C’est sans conteste l’album le plus attendu de la rentrée, le plus attendu et fatalement le plus attendu au tournant. Il faut dire que Corto Maltese n’est pas un personnage de papier comme les autres, c’est l’un des plus beaux qu’ait créé le Neuvième art, l’un des plus libres et des plus romantiques aussi, et bien sûr l’un des plus célèbres. Une légende, une icône, un dieu… qui appartient aujourd’hui à l’inconscient collectif après avoir appartenu à son créateur de génie Hugo Pratt. Alors chacun se demande aujourd’hui si ce vénérable héros, ou plus exactement anti-héros, peut décemment reprendre le cours de ses aventures sous la houlette de parents adoptifs et surtout s’il peut nous faire encore rêver. Réponse ici…
23 ans ! Pratiquement un quart de siècle que nous ne l’avions point vu. A l’époque, Internet faisait tout juste ses débuts auprès du grand public et les réseaux sociaux n’avaient rien de numériques. C’est pourtant sur Facebook et Twitter qu’on a appris son retour il y a quelques mois et découvert la couverture de sa nouvelle aventure intitulée « Sous le soleil de minuit ». Une belle couverture, certes, mais quelque chose avait changé. Non pas du côté de l’aspect physique de Corto, pas non plus du côté de son nom toujours inscrit en lettres rouge avec la même police de caractère mais du côté des signatures : Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero d’après Hugo Pratt.
Les héros ne meurent jamais
Mort en 1995, Hugo Pratt avait laissé Corto orphelin mais envisagé et autorisé de son vivant la poursuite de ses aventures. Corto pouvait reprendre le voyage à tout moment, contrairement à Tintin qui lui est resté bloqué au milieu des années 80, Hergé ayant refusé catégoriquement une éventuelle reprise. 23 ans auront été tout de même nécessaires pour retrouver notre marin libertaire, le temps de régler quelques problèmes de succession et de trouver les nouveaux locataires de la série.
Reprendre Corto, c’est pour moi comme travailler avec un vieil ami
Justement ces nouveaux locataires, un duo de choc espagnol, Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero, le créateur de Blacksad d’un côté, le dessinateur de Dieter Lumpen ou Le Silence de Malka de l’autre, deux fans absolus de l’univers prattien. « Je suis depuis toujours un passionné de Corto Maltese… », confie Juan Díaz Canales, « j’ai développé au fil des ans une relation très forte avec les personnages. Reprendre Corto, c’est pour moi comme travailler avec un vieil ami ».
Corto, un personnage nécessaire
Un vieil ami pour Juan Díaz Canales, un vieil ami aussi pour nombre d’amoureux du Neuvième art. Mais pas seulement ! Pratt a su ouvrir la bande dessinée à un public plutôt littéraire. « Hugo Pratt dessinait comme s’il écrivait« , rappelle Rubén Pellejero. Faire e la BD sans en avoir l’air, ou faire de la littérature en dessinant, c’est tout Pratt, une oeuvre poétique et un personnage mythique. « C’est un personnage encore d’actualité…« , poursuit Juan Díaz Canales, « un personnage presque nécessaire. Il incarne une forme d’idéalisme. A un moment critique, où les civilisations s’opposent face à face et se remettent en question, on trouve des oeuvres comme Corto Maltese« .
‘C’est un personnage encore d’actualité, un personnage presque nécessaire. Il incarne une forme d’idéalisme
Et donc ? Ce nouveau Corto ?
Faut-il croire Le Figaro qui annonce le retour réussi de Corto Maltese ? Ou plutôt L’Express qui évoque un scénario « parfois un peu compliqué« . C’est en tout cas Une résurrection à haut risque, comme le titre ce même journal. A très haut risque même. Et cela même si Les Vrais héros ne meurent jamais, comme le rappellent Les Echos.
Bon, même si j’avoue m’être un peu perdu dans l’histoire à un certain moment – peut-être la fatigue – force est de reconnaitre que Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero retombent sur leurs pieds. L’introduction mettant en scène Corto et Ras nous replonge dans du Pratt pur jus, une scène de rêve. « Le rêve est une thématique vraiment importante dans le parcours de Corto… », souligne Juan Díaz Canales, « Ce n’était donc pas anodin pour moi de commencer par là, avec un rêve et un poème. Comme pour le dessin, il ne s’agit pas de copier la structure des précédents albums, mais de rappeler ce qui est important pour Corto. C’est le cas aussi de l’amitié avec Raspoutine, ou avec Jack London, un personnage emblématique de la série croisé dans La Jeunesse de Corto Maltese. »
Bien sûr, il n’était pas question pour les auteurs de copier Pratt. « C’est la même chose pour le dessin que pour le scénario… », précise Juan Díaz Canales, « notre but était de retrouver l’ambiance, la poésie de Corto. Sans oublier pour autant que nous sommes, nous aussi, des auteurs, avec des choses à apporter ».
L’ambiance, la poésie, sont bien au rendez-vous, la magie peut-être un peu moins, même si on retrouve les grands espaces chers à Pratt et une galerie de secondes gueules intéressante.
On achète ou pas ?
Bien sûr qu’on l’achète, on le lit et on le range bien gentiment à côté de Mû, l’ultime album de Pratt. C’est quand même une aventure de Corto Maltese et rien que pour le personnage…
Un défi artistique mais aussi économique
Casterman mise sur un beau carton avec une première impression à 300 000 exemplaires et une sortie simultanée en France, en Espagne et en Italie le 30 septembre.
Et ce n’est pas tout, une exposition intitulée « Hugo Pratt, rencontres et passages » se tiendra au Musée Hergé à Bruxelles du 2 octobre 2015 au 6 janvier 2016. Enfin, les auteurs partiront pour une tournée de dédicaces digne de rock stars. Ils seront notamment le 1er octobre à Paris, le 3 octobre à Bruxelles, le 14 octobre à Nantes, le 17 octobre au Mans, le 19 novembre à Lyon, le 26 novembre à Montpellier, le 27 novembre à Toulouse…
Eric Guillaud
Sous le soleil de minuit, Corto maltese (tome 13), de Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero. Editions Casterman. 16 € pour l’édition couleur, 25 € pour l’édition noir et blanc, 150 € pour le tirage de tête en édition limitée