30 Avr

Partitions irlandaises de Bailly et Kris : une histoire d’amour dans le Belfast d’aujourd’hui entre espoir et tragédie

Il ne suffit pas de déposer les armes pour qu’une guerre soit terminée. Faut-il encore que la paix s’installe dans les esprits de chacun, que les hommes et les femmes hier en confrontation digèrent le passé et se retrouvent unis face à un destin commun. Tim le protestant et Mary la catholique pensaient justement ce destin tout trouvé mais c’était sans compter sur le poids du passé… Une histoire d’amour dans le Belfast d’aujourd’hui !

L’Irlande n’est plus un pays en guerre depuis des années, officiellement depuis la signature de laccord du Vendredi saint en avril 1998. Ce qui préoccupe les Irlandais en ce mois d’avril 2019, c’est plutôt le Brexit. Et encore. Pour Tim et Mary, même cette perspective ne les empêche pas de vivre leur amour naissant. Lui, le protestant, elle, la catholique, se sont rencontrés dans un bar de Belfast. De fil en aiguille, de verres en bavardages, Tim et Mary se sont retrouvés dans un lit pour échanger autre chose que des brèves de comptoir.

L’histoire commençait plutôt bien ouvrant de belles perspectives pour l’une et pour l’autre. Jusqu’au jour où le passé de Tim et par la même occasion celui de tout un pays resurgit. Son père, Frankie Brown, héros de la lutte unioniste est mort au combat en 1999, il y a vingt ans tout rond. Alors ses anciens camarades viennent faire une petite visite de courtoisie à Tim pour lui demander gentiment mais fermement de se joindre à eux pour une cérémonie d’hommage.

« Ce serait bien que tu viennes dire quelques mots, vu la période, c’est important de rappeler nos valeurs… », lui suggère l’un d’eux.

« Lesquelles ? », lui rétorque Tim, « Le meurtre, les secrets de famille, pisser sur la justice ? »

Catholique ou protestant, nationaliste ou unioniste… Tim n’en a que faire, lui souhaite vivre pleinement et librement le présent. Et ce présent a pour nom Mary qui, apprendra-t-il, est la fille d’un ancien activiste de l’IRA. Peu lui importe mais la haine est souvent tenace et leur idylle, aussi belle soit-elle, aussi sincère soit-elle, aura bien du mal à résister aux fantômes du passé.

Quatorze ans après Coupures irlandaises, le tandem Bailly – Kris retrouve Belfast pour une histoire d’amour qui aurait été totalement impossible hier, et reste compliquée, très compliquée, aujourd’hui. Est-il possible de s’affranchir du passé quand celui-ci a violemment divisé un pays pendant des dizaines d’années ? C’est là une des interrogations que soulève avec habileté et justesse Partitions irlandaises…

Eric Guillaud

Partitions irlandaises, de Bailly et Kris. Futuropolis. 14,90€

© Futuropolis / Bailly & Kris

27 Avr

Ultraman, le super-héros intergalactique japonais de retour en BD

Avant Bioman, Ultraman a envahi dès les années 60 les petits écrans japonais, pionnier d’un genre depuis devenu très codifié, les tokusatu – abréviation des mots ‘effets spéciaux’ en japonais. À l’occasion de sa résurrection en animé, une nouvelle adaptation BD tente le grand écart entre nostalgie et nouveauté.

Il faut être né dans la seconde moitié des années 70 pour avoir connu ça : San Ku Kaï (avec son générique en partie écrit par Didier Barbelivien !), X Or, Bioman… Autant de séries japonaises aujourd’hui délicieusement kitsch et donc complètement cultes ont alors déferlé sur les écrans français au début des années 80 avec toujours plus ou moins le même postulat : un super-héros au costume bariolé parfois aidé par des extra-terrestres bienveillants, des monstres de plastiques tout méchants (‘kaijû’ en japonais) et, invariablement, un combat final au corps au corps plein de pétards au milieu d’un Tokyo de carton-pâte ou dans une carrière désaffectée…

Or ce que les petites têtes blondes ne savaient pas alors, c’est que le premier à avoir défendu la veuve et l’orphelin à coups de rayons laser piou-piou et foutu la pâtée à des gros lézards verdâtres s’appelait Ultra-Man. Création du réalisateur Eiji Tsuburaya, déjà à l’origine de Godzilla en 1954, cette série a été diffusée entre 1966 et 1967 au pays du soleil levant. Bien qu’elle ait précédé à un autre série du même auteur (Ultra Q) avec déjà plein de monstres dedans, elle fut la première à mettre en scène un héros récurrent. Allez jeter un coup d’œil sur youtube, vous y retrouverez d’ailleurs certains épisodes (dont le premier) en VF car elle a été diffusée au Canada (mais pas en France). Même si Tsuburaya est décédé en 1970, son héritage a été très bien géré et le héros a eu droit à plein de nouvelles incarnations depuis les années 60, maintenant ainsi une popularité qui n’a jamais faibli au Japon et parmi les fans de mangas.

© Marvel/Panini Comics / Kyle Higgins, Mat Groom, Francesco Manna et Espen Grundetjern

Justement, la deuxième saison d’un nouveau portage de la saga en animé sur un célèbre site de streaming américain est disponible depuis ce mois-ci. L’occasion étant trop belle, Marvel a donc décidé de mettre en branle son pendant comics en essayant de marcher sur la très fine frontière entre respect de la série d’origine et innovation. Ce premier volume en français réunissant les cinq premiers épisodes de cette série lancée aux USA en 2020 en porte d’ailleurs les marques.

Oui, on sait, l’équation ‘mec en costume’ plus ‘grosses tatanes’ plus ‘monstres en plastoc’, cela fait très cheap sur le papier. Mais c’est justement ce côté quasiment régressif qui donnait tout son charme à la série originale – ça plus le côté très 60’s à la Thunderbirds.

Or en essayant d’intellectualiser entre guillemets à tout prix le propos et de donner une explication scientifique à tout – par exemple si la Terre est envahie par des ‘kaijü’ venus d’une autre dimension, c’est qu’ils sont attirés par l’énergie négative dégagée par les êtres humains – on se retrouve avec des pages entières de dialogues un peu abscons, obligeant le novice à s’accrocher, trop même.

© Marvel/Panini Comics / Kyle Higgins, Mat Groom, Francesco Manna et Espen Grundetjern

Ce qui est un peu dommage car en recentrant l’intrigue autour d’un duo homme/femme et en ayant choisi le jeune et très dynamique Francesco Manna (Amazing Spider-Man) aux dessins, les auteurs ont réussi à moderniser en quelque sorte la série sans la dénaturer. Surtout qu’ils ont intelligemment choisi de conserver l’action au Japon et, donc, des personnages japonais. Sans compter que parmi les quelques bonus présents dans cette édition (dont une biographie de Tsuburaya), on retrouve une petite aventure en simili-noir et blanc en forme de clin d’œil à Ultra Q et dont l’action se déroule sur les quais à Paris, preuve d’une vraie volonté de ‘bien faire’. 

Ce premier volume essuie donc un peu les plâtres, avec cette obligation de ‘poser’ l’univers comme on dit, quitte à en laisser quelques-uns sur le bas-côté avec son côté rébarbatif. Mais cela reste malgré tout pour moins de vingt euros une bonne porte d’entrée sur ce héros encore trop confidentiel en France, aussi bien pour les fans de mangas que pour les amateurs de science-fiction à l’ancienne.

Olivier Badin

Ultraman de Kyle Higgins, Mat Groom, Francesco Manna et Espen Grundetjern. Marvel/Panini Comics. 18 .

23 Avr

Journal de Fabrice Neaud : réédition d’une œuvre majeure de l’autobiographie en bande dessinée

Je ne pense pas qu’en son temps, dans les années 90, Journal ait été un immense succès commercial mais il marquait à coup sûr une nouvelle étape dans l’histoire de la bande dessinée francophone tant par son approche autobiographique foncièrement intime que par le thème abordé sans tabous : l’homosexualité mais pas que…

« Je crois qu’on n’a pas fait mieux que le journal intime pour se discréditer aux yeux des autres ». Ainsi s’exclame l’auteur dès les premières pages de ce Journal, reprenant très certainement là les propres paroles de celui qui sera le fondateur et directeur de sa première maison d’édition, Loïc Néhou d’Ego comme X.

Mais Fabrice Neaud est plutôt du genre à assumer ses choix, à circuler à visage découvert comme il dit, à refuser en tout cas de se soumettre aux dictats d’une société normative.

Alors, après y avoir bien réfléchi et écouté les uns et les autres, Fabrice Neaud se lance dans un journal en bande dessinée où il raconte dans le détail sa vie de jeune homme dans une ville de province des années 90, ville qu’il ne nomme jamais mais que chacun aura reconnue.

Il y décrit avec précision, sans la moindre censure et avec la ferme volonté d’aller plus loin que ce qui s’était fait jusque-là en bande dessinée, sa quête personnelle de l’amour, les coups d’un soir, les coups qu’il aurait souhaité plus durables, sa passion pour le dessin, son regard sur la création, son quotidien de précaire, sa vie d’homo, les railleries, les hypocrisies, l’homophobie, les violences parfois… livrant toute son âme brute, tous ses doutes, ses peurs, ses rêves au regard du monde, ou du moins du monde du neuvième art.

© Delcourt / Neaud

Le premier volet de son journal parait chez Ego comme X en 1996 et reçoit l’Alph’Art coup de cœur au festival d’Angoulême en janvier 1997, le second suit en 1998, le troisième en 1999 et le quatrième en 2002.

Et puis… Plus rien ! Ou si bien sûr, des albums ici et là, notamment des albums de science-fiction, des travaux pour des revues ici et là, une vie au minimum social, des années de dépression et au bout du chemin le retour à la vie, à sa vie.

« Je n’ai jamais cessé de dessiner des pages autobiographiques durant ces vingt années d’absence éditoriale sur le sujet », explique-t-il dans une interview.

Vingt ans de silence autobiographique et Fabrice Neaud revient sur le devant de la bulle, avec la réédition – splendide – des trois premiers tomes, le quatrième est prévu pour septembre. Et surtout avec un nouveau cycle baptisé Le Dernier sergent dont le premier volet est annoncé pour 2023.

© Delcourt / Neaud

« Les quatre tomes à venir du Dernier sergent relateront la période vécue entre 1998 et 2002, recouvrant à la fois la plus grande part de ma réalisation du journal mais surtout faisant la part belle à la figure d’Émile / Antoine, le fameux dernier sergent dont le narrateur tomba amoureux, sans retour (encore un !). J’y parlerai aussi davantage de ma famille ainsi que de mon rapport naissant à la bande dessinée professionnelle. Tout cela devrait donc être encore plus primesautier et désopilant que le fut Journal ».

On n’en doute pas un instant… une autobiographie qui est aussi une radiographie de notre monde d’avant, celui qui n’avait pas de téléphone portable ou si peu et qui n’avait pas encore connu l’essor fantastique d’internet… Une autre époque ? Presque…

Eric Guillaud

Journal, de Fabrice Neaud. Delcourt. Volume 1&2, 22,95€. Volume 3, 34,95€.

20 Avr

Zone de crise : la pandémie vue par l’auteur australien Simon Hanselmann

Il s’est fait connaître en France avec la série Megg, Mogg & Owl publiée chez Misma, Simon Hanselmann est de retour avec un volumineux album coédité par Dupuis et Seuil qui nous permet de retrouver ses principaux personnages et un reflet peu flatteur de notre monde en ces temps de pandémie. Miroir, mon beau miroir, sommes-nous aussi abjects ?

Ne vous fiez pas à la couverture colorée et à la galerie de personnages animaliers, on est loin de la série de livres pour enfants des années 70 baptisée Meg and Mog à laquelle Simon Hanselmann fait tout de même ici un clin d’œil. Oui, très loin, Megg, Mogg & Owl n’a absolument rien d’un conte pour la jeunesse, tout d’un divertissement pour adultes avertis et consentants.

Et il vaut mieux être averti. Et consentant. Tant l’auteur pousse parfois très très loin les limites du bon goût. Pas une page sans défonce, sans fornication, sans défécation, sans grossièretés langagières. Zone de crise fait dans le trash absolu histoire de nous mettre le nez bien profond dans nos zones sombres.

Et ça marche. À la très grande surprise de l’auteur lui-même, Zone de crise a reçu l’Eisner Award de la meilleure bande dessinée en ligne et connu un énorme succès de l’autre côté de l’Atlantique. « La première grande œuvre sur la pandémie! », titrait le New York Times, « Le traitement outrancièrement graphique que 2020 méritait« , pouvait-on lire dans Forbes, bref du déjanté acclamé par les plus sérieux organes de presse et adoubé par les plus grands auteurs américains que sont Chris Ware, Art Spiegleman, Charles Burns ou encore Daniel Clowes, comme tiennent à nous le signifier les éditeurs.

© Dupuis – Seuil / Hanselmann

Et que raconte Zone de crise ? La pandémie, le confinement, la vie masquée, les pétages de plomb, les théories complotistes, les tests, l’arrivée des vaccins… tout ça tout ça et bien plus encore puisque l’auteur comme à son habitude y capture la vie de la société américaine et plus largement occidentale autour de ces personnages singuliers et fortement cash, Megg la sorcière qui trouve refuge dans les jeux vidéo, Moog le chat camé qui enchaine les vidéos complotistes sur YouTube, Olw le hibou qui se découvre une compétence de chef ou encore Werewolf Jones, le chien qui profite du confinement pour se lancer dans le porno anal.

« Les gens dans le monde étaient tous coincés dans leurs piaules… », explique Hanselmann en postface, « en quête désespérée de distraction face à la situation cauchemardesque dans laquelle nous nous retrouvions tous ensemble simultanément. J’étais en bonne posture pour déverser du divertissement gratis et facilement accessible pour la populace. J’avais quelques bonnes années derrière moi et mon loyer était payé pour l’année. J’ai donc décidé d’œuvrer avec abnégation à devenir « le poète du peuple ».

© Dupuis – Seuil / Hanselmann

Prépublié sous forme d’un feuilleton en ligne dans une version légèrement différente du 13 mars au 22 décembre 2020, Crisis Zone, Zone de crise pour le titre en français, est publié de ce côté-ci de l’Atlantique en un gros volume de près de 300 pages avec épilogue inédit et commentaires de l’auteur, le tout coédité par Seuil et plus étrangement la maison Dupuis qui n’a jamais, de mémoire, été aussi loin dans le déjanté trash.

Un album parfois déconcertant, voire dérangeant, souvent étrange, mais qui n’a qu’un objectif : nous divertir en prenant le risque de nous choquer et nous faire oublier un peu cette p… de pandémie.

Eric Guillaud

Zone de crise, de Simon Hanselmann. Dupuis / Seuil. 25€

08 Avr

Nexus : sauver la galaxie ou sauver son âme ?

L’éditeur Delirium continue son salvateur travail de réhabilitation de la contre-culture destroy du neuvième art. Il attaque aujourd’hui la réédition de l’intégrale des aventures de Nexus, sorte de chevalier blanc intergalactique censé sauver la veuve et l’orphelin…

Non ce n’est pas Captain Flam mais lui aussi vient du fond de la nuit et d’aussi loin que l’infini pour sauver tous les hommes. Après le nom Nexus ne vous dit rien ? C’est normal. Â moins d’un acharné au dernier degré adepte forcené de VO, il y a peu de chances que vous ayez entendu parler de cette BD indépendante de SF baroque parue initialement dans les années 80 et jusqu’à lors traduite seulement brièvement par Semic au début des années 2000 en français. Après, rien qu’avec ce petit pitch et si vous suivez un minimum ce blog (allez, avouez-le), vous deviez bien sentir que l’on tenait donc là un candidat parfait pour la-petite-mais-maousse maison d’édition Delirium, spécialisée dans l’exhumation de petites perles de BD ‘déviantes’ dont nous vantons régulièrement les mérites (Judge Dredd, Next Men, Nemesis etc.). Bingo !

© Delirium / Mike Baron & Steve Rude

Dans cette édition, comme d’habitude avec cet éditeur, de toute beauté avec sa couverture cartonnée auquel on a adjoint un petit ‘volume 1’ (sous-entendu…), on navigue donc en plein space-opera quasi-pop et en même temps, bizarrement empreint d’une certaine mélancolie. Ces 400 pages reprennent la parution chronologiquement de la série, qui a d’abord débuté en noir et blanc avant de passer, rapidement, en couleurs.

Refugié sur sa lune d’Ylum, Horatio Hellpop (ce nom !) alias le Nexus est une sorte de shérif interstellaire traquant les criminels et les assassins. Sauf qu’il est torturé par ses rêves, des visions en fait manipulées par la race extra-terrestre à l’origine de ses pouvoirs afin de l’obliger à exécuter leurs basses œuvres à son insu. Et il doit plus ou moins gérer la société cosmopolite de Ylum, conglomérat bigarré de sorte de sans papier de l’espace qui ont tous échoué ici par défaut après avoir été sauvés.

© Delirium / Mike Baron & Steve Rude

Bien qu’elle soit américaine, cette série dont la première publication remonte à 1981 a finalement plus de points communs avec le genre de héros subversifs que l’on pouvait trouver, par exemple, chez les anglais de 2000 AD, éditeur de Judge Dredd et Nemesis que l’on retrouve d’ailleurs, comme par hasard, aussi chez Delirium. En plus de son esthétique très pop et réaliste assez éloigné des canons établis par, mettons, Marvel, le ton y est plus adulte et en même temps traversé par de soudains moments d’humour absurde.

Si l’on devait faire une comparaison de circonstance, on pourrait dire que le résultat est plus proche de Star Trek que de Star Wars, l’emphase étant plus mise sur l’humain que sur les scènes d’action à gogo. En même temps, on y retrouve aussi un peu de cet esprit ‘cyberpunk’ typique des années 80, ce qui fait de Nexus un OVNI, de la SF drôlement déglingos et en même temps plus profond qu’il n’y paraît. Une vraie (re)découverte !

Olivier Badin

Nexus Omnibus – Volume 1 de Mike Baron &Steve Rude. Delirium. 39 euros      

Et pour le pire : meilleur album de la série Jérôme K. Jérôme Bloche de Dodier ?

Bon ok, je l’avoue tout de suite, je ne serais pas objectif sur le coup, Jérôme K. Jérôme Bloche étant l’une de mes séries préférées. Alors si vous souhaitez lire une critique plus objective, passez votre chemin, sinon vous êtes les bienvenus…

Extrait de la couverture de l’album Et pour le pire. © Dupuis / Dodier

40 ans d’aventures, 28 albums, des centaines de planches, des milliers de cases et un héros qui crève la page, à la fois unique et ordinaire, un anti-héros répondant au doux nom de Jérôme K. Jérôme Bloche, détective privé de son état, un look à la Bogart avec imper et chapeau mou, un solex pour les longs trajets et des intrigues à lire le soir bien au chaud sous la couette. Aux chiffres près, mis à jour pour cette chronique, c’est ainsi que je commençais il y a exactement 10 ans l’interview d’Alain Dodier sur ce blog.

Et rien n’a changé, bien au contraire, les aventures de Jérôme K. Jérôme Bloche sont comme le bon vin, elles se bonifient avec le temps. Certes, le personnage ne vieillit pas, il est toujours un peu ado dans l’âme, un peu étourdit, un peu naïf, un peu beaucoup dans les nuages, mais tellement charmant, attendrissant, prévenant, généreux, sympathique, délicat… Bon j’arrête là pour ne pas vous lasser mais je vous avais prévenu, JKJB est unique.

© Dupuis / Dodier

Tellement unique qu’il se marie dès le début de cette nouvelle aventure. Oui, il se marie mais pas avec Babette, sa douce et tendre hôtesse de l’air. Non, il se marie avec une blonde inconnue, enfin il aurait dû se marier avec une blonde inconnue si Babette, justement, n’était intervenue et avait accidentellement blessé JKJB d’un coup de couteau au ventre. En pleine cérémonie. Vous n’en revenez pas ? Moi non plus.

Heureusement, cette scène incongrue occupe les deux premières pages de l’album. Dès la suivante, notre JKJB se réveille. Tout ceci n’était finalement qu’un cauchemar. Un cauchemar ? Oui mais éveillé…

© Dupuis / Dodier

Et je ne vous en dirai pas plus, histoire de ménager le suspense. Sachez tout de même que Dodier parvient à nous surprendre avec cette nouvelle enquête qui démarre sur les chapeaux de roue, Et pour le pire est un polar psychologique qui va vous bousculer et bousculer notre héros, lequel ira jusqu’à recevoir un gros coup sur la tête à l’aide d’une statuette qui ressemble étrangement à la mascotte dessinée par Trondheim pour les prix du festival la bande dessinée d’Angoulême. Simple clin d’œil ou véritable appel du pied ?

La réponse peut-être en janvier prochain, en attendant, vous pouvez retirer le point d’interrogation au titre de la chronique, ce nouvel album de JKJB est le meilleur… en attendant le prochain.

Eric Guillaud

Et pour le pire, Jérôme K. Jérôme Bloche tome 28, de Dodier. Dupuis. 13,95€

07 Avr

La Saison des pluies : une belle déclaration d’amour à nos animaux de compagnie les chiens signée Keum Suk Gendry-Kim

L’éditeur la présente comme la plus grande autrice coréenne contemporaine et force est de constater que chacun de ses albums nous subjugue. Après Les Mauvaises herbes et L’Attente, Keum Suk Gendry-Kim revient avec La Saison des pluies, un titre ô combien poétique pour un récit qui nous embarque une nouvelle fois du côté sombre de l’âme humaine…

Longtemps, la consommation de viande de chien a fait partie des pratiques traditionnelles en Corée du Sud. Vous allez vous demander pourquoi je vous raconte ça d’entrée et de si bon matin, si tant est que vous lisiez cette chronique de si bon matin. Tout simplement parce que ce nouveau livre de Keum Suk Gendry-Kim a été écrit en réaction à cette pratique. Et quel est le rapport avec le titre La Saison des pluies me direz-vous ? À en croire l’autrice, la saison des pluies serait une période favorable pour la disparition des chiens dans son pays.

Heureusement, cette pratique est semble-t-il en déclin. Le chien est de plus en plus, notamment auprès des jeunes, considéré comme un animal de compagnie. Près de 78% des Sud-coréens estimeraient ainsi que l’interdiction de la vente et de la consommation de viande de chien et de chat serait une bonne chose. Le président coréen Moon Jae-in en avait même fait un argument de campagne avant d’être battu lors de la dernière présidentielle par le conservateur Yoon Seok-youl qui, lui, estime qu’il s’agit là d’un choix personnel.

Quoiqu’il en soit, Keum Suk Gendry-Kim espère bien faire encore bouger les lignes avec ce très beau récit paru aux éditions Futuropolis et qui vous rappellera peut-être dans son esprit le travail de l’immense Tanigushi avec toutefois un trait beaucoup moins épuré, beaucoup plus expressif.

Sur quelque 250 pages, Keum Suk Gendry-Kim raconte sa vie à la campagne après avoir quitté Séoul. Un changement de vie radical qui lui permet de profiter pleinement de son chien, Carotte, lors de grandes balades dans la nature. Carotte et les autres car au fil des jours, l’autrice croise d’autres chiens, certains qui ont été abandonnés, d’autres enfermés dans des cages sans avoir touché le sol depuis des mois, peut-être des années, d’autres enfin attachés, maltraités, comme du bétail, prêts à être consommés.

Ici comme ailleurs, les mangeurs de chiens ne sont finalement pas rares pour le plus grand désespoir de Keum Suk Gendry-Kim et le nôtre…

Au-delà de dénoncer cette pratique, La Saison des pluies nous offre un tableau de la société coréenne contemporaine et une belle réflexion sur la place des animaux dans nos sociétés.

Eric Guillaud

La Saison des pluies de Keum Suk Gendry-Kim. Futuropolis. 26€ (en librairie le 13 avril)

© Futuropolis / Keum Suk Gendry-Kim

03 Avr

Immonde! d’Elizabeth Holleville ou l’histoire de trois ados en lutte contre des monstres et leur mal de vivre

Une banlieue triste, des adolescents – au mieux – incompris par leurs parents et qui s’ennuient, une entreprise opaque cachant manifestement des choses, des rumeurs parlant de monstres aperçus ici et là… Le pitch d’un film fantastique des années 80 ou d’un épisode de la série Stranger Things, ce qui revient au même ? En partie. Sauf qu’Immonde ! (oui, avec un point d’exclamation) va beaucoup plus loin que ça…

Il y a d’abord cet univers graphique, faussement simplifié mais qui permet au final d’exprimer beaucoup de choses. Puis cette colorimétrie particulière, dominée par des couleurs verdâtres, rosâtres ou encore violette maladives. Mais surtout il y a un double sous-texte, à la fois écologique et sociétale.

Morterre est l’une de ces innombrables petites villes industrielles tristes et paumées au milieu de nulle part, où le seul véritable employeur est une énorme entreprise d’extraction de minerais radioactifs, Agemma, dont on ne sait pas grand-chose mais sur laquelle on n’ose rien dire, tant son emprise sur la région est grande. Tout juste arrivée de Paris après le décès de sa mère, la jeune Nour, dix-sept ans, devient amie avec Jonas et Camille, deux élèves un peu à part du lycée local, victimes de brimades perpétuelles de leurs autres camarades et fanas de films d’horreur. Après une série de disparitions inexpliquées, les trois adolescents décident de découvrir ce qui se passe vraiment derrière les murs de l’Agemma… 

Ici, si les monstres (spoiler : il y en a) ont un côté à la fois maladif et en même temps presque poétique, ce qui intéresse l’auteure Elizabeth Holleville, ce sont ses personnages principaux. Et surtout comment ils vivent cette douloureuse période de transition qu’est l’adolescence, avec toutes les questions qui vont avec, notamment sexuelles. Ne pas savoir qui nous sommes vraiment, quelle est sa place, y a t-il autre chose à attendre de la vie que cette vie rangée dans une petite ville ennuyeuse… Autant de questions abordées ici avec pas mal de finesse, sans pour autant être ni didactique ni moralisateur. Et avec donc l’Agemma en guise de croque-mitaine, sorte d’hydre phagocytant tout et auquel nos trois héros veulent à tout prix échapper, comme une métaphore de ce que leur réserve, peut-être, la vie adulte à laquelle ils veulent absolument échapper.

Un roman graphique de genre comme on dit, au titre sans équivoque et qui, pourtant, reste profondément… Humain.

Olivier Badin

Immonde!, d’Elizabeth Holleville. Glénat. 22,50 euros

© Glénat / Holleville

02 Avr

Vous reprendrez bien un peu d’élection présidentielle ? Cinq BD pour se préparer à tout…

Ça n’aura échappé à personne, l’élection présidentielle arrive à grandes enjambées. À la radio, à la télévision, dans la presse écrite, on ne parle plus que de ça ou presque. Et si vous n’en avez toujours pas assez, alors direction les rayons de votre librairie préférée où vous attendent quantité de livres sur le sujet. Le neuvième art n’est pas en reste avec une bonne dizaine de titres. Où l’on prédit parfois un avenir à la noix…

Une noix de coco ! Non, vous ne rêvez pas, je peux vous le dire dès à présent, le président sera une noix de coco. Du moins si on en croit le Belge Marc Dubuisson, auteur de ces quelques pages parue dans la collection Pataquès des éditions Delcourt. Une noix de coco avec un noeud de papillon rouge tout de même. L’avantage, il faut bien en trouver, c’est qu’elle ne brassera pas l’air inutilement, ne promettra, ne mentira, ne provoquera, ne prévoira, n’ordonnera… rien, nada, nothing, peau de balle, que dalle. Alors bien sûr ses défenseurs verront en lui un vrai leader qui renonce à toute fioriture pour se concentrer sur les actes. Sauf qu’une noix de coco, pour ce qui est des actes, ça risque d’être tout autant compliqué. Vous voulez savoir ce qui nous, ce qui vous attend ? C’est ici, c’est franchement très drôle et en même temps assez glaçant ! (Le Président est une noix de coco, de Marc Dubuisson. Delcourt. 11,95€)

Et si le président n’était pas une noix de coco mais Éric Zemmour ? C’est ce qu’ont imaginé François Durpaire et Farid Boudjellal dans cette politique-fiction, premier livre d’une toute nouvelle maison d’édition baptisée Mourad Maurice Éditions, Mourad comme Mourad Boudjellal, fondateur des éditions Soleil, président du RC Toulon jusqu’en 2020. Avec la trilogie La Présidente paru aux éditions Les Arènes entre 2015 et 2017, les auteurs avaient déjà imaginé Marine le Pen au pouvoir. Ils envisagent cette fois Éric Zemmour à l’Élyzée, avec un z, appliquant son programme, notamment autour de l’identité nationale. Dans politique-fiction, il y a fiction, François Durpaire et Farid Boudjellal racontent en parallèle de cette intronisation du polémiste une autre histoire, celle d’une jeune femme qui pour fuir la pauvreté embarque sur un rafiot en compagnie d’autres migrants avec pour objectif la terre de France. Son nom : Saïda Zemmour…  (Élyzée, de Durpaire et Boudjellal. Mourad Maurice Éditions. 18,50)

Pas question de politique-fiction cette fois mais plutôt d’immersion. C’est en tout cas ainsi que Gérard Davet et Fabrice Lhomme présentent leur album intitulé L’Obsession du pouvoir. En compagnie du dessinateur Pierre Van Hove, les deux journalistes du Monde, auteurs par ailleurs de plusieurs ouvrages marquants tels que Sarko m’a tuer et le fameux Un président ne devrait pas dire ça…, ont souhaité ici décrire les coulisses de la politique mais aussi du journalisme d’enquête avec au centre de tout le pouvoir, à conquérir pour les uns, à en scruter les zones d’ombre pour les autres. Affaires, manœuvres, prises de pouvoir, coups bas, haines, déboires conjugaux, révélations explosives… Gérard Davet et Fabrice Lhomme remontent sur pratiquement 40 ans de vie politique et d’obsessions partagées par Nicolas Sarkozy et François Hollande, deux ex-futurs présidents qui rêvent toujours de retrouver une destinée nationale. Une obsession, vraiment ! (L’Obsession du pouvoir, de Davet, LHomme et Van Hove. Delcourt. 17,95€)

Pas de politique-fiction, pas plus d’immersion, cet imposant ouvrage de plus de 300 pages est l’œuvre de deux auteurs de bande dessinée et non des journalistes, David Chauvel au scénario, Malo Kerfriden au dessin, deux citoyens en colère désireux de « faire entendre ces voix si souvent couvertes par le vacarme médiatique dominant ». Res Publica est un documentaire vous l’aurez donc compris à la subjectivité assumée, l’un et l’autre répondant à leur émotion devant la révolte des gilets jaunes. L’histoire commence il y a longtemps dans un lycée d’Amiens, un amour naissant entre un jeune lycéen et une professeure, la suite vous la connaissez ou croyez la connaître… Res Publica raconte cinq ans de résistance à la politique néolibérale d’Emmanuel Macron. On y parle du combat des gilets jaunes mais pas que. C’est dense, très dense même, pointilleux sur les faits, mais c’est ce qui fait du livre un témoignage parmi d’autres de ces dernières années politiques et sociales en France. (Res Publica, 5 ans de résistance, de Chauvel et Kerfriden. Delcourt. 19€)

Impossible de parler politique en BD sans évoquer Mathieu Sapin, l’auteur de Campagne présidentielle en 2012, Le Château, Une année dans les coulisses de l’Élysée en 2015 et de Comédie française, Voyages dans l’antichambre du pouvoir en 2020 revient avec Douze Voyages présidentiels aux éditions Zadig, douze voyages qu’il a suivis entre 2018 et 2021 et dont il nous en restitue les coulisses avec une approche très humaine. Un album en immersion avec une bonne dose de recul et d’humour ! Et ce n’est pas fini, puisque le même Mathieu Sapin nous prépare avec cinq autres auteurs un album sur les coulisses de la campagne actuelle… (Douze Voyages présidentiels, de Mathieu Sapin. Zadig. 16€)

Eric Guillaud

01 Avr

BD. Naduah ou le destin tragique de Cynthia Ann Parker retracé dans un slow western du dessinateur nantais Vincent Sorel accompagné au scénario de Séverine Vidal

Vincent Sorel n’est pas un inconditionnel du western, il aurait même quelques retenues à l’égard du genre. Mais le jeune dessinateur nantais accompagné de Séverine Vidal au scénario nous livre avec Naduah un magnifique récit au coeur de la conquête de l’Ouest, le portrait d’une femme forte et déterminée au destin balloté entre deux mondes…

Extrait de la couverture de l’album Naduah

Encore un western diront certains. Mais non ! Ou du moins pas comme on pourrait l’imaginer. Naduah se déroule effectivement pendant la conquête de l’Ouest mais ne raconte pas une histoire de cowboys, de poursuite infernale ou de duel au soleil. Naduah est avant tout l’histoire d’une femme, Cynthia Ann Parker pour les colons blancs, Naduah pour les autochtones comanches, une femme au destin incroyable confrontée toute sa vie à la violence des hommes..

Cynthia Ann Parker n’a que 9 ans lorsqu’elle est enlevée et sa famille massacrée par les Comanches. Renommée Naduah, elle mène la vie normale d’une indienne, épouse Peta Nocona, a trois enfants quand en 1860, 24 ans plus tard, elle est à nouveau capturée, cette fois par une troupe de Texas rangers, et ramenée de force dans le monde des blancs, laissant derrière elle son foyer, son homme, ses enfants. Tout le reste de sa vie, Naduah n’aura qu’une obsession, fuir la communauté des colons pour retrouver les siens, les Comanches…

La suite ici