Il suffit parfois d’un album un seul pour révéler un auteur. Ce fût le cas avec Soleil brûlant en Algérie publié en 2016. Gaétan Nocq y abordait avec talent et singularité la guerre d’un bidasse nommé Alexandre Tikhomiroff. Il nous revient aujourd’hui avec Le Rapport W, l’histoire incroyable d’un officier de l’armée secrète polonaise qui se laisse volontairement interner à Auschwitz…
Avec le recul, on pourrait le prendre pour un fou mais il ne l’était pas, Witold Pilecki était un officier de cavalerie, membre de l’armée secrète polonaise et c’est à ce titre qu’il s’est laissé interner à Auschwitz avec l’objectif d’y organiser un réseau de résistance.
Avec tous les dangers que cela impliquait, Witold Pilecki est parvienu à construire un réseau et même à faire sortir des rapports sur la situation dans le camp. Entre les tortures, les chambres à gaz, les atrocités de toutes sortes, celui qui ne s’est jamais considéré comme un prisonnier mais bien comme un soldat en mission témoignait ainsi du quotidien d’Auschwitz. En avril 1943, il s’évadait du camp. Il fit partie des premières personnes à informer les alliés sur les atrocités commises à Auschwitz.
A l’instar de ses albums précédents, Soleil brûlant en Algérie et Capitaine Tikhomiroff, Le rapport W est basé sur une histoire vraie, il s’agit en fait de l’adaptation du Rapport Pilecki rédigé en 1945 et publié en France en 2014 aux éditions Champ-Vallon.
« J’ai été absorbé par ce récit… », explique Gaétan Nocq, « cette véritable histoire d’espionnage avec un évasion à la clé. La mission de cet officier de l’armée secrète polonaise qui infiltre le camp d’Auschwitz pour y construire un réseau de résistance en vue d’un soulèvement était plus qu’intrigante. J’avais entre les mains une aventure humaine dans un lieu inhumain ».
@ Daniel Maghen / Nocq
Et une histoire d’hommes au coeur de la grande histoire, c’est ce que l’auteur aime par dessus tout raconter en bande dessinée. Soleil brûlant en Algérie, son premier album racontait l’histoire du soldat Alexandre Tikhomiroff pendant la guerre d’Algérie. Capitaine Tikhomiroff, le deuxième, relatait la révolution d’octobre d’Alexandre Tikhomiroff père. Deux histoires où l’humain et l’inhumain cohabitent.
« C’est un témoignage très fort, qui correspond à ce que je veux développer en bande dessinée : ce tissage entre petite histoire et grande histoire. Et ce récit est d’autant plus fort qu’il est factuel. Mais tout était à faire pour en sortir une bande dessinée. L’action se déroule dans le camp d’Auschwitz, dont le nom à lui tout seul évoque l’effroi et l’inhumanité ».
@ Daniel Maghen / Nocq
Un an et demi de travail fût nécessaire pour mettre cette histoire en images. Mais le résultat est là, un magnifique album de 250 pages, au graphisme, aux couleurs, aux ambiances qui racontent tout autant que le scénario.
« Le carnet de voyage ma permis de développer une pratique du dessin sur le vif, avec l’énergie de l’urgence, où l’impression générale du sujet l’emporte sur sa description. Mon travail en bande dessinée – qui se fait en atelier – réinvestit cette démarche. Mon dessin est un mouvement, un tempo. Le dessin, c’est de l’action ! Je travaille d’abord par surfaces de couleurs (au pinceau-brosse et à l’acrylique) avant de préciser les figures par le trait, aux crayons de couleurs ».
@ Daniel Maghen / Nocq
Afin de l’aider dans sa tâche, Gaétan Nocq a fait appel à Isabelle Davion, Maîtresse de conférence à La Sorbonne. « Quand je me suis engagé dans ce projet, il était incontournable pour moi d’avoir l’expertise d’Isabelle Davion. Isabelle à suivi mon travail dans son évolution. Elle répondait à toutes mes questions, même celles qui pouvaient paraître anecdotiques ».
Non seulement, elle l’a aidé mais elle a aussi été à l’origine de l’adaptation comme elle l’explique dans une longue et passionnante postface. « Gaétan aimait par dessus tout dessiner le voyage, comment allait-il supporter de contraindre ses paysages aux limites de l’univers concentrationnaire ? Mais lui qui s’attachait à l’aventure humaine, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il allait être servi (…) Il m’appelait après une nuit de lecture, et comme tous ceux qui ont côtoyé le témoignage inouï du rotmistrz (capitaine de cavalerie) Pilecki, il était embarqué dans ce récit d’effroi et d’humanité ».
Un album incroyable à tout point de vue, un témoignage essentiel sur notre passé commun à découvrir dès le 23 mai.
Eric Guillaud
Le rapport W, Inflitré à Auschwitz, de Gaétan Nocq. Daniel Maghen. 29€