28 Sep

Sous le soleil de minuit, Corto Maltese retrouve la lumière avec Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero

XVM44b8a5d2-f801-11e4-adfa-3a2bb440dae9-805x1059C’est sans conteste l’album le plus attendu de la rentrée, le plus attendu et fatalement le plus attendu au tournant. Il faut dire que Corto Maltese n’est pas un personnage de papier comme les autres, c’est l’un des plus beaux qu’ait créé le Neuvième art, l’un des plus libres et des plus romantiques aussi, et bien sûr l’un des plus célèbres. Une légende, une icône, un dieu… qui appartient aujourd’hui à l’inconscient collectif après avoir appartenu à son créateur de génie Hugo Pratt. Alors chacun se demande aujourd’hui si ce vénérable héros, ou plus exactement anti-héros, peut décemment reprendre le cours de ses aventures sous la houlette de parents adoptifs et surtout s’il peut nous faire encore rêver. Réponse ici…

23 ans ! Pratiquement un quart de siècle que nous ne l’avions point vu. A l’époque, Internet faisait tout juste ses débuts auprès du grand public et les réseaux sociaux n’avaient rien de numériques. C’est pourtant sur Facebook et Twitter qu’on a appris son retour il y a quelques mois et découvert la couverture de sa nouvelle aventure intitulée « Sous le soleil de minuit ». Une belle couverture, certes, mais quelque chose avait changé. Non pas du côté de l’aspect physique de Corto, pas non plus du côté de son nom toujours inscrit en lettres rouge avec la même police de caractère mais du côté des signatures : Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero d’après Hugo Pratt.

Les héros ne meurent jamais

Mort en 1995, Hugo Pratt avait laissé Corto orphelin mais envisagé et autorisé de son vivant la poursuite de ses aventures. Corto pouvait reprendre le voyage à tout moment, contrairement à Tintin qui lui est resté bloqué au milieu des années 80, Hergé ayant refusé catégoriquement une éventuelle reprise. 23 ans auront été tout de même nécessaires pour retrouver notre marin libertaire, le temps de régler quelques problèmes de succession et de trouver les nouveaux locataires de la série.

Reprendre Corto, c’est pour moi comme travailler avec un vieil ami

Justement ces nouveaux locataires, un duo de choc espagnol, Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero, le créateur de Blacksad d’un côté, le dessinateur de Dieter Lumpen ou Le Silence de Malka de l’autre, deux fans absolus de l’univers prattien. « Je suis depuis toujours un passionné de Corto Maltese… », confie Juan Díaz Canales, « j’ai développé au fil des ans une relation très forte avec les personnages. Reprendre Corto, c’est pour moi comme travailler avec un vieil ami ».

© Casterman / Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero

© Casterman / Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero

Corto, un personnage nécessaire

Un vieil ami pour Juan Díaz Canales, un vieil ami aussi pour nombre d’amoureux du Neuvième art. Mais pas seulement ! Pratt a su ouvrir la bande dessinée à un public plutôt littéraire. « Hugo Pratt dessinait comme s’il écrivait« , rappelle Rubén Pellejero. Faire e la BD sans en avoir l’air, ou faire de la littérature en dessinant, c’est tout Pratt, une oeuvre poétique et un personnage mythique. « C’est un personnage encore d’actualité…« , poursuit Juan Díaz Canales, « un personnage presque nécessaire. Il incarne une forme d’idéalisme. A un moment critique, où les civilisations s’opposent face à face et se remettent en question, on trouve des oeuvres comme Corto Maltese« .

‘C’est un personnage encore d’actualité, un personnage presque nécessaire. Il incarne une forme d’idéalisme

Et donc ? Ce nouveau Corto ?

Faut-il croire Le Figaro qui annonce le retour réussi de Corto Maltese ? Ou plutôt L’Express qui évoque un scénario « parfois un peu compliqué« . C’est en tout cas Une résurrection à haut risque, comme le titre ce même journal. A très haut risque même. Et cela même si Les Vrais héros ne meurent jamaiscomme le rappellent Les Echos.

Bon, même si j’avoue m’être un peu perdu dans l’histoire à un certain moment – peut-être la fatigue – force est de reconnaitre que Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero retombent sur leurs pieds. L’introduction mettant en scène Corto et Ras nous replonge dans du Pratt pur jus, une scène de rêve. « Le rêve est une thématique vraiment importante dans le parcours de Corto… », souligne Juan Díaz Canales, « Ce n’était donc pas anodin pour moi de commencer par là, avec un rêve et un poème. Comme pour le dessin, il ne s’agit pas de copier la structure des précédents albums, mais de rappeler ce qui est important pour Corto. C’est le cas aussi de l’amitié avec Raspoutine, ou avec Jack London, un personnage emblématique de la série croisé dans La Jeunesse de Corto Maltese. »

Bien sûr, il n’était pas question pour les auteurs de copier Pratt. « C’est la même chose pour le dessin que pour le scénario… », précise Juan Díaz Canales, « notre but était de retrouver l’ambiance, la poésie de Corto. Sans oublier pour autant que nous sommes, nous aussi, des auteurs, avec des choses à apporter ».

L’ambiance, la poésie, sont bien au rendez-vous, la magie peut-être un peu moins, même si on retrouve les grands espaces chers à Pratt et une galerie de secondes gueules intéressante.

© Casterman / Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero

© Casterman / Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero

On achète ou pas ?

Bien sûr qu’on l’achète, on le lit et on le range bien gentiment à côté de , l’ultime album de Pratt. C’est quand même une aventure de Corto Maltese et rien que pour le personnage…

Un défi artistique mais aussi économique

Casterman mise sur un beau carton avec une première impression à 300 000 exemplaires et une sortie simultanée en France, en Espagne et en Italie le 30 septembre.

Et ce n’est pas tout, une exposition intitulée « Hugo Pratt, rencontres et passages » se tiendra au Musée Hergé à Bruxelles du 2 octobre 2015 au 6 janvier 2016. Enfin, les auteurs partiront pour une tournée de dédicaces digne de rock stars. Ils seront notamment le 1er octobre à Paris, le 3 octobre à Bruxelles, le 14 octobre à Nantes, le 17 octobre au Mans, le 19 novembre à Lyon, le 26 novembre à Montpellier, le 27 novembre à Toulouse…

Eric Guillaud

Sous le soleil de minuit, Corto maltese (tome 13), de Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero. Editions Casterman. 16 € pour l’édition couleur, 25 € pour l’édition noir et blanc, 150 € pour le tirage de tête en édition limitée

25 Sep

Adieu Kharkov ou la vie de L’actrice Mylène Demongeot retracée en BD par Catel et Bouilhac

© Photo Daniel Angeli / couverture Demongeot Catel et Bouilhac

© Photo Daniel Angeli / couverture Demongeot Catel et Bouilhac

On l’a souvent comparée à Brigitte Bardot, non sans raison. Comme elle, sa beauté n’a eu d’égal que son succès au cinéma. Et comme elle, son engagement pour la cause animale n’a jamais été à prouver. Depuis 2011, Mylène Demongeot vit en Mayenne. Une BD retrace sa vie et celle de sa mère. Rencontre…

« Les Sorcières de Salem », « Les Trois mousquetaires », « Sois belle et tais-toi », « Fantômas », « Tenue de soirée », « 36 Quai des Orfèvres », « Camping »… Comme le confie son ami Pierre Richard, « elle en a tourné, des films, Mylène Demongeot, des sacrés films , et avec des sacrés acteurs, mais de tous ses films qui restent dans le mémoire de son public, le plus étonnant, le plus romanesque, c’est quand même sa vie« .

Et quelle vie en effet ! Une jeunesse marquée par un strabisme peu élégant, une opération qui change radicalement sa physionomie et la fait remarquer des photographes, des débuts dans le mannequinat, une percée dans le cinéma, une belle histoire d’amour avec le réalisateur Marc Simenon pour qui elle accepte de mettre sa carrière au second plan, un come-back en 2004, des nominations aux César…

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19 Sep

Chicagoland, une remarquable adaptation en BD d’un texte de R.J. Ellory par Fabrice Colin et Sacha Goerg

album-cover-large-27011C‘est typiquement le genre de bouquin qu’on aurait aimé emporter en vacances et déguster allongé sur une plage ensoleillée. Mais bon, Chicagoland arrive en septembre et finalement, c’est aussi une bonne histoire pour un jour de pluie, à lire au coin du feu ou sous une couette bien épaisse.

Il faut dire que le nom de l’album est plus que prometteur, Chicagoland. Tout autant que le nom de l’auteur, R.J. Ellory, un des grands maîtres du polar et du thriller réunis, responsable et coupable de quelques beaux succès de librairie comme Vendetta, Seul le silence, Les Anonymes ou encore Les Assassins tout juste sorti en France.

Chicagoland n’est pas l’adaptation à proprement parler d’un des romans de R.J. Hallory mais l’adaptation de trois de ses nouvelles intitulées Trois jours à Chicagoland, exclusivement publiées sous la forme numérique et notamment disponibles sur Amazon.

Elles racontent l’histoire d’un meurtre, affreux, celui de Carole, jeune institutrice, retrouvée assassinée chez elle. Une jeune femme sans problème, « une brave fille« , confie le gardien de l’immeuble, « la dernière personne au monde que quelqu’un aurait pu vouloir tuer« . Alors pourquoi ? Et qui ? Sur ce dernier point, la justice a trouvé la réponse, du moins le croit-elle, un coupable idéal qui s’est dénoncé, a été jugé et finalement exécuté en présence de la soeur de Carole qu’on peut imaginer grandement soulagée. Pourtant, un homme reste persuadé de son innocence. Cet homme, c’est le flic qui a été chargé de l’enquête. Pour lui, quelque chose cloche dans toute cette histoire et son exécution est une pure injustice…

Trois nouvelles, trois regards sur l’affaire, celui de la soeur de Carole, du flic et enfin du meurtrier, et à l’arrivée un très très bon polar qui joue sur les faux-semblants. L’adaptation de Fabrice Colin et de Sacha Goerg est tout simplement fabuleuse. Pas un temps mort, un suspense absolument maîtrisé, un graphisme qui soutient l’histoire, une narration sans faille… Bref de quoi passer un bon moment ! Lu, déjà relu et approuvé deux fois !

Eric Guillaud

Chicagoland, de Fabrice Colin et Sacha Goerg. Editions Delcourt. 15,95 €.

18 Sep

Spirou se met à l’heure de la Fête de la science

4043_couv_GDSPCLa Fête de la science, 7e édition, se déroulera du 7 au 11 octobre 2015. Une fête populaire qui attire chaque année des centaines de milliers de passionnés et de curieux un peu partout en France. Au programme : des colloques, des ateliers, des portes ouvertes… bref de quoi permettre au grand public de mieux comprendre la science dans tous ses domaines d’application.

A cette occasion, le journal Spirou a concocté un n° 4043 spécial Fête de la science – en kiosque le 7 octobre – avec en couverture Spirou et, non non vous ne rêvez pas, le mythique Gaston Lagaffe. Au menu, Le Labo de Jean-Yves Duhoo avec un reportage sur la bioluminescence, Pinpin reporter qui nous emmènera à la découverte des rayons laser, mais aussi Dad, le Marsupilami, Seuls, Imbattable, Rob…

En supplément de ce numéro, un grand poster de Pic & Zou à la découverte de l’immensité du cosmos.

Eric Guillaud

 

13 Sep

Les Schtroumpfs, Boulouloum et Guiliguili… une rentrée en intégrale chez Dupuis

WiqMfLjRuaJYY8R1DQbcqUlMvpLV1lWN-couv-1200Les Schtroumpfs sont nés autour d’une table réunissant Pierre Culliford, André Franquin et leurs épouses. Un mot qui ne vient pas et Pierre Culliford, alias Peyo, lance le schtroumpf pour désigner une salière. Le repas se concluera en schtroumpferies diverses. Un an plus tard, Peyo glisse les premiers lutins bleus dans une histoire de Johan et Pirlouit, La Flûte à six trous, et publie en 1959 dans le journal Spirou la première aventure des Schtroumpfs sous la forme d’un livre miniature à confectionner soi-même, Les Schtroumpfs noirs. C’était parti pour une des plus belles aventures du Neuvième art.

Le troisième volet de cette nouvelle intégrale réunit un cahier graphique d’une soixantaine de pages avec moultes photographies et quatre récits L’apprenti Schtroumpf, Histoires de Schtroumpfs, Schtroumpf vert et vert Schtroumpf, La Soupe aux Schtroumpfs. Cette période est marquée par l’accident de santé de Peyo, un infarctus qui l’oblige à se reposer de longues semaines et à se ménager par la suite. C’est à ce moment-là que Wasterlain, alors âgé de 23 ans, rejoint le studio Peyo pour suppléer le maître… 

C’est dans le journal Spirou que Mazel et Cauvin ont découvert les aventures de Tarzan. Au lendemain de la guerre, entre 1946 1qlXFWhdgGi8lLFEeWg5rpr2pP6DZf5R-couv-1200et 1949, avant que la censure contraigne l’éditeur à transférer le personnage de Burne Hogarth dans l’hebdomadaire Le Moustique. « Tarzan, c’était notre époque… », confie Raoul Cauvin, « un mec musclé, beau comme un dieu, qui n’arrêtait pas de se bagarrer et qui gagnait à la fin. Quand tu as dix ans, que tu es un petit garçon, tu t’identifies à ce genre de personnage. Forcément« . Fans de l’homme au slip léopard, les deux auteurs vont pourtant en prendre le contre-pied en proposant les aventures de Boulouloum et Guiliguili. Tout a commencé en fait avec deux pages dessinées par Mazel et intitulées Les aventures imbéciles de Darzan. « J’avais envie de varier les plaisirs…« , témoigne Mazel, « …dessiner un Tarzan abruti, par exemple. J’ai préparé deux pages d’essai, intitulées Les aventures imbéciles de Darzan, et je suis passé chez Dupuis. Raoul (Cauvin, ndlr) était présent. Nous avons discuté de ma proposition. Il m’a suggéré de suivre une autre piste, d’accentuer la parodie, de prendre le bonhomme à contre-pied et mettre en scène un mini-Tarzan, accompagné d’un énorme gorille. L’idée m’a plu. Il ne restait plus qu’à finaliser ce qui n’était au départ qu’un simple projet d’histoire courte ». Ainsi n’acquirent les aventures de Boulouloum. 

Ce premier volume de l’intégrale Boulouloum et Guiliguili réunit un cahier graphique et cinq récits publiés en album entre 1975 et 1981: Le grand Safari, Chasseurs d’ivoire, Le trésor de Kawadji, SOS Jungle! et la Saga des gorilles.

Eric Guillaud

Intégrale Les Schtroumpfs (tome 3), de Peyo. Editions Dupuis 28 €

Intégrale Boulouloum et Guiliguili (tome 1), de Mazel et Cauvin. Editions Dupuis. 28 €

12 Sep

Germain et nous… Une intégrale au parfum de liberté

vSj0ZaPtepRquuQmtyAdux30TufUhlYT-couv-1200C’est sûr, 55 €, ce n’est pas franchement donné pour un album de bande dessinée. MAIS, il faut dire que celui-ci regroupe en fait 14 albums, soit 652 planches. Ce qui ramène notre affaire à 4 € l’album, soit encore 0,08 € la planche. C’est mieux non ? 

Arrêtons-là les comptes d’apothicaire ou de boucher-charcutier, l’important est que nous puissions aujourd’hui tenir entre nos mains l’intégrale de Germain et nous…, une série qui fit les beaux jours du journal Spirou dans les années 80, épuisée depuis belle lurette suzette. Enfin, quand je dis qu’elle fit les beaux jours du journal Spirou, ce n’est pas tout à fait exact. D’abord parce que les premières planches de Germain et nous… ont été publiées dans Le Trombone illustré, un supplément tout à fait mythique au Journal de Spirou. Ensuite, parce que, comme le rappelle Serge Honorez dans le dossier qui ouvre cette intégrale, les aventures de Germain et nous… ont été à l’origine de l’arrêt, justement, de ce fameux supplément considéré par la direction Dupuis et le rédacteur en chef de l’époque comme un repère de gauchistes. Il est vrai qu’on s’y moquait des militaires, qu’on y défendait le féminisme et que, c’est la goutte qui fit déborder le vase, on ironisait sur la religion. Et ça jamais!

Depuis, le temps est passé, la société a évolué au moins un peu, vous pourrez donc retrouver le gag numéroté 22 de Germain et nous… à l’origine de cette grosse colère à la page 43 de ce livre. De même que l’ensemble des gags imaginés par Thierry Culliford et Frédéric Jannin, fins observateurs des années 80 et notamment de la Bof-génération. D’autres scénaristes rejoindront l’aventure comme Yvan Delporte et Serge Honorez. Un album cher mais totalement indispensable!

Eric Guillaud

Germain et nous… de Jannin, Culliford, Delporte, Honorez. Editions Dupuis. 55 €

Gueule noire, Ozanam et Lelis se penchent sur la condition humaine chez Casterman

9782203043589Peut-on échapper à sa condition ? C’est la question que pose ce très bel album paru aux éditions Casterman, signé Ozanam pour le scénario et Lelis pour le dessin. Et peut-on notamment échapper à sa condition de gueule noire dans la France des années 1900 ?

Marcel, le personnage central, est une gueule noire ou du moins l’enfant d’une gueule noire. Et comme tout enfant de gueules noires vient le jour où lui aussi doit descendre. Mineur de père en fils. Tel est son destin. Mais Marcel rêve d’une autre vie. Direction Paris où il enchaîne les petits boulots, trimant comme un fou pour se payer une chambre minable et s’écrouler le soir venu, le corps complètement meurtri. Certes, Marcel n’est plus sous terre mais il reste une bête de somme, un esclave. « J’ai quitté un enfer sous terre pour un autre à ciel ouvert« , se plaint-il. « Tu es né dans la boue. C’est ta condition » lui rétorque-t-on. Loin de se résoudre à l’évidence, Marcel rejoint une bande de révolutionnaires, « des mecs qu’avaient la dérive en point commun« . Ensemble, ils vont changer le monde, du moins vont-ils essayer…

Noir, magnifiquement noir. Dans le fond comme dans la forme. Le Brésilien Lelis et le Français Ozanam, qui avaient déjà travaillé sur un projet commun très différent sur le plan du scénario comme du dessin, Last Bullets, signent ici une oeuvre très réussie, un plongeon sans ménagement dans le monde de la mine et des bas-fonds de Paris au début du XXe siècle. Ça grouille de malfrats et d’exploiteurs en tout genre, ça pue la misère et la maladie, l’issue est sans espoir, mais c’est graphiquement sublime et scénaristiquement taillé au cordeau. Il y a du Germinal dans ces pages, du Germinal et quelque chose aussi de très contemporain, universel. La misère est universelle. Marcel pourrait s’appeler aujourd’hui Yacoub ou Fathi, venir de Syrie ou de Lybie.

Le scénariste Ozanam, qui habite dans le nord de la France explique la genèse de cette histoire sur le blog d’Oncle Fumetti « Gueule noire regroupe plusieurs thèmes que je voulais aborder. À l’époque (il y a 8 ans), il n’y avait pas de BD sur la mine. Et vivant dans le nord, je baignais dans une culture propice. Un jour, en travaillant à la médiathèque de Roubaix, je suis tombé sur une revue spécialisée sur la mine. Dedans, il y était question d’une grève au début du 20ème siècle. Du coup, j’ai emprunté plusieurs numéros… Puis, je suis rentré en contact avec un ancien mineur… En allant le voir, je lisais Le voleur de Georges Darien… Il a vu le bouquin et nous avons parlé d’une de ses grand-oncles qui avait fuit le Nord, espérant faire fortune à Paris. Là bas, il s’était trouvé une conscience politique. Et lors d’une manifestation, il avait rencontré le sabre d’un dragon. Donc hop, j’ai commencé à écrire une histoire de mineurs, de condition sociale et d’anarchie… »

Un véritable coup de coeur !

Eric Guillaud

Gueule noire, de Lelis et Ozanam. Editions Casterman. 18 €

Pour aller plus loin, lisez l’interview d’Antoine Ozanam sur le blog d’Oncle Fumetti

© Casterman - Ozanam & Lelis

© Casterman – Ozanam & Lelis

 

11 Sep

Zep plonge son personnage Titeuf dans le drame des réfugiés

extrait Mi-petit, mi-grand © Zep 2015

extrait Mi-petit, mi-grand © Zep 2015

Notre blondinet de Titeuf confronté à des tirs, à des explosions, à des bombardements, à la mort… Vous y croyez ? C’est pourtant bien le scénario très noir que l’auteur suisse à écrit pour son personnage sur le blog What a wonderful world ! hébergé sur le site du quotidien Le Monde. 42 cases qui nous rappellent si besoin est que la guerre a frappé et peut encore frapper sur notre territoire, semant la mort et jetant des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sur les routes de l’exil.

Une page pour lutter contre « notre incroyable capacité au cynisme« , déclare l’auteur qui confesse avoir eu « le ventre noué » en dessinant ses personnages fauchés par les balles et les explosions.

Vue plus d’un million de fois, partagée près de 200 000 fois, cette page a profondément marqué les lecteurs qui relèvent unanimement dans les commentaires sa puissance d’évocation.

Pour la première fois dans l’histoire du quotidien Le Monde, une page de bande dessinée, cette page précisément, figure à la Une de l’édition papier du Monde daté du 11 septembre 2015.

Eric Guillaud

La page complète ici

07 Sep

Nungesser ou la vie d’un As de l’aviation française romancée par Fred Bernard et Aseyn

9782203074187Si vous deviez donner le nom d’un As de la Grande guerre, il y a fort à parier que vous citeriez Guynemer, Georges Guynemer, effectivement le plus célèbre d’entre tous. Sa disparition au combat en 1917 a grandement participé à sa légende.

Pourtant, rien que dans l’armée française sont comptabilisés plus de 180 pilotes élevés au rang d’as et notamment Charles Nungesser, As parmi les As, une grosse quarantaine de victoires à son actif et une vie romanesque que nous permettent de découvrir Fred Bernard et Aseyn dans ce très bel album paru chez Casterman.

La couverture très réussie donne le ton de ce qui suit. 150 pages balayées par le souffle de l’aventure avec un grand A. Un souffle qui va jusqu’à faire vibrer le trait léger, sensible, presque fragile, du dessinateur Aseyn sur ces planches voulues dès le départ en noir et blanc. « Didier Borg (leur éditeur, ndlr) a voulu d’emblée du noir et blanc… », confie Aseyn, « et ne l’a pas vu autrement. Et moi non plus, le noir et blanc permet cette âpreté que nulle couleur ne peut renforcer ».

L’histoire proposée par Aseyn et Fred Bernard n’est pas une biographie ordinaire, elle est romancée, un peu par la force des choses. « La réalité, c’est qu’on ne sait pas grand chose… », précise Fred Bernard, « Même Laurent Rabier, responsable du département Aviation-Conservation au musée du Bourget nous a dit que tout était plus ou moins romancé et très hagiographique… Ce qui ne m’a pas vraiment rassuré, et soulagé en même temps. Nous devions être fidèles, mais libres en même temps. Ce qui a été relaté et écrit les 10 ou 20 années suivant sa disparition l’a parfois été par des personnes l’ayant croisé, connu ou ayant eu accès à sa correspondance, éparpillée depuis. Ou par des fans d’aviation très calés, mais à genoux devant le héros du ciel. Comment faire la part des choses ? ».

La bonne idée, la très bonne idée même, que les auteurs ont eu, c’est la voix off qui nous accompagne tout au long du récit. Derrière cette voix off, il y a Émilie, la maîtresse de Nungesser qui l’accompagna jusqu’à sa disparition au milieu de l’Atlantique en 1927. « C’est forcément elle qui le connaissait le mieux… », explique Fred Bernard, « Les biographes disent tous qu’il était irrésistible pour beaucoup et insupportable pour certains. Forcément les fans et les groupies d’un côté, les jaloux de l’autre… Et Émilie au milieu. Au coeur, et consciente de tout, c’est ce qui m’a intéressé ».

Au delà de la vie de Nungesser, c’est toute une époque qu’on survole ici, une époque qui fabriquait des héros comme les As de l’aviation. Magnifique ! (En librairie le 9 septembre)

Eric Guillaud

Nungesser, de Aseyn et Fred Bernard. Editions Casterman. 23 €

Interview de Benoît Springer et Zidrou autour de l’album « L’Indivision » paru chez Futuropolis

capture_decran_2015-09-06_a_14.25.29Leur premier album commun, « Le Beau voyage« , avait marqué les esprits. Le dessinateur nantais Benoît Springer et le scénariste belge Zidrou reviennent avec une histoire encore une fois réaliste et intimiste, une histoire d’amour qui ne manquera pas d’interroger, voire de déranger.

Ils auraient pu opter pour une histoire d’amour ordinaire tendance un homme, une femme, chabadabada, chabadabada. Éventuellement, une histoire qui finit mal, un peu banale. Mais ce serait méconnaître Benoît Springer et Benoît Drousie, alias Zidrou. Nos deux auteurs aiment flirter avec les sujets sensibles et pourquoi pas tabous. 

Après « Le Beau voyage » qui traitait d’un lourd secret de famille, « L’Indivision » raconte l’histoire de Martin et Virginie, deux amants qui s’aiment depuis leurs vingt ans, depuis toujours. D’un amour fou, incontrôlé, ravageur… mais interdit. Martin et Virginie sont frère et soeur.

Sur une soixantaine de pages, Benoît Springer et Zidrou explorent les sentiments des protagonistes principaux mais aussi des proches, de la famille, des amis, et nous livrent un récit intense, intelligent, sensible et sensuel qui nous amène forcément sur la voie de la réflexion. Rencontre…

La suite ici

Eric Guillaud