27 Avr

Rotterdam : un carnet de voyage signé Emmanuel Lemaire

acceuil01v08_ultra_jpg__1021881Pour vivre là-bas, il faut aimer les tulipes, le vélo, la pluie fine, les frites double mayonnaise, les étendues de containers, les perspectives plates… et les bateaux. En acier ou en papier. Bienvenue à Rotterdam…

Emmanuel Lemaire, vous l’aurez compris, n’est pas néerlandais mais français, rouennais précisément. Et s’il a atterri là-bas, ce n’est par amour pour le pays mais pour suivre sa compagne qui a accepté une mission de plusieurs mois dans une raffinerie locale. Elle est spécialiste du coup de bélier, ce choc qu’on peut entendre quand on ferme brusquement un robinet, lui travaille habituellement dans une bibliothèque mais a pris un congé sabbatique pour dessiner une bande dessinée.

Bien sûr, il n’y pas que des tulipes et des vélos à Rotterdam. Avec beaucoup de finesse, dans le trait comme dans le propos, Emmanuel nous fait découvrir une ville hyper dynamique, une ville qui évolue tellement vite que même Google View, nous raconte-t-il, n’arrive pas à l’immortaliser.

Ce n’est pas le choc des civilisations – relativisons – mais quand même, Emmanuel et sa compagne ressentent parfois le mal du pays. Ils se retrouvent alors avec leurs amis expatriés comme eux…

Même si l’option graphique est totalement différente, Rotterdam, un séjour à fleur de peau nous fait penser à Shenzhen, Pyongyang, Chroniques birmanes ou encore Chroniques de Jérusalem, des albums signés du Canadien Guy Delisle qui, lui aussi, voyageait au gré des déplacements professionnels de sa femme et en profitait pour nous faire découvrir un pays, un peuple, une culture. Forcément intéressant !

Eric Guillaud

Rotterdam, Un séjour à fleur d’eau, d’Emmanuel Lemaire. Editions Delcourt. 14,95 €

25 Avr

Anesthésie générale : un récit autobiographique de Michel Vandam et Delphine Hermans sur la maladie, le couple, l’amour…

Couv_278574Une leucémie lymphoblastique ! Je suis franchement désolé de débuter cette chronique par un gros mot mais cette sombre, vulgaire et saloperie de maladie est au coeur de l’album Anesthésie générale de Michel Vandam et Delphine Hermans. Un enfant malade, un couple qui se déchire, mais tout n’est pas noir pour autant, il y a un peu de couleurs dans ce récit autobiographique, un peu de couleurs et beaucoup d’espoir…

« Pourquoi ça nous arrive à nous ? », répète la mère à qui veut bien l’entendre. C’est le choc, pour la mère Nath, pour le père Phil, pour le jeune frère Léo et bien sûr pour l’intéressé en personne, Max, même si celui-ci n’est pas tout à fait conscient de la gravité des choses.

« C’est la moins grave des maladies graves », lance-t-il d’ailleurs entre deux examens médicaux, histoire de se rassurer et peut-être aussi de rassurer ses parents. Scanner, ponction lombaire, chimio… Max découvre le monde médical par le plus mauvais des côtés. La situation est lourde, la tension palpable, le couple finit par exploser en vol. La mère et le père se séparent et organisent leur nouvelle vie en fonction du parcours médical de Max…

Les histoires d’amour finissent mal en général, chantent les protagonistes à un moment du récit, celle-ci finit plutôt bien mais débute dans l’horreur la plus totale. La maladie, la séparation… ne comptez pas sur Anesthésie générale pour vous remonter le moral mais prenez le simplement pour ce qu’il est, un témoignage de gens ordinaires confrontés à ce qui n’arrive théoriquement qu’aux autres. Un récit forcément difficile et poignant, à la tonalité tout de même allégée par le trait naïf de Delphine Hermans.

Eric Guillaud

Anesthésie générale, de Michel Vandam et Delphine Hermans. Editions Warum. 20 €

© Warum / Wandam & Hermans

© Warum / Wandam & Hermans

 

20 Avr

Politique qualité : de l’usine au théâtre, le parcours d’ex-ouvrières de l’usine Jabil raconté par Sébastien Vassant

album-cover-large-29450Elle s’est appelée Ericsson à son ouverture en 1971, puis Thomson, Alcatel, Jabil, Compétence et à nouveau Jabil avant de fermer définitivement ses portes le 30 septembre 2015. Que reste-t-il de cette usine brestoise, de ses 45 années d’activité rythmées par les changements de nom, les plans sociaux, les grèves, les manifestations? Des souvenirs, beaucoup de souvenirs, une pièce de théâtre et aujourd’hui une bande dessinée de Sébastien Vassant…

Sans oublier les ouvriers qui se sont retrouvés sur le carreau. Des ouvrières en l’occurrence, des femmes qu’on n’a certes pas traitées comme des esclaves, non, mais comme une variable d’ajustement. Combien étaient-elles ? 500 ? 600 ? Parfois plus, parfois moins, en fonction des aléas économiques, des dividendes à verser aux actionnaires, des plans sociaux… Une donnée statistique pour le monde économique, de l’humain pour les autres, avec des visages, des histoires, des prénoms. Yvonne, Martine, Ariette, Jeannine ou encore Hélène, justement, ont travaillé dans cette entreprise pendant longtemps avant de se retrouver au chômage ou à la retraite.

Du temps libre, des bons souvenirs, une envie de transmettre leur expérience du monde de l’entreprise, de leur engagement syndical aussi, et les voilà lancées dans la création d’une pièce de théâtre, encadrées par deux metteurs en scène Lionel Jaffrès et Alain Maillard du Théâtre du Grain. Politique Qualité sera jouée pendant trois ans à Brest mais aussi un peu partout en Bretagne, à Nantes… un quarantaine de fois en tout, une manière pour ces femmes de continuer la lutte.

C’est leur aventure que raconte l’album de Sébastien Vassant sur une idée soufflée par le Brestois Kris, auteur notamment de l’excellent Un Homme est mort avec Etienne Davodeau et de l’adaptation du roman de Joseph Joffo, Un Sac de billes. Ouvrières et militantes, mais aussi mères, amantes, femmes, Yvonne, Martine, Ariette, Jeannine et Hélène nous racontent la vie à l’usine, les manifs, les grèves, les luttes contre le travail au rendement, pour une pause de 30 minutes, pour la suppression du travail en équipe. Elles racontent aussi les crises de fou rire entre copines, les anecdotes qui ont fait leur quotidien à l’usine et bien sûr leur travail sur la pièce de théâtre, leurs doutes, leurs joies… Une très belle aventure individuelle et collective en bichromie chez Futuropolis.

Eric Guillaud

Politique qualité, de Sébastien Vassant. Editions Futuropolis. 23 €

© Futuropolis / Vassant

© Futuropolis / Vassant

14 Avr

Les enfants de Marcos : la nouvelle aventure de Travis signée Duval, Quet et Schelle

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On a perdu le gamin. Le gamin, c’est Travis, Steve Travis. Un nom qui doit forcément vous causer. Depuis 1997, il y a donc bientôt 20 ans, Travis nous emporte dans un futur proche – qui se rapproche à grand pas – les années 2050, un univers parallèle à celui d’une autre star de la BD de sc!ence-fiction, Carmen Mc Callum…

On a donc perdu le gamin. Sa navette spatiale a été retrouvée arrimée à une station orbitale désaffectée. À son bord, un chargement de composants électroniques destiné au Mexique et une intelligence artificielle partie en vrille, récitant en boucle Le Capital de Karl Marx. Mais personne autour pour engager la lutte des classes. Pas âme qui vive. Travis a bel et bien disparu et sa mère, Jessica Travis, est morte d’inquiétude. Au point de supplier Vlad Nyrki de partir à sa recherche. Direction le Mexique qui n’est pas franchement devenu la destination touristique la plus prisée du moment. Qu’importe, il faut sauver le routier Travis…

Après quatre ans de trou noir, revoici enfin Travis. Enfin pas tout à fait puisque notre routier de l’espace n’apparaît que furtivement dans ce onzième épisode de la série publié fin février, et encore, en hologramme. Mais ne vous inquiétez pas, c’est pour mieux réapparaître demain, ou après-demain, enfin bientôt. En attendant, « Les enfants de Marcos » nous permet de retâter de la série et ça, c’est plutôt bien. Au programme : de l’aventure, de l’action, de la science fiction et un brin de réflexion, oui oui ça fait pas de mal par les temps qui courent, un brin de réflexion sur ce qui pourrait être notre monde de demain si on n’y prête pas plus attention aujourd’hui.

En cadeau, bande de petits veinards, un papertoy ou jouet en papier pour ceux qui auraient zappé les cours d’anglais, à plier, découper et coller.

Eric Guillaud

Les enfants de Marcos, Travis (tome 11), de Duval, Quet et Schelle. Editions Delcourt. 14,50€

© Delcourt / Duval, Quet & Schelle

© Delcourt / Duval, Quet & Schelle

11 Avr

Le Monstre des sources : Jean-Luc Cornette et Hausman signent une aventure de Chlorophylle

JeIj0Tg8njNADHfRpacHfOk3tcVlr1i0-couv-1200Bon ok, il l’a trouve gentille, jolie comme un coeur, attentionnée, intelligente, rigolote, honnête, douée pour un tas de choses, généreuse, sportive, audacieuse, élégante… Mais de là à imaginer qu’il en est amoureuse, ce serait en tirer des conclusions un peu hâtives…

Il est vrai que Minimum passe un maximum de son temps avec elle depuis qu’elle est arrivée dans les parages. Au grand dam de Chlorophylle, son meilleur ami, qui commence à s’ennuyer sévèrement tout seul dans son coin. Particule qu’elle s’appelle, une belle souris à vrai dire. De quoi faire tourner les têtes comme celle de Minimum. Mais une souris qui disparait soudainement. Sa maison a été saccagée. Maximum est inquiet. Elle a du être enlevée. Avec Chlorophylle, les voilà partis à sa recherche, une mission dangereuse…

Ne vous inquiétez pas, l’histoire finit plutôt bien. Pour le reste, Jean-Luc Cornette et Hausman nous livrent une aventure de Chlorophylle, le célèbre personnage imaginé par Raymond Macherot en 1954, particulièrement singulière, loin de la ligne claire habituelle, loin aussi du royaume de Croquefredouille.  « Notre album s’inscrit dans les Chlorophylle des débuts… », explique Hausman, « Je ne me voyais pas faire autre chose car, après tout, j’aime dessiner la nature : c’est mon fonds de commerce ! J’ai pris beaucoup de plaisir à réaliser cette bande dessinée : je me sentais comme un poisson dans l’eau ».

Une option graphique et scénaristique assez radicale qui pourrait déstabiliser les fans les plus pointilleux de Macherot et surprendre agréablement tous les autres. Une très belle curiosité !

Eric Guillaud

Chlorophylle et le monstre des trois sources, de Hausman et Cornette. Editions Le Lombard. 14,99€

© Le Lombard / Hausman & Cornette

© Le Lombard / Hausman & Cornette

10 Avr

Saudade : un recueil d’histoires courtes, belles et poignantes, signé Fortu

P2D2953346GUn quartier qui disparaît, un pays qui s’éloigne, un amour qui s’enfuit, un enfant qui meurt… Vous l’aurez compris, Saudade ne fait pas dans le registre de l’humour. Sous ce titre qui exprime une mélancolie empreinte de nostalgie, le Ligérien Franck Fortuna, alias Fortu, a réuni une quinzaine d’histoires courtes tristes et belles à la fois…

Fortu est d’origine portugaise, ceci explique cela, en l’occurence le choix de ce mot pour titre, Saudade, un mot si bien mis en musique par Cesária Évora. Pour la quinzaine de récits qui composent ce recueil paru dans la collection Shampooing des éditions Delcourt, Fortu s’est en partie inspiré de sa propre vie ou de celle de sa famille. Il y raconte notamment son père qui a fuit le Portugal en 1965. Ou plus précisément la dictature de Salazar. Car le pays, son pays, il l’a toujours conservé quelque part au fond du coeur, au point, 48 ans après son arrivée en France, de ne toujours pas se sentir français. Et de ne plus vraiment se sentir portugais. Qui est-il ? Qui sommes nous ? Quelle trace laissons-nous ? Autant de questions que soulève chacune de ces histoires courtes. `

Pas de cases, pas de bulles, deux dessins par page, un graphisme épuré à son maximum, Fortu établit ainsi une proximité étonnante, un lien intime avec le lecteur qui lui permet de transmettre sa saudade. Un très beau livre.

Eric Guillaud

Saudade, de Fortu. Editions Delcourt. 14,50 €

© Delcourt / Fortu

© Delcourt / Fortu

 

08 Avr

Soleil brûlant en Algérie : l’interview de Gaétan Nocq

Évoquer la guerre d’Algérie, aujourd’hui encore, 54 ans après l’indépendance, n’est pas chose facile. Des deux côtés de la Méditerranée, le sujet reste sensible. Gaétan Nocq s’y est pourtant attelé en adaptant en BD le témoignage écrit d’un jeune appelé, Alexandre Tikhomiroff, débarqué sous le soleil brûlant d’Algérie à la fin de l’année 1956, précisément à Cherchell sur la côte ouest du pays. Durant vingt-sept mois, Alexandre Tikhomiroff, dit Tiko, doit jouer au soldat dans une école militaire formant les officiers. Tiko est contre la guerre. À son retour sur le sol français, il rejoint un groupe de militants pacifistes. Gaétan Nocq nous parle de sa rencontre avec Tiko, de son travail d’adaptation, de l’Algérie, de sa passion pour le carnet de voyage…

Gaétan et Alexandre en pleine discussion

Alexandre et Gaétan en pleine discussion

Qu’évoquait pour vous l’Algérie avant de vous lancer dans cette adaptation ?

Gaétan Nocq. Un pays assez mystérieux, pas facile à appréhender, entaché par des conflits violents jusqu’à récemment. Et en contrepoint, un pays d’espace qui fait rêver : les livres de Frison-Roche sur le Grand Sud et les photos en noir et blanc des éditions Arthaud des années 50.

Que connaissiez-vous de cette période, de cette guerre ?

Gaétan Nocq. J’étais un novice dans la mesure où je n’avais jamais vraiment lu sur la question. Et, j’avais conscience que c’était un sujet tabou en France puisque c’est une guerre qui, officiellement n’a jamais voulu dire son nom… jusqu’en 1999. Contrairement à d’autres, je n’ai pas de filiation à cette guerre dans le sens où je n’ai pas de père ou d’oncle envoyés en Algérie. C’est peut être ça qui m’a décidé car mon regard était distant ou en tout cas, dégagé de tout pathos.

c’est un récit qui se déplace dans un territoire naturel très marqué, qui incite autant à la contemplation qu’à la méfiance

Qu’est-ce qui vous a décidé à mettre en image le témoignage d’Alexandre Tikhomiroff ?

Gaétan Nocq. Le récit d’Alexandre m’a touché par sa sincérité et sa sensibilité. Plusieurs choses m’ont inspiré. Tout d’abord un récit humble à hauteur humaine avec parfois cette mise à distance par l’ironie et la dérision. Et puis, c’est un récit qui se déplace dans un territoire naturel très marqué, qui incite autant à la contemplation qu’à la méfiance. Ces « montagnes hirsutes » présentes « comme une foule de géants silencieux » dit Tiko. Il parle de « Présence terrible car en elles se cache la mort ». Ce sont des passages qui m’ont inspiré. Cette relation de l’action avec le paysage dans son aspect brut et naturel. Cela a fait écho à mes préoccupations artistiques : quand Alexandre m’a présenté son livre, je travaillais sur des séries de paysages de montagnes à la pierre noire ou à la sanguine. Son récit appelait un lien entre la psychologie du personnage et la psychologie du paysage. Je voulais que le paysage participe de près ou de loin à la narration et lui apporte une tension.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

C’est votre première bande dessinée. Qu’est-ce qui a été le plus difficile, le plus délicat pour vous ?

Gaétan Nocq. Cela faisait plusieurs années que je souhaitais travailler sur une BD. Avec le livre de Tiko, j’avais résolu la partie fondamentale :  l’histoire, le récit était là. Mais la première difficulté était de le découper, de le scénariser, de développer des dialogues. Ce fut plus l’objet d’une réflexion, d’un plaisir de conception et d’engagement au profit de la mise en scène.

La vraie difficulté était elle d’ordre documentaire et historique. Dans un contexte militaire très codé, il s’agissait de ne pas faire d’erreur pour la représentation des armes, des uniformes et du matériel militaire spécifiques à cette période. Il était important pour moi de ne pas rester à une image, je devais toucher, prendre en main pour avoir une expérience sensible de ces objets. J’ai rencontré des gens passionnés au musée de l’Armée et au Château de Vincennes, j’ai pu notamment approcher et soupeser les armes de l’époque. Et puis, Tiko au bout de six mois, m’a ressorti d’une boîte ses épaulettes et son calot…

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la chronique de l’album ici

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Vous venez du carnet de voyage, est-ce que la BD documentaire peut être une ouverture pour vous ou reste-t-elle une simple escapade ?

Gaétan Nocq. Toute mon expérience du carnet de voyage a alimenté ce roman graphique : ces dessins in situ, réalisés ou inachevés dans l’urgence ou dans des conditions parfois inconfortable ont été réinjectés dans la mise en forme du récit. Et puis je faisais de petit carnets dessinés au feutre ou je me mettais en scène pour raconter au jour le jour les péripéties du voyage. La rythmique dans l’acte de dessiner hérité du carnet de voyage je l’ai associé à l’acte de raconter cette histoire. En ce sens, le roman graphique  est une ouverture réelle dans l’évolution de mon travail artistique grâce a sa dimension narrative. Et j’espère bien me frotter à d’autres récits et continuer le voyage.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

Du roman au roman graphique, quelle a été la réaction d’Alexandre Tikhomiroff à la lecture de votre adaptation ?

Gaétan Nocq. De l’émotion. Mais très discrète. Alexandre m’a laissé une liberté absolue dans la mise en forme et l’adaptation de son récit. Je l’en remercie. Il était toujours très positif quand il voyait les planches malgré le fait que cela le replongeait dans des moments qu’il souhaitait oublier. Combien de fois m’a-t-il dit : « j’ai écrit ce récit pour oublier, pour me débarrasser de tout ça et toi tu me replonges dedans. »

Dans une interview accordée au site de planètebd.com , Alexandre Thikomiroff dit que vous n’avez pas dessiné une histoire mais que vous êtes rentré dans une histoire et plus encore que vous êtes rentré dans le personnage et dans les événements. C’est un magnifique compliment. Comment avez-vous fait justement pour VOUS mettre à sa place et – c’était aussi votre volonté – pour NOUS mettre nous à sa place ?

Gaétan Nocq. C’est difficile de l’expliquer. Il y a ce quelque chose de l’ordre du senti, de l’inspiration et de l’intuition. J’ai fait en sorte de m’approprier le sujet. J’ai mis l’accent sur la tension psychologique du personnage, sa mélancolie, son malaise, ses peurs.

Je suis aussi rentré dans le récit par d’autres chemins, des pas de côté, des regards hors champ : les arbres, les fourmis, les oiseaux, les chats, etc, pour suggérer les événements ou les atmosphères. C’est aussi montrer une Algérie vivante dont les événements humains ont des répercussions sur les éléments naturels. Un parti-pris important car cela ouvre le récit et ne reste pas une simple description de l’action. Je suis très heureux si ces sentiments passent du côté du lecteur. C’était ma préoccupation majeure, lorsque je faisais lire des passages à des amis, je testais la capacité de mes planches à les tenir en haleine.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

Comment ressort-on de ces longs mois de travail sur un sujet comme celui-ci, un sujet qui appartient à l’histoire mais qui reste encore très brûlant en France ?

Gaétan Nocq. J’ai l’impression de revenir d’un véritable périple, avec des étapes, des rebondissements, une succession de temps forts et de temps faibles. La BD a été réalisée de manière assez chronologique (je suis très peu revenu en arrière), j’étais vraiment en immersion dans les univers que je racontais. Et lorsque j’ai terminé la partie algérienne et que je me suis consacré la partie parisienne, j’ai vraiment vécu ça comme une fin de voyage. Mais c’était plutôt une nouvelle étape, tout aussi passionnante car Tiko ou plutôt Alex prenait de l’épaisseur.

En lisant votre livre, on pense immédiatement à La guerre d’Alan d’Emmanuel Guilbert…

Gaétan Nocq. Oui, toute création est poreuse et se nourrit d’influence. La posture de la guerre racontée par la petite histoire humaine n’est pas nouvelle et Guibert fait partie des dessinateurs que j’apprécie.  Sa trilogie Le photographe m’a beaucoup touché par son récit (j’ai foulé ces montagnes de l’Hindù Kush) mais aussi par sa capacité à rebondir graphiquement sur les planches contact de Lefebvre. En fait, toute l’école de la BD de reportage apparue à la fin des années 90 m’intéresse car elle relance l’invention narrative dans la BD.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

Quelles sont vos influences graphiques ? Vos livres de prédilection ?

Gaétan Nocq. J’aime beaucoup la BD italienne des années 80 notamment avec la collection Un homme, une aventure ou la série le collectionneur de Toppi réédité par Mosquito. Mais le cinéma a aussi une grande importance, c’est une forte source d’inspiration dans sa capacité à raconter une histoire. En ce moment, je me délecte des films de H-G Clouzot et de J-P Melville.

Vos projets ?

Gaétan Nocq. J’ai une proposition pour une BD déjà scénarisée mais j’ai peur de ne pas me sentir libre. La conception d’une BD ne se limite pas à dessiner dans des cases, j’ai besoin de penser le flux de ces cases et le parti-pris de la mise en scène.

Un projet me tient à coeur, c’est encore tôt pour en parler mais je souhaite travailler sur l’adaptation de La trêve de Primo Levi. Un gros voyage en perspective.

Merci Gaétan

Interview réalisée le jeudi 7 avril 2016

Retrouvez la chronique ici

05 Avr

La Poussière du plomb : Henri Labbé, Dominique Heinry et Alexis Robin nous plongent dans l’Italie des années 70

9782756041353_1_75lls auraient pu se contenter de distribuer des tracts, de manifester, et dans un élan de romantisme mal contrôlé de se mesurer aux forces de l’ordre. Mais dans ces années-là, à gauche comme à droite, la radicalisation était de mise. Bienvenue dans l’Italie des années de plomb…

Ils auraient pu mais ils sont allés plus loin, beaucoup plus loin. De fil en aiguille, de slogans en bombes artisanales, Michel, Cesare, Alberto, Marcello, Marco et Anna ont quitté le monde du militantisme classique pour celui de la lutte armée, sans marche arrière possible. Leurs modèles ? Les Brigades rouges. Eux n’ont pas encore de nom, ils hésitent. Front prolétaire pour le communisme ? Cellule communiste pour une révolution prolétarienne ? Trop long, pas assez percutant. Mais l’important n’est plus là. Il leur faut imaginer au plus vite une vraie organisation et surtout trouver de l’argent, des armes. C’est l’heure du premier casse et de la première bavure. Une jeune femme se prend une balle. Elle restera handicapée à vie. Pour toute la bande, c’est la spirale infernale…

Tout le monde connaît les Brigades rouges mais les groupes armés, que ce soit à l’extrême gauche ou à l’extrême droite, étaient nombreux à l’époque en Italie, en Italie mais aussi dans le reste de l’Europe. C’est ce qu’on appelle les années de plomb, vingt années durant lesquelles la violence, la poudre, le sang, ont tenté d’imposer leur loi sur des flics souvent ripoux et des politiciens pas beaucoup plus honnêtes. Initialement écrit pour un long métrage, ce récit inspiré de l’affaire Cesare Battisti retrace avec réalisme et force la vie de ces « seconds couteaux » de la lutte armée pris dans le tourbillon de l’histoire, de leur histoire. Un récit dense et captivant de plus de 200 pages au graphisme séduisant !

Eric Guillaud

La Poussière du plomb, de Henri Labbé, Dominique Heinry et Alexis Robin. Editions Delcourt. 23,95€

03 Avr

Journées rouges et boulette bleues : Rémy Benjamin, Cyprien Mathieu et Olivier Perret nous offrent une chronique familiale qui sent la crème solaire et les emmerdes

couverture-Coralie.inddFaire des centaines de kilomètres un jour de grands départs par une chaleur étouffante et sans clim, gérer dans le même temps deux enfants dont un qui ne manque pas de faire sa crise d’ado, ce n’est déjà pas simple. Mais si en plus le chien de la famille s’y met, alors là… 

C’est la catastrophe. A peine les valises posées dans la maison de vacances à Ramiolles, dans le sud de la France, Hermione disparaît. Hermione, c’est le chien de la famille ou plus exactement la chienne, un Jack Russel. Baptiste, le plus jeune enfant, hurle de chagrin, Kevin l’ado accepte entre deux crises de partir à sa recherche à vélo, François le père, un peu dépassé et un peu seul, se rend au commissariat pour signaler la disparition et au journal local pour faire paraître un avis de recherche. Mais rien n’y fait, le chien est introuvable, les enfants inconsolables… Les vacances commencent mal.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, Clara, la mère de famille, retenue par son travail à la maison, se dispute au téléphone avec François qui finit par tomber dans les bras – et le lit – d’une amie d’enfance. Il ne manquerait plus maintenant qu’on l’accuse d’avoir fait disparaitre le chien…

Publié aux éditions La Boîte à Bulles, Journées rouges et boulettes bleues nous embarque pour une histoire estivale qui sent le roussi. Et pas seulement pour le chien. Les enfants, l’adolescence, le couple, l’amour, la fidélité, la famille, le temps qui passe, la vie en somme… sont au centre de ce récit signé par trois potes, Rémy Benjamin, Cyprien Mathieu et Olivier Perret, membres de la revue Le Cheval de Quatre. Une chronique familiale et estivale qui sent la crème solaire et les emmerdes…

Eric Guillaud

Journées rouges et boulettes bleues, de Cyprien Mathieu, Rémy Benjamin et Olivier Perret. Editions La Boîte à bulles. 19€ (sortie le 6 avril)

© La Boîte à Bulles / Benjamin - Mathieu - Perret

© La Boîte à Bulles / Benjamin – Mathieu – Perret

01 Avr

48H BD : 230 000 BD à 1€ dans plus de 1300 librairies en France et en Belgique les 1er et 2 avril

affiche-insert-48h-bd-600x800[1]C’est parti ! La quatrième édition des 48H BD a débuté ce matin en France et en Belgique. Casterman, Dupuis, Delcourt, Le Lombard, Dargaud… treize éditeurs participent cette année à l’événement qui permettra d’offrir près de 230 000 BD à 1€ dans plus de 1300 librairies et enseignes en France et en Belgique.

Par ailleurs, les revenus générés par les ventes permettront d’offrir 60 000 exemplaires aux réseaux de lecture publique (écoles, collèges, lycées et bibliothèques). Pour la première fois, les 48H BD seront partenaires de l’ONG Bibliothèques Sans Frontières dans le cadre d’une action organisée à Calais. Pour la première fois, au-delà de la centaine de dédicaces organisées, plus d’une centaine d’auteurs proposeront des animations culturelles.

Eric Guillaud

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