant d’en offrir aujourd’hui une adaptation en BD dans laquelle on découvre la guerre entre deux services soviétiques, le NKVD d’un côté et le Smerch de l’autre, pour récupérer et conserver le cadavre du Führer. Un récit parfaitement documenté et raconté qui peut mettre un terme à tous ces doutes savamment entretenus par certains… (Hitler est mort!, de Brisard et Pagliaro. Glénat. 14,95€)

Si Hitler est bel et bien mort en 1945, il aurait pu l’être quelques années auparavant pour le plus grand bien de l’humanité, en 1938 précisément lorsque le Suisse Maurice Bavaud tenta de l’assassiner à l’occasion d’une marche commémorative à Munich. Il n’y parvint pas, tenta sa chance de nouveau dans les jours qui suivirent, sans succès, avant de se faire arrêter, cuisiner par la Gestapo, guillotiner le 14 mai 1941. Il faudra presque 20 ans à sa famille pour réhabiliter sa mémoire et en faire un héros. C’est cette histoire incroyable mais vraie que raconte La Part de l’ombre à travers l’action d’un autre personnage, fictif celui-ci, Guntram Muller, journaliste pour le quotidien Berliner Zeitung, bien décidé à faire oublier son passé dans l’Abwehr, service de renseignement de l’état-major allemand. Un graphisme élégant, une histoire rondement menée. 2 tomes prévus. (La part de l’ombre, de Perna et Ruizge. Glénat. 14,50€)

D’une guerre à l’autre, Jean-Pierre Pécau au scénario, Maza au dessin, Jean-Pierre Fernandez aux couleurs et Manchu au dessin de couverture, la même équipe que sur les séries Luftballons et USA Über Alles, nous entraînent dans les pas d’Armand Baverel, engagé dans l’Air Force pendant la deuxième guerre mondiale avant de rejoindre l’Armée de l’air à son épilogue avec pour horizon immédiat l’Indochine. Véritable tête brûlée le jour à bord de son coucou, Don Juan et guitariste la nuit, Armand Baverel se retrouve plongé au coeur d’un trafic d’opium avec des gueules d’atmosphère. Trois tomes prévus. De l’aventure au coeur de l’histoire. (Indochine, de Jean-Pierre Pécau et Maza. Delcourt. 14,95€)

On reste en Indochine avec l’une des batailles les plus déterminantes de la guerre, Diên Biên Phu, trois syllabes qui résonnent dans la mémoire collective comme une défaite cuisante, une humiliation pour les troupes françaises, un traumatisme pour tout le pays et un réveil pour les luttes révolutionnaires et nationalistes à travers la planète. À la façon de l’émission radiophonique de France Inter Rendez-vous avec X, un ancien agent des services secrets explique comment on en est arrivé là, comment cette défaite eut de réelles répercussions sur les conflits à venir. Une BD très documentée servie par un dessin réaliste de bonne facture et accompagnée d’un dossier de huit pages avec photos. (Rendez-vous avec X – Diên Bien Phu, de Dobbs et Mr Fab. Glénat / Comix Buro. 14,95€)

Petit retour en arrière avec Nez de cuir, une adaptation en bande dessinée du roman de Jean de la Varenne, par Jean Dufaux et Jacques Terpant. L’action se déroule cette fois en 1814 au lendemain de la Campagne de France qui a abouti à l’abdication de Napoléon 1er et à son exil sur l’île d’Elbe. Partout des gueules cassées, des estropiés et parmi eux le jeune comte Roger de Tainchebraye défiguré par plusieurs coups de sabres et de lances ainsi qu’un tir de pistolet à bout portant. De quoi revenir avec le visage d’un diable. Lui qui plaisait tant aux femmes est aujourd’hui obligé de se cacher derrière un masque. On le surnomme dès lors Nez de cuir mais ses rivaux n’auront guère le temps de s’en féliciter, même masqué, le comte attire encore à lui toutes les femmes de la noblesse de cette verdoyante Normandie magnifiquement reproduite ici sous le trait de Jacques Terpant. (Nez de cuir, de Dufaux et Terpant. Futuropolis. 16,90€)

Suite et fin de la série De Gaulle aux éditions Glénat. Tout avait commencé dans le premier volet en 1916 lorsque l’armée l’eut cru mort pour la France et en informa ses parents. Tout s’achève ici avec sa mort, bien réelle cette fois, en 1970. Après une traversée du désert, Charles de Gaulle revient au pouvoir sur fond de guerre d’Algérie. Il incarne l’homme qui a sauvé la France par le passé et qui pourrait bien la sauver à nouveau avec notamment la mise en place d’une nouvelle constitution et le règlement de la question algérienne. Mais de Gaulle, c’est aussi les premiers essais de la bombe atomique française ou encore Mai 68. Une période riche et complexe que l’on peut approfondir par la lecture du dossier d’une petite dizaine de pages en fin d’ouvrage. Une très belle biographie co-éditée par Glénat et Fayard dans la collection Ils ont fait l’histoire (De Gaulle tome 3, de Gabella, Regnault, Malatini et Neau-Dufour. Glénat / Fayard. 14,50€)

Beaucoup plus près de nous dans le temps, la guerre de Bosnie-Herzégovine est le contexte de l’album Des Bombes et des hommes paru aux éditions Futuropolis. Estelle Dumas y relate son passé d’humanitaire en ex-Yougoslavie, un passé à se faufiler entre les bombes justement pour venir en aide aux hommes, aux femmes et aux enfants, tous meurtris par ce conflit. Des villes en ruine, des snipers un peu partout, des bombardements incessants, des corps sans vie ici et là, un danger permanent… et des ONG qui tentent de sauver ce qui peut encore l’être, en distribuant des vivres mais pas seulement, Isabelle, aka Estelle, s’est juré d’apporter aussi un peu de rêve à ces populations qui en avaient bien besoin. « Les gens de Sarajevo et de Gorazde m’ont démontré que l’art est essentiel, tout autant que la nourriture, pour l’être humain. Quelle gifle, violente et magnifique à la fois, ce fut pour moi! ». (Des Bombes et des hommes, de Dumas, Ricossé et Godart. Futuropolis. 21€)

On change d’hémisphère pour rejoindre l’Australie du XIXe siècle en compagnie de Robert O’Hara Burke et William John Wills, deux explorateurs chargés par la Royal Society of Victoria de traverser en 1860 le continent du sud au nord, de Melbourne au golfe de Carpenterie, 2800 kilomètres, une expédition de tous les dangers dont ils ne reviendront d’ailleurs pas vivants. Personne ne l’avait réalisé avant eux, ils seront stoppés à quelques kilomètres de la côte par une zone de mangrove. C’est sur la route du retour que les choses se sont envenimées comme le raconte très bien cet album paru dans la collection Explora des éditions Glénat, rejoignant ainsi Marco Polo, Darwin, Magellan et autre Livingstone. (Burke & Wills, de Pezzi et Sergeef. Glénat. 14,95€)

Quel prix doit payer un étranger pour cesser de l’être et devenir transparent dans la société française ? C’est toute la question à laquelle tente de répondre ce livre de Baru dont le titre est emprunté au chant de révolte, devenu avec le temps un hymne à la résistance dans le monde entier, Bella Ciao. Après Quéquette Blues, publié dans les années 80, puis Les Années Spoutnik au tournant du siècle, l’auteur continue de nous raconter une histoire de l’immigration italienne et de l’intégration, en noyant comme il l’écrit « quelques éléments autobiographiques à un océan de fiction » et en adossant le tout sur une réalité historique souvent violente, à l’image de ce massacre d’Aigues-Mortes en 1893 sur lequel s’ouvre l’album et qui avait fait dix mort et cinquante blessés parmi des Italiens simplement venus en France pour travailler. (Bella Ciao, de Baru. Futuropolis. 20€)

On termine cette sélection comme on l’a commencée, au coeur des années noires du nazisme mais avec cette fois une fiction, une fiction qui sonne juste et fait tout aussi froid dans le dos. La Désobéissance d’Andreas Kuppler raconte l’histoire d’un journaliste sportif qui n’a jamais partagé les valeurs nazies, toujours ramé contre le courant, seul contre – presque – tous. Et de s’interroger. Comment un peuple entier a-t-il pu être ainsi converti ? Pour Andreas Kuppler, le seul chemin possible sera la désobéissance…  (La Désobéissance d’Andreas Kuppler, de Corbeyran et Garcia, d’après le roman de Michel Goujon. Delcourt. 17,50€)

Eric Guillaud

BD : les vingt coups de coeur de l’année 2020

On aurait pu en sélectionner 2020 ou plus, on s’est limité à 20. Malgré le virus, les confinements, les femetures de libairies, les festivals annulés, le monde du neuvième art est resté actif et créatif. La preuve avec ces albums, nos coups de coeur de l’année…

L’année 2020 avait pourtant bien commencé avec la promesse d’une Année de la bande dessinée décrétée par le Ministère de la Culture.

Et patatras, une méchante pandémie décida d’envahir le monde faisant passer cette célébration mais aussi la contestation des auteurs qui connaissent une précarité grandissante au second plan.

L’année avait de même bien commencé côté albums avec de belles surprises…

La suite ici

27 Déc

Prix spécial du Jury Angoulême 2021. Dragman, les aventures du super-héros travesti de Steven Appleby

Rien de plus classique que d’enfiler un costume quand on est super-héros. Mais enfiler des vêtements de femme quand on est un homme pour devenir l’un d’entre-eux est déjà moins courant. En bas, porte-jarretelles et robe, Dragman est le premier super-héros travesti de l’histoire de la bande dessinée…

Superman, Batman, Captain America, Wonder Woman, Supergirl, Elektra, Iron Man… Depuis la nuit des temps, les super-héros et surper-héroïnes sont costumés. Rien de bien surprenant à ce que Dragman le soit elle-aussi. Mais là où la super-héroïne de Steven Appleby se démarque, c’est que dans la vraie vie et pour l’état civil, Dragman est un homme et s’appelle August Crimp, qu’il est marié, a un enfant et tient son super-pouvoir, celui de voler, de son travestissement.

Pas de D géant ornant la poitrine, pas de collant moulant, pas de couleurs vives et tape-à-l’oeil mais une robe, des bas, un porte-jarretelles et des bottes, le tout dans des tons sobres, histoire peut-être de passer inaperçue car même dans le milieu des justiciers masqués, les travestis, les minorités sexuelles ont du mal à se faire accepter. Voilà pour le côté visible du personnage.

Pour le reste, Dragman est un bon père de famille qui s’était rangé un temps des super-héros avant de reprendre la robe pour voler au secours de  la veuve et de l’orphelin qui auraient vendu leur âme, contre menue monnaie, à une mystérieuse compagnie baptisée Black Mist…

Singulier par son propos, brillant par son traitement et son graphisme, drôle et sensible, ce premier roman graphique de Steven Appleby, plus connu jusqu’ici en Angleterre pour ses dessins de presse, est aussi en quelque sorte un coming-out littéraire pour l’auteur qui depuis sa plus tendre enfance se travestit et depuis le début des années 2000 vit habillé en femme.

« Me travestir en secret une ou deux fois par semaine… », écrit-il en postface de ce livre, « m’est apparu malhonnête et suffocant. J’avais appris à me sentir à l’aise avec l’idée d’être un travesti, j’étais à présent pressé d’apparaître au grand jour et de vivre en tant que tel… »

Avec Dragman qu’il aura mis 18 ans à finaliser, Steven Appleby nous interroge sur le genre, l’identité, la différence, la tolérance… avec beaucoup d’habilité et d’humour. Lecture chaudement recommandée !

Eric Guillaud

Dragman, de Steven Appleby. Denoël Graphic. 24,90€

© Denoël Graphic / Appleby

21 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Pucelle de Florence Dupré La Tour : une enfance sans éducation à la sexualité

Florence a 14 ans, l’âge des premières amours, des doux baisers et des milliards de questions sur le sexe. Sauf que dans sa famille, tout ce qui se passe au-dessous de la ceinture est absolument tabou….

Pour beaucoup de parents, aborder la sexualité avec ses propres enfants n’est pas facile, mais ne jamais en parler, faire l’impasse totale, est, on le sait aujourd’hui, pour le moins absurde et dangereux. C’est pourtant ce qui s’est passé pour Florence, héroïne et autrice de cette bande dessinée parue chez Dargaud. Dans sa famille, jamais un mot la-dessus, même lorsque la fillette devient une jeune adolescente, découvre – horrifiée – la puberté et assiste – abasourdie – à un accouplement canin.

On pourrait imaginer ce genre d’attitude remonter au Moyen-Âge, pourtant Florence Dupré la Tour raconte ici son enfance qui s’est jouée dans les années 80/90 du siècle dernier, le 20e, autant dire hier. Avec à sa décharge une famille chrétienne traditionnelle pour qui la femme est naturellement soumise à l’homme et tout ce qui touche à la chose, « la chose qui ne doit pas être dite », absolument tabou.

Pas de zizi, pas d’éducation sexuelle ! De quoi filer des angoisses à la jeune Florence qui doit vivre et grandir dans l’ignorance la plus absolue, s’inventer des réponses à ses tonnes de questions et bien sûr se tromper dans la majeure partie des cas. Non, la petite graine déposée par le papa dans le nombril de maman ne suffit pas pour enfanter !

Dans cet album, deuxième volet d’un triptyque autobiographique, Florence Dupré La Tour raconte sa jeunesse, depuis sa plus tendre enfance jusqu’à ses 14 ans. Le ton est souvent à l’amertume, parfois même à la rancune même si l’autrice reconnaît que sa famille n’est pas seule responsable. Mai 68 est passé par là, certes, mais la libération de la femme et des moeurs n’a pas encore atteint toutes les couches de la société dans les années 80, d’ailleurs l’a-elle atteint de nos jours ? Pas certain. Ce qui rend finalement le récit de Florence Dupré La Tour toujours très actuel.

Eric Guillaud

Pucelle tome 1, de Florence Dupré la Tour. Dargaud. 19,99€

20 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Pendant ce temps, une histoire ordinaire pour scruter l’âme humaine signée Pelle Forshed

Connu en Suède pour ses romans graphiques ancrés dans la vie sociale, Pelle Forshed raconte ici la disparition mystérieuse d’un père de famille sans histoire dans une banlieue elle aussi sans histoire, posant au passage un regard lucide sur notre monde…

C’est une banlieue comme tant d’autres, celle-ci se situe à proximité de Stockholm en Suède, une banlieue pavillonnaire triste mais paisible où Il ne se passe jamais rien de très sexy. Heureusement, Sten, un gamin quelque peu introverti, a trouvé dans cet océan d’ennui de quoi s’occuper avec le matériel de lépidoptériste hérité de son grand-père. Jour après jour, il épingle des papillons sur son tableau de chasse. C’est devenu une véritable passion, un refuge, presqu’une obsession. Pour son père, Henrik, c’est plutôt le vélo sa passion. Et pour sa mère, Anna, pas de papillons, pas de vélo, rien, juste la déprime pour occupation, couchée du matin au soir, du soir au matin, une couverture en permanence sur le dos, de quoi lui donner des allures de fantôme. Ce qu’elle est un peu, complètement incapable de toute vie sociale.

Mais la vie s’anime bientôt dans le quartier avec l’emménagement d’une nouvelle famille. Une famille sans histoire, elle aussi. Enfin jusqu’ici. Parce qu’au moment de l’emménagement, le mari disparait brutalement laissant femmes et enfants dans le désaroi. Plus aucune trace de lui. Alors que tout le monde commence à imaginer le pire, qu’une grande battue est organisée que sa femme cherche de potentielles images de lui sur le côté sombre du web, un accident ? un suicide ?, Sten, le chasseur de papillon, est soupçonné par ses camarades de classe d’être à l’origine de la disparition. Une rumeur évoque même qu’il aurait pu empailler, c’est une autre de ses passions, l’homme en question. De quoi renvoyer sa mère au fond du lit et son père à la limite du pétage de plomb…

Avec un graphisme minimaliste, visages inexpressifs et décors épurés, des couleurs en aplat, et un rythme narratif volontairement lent, Pelle Forshed prend le temps de nous raconter une histoire de l’ordinaire avec des gens ordinaires qui se dépatouillent comme ils peuvent de leurs angoisses, de leurs doutes et souvent de leur solitude. À chaque instant, à chaque nouvelle page, on imagine l’histoire basculer dans le polar ou même le thriller mais non, Pendant ce temps reste jusqu’au bout, jusqu’au dénouement, tout de même inattendu, un récit du quotidien, un regard sur la vie de la classe moyenne en Suède et partout ailleurs tant le propos de l’auteur est universel.

Eric Guillaud

Pendant ce temps, de Pelle Forshed. Editions L’Agrume. 20€

© Editions L’Agrume / Pelle Forshed

19 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. L’année exemplaire et hilarante de Lisa Mandel

365 jours pour se débarrasser de ses addictions, autant de pages de BD à réaliser au quotidien et à publier sur les réseaux sociaux avant d’en faire un livre : c’est le défi un peu fou et un peu réussi que Lisa Mandel s’est lancé un beau jour de juin 2019. Et le résultat est là : tordant.

« L’album le plus drôle de la rentrée, et peut-être de l’année » : ce n’est pas moi qui l’écrit mais Le Monde, c’est dire le sérieux de la chose, la gravité de la rigolade. Tout est parti d’un défi de l’autrice elle-même : se donner un an pour arrêter le sucre, le gras, l’alcool, les jeux vidéo, les séries télévisées, les écrans… bref tout ce qui est venu se superposer dans sa vie façon millefeuille et aurait tendance au bout du compte à peser un peu lourd. Et pas que sur l’estomac !

Une année pour vaincre mes addictions

Et pour témoigner de l’avancée de ce défi, Lisa Mandel promet de réaliser une page de bande dessinée quotidienne qu’elle postera sur les réseaux sociaux. Une petite demande de financement participatif via ulule, 16 000€ de récoltés au passage, et c’est parti pour 365 jours, même un peu plus puisque le recueil ci-présent commence quelques jours avant le démarrage du défi, histoire pour le lecteur de bien se mettre en condition, et pour l’actrice, de profiter un dernier moment de toutes les bonnes choses, comme une préparation au rôle de sa vie. Son objectif avant de se jeter corps et âme dans le défi : « être boudinée dans du 46 ».

Tout est véridique même cette histoire abracadabrante de coronavirus

Elle y arrive. Comme elle arrive à entretenir une bonne partie de ses addictions jusqu’au bout, le principal étant d’en rire. Elle en rit, nous aussi. Beaucoup. Chaque page est un gag à lui tout seul et se lit d’ailleurs tel quel, chronologiquement ou non, on y parle d’addictions, beaucoup, mais pas seulement, Lisa Mandel nous invite dans son intimité, dans son quotidien d’autrice BD, à partager ses déplacements professionnels, ses voyages, notamment au Liban ou au Niger, la vie quoi, la vie et la mort, celle de Marie Laforêt ou celle d’Uderzo, et puis bien sûr le coronavirus qui débarque dans les pages sans être invité.

Ne cherchez pas le nom de l’éditeur, il n’y en a pas, Lisa Mandel a souhaité publier son livre en autoédition. La tâche s’est avérée parfois difficile mais lui a donné l’idée d’une autre aventure : la création d’une maison d’édition pas comme les autres, baptisée Exemplaire, forcément. À suivre…

L’album figure dans la sélection officielle du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême 2021 et il est en compétition pour le Prix du Public France Télévisions

Eric Guillaud

Une Année exemplaire, de Lisa Mandel. Autoédition. 20€

18 Déc

Vous êtes un fou de BD et rêvez depuis toujours de devenir membre d’un jury ?

Vous êtes un lecteur ou une lectrice passionné(e) de bande dessinée et vous souhaitez devenir juré d’un prix littéraire ? Alors posez votre candidature pour être membre du jury du Prix du public France Télévisions lors du prochain festival d’Angoulême ! Comment faire ? On vous l’explique ici…

Décerné par des lecteurs et très convoité par les éditeurs, le Prix du public du Festival de la BD d’Angoulême (FIBD) avait été mis en sommeil lors de l’édition 2019. Cette disparition n’aura été que provisoire. Le 1er février 2020, à l’occasion de la 47e édition du Festival, un jury composé de neuf téléspectateurs décernait le prix du public France Télévisions à Chloé Wary pour son album Saison des roses (édition FLBLB).

Cette année encore, France Télévisions s’associe au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême pour ce prix prestigieux et vous offre la possibilité de devenir l’un des treize membres du jury.

Comment ça fonctionne ?

De la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée, un comité de journalistes et spécialistes de la littérature de France Télévisions en retiendra une sélection de huit titres.

Ensuite, c’est à vous de voter !

Suite à cet appel à candidatures, 13 téléspectateurs seront sélectionnés et les huit bandes dessinées leur seront offertes en lecture. Ce jury de lecteurs se réunira le vendredi 29 janvier au matin, en visio conférence pour voter et élire l’heureux/euse lauréat(e) du Prix du Public France Télévisions ! Il sera décerné lors de la cérémonie de remise des prix du Festival le soir même.

Ne tardez plus, écrivez-nous une lettre bien argumentée et exposez les raisons pour lesquelles vous voulez participer à cette nouvelle aventure. Parlez de vous, de votre passion pour la bande dessinée, aussi bien que de vos derniers coups de cœur littéraires…

Pour poser votre candidature, c’est ici

Sélection officielle Angoulême 2021. Coda ou la fantasy réinventée

Ce Coda ne ressemble pratiquement à aucun autre. Les douze épisodes de cette saga onirique sont réunis ici dans une intégrale conséquente, une fantasy débridée et visuellement flamboyante où une espèce d’ersatz de John Difool de l’Incal version mutique et mélancolique tente de retrouver sa bien-aimée dans un monde au bord du gouffre.

Ce n’est pas pour rien que dès les premières pages, on pense d’abord à Michael Moorcock et ses différentes représentations de ce qu’il a appelé ‘le champion éternel’ (Elric, Hawkmoon, Corum etc.). Comme l’auteur de fantasy britannique, le scénariste Simon Spurrier aime les chausse-trappes et les apparences trompeuses dans lesquelles il s’amuse à perdre ses lecteurs. Formé du côté du magazine ‘culte’ britannique 2000 AD, il sait également faire preuve d’un cynisme féroce, mais sans jamais que le tout tombe dans la guignolade. Non, au contraire, même si ici l’histoire baigne dans une espèce de mélancolie sourde – le décor est un monde fantastique peuplé de sorciers et de créatures bizarres mais où la magie a été pratiquement éradiquée – on reste dans le domaine du rêve. Un rêve psychédélique et parfois désorientant mais un rêve quand même, aux couleurs extravagantes et plein de vie.

Et c’est là toute la singularité de Coda. Bien sûr, il y a cette façon de dérouler le récit à part, raconté en partie en voix ‘off’ par un personnage principal limite mutique dans la vraie vie et d’ailleurs surnommé ‘Hum’ car c’est en général la première chose qu’il lâche à ceux qu’il rencontre. Mais c’est surtout le trait incroyablement coloré de l’uruguayen Matias Bergara, dont la carrière navigue entre les comics et le monde des jeux vidéo, qui fascine le plus.

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

Comme les adaptations d’Elric (on y revient, encore) par le alors futur papa d’Hellboy à la fin des années 80 Mike Mignola, jamais Bergara ne laisse l’habituel trait sombre et pessimiste de la fantasy moderne plomber l’ambiance malgré le fait qu’il décrive des âmes sombres et un monde en pleine déliquescence. Au contraire, grand fan des pleines pages débordant de vie où son trait très fin lui permet de semer quantités de petits détails, il entretient la richesse de la narration avec classe. Et malgré le poids du produit fini, on a envie de prendre son temps pour lire chaque page, histoire de ne rater aucun détail ou sous-entendu.

En même temps, il vaut mieux car Coda est du genre difficile à apprivoiser. Même si on part sur une quête a priori ‘classique’ dans le genre – un barde peu bavard part à la recherche, prisonnière d’une bande de barbare affirme-t-il – très vite, les frontières entre vérité et chimère se troublent au fur et à mesure que Spurrier s’amuse à bousculer nos acquis. Le fidèle destrier du héros ? Une licorne ( !) qui marmonne un langage que lui seul comprend et qui est régulièrement prise de frénésie meurtrière ? Le premier sorcier à la longue barbe blanche comme il se doit qu’on rencontre ? Un vieux gâteux cerné par les fantômes de son passé. Sa femme prisonnière que l’on imagine fragile et perdue ? Pas tout à fait…

En passant ainsi de l’introspectif aux décors XXL, en alternant le style entre pure fantasy, récit post-apocalyptique et quête initiatique et en multipliant les sous-intrigues, Coda est aussi déroutant qu’original. Un truc un peu fou mais d’une richesse dingue, une claque visuelle pas si assez accessible que ça mais qui emmènera le lecteur le plongeant complètement dans ce délire coloré presque pop par moments. Avec au dessin une révélation, une vraie, Matias Bergara.

Olivier Badin

Coda de Simon Spurrier & Matias Bergara. Glénat Comics. 29,95 euros

© Glénat / Simon Spurrier & Matias Bergara

15 Déc

Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2021. Anaïs Nin sur la mer des mensonges, une biographie sensuelle de Léonie Bischoff

Pour raconter la vie de la sulfureuse écrivaine Anaïs Nin, il fallait trouver le ton juste. Plus de huit ans ont été nécessaires à l’autirce suisse Léonie Bischoff pour le trouver. Mais le résultat est là, Anaïs Nin sur la mer des mensonges est un roman graphique en tout point raffiné, à l’écriture aussi subtile que le trait est léger…

Comme chacun et chacune d’entre nous, l’écrivaine Anaïs Nin a eu une vie publique, une vie privée et une vie secrète, riches dans les trois cas. C’est à la dernière que s’est intéressée plus précisément Léonie Bischoff dans ce sublime roman graphique paru chez Casterman en août dernier, une vie secrète passée à la postérité grâce à la publication de ses journaux intimes et secrets tenus sur plusieurs décennies.

Vécu comme un événement sans équivalent dans la littérature au moment de leur publication, ces journaux intimes ont révélé une personnalité hors norme, une femme aux multiples vies et aux milles facettes qui avait choisi pour guider sa vie la création, la passion, l’amour, le sexe… et bien sûr la liberté. Nous sommes dans les années 30, Anaïs Nin est une féministe avant l’heure !

Ses journaux étaient à la fois son réconfort, son miroir, sa drogue. « J’y explore mon caractère et celui des autres… J’analyse, si j’ose dire!« , lui fait dire Léonie Bischoff.

D’un trait délicat, réalisé au crayon magique à mine multicolore, et d’une très belle écriture, Léonie Bischoff nous embarque corps et âme dans cette vie faite d’écriture, de rencontres, de liaisons amoureuses et de mensonges. Comme elle pouvait le faire elle-même à travers la rédaction de ses journaux, nous pouvons, nous lecteurs, contempler ici son âme, décortiquer sa complexité, et approcher d’un peu plus près le génie du personnage.

Chaque planche de ce roman graphique est un bijou en soi, d’une sensibilité et d’une finesse incroyable, d’une sensualité et parfois d’un érotisme habiles. Telle une ode à la femme, à l’amour, à la vie.

Eric Guillaud

Anaïs Nin sur la mer des mensonges, de Léonie Bischoff. Casterman. 23,50€

© Casterman / Bischoff

14 Déc

Sélection officielle Angoulême 2021. Le taureau par les cornes, un récit autobiographique signé Morvandiau

En 2005, coup sur coup, Morvandiau apprend que sa mère est atteinte de démence précoce et que son fils Émile tout juste né est trisomique. De quoi perdre pied…

Perdre pied… et se relever, continuer de marcher en faisant si possible du bruit sur le gravier, comme une musique « rocailleuse et rassurante ». De tous ses souvenirs d’enfance, cette sonorité si particulier fait par un adulte marchant sur un chemin de gravier sera pour Morvandiau l’une des motivations premières à devenir grand.

Ça peut paraître anecdotique, voire dérisoire, ou incongru, mais ça a son importance dans l’histoire de l’auteur et dans ce récit. En 2005, Morvandiau ne fait peut-être pas encore tout à fait partie du monde des adultes, même s’il a dépassé les 30 ans, lorsqu’il est confronté coup sur coup à la maladie de sa mère et à la trisomie de son fils. Il aurait pu définitivement se liquéfier, s’effondrer, ne pas faire face. Par la fenêtre de son atelier, Morvandiau assiste à la démolition du quartier promis à un bel avenir immobilier. La fin d’une époque !

À partir de ce moment-là, Morvandiau connait bien évidemment des moments de désespoir profond, de trouilles, de questionnements, de doutes. Mais à chaque fois, il finit par attraper le taureau par les cornes et reprendre le dessus. Il le faut !

À travers ce petit livre – par le format – paru à L’Association, Morvandiau raconte cette vie intime bouleversée, il raconte aussi sa famille, sa mère, son enfance, sa ville, Rennes, avec une grande pudeur et une singularité dans le traitement narratif et graphique, insérant ici et là en images des références cinématographiques ou musicales. Le Taureau par les cornes figure dans la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2021.

Eric Guillaud

Le Taureau par les cornes, de Morvandiau. L’Association. 19€

© L’Association / Morvandiau