18 Jan

Nouveauté 2025. L’Enfantôme de Jim Bishop : quand les rêves d’enfants affrontent la pression des adultes

Après Lettres perdues et Mon ami Pierrot, Jim Bishop clôt sa trilogie sur l’adolescence et le passage à l’âge adulte avec L’Enfantôme, un récit aussi étonnant que son titre, dans lequel il est question de famille, d’amitié, de harcèlement, de pression sociale, de rêves de gosses, de folie douce… et de fantômes.

« Tu es moche, tu es nul, tu n’es qu’un gros bouton, tu ne ressembles à rien et personne ne t’aime ». Voilà, c’est dit, le jeune garçon dont vous pouvez admirer le visage et l’acné juvénile en couverture de l’album ne se supporte plus. De quoi pulvériser tous les miroirs de la planète. Mais s’il n’y avait que ça. Le boutonneux, comme on l’a surnommé à l’école, est convoqué par le conseiller d’orientation avec Mims, une autre élève. Tous les deux sont sommés de se reprendre en main, de remonter leurs notes. Sinon ? Sinon, leurs parents se chargeront de les tuer. Oui, c’est assez radical !

Pris au piège, le « boutonneux » et Mims n’ont pas le choix. La pression sur leurs épaules est énorme et leurs parents deviennent de plus en plus menaçants, voire monstrueusement menaçants. Malgré tout, entre le « boutonneux » et Mims nait une belle histoire d’amitié. Ensemble, ils partagent leur passion pour le manga mais aussi leurs craintes face au monde des adultes qu’on tente de leur vendre. De là à se rêver fantômes, libres comme l’air, il n’y a qu’un drap…

Quel plaisir de retrouver la plume et le pinceau de Jim Bishop ! Tous ceux qui ont lu Lettres perdues et Mon ami Pierrot reconnaitront ici le style graphique miyazakiesque de l’auteur, même s’il dit s’être détaché de cette référence pour son nouvel album. Les influences du maître de l’animation japonaise sont peut-être digérées mais coulent encore abondamment dans ses veines et ses pinceaux. Côté histoire, Jim Bishop poursuit son exploration de l’adolescence et du passage à l’âge adulte en nous invitant à réfléchir sur les ravages de la pression scolaire et du conformisme sur les rêves et aspirations de nos jeunes années.

Eric Guillaud

L’Enfantôme, de Jim Bishop. Glénat. 22,50€

© Glénat / Bishop

13 Jan

La Veuve : un western au féminin de Glen Chapron dans les Rocheuses canadiennes

Après L’Attentat avec Loïc Dauvillier et Une Histoire corse avec Dodo, le Breton Glen Chapron retrouve ses pinceaux pour adapter La Veuve,  le premier rroman de Gil Adamson, une chevauchée haletante à travers les Rocheuses canadiennes en compagnie d’une jeune-femme en quête de liberté…

D’abord, il y a la nature, puissante, sauvage, hostile. Nous sommes au cœur des Rocheuses canadiennes, loin de toute trace de civilisation. Vient ensuite une jeune femme, visiblement effrayée et épuisée, courant à travers bois et herbes folles. Et derrière elle, à ses trousses, deux hommes armés et un chien menaçant.

Cette femme s’appelle Tower, ou Mary Boulton, allez savoir, tout dépend des moments et des rencontres. Quant aux deux hommes à ses trousses, ce sont les frères de son mari. Son feu-mari pour être tout à fait exact. Elle l’a tué ! Et ne le regrette aucunement. Dans sa fuite éperdue, la jeune femme croise William Moreland, un ermite et un voleur, qui va la soigner, la faire rire et l’écouter. Mary a énormément de choses à raconter, sa vie, son mari qui collectionnait les maîtresses et les dettes et, pour finir, son geste violent mais tellement libérateur.

On la croit un moment amoureuse de William, prête à partager sa vie dans les montagnes, mais finit par reprendre sa liberté, fait de nouvelles rencontres, se dévoile un peu plus…

Si la vengeance, thème pour le mois récurrent dans le western, constitue le fil rouge du récit, Glen Chapron y trouve surtout un prétexte pour nous raconter une histoire d’émancipation féminine dans un univers très masculin et violent. N’ayant pas lu le roman, je m’abstiendrai de juger le travail d’adaptation. Cependant, le récit présenté ici nous tient parfaitement en haleine grâce à une héroïne attachante qui dévoile son histoire au fil des pages, grâce aussi à un découpage dynamique et surtout grâce à ce trait jeté, épais, ces atmosphères sombres qui exploitent avec justesse le clair-obscur et donnent une intensité remarquable au récit.

Eric Guillaud

La Veuve, de Glen Chapron d’après l’œuvre de Gil Adamson. Glénat. 25€ (en librairie le 15 janvier)

© Glénat / Chapron & Adamson

09 Jan

Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2025 : les huit albums sélectionnés en un clic !

Pour la sixième année consécutive, France Télévisions s’associe au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême pour décerner le Fauve d’Angoulême – Prix du public. Huit albums ont été présélectionnés. Le lauréat sera connu le samedi 1er février. En attendant, que racontent-ils, qui sont leurs auteurs et autrices ? Réponse ici et maintenant…

On se demande parfois comment certains albums peuvent nous échapper. Le manque de temps, d’argent, de curiosité, une pochette qui ne capte pas l’attention, sans oublier la surproduction qui finit par tout noyer. Oui, les raisons sont multiples, mais heureusement, le hasard fait parfois bien les choses. La présence de Ballades dans la sélection officielle du prochain Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême nous permet au final de (re)découvrir une véritable pépite, un conte médiéval aussi drôle qu’original.

Et quand je dis drôle, je devrais dire complètement délirante, déjantée, tant le scénario, le dessin, d’une élasticité à toutes épreuves, les dialogues, un mélange de vieux français et de mots inventés, les couleurs, écarlates, les personnages, tous plus délicieux les uns que les autres, les situations, burlesques à souhait, et les clins d’œil malicieux aux contes traditionnels font corps pour nous offrir un petit ovni éditorial.

Mais derrière cette apparente légèreté, Ballades nous parle aussi, entre les lignes et entre les cases, de notre monde et de notre époque, du féminisme, de la démocratie, de l’émancipation des femmes et des peuples… Bref, pour un premier album, l’autrice Camille Potte frappe fort, très fort. Une belle découverte, un bonheur absolu ! (Ballades, de Camille Potte. Éditions Atrabile. 22€)

C’est une histoire comme on en voit malheureusement beaucoup, une histoire de relation toxique qui aurait pu mal finir mais s’est arrêtée à temps. Carole Lobel en témoigne aujourd’hui à sa manière dans une bande dessinée baptisée En Territoire ennemi. Les mots sont forts mais justes tant cette expérience aurait pu être un voyage sans retour.

Fille d’une militante chrétienne anti-avortement, Carole rencontre Stéphane, étudiant aux Beaux-Arts, d’extrême gauche, fumeur de joints. Elle en tombe éperdument amoureuse. Pourtant, très vite, elle perçoit un malaise dans leur relation, notamment dans leur relation intime. Bien qu’elle ne souhaite pas d’enfants, elle finit par en avoir deux.

De son côté, Stéphane, sans emploi, s’isole progressivement de la vie sociale, sombre dans la paranoïa, le complotisme, la misogynie, adopte les idéologies d’extrême droite, apprend l’hymne officiel des SA et du Parti national-socialiste des travailleurs allemands et devient violent avec ses propres enfants qu’il souhaite « endurcir » !

Face à cette spirale destructrice, Carole décide de le quitter mais des années de vie commune ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Et ses enfants vont le lui rappeler…

Réalisé au stylo-bille quatre couleurs avec un graphisme très actuel, En Territoire ennemi n’est pas un témoignage de plus, c’est un témoignage essentiel qui décrit comment naissent les relations toxiques et peut-être comment les repérer pour s’en extraire au plus vite.  En Territoire ennemi est la première bande dessinée de Carole Lobel. Un livre à mettre entre toutes les mains ! (En Territoire ennemi, de Carole Lobel. L’Association. 26€)

Connaissez-vous le syndrome d’Hikikomori ? Apparu au Japon dans les années 1990, ce phénomène qui se caractérise par un isolement social extrême concernerait un million de personnes dans ce pays et, depuis la pandémie de Covid, toucherait un nombre croissant de Français, en

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particulier des hommes. Ce sujet est au coeur de cette bande dessinée de Jérôme Dubois !

Le protagoniste, reclus chez lui depuis des mois, vit au milieu des déchets qu’il ne se résout plus à sortir. Ses journées se résument à attendre des livraisons de repas. Jusqu’au jour où il s’effondre, victime d’un malaise fatal ! Quelques temps plus tard, une équipe de nettoyage investit son appartement pour le débarrasser. Mais, même une fois vidé et parfaitement lessivé, l’âme de l’ancien locataire continue de hanter les lieux…

Jérôme Dubois propose ici, comme dans chacun de ses albums, une expérience à la fois visuelle et narrative, invitant à une profonde réflexion existentielle. On se souvient notamment de Citéville et Cinéville, deux œuvres indissociables sélectionnées au Festival d’Angoulême en 2021. Ces récits nous interrogeaient sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur. Avec cette nouvelle histoire, l’auteur explore le syndrome d’Hikikomori pour nous questionner sur la mémoire que les lieux peuvent conserver de leurs habitants. Un sentiment d’étrangeté se dégage de cet album, accentué par l’alternance entre le noir et blanc et les couleurs vives de certaines cases. (Immatériel, de Jérôme Dubois. Cornélius. 34,50€)

« Personne n’est condamné à souffrir en silence » : c’est par ces quelques mots que l’autrice belge Alix Garin conclut son album et c’est précisément pour cette raison qu’elle a décidé de l’écrire.

Pendant des années, Alix Garin a souffert d’un trouble sexuel méconnu : le vaginisme. Du jour au lendemain, elle ne pouvait plus supporter la pénétration. Des douleurs insoutenables et une libido réduite à néant qu’elle cache à son compagnon. Seule, elle affronte pendant des mois ses questionnements, ses doutes et sa souffrance.

Jusqu’au jour où elle trouve enfin le courage d’en parler. S’ensuivent des années d’errances thérapeutiques, à courir les cabinets des psychologues, sexologues, gynécologues, psychothérapeutes, et autres kinésithérapeutes. Toujours en quête de réponses !

À la peur de fragiliser son couple s’ajoute la honte. La honte de ne pas être comme tout le monde, de ne pas répondre aux injonctions d’une société qui érige la sexualité, le désir et le plaisir en normes absolues de la vie amoureuse…

Avec courage et sincérité, Alix Garin livre un témoignage profondément intime, sans tabous, utilisant les métaphores pour évoquer le désir, la douleur, les injonctions, le cheminement thérapeutique. Un récit essentiel, sensible, libérateur tant pour l’autrice que pour les lecteurs et les lectrices (Impénétrable, d’Alix Garin. Le Lombard. 29,90€)

Que vous ne connaissiez pas Will McPhail n’a rien d’étonnant. L’homme, un Anglais, signe ici son tout premier roman graphique. Il est surtout connu et reconnu jusqu’ici pour ses dessins de presse publiés dans le magazine américain The New Yorker.

Au-Dedans est donc un premier bouquin. Et quel bouquin ! Dès les premières pages, son style graphique, son trait réaliste très précis, ses personnages aux yeux écarquillés, ses cases épurées, ce découpage des planches adapté au récit… tout est réuni pour frapper notre esprit et nous charmer définitivement.

Et les quelque 270 pages qui alternent noir et blanc et couleurs sont du même niveau. Impossible de lâcher la lecture en cours, on est littéralement happé, happé par la forme bien sûr mais aussi par le fond.

Mais que peut bien raconter Au-Dedans ? Une aventure intérieure ou plus précisément une aventure vers l’intérieur. La petite porte sur la couverture… vous la voyez ? Elle donne accès à cet intérieur.

Avec une question qui revient tout au long de l’ouvrage : comment connecter les différents intérieurs ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

Nick est un jeune artiste, illustrateur pour quelques feuilles de choux genre L’Hebdo de la Carpe. Oui, ça existe ! Pas d’enfants, pas de maison, pas de bijoux, pas de super recette de famille à léguer, juste une mère à qui il rend visite régulièrement, une sœur qui ne mène pas le même genre de vie et depuis peu une amoureuse, une oncologue, rencontrée dans un des nombreux cafés branchés qu’il fréquente pour occuper sa vie, remplir son quotidien et tenter de s’interconnecter avec les autres.

Sans grand succès, il faut avouer ! Uniquement des interactions superficielles, regrette-t-il. Jusqu’au jour où il parvient à dire une poignée de mots qui comptent à son plombier venu réparer une fuite à son domicile.

« C’était quoi ça ? Non, mais c’était quoi ? Ça partait comme une conversation habituelle et puis… puis il s’est passé quoi ? »

Une connexion ! La première mais pas la dernière. Nick a compris que pour rejoindre l’espace intérieur des autres, il devait avant tout ouvrir le sien…

Né dans le Lancashire au Nord-Ouest de l’Angleterre, région où on ne dévoile pas plus qu’ailleurs ses sentiments, Will McPhail a malgré tout toujours été fasciné par la mécanique des mots et les différentes directions que peut prendre une simple conversation. Son sens aiguisé de l’observation, son humour, son regard sur la vie et nos contemporains ont fait le reste. Au-Dedans est l’un des plus beaux livres de l’année. Assurément ! (Au-Dedans, de Will McPhail. 404 Graphic. 26,50€)

« Dans la vie, il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires. On a tous notre rôle à jouer ». Tout est là, dans ces quelques mots prononcés par une des protagonistes de l’album.

Dans Les Météores, il n’y a effectivement pas de héros, encore moins de super-héros, mais des gens très ordinaires qui ont une vie très ordinaire. Comme ce bon Flyod qui prend chaque jour le bus de 5h46 trimbalant son énorme carcasse et ses pertes de mémoire, ses « blancs » comme il les appelle avec un brin de poésie. Ou comme Hollie, une jeune assistante de vie qui élève seule son fils et s’auto-persuade d’aimer son job même quand il s’agit d’essuyer les fesses d’un vieillard. Ou encore Don qui est tombé amoureux d’une vendeuse d’Ikea (rebaptisé ici Aeki), où une bonne partie de l’histoire se déroule. Il y a aussi Gary, Charlie, Sammy, Elijah… tous occupés à vivre ou plus surement à survivre, sans éclats ni passions.

Et même lorsqu’une météorite a la fâcheuse intention de vouloir passer un peu trop près de la planète et d’anéantir toute forme de vie, tous continuent leur chemin, sans héroïsme ni panique, résignés comme s’ils ne faisaient eux-mêmes que passer.

Avec Les Météores, Deveney et Redolfi passent de la verticalité de leur précédent album, Empire Falls Building (2021, Éditions Soleil) – qui explorait la construction mystérieuse d’un gratte-ciel new-yorkais – à une horizontalité marquée, renforcée par un format à l’italienne. Ce choix offre une lecture apaisée, presque cinématographique, parfaite pour cette narration où le temps semble suspendu.

Avec un trait léger, des ambiances hivernales, une luminosité basse, une game de couleurs réduite, les auteurs nous attrapent par les yeux pour nous embarquer dans cette histoire qui n’a pas vraiment de début, pas vraiment de fin, déroulant avec poésie des fragments de vies qui laissent entrevoir toute la fragilité de l’humanité. Un récit Intimiste et tellement universel ! (Les Météores – Histoires de ceux qui ne font que passer, de Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi. Delcourt. 34,95€)

Et si les tableaux avaient des yeux, que percevraient-ils ? La beauté de l’art ou la laideur du monde ? Dans cet album signé Luz, il semble que la deuxième option s’impose. Luz, dessinateur de presse dont le nom restera à jamais associé à Charlie Hebdo, mais aussi auteur de bandes dessinées (Catharsis, Hollywood menteur, Vernon Subutex, Testoterror…), utilise cette astuce narrative pour retracer les années sombres de notre histoire, en particulier la montée du nazisme, la spoliation et la déportation des Juifs.

Le tableau en question, bien que relativement peu connu, est réel : il s’agit de Deux filles nues, une œuvre du peintre expressionniste allemand Otto Mueller. Les événements qu’il illustre, eux aussi, sont bien évidemment réels et profondément tragiques. Spoliée par les nazis, cette œuvre a été présentée en 1937 à Munich dans le cadre de l’exposition consacrée à « l’art dégénéré ». Elle a ensuite été vendue à un collectionneur pour financer l’effort de guerre allemand, avant d’être restituée à la famille d’origine en 1999. Ce tableau est un survivant, un rescapé, tout comme Luz, qui, depuis le 7 janvier 2015, porte en lui la mémoire de l’attentat contre Charlie Hebdo.

Réussissant l’exploit de ne pas montrer le tableau avant la toute fin du récit et à nous donner ses yeux imaginaires sans pour autant nuir au dynamisme de l’ensemble, Luz signe ici un un ouvrage d’une rare intensité, singulier dans sa forme, puissant dans son contenu, invitant chacun de nous à une réflexion sur l’art, la liberté, la censure, l’extrêmisme, le beau et le laid, la vie et la mort. L’album a d’ores et déjà reçu le Grand Prix de la critique de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD), ainsi que le Prix Wolinski de la BD du Point en 2024. (Deux filles nues, de Luz. Albin Michel. 24,90€)

Dementia 21 est le premier manga à concourir dans la cadre du  le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions depuis la création de ce prix en 2020. Il faut admettre que la préférence du jury professtionnel est plus souvent portée sur des one-shots signés par de jeunes auteurs et en langue française. Cela dit, rien n’empêche les coups de coeur et les entorses aux habitudes, deux de nos lauréates sont ainsi d’origine étrangère, Sole Otero en 2023 et Beatriz Lema en 2024.

Dementia 21, comme son titre peut le laisser imaginer, est le récit assez dément, assez étrange, assez effrayant, d’un artiste japonais, Shintaro Kago, qui s’est fait connaître dans le manga ero guro (un mélange d’érotisme, d’horreur et de grotesque). Il y raconte l’histoire de Yukie Sakai, une jeune aide à domicile qui adore son travail auprès des personnes âgées, qui fait tout son possible pour répondre à leurs attentes, avec l’ambition de devenir LA meilleure aide soignante du secteur. Mais chacune de ses interventions auprès des personnages âgées se ternine de façon totalement surréaliste, hallucinante, abracadabrantesque et violente. Avec en filigrane, de nombreuses interrogations sur la place des séniors dans notre société… (Dementia  21, tome 2, de Shintaro Kago. Huber Editions. 23€)

Eric Guillaud

06 Jan

Cinq BD feel-good pour commencer l’année en douceur

Conflits armés, attentats, catastrophes naturelles… Quand le monde devient fou, une petite douceur de temps en temps ne peut pas faire de mal. En voici cinq d’un coup, cinq albums, autant d’histoires, qui devraient apaiser l’âme et le corps…

On commence avec un récit des plus moelleux. Il s’appelle Pillow Man et, comme son nom l’indique, raconte l’histoire d’un homme-oreiller. La belle vie ? Pas tout à fait ! Jean, ancien chauffeur routier au chômage depuis trois ans, a été contraint d’accepter le job. Contraint, mais aussi largement séduit par les avantages : un bon salaire, un statut cadre, une mutuelle au top, des tickets restaurant, une carte de transport, des costumes sur mesure… et un métier qui s’exerce allongé. Allongé certes, mais pas au repos ! Être un homme-oreiller, ça ne s’improvise pas. Il faut entretenir son embonpoint pour satisfaire les clients et surtout les clientes en toutes circonstances et le plus chastement possible. Jean est un homme-oreiller, pas un prostitué. Et cela lui convient plutôt bien jusqu’au jour où sa dulcinée, qui le croyait agent de sécurité chez LVMH, découvre la véritable nature de son travail…

Sorti en septembre dernier, cet album offre une véritable bouffée d’air frais tant sur le plan du scénario que du graphisme, avec un personnage qui nous ressemble, un super héros du quotidien qui tente de se dépatouiller entre sa vie professionnelle et sa vie de couple. Pillow Man est une comédie pas si légère. Entre les lignes, entre les cases, Stéphane Grodet et Théo Calmejane se penchent sur le monde du travail et la solitude. (Pillow Man, de Stéphane Grodet et Théo Calmejane. Glénat. 26€)

Il y a des bandes dessinées qui rendent heureux et d’autres qui rendent carrément amoureux. C’est du moins ce que suggèrent les éditions Casterman qui en ont fait un véritable argument de vente pour Toi & Moi, un récit signé Pacco. À défaut de rendre réellement amoureux, cette BD-là donne effectivement envie de partager les moments de vie, de bonheur de complicité, de rigolade, d’amour et de chamaillerie, que l’auteur vit avec sa dulcinée, l’autrice Margaux Motin, et accepte de dévoiler ici dans une centaine de saynètes. C’est léger, tendre et universel. (Toi & Moi, de Pacco. Casterman. 14,95€)

Margaux Motin, justement. Révélée au grand public en 2008 grâce à son blog, l’illustratrice et autrice de BD connaît une ascension fulgurante dans le monde du neuvième art. Aujourd’hui, elle compte plus de 400 000 abonnés sur Instagram, 290 000 sur Facebook, et ses albums s’écoulent à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Autant dire que son univers touche un large public, notamment féminin.

Son créneau ? La vie tout simplement ! Avec une bonne dose d’autodérision et une lucidité à toutes épreuves, un graphisme contemporain, une narration fluide, une ambiance très colorée et un ton résolument léger, l’autrice raconte son quotidien de mère célibataire.

Dans cette intégrale qui réunit les deux volumes du Printemps suivant, parus en 2020 et 2022, Margaux emménage avec son amoureux (Pacco) et redécouvre les joies de la vie en couple, avec ses avantages, ses inconvénients, ses limites, les inévitables compromis, les disputes, les réconciliations et les courses chez Ikea et Jardiland… Un récit à la fois drôle et touchant ! (Le Printemps suivant – édition intégrale, de Margaux Motin. Casterman. 30€)

Restons dans le même univers avec cette fois Pénélope Bagieu. L’autrice a retrouvé les vitrines de nos librairies préférées en septembre dernier avec une intégrale des aventures de Joséphine. Cette héroïne attachante ou attachiante, c’est selon, est apparue en 2008 dans un premier album (2 autres suivront) avant de se retrouver dans les salles obscures à l’affiche de deux films réalisés en 2013 et en 2016, avec Marilou Berry dans le rôle titre.

Joséphine, trentaine et célibataire, incarne avec humour et justesse la femme contemporaine, libre mais en recherche permanente de l’amour. Ses aventures, présentées sous forme de saynètes d’une à deux pages, regorgent de situations burlesques, de maladresses, de petits mensonges et de grands moments de solitude. Drôles et attendrissantes, ces tranches de vie ne manquent pas de faire sourire et d’offrir une belle dose de légèreté, parfaite pour éloigner la morosité. (Joséphine Intégrale, de Pénélope Bagieu. Delcourt. 23,95€)

Après le succès de Peau d’Homme réalisé sur un scénario d’Hubert, 200 000 exemplaires vendus et des récompenses en pagaille, Zanzim reprend la plume et le pinceau pour nous concocter en auteur complet un petit bijou qui nous interroge sur la notion de grand homme.

Le protagoniste de l’histoire se nomme Stanislas. Il a un air de Charles Denner, mesure un mètre cinquante-sept et demi, est complexé, timide mais amoureux des femmes et surtout fétichiste des pieds, de leurs pieds. Ça tombe bien, Stanislas travaille dans un magasin de chaussures où il peut en tâter à loisir. Jusqu’au jour où une paire de chaussures magiques auxquelles il confie son regret de ne pas être un grand homme le réduisent à la taille d’une souris. Échappant de justesse à quelques prédateurs d’appartement, Stanislas trouve refuge dans le cocon intime d’une de ses collègues dont il devient le jouet sexuel. Mais c’est auprès de Fleur, une jeune femme dont il tombe amoureux, qu’il prendra finalement de la hauteur…

Tendre, drôle, un brin magique, Grand Petit homme est une gourmandise graphique et scénaristique, un récit qui ne peut que nous inciter à devenir de grands hommes par l’amour, le respect, l’abnégation et le courage. (Grand Petit homme, de Zanzim. Glénat. 25€)

Eric Guillaud

01 Jan

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Alison, La Route, Souffler sur le feu

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

La couverture et le titre de ce roman graphique annoncent clairement l’intention de l’autrice Lizzy Stewart : nous plonger dans le monde de l’art à travers l’histoire d’une jeune femme qui a forgé son identité à coups de pinceau.

Tout commence du côté de Bridport, dans le Dorset. Alison Porter n’a que 17 ans lorsqu’elle tombe amoureuse d’Andrew. Ils se marient, lui décroche un emploi à la mairie, elle se consacre à la couture pour une école du coin. Une existence simple et sans éclats !

« J’avais l’impression de ressembler à une bonne épouse victorienne, ou pire encore, à ma mère »

Sa vie prend un tournant radical lorsqu’elle croise la route de Patrick Kerr, un peintre renommé. Fascinée par son talent et séduite par son charisme, Alison quitte son mari et le suit à Londres. Longtemps, elle vit dans son ombre avant de trouver sa propre lumière et de s’imposer comme l’une des plus grandes femmes artistes du Royaume-Uni.

Avec une grande sensibilité, un trait de crayon tout en finesse, des planches en nuances de gris et des ambiances empreintes d’une force tranquille, Lizzy Stewart raconte ici la quête d’émancipation d’une femme prise dans une relation toxique.

« Patrick Kerr a été mon maître, puis mon amant, ensuite mon ennemi, un ami et, finalement, plus qu’un souvenir »

Lizzy Stewart raconte aussi le difficile chemin d’une femme aux origines provinciales modestes dans un monde artistique largement dominé par les hommes. « J’étais larguée dans un monde où chacun miroitait d’expérience et d’éloquence, j’avais l’impression de faire tache », fait-elle dire à son héroïne.

De la « bonne épouse victorienne » à l’artiste émancipée, Alison à coups de pinceau nous offre le portrait d’une vie de femme dans l’Angleterre de la deuxième moitié du XXe siècle, sans jamais tomber dans le manifeste féministe pur et dur. Tout est ici affaire de subtilité, une histoire finalement assez universelle pour intéresser un large public. (Alison, à coups de pinceau, de Lizzy Stewart. Helvetiq. 24€)

C’est sans l’ombre d’un doute l’une des bandes dessinées les plus emblématiques de l’année 2024 et bien au-delà, un de ces chef d’œuvres qui ponctuent régulièrement l’histoire du neuvième art et marquent durablement les esprits. Avec près de 200 000 exemplaires vendus à ce jour, 22 traductions, une avalanche d’éloges médiatiques, La Route n’a, a priori, plus vraiment besoin de publicité. Cependant, il aurait été impensable qu’il ne figure pas dans cette sélection officielle d’Angoulême.

Après le fabuleux Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, Manu Larcenet s’attaque ici à l’adaptation du best-seller de Cormac McCarthy, lauréat du Prix Pulitzer. Il y déploie un trait aussi noir et torturé que l’âme humaine, sublimé par des fonds aux nuances de gris qui renforcent l’impression de fin du monde. Au cœur du récit, un père et son fils errent sur la route en quête d’un rayon de soleil, d’un espoir de vie dans un monde post-apocalyptique où toute trace d’humanité a définitivement disparu sous une couche épaisse de cendres.

C’est beau, puissant et terrifiant. Manu Larcenet parvient à offrir une seconde vie graphique aux mots de McCarthy. Magistral ! (La Route, de Larcenet d’après le roman de Cormac McCarthy. Dargaud. 29,50€)

On le présente souvent comme le père de la bande dessinée de reportage. Et cela n’est pas entièrement faux ! Bien qu’il n’ait pas été le premier à explorer ce genre, il a largement contribué à en définir les contours et à en faire ce qu’il est aujourd’hui. L’Américain Joe Sacco est de retour cette année avec deux albums, Guerre à Gaza, véritable coup de gueule face à la situation au Proche-Orient, et Souffler sur le feu, qui nous embarque pour la Province indienne de l’Uttar Pradesh où des violents incidents ont opposé musulmans et hindous en 2013.

En adoptant les mêmes méthodes que dans ses précédents récits (Gorazde, Gaza 1956, Palestine, Payer la Terre…), Joe Sacco s’est rendu sur le terrain pour enquêter auprès des personnes concernées et tenter de saisir les enjeux de la situation. Son écriture, son trait, son regard, font aujourd’hui référence dans le milieu de la bande dessinée et au-delà. Souffler sur le feu est une nouvelle pierre à un édifice cherchant inlassablement à mieux comprendre le monde. Du grand Joe Sacco ! (Souffler sur le feu, de Sacco. Futuropolis. 22€).

Eric Guillaud

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Au-Dedans de Will McPhail aux éditions 404 Graphic

Certains livres nous transportent l’air de rien vers des territoires insoupçonnés. C’est le cas ici avec cet album de Will McPhail. Ne connaissant pas l’auteur, un simple avis de conseiller de vente dans une grande librairie et une couverture minimaliste auront suffi à éveiller ma curiosité. Et très franchement, je n’allais pas être déçu…

Que je ne connaisse pas Will McPhail n’a finalement rien d’étonnant. Après quelques recherches rapides sur internet, je comprends que l’homme, un Anglais, signe ici son tout premier roman graphique et qu’il est surtout connu et reconnu pour ses dessins de presse publiés dans le magazine américain The New Yorker. Que je ne lis pas !

Au-Dedans est donc un premier bouquin. Et quel bouquin ! Dès les premières pages, son style graphique, son trait réaliste très précis, ses personnages aux yeux écarquillés, ses cases épurées, ce découpage des planches adapté au récit… tout est réuni pour frapper notre esprit et nous charmer définitivement.

Et les quelque 270 pages qui alternent noir et blanc et couleurs sont du même niveau. Impossible de lâcher la lecture en cours, on est littéralement happé, happé par la forme bien sûr mais aussi par le fond.

Mais que peut bien raconter Au-Dedans ? Une aventure intérieure ou plus précisément une aventure vers l’intérieur. La petite porte sur la couverture… vous la voyez ? Elle donne accès à cet intérieur.

Avec une question qui revient tout au long de l’ouvrage : comment connecter les différents intérieurs ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

Nick est un jeune artiste, illustrateur pour quelques feuilles de choux genre L’Hebdo de la Carpe. Oui, ça existe ! Pas d’enfants, pas de maison, pas de bijoux, pas de super recette de famille à léguer, juste une mère à qui il rend visite régulièrement, une sœur qui ne mène pas le même genre de vie et depuis peu une amoureuse, une oncologue, rencontrée dans un des nombreux cafés branchés qu’il fréquente pour occuper sa vie, remplir son quotidien et tenter de s’interconnecter avec les autres.

Sans grand succès, il faut avouer ! Uniquement des interactions superficielles, regrette-t-il. Jusqu’au jour où il parvient à dire une poignée de mots qui comptent à son plombier venu réparer une fuite à son domicile.

« C’était quoi ça ? Non, mais c’était quoi ? Ça partait comme une conversation habituelle et puis… puis il s’est passé quoi ? »

Une connexion ! La première mais pas la dernière. Nick a compris que pour rejoindre l’espace intérieur des autres, il devait avant tout ouvrir le sien…

Né dans le Lancashire au Nord-Ouest de l’Angleterre, région où on ne dévoile pas plus qu’ailleurs ses sentiments, Will McPhail a malgré tout toujours été fasciné par la mécanique des mots et les différentes directions que peut prendre une simple conversation. Son sens aiguisé de l’observation, son humour, son regard sur la vie et nos contemporains ont fait le reste. Au-Dedans est l’un des plus beaux livres de l’année. Assurément !

Eric Guillaud

Au-Dedans, de Will McPhail. 404 Graphic. 26,50€

© 404 Graphic / McPhail

19 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Ballades, Mourir pour la cause, Contes de la mansarde…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

On se demande parfois comment certains albums peuvent nous échapper. Le manque de temps, d’argent, de curiosité, une pochette qui ne capte pas l’attention, sans oublier la surproduction qui finit par tout noyer. Oui, les raisons sont multiples, mais heureusement, le hasard fait parfois bien les choses. La présence de Ballades dans la sélection officielle du prochain Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême me permet au final de découvrir une véritable pépite, un conte médiéval aussi drôle qu’original.

Et quand je dis drôle, je devrais dire complètement délirant, déjanté, tant le scénario, le dessin, d’une élasticité à toutes épreuves, les dialogues, mélange de vieux français et de mots inventés, les couleurs, écarlates, les personnages, tous plus délicieux les uns que les autres, les situations, burlesques à souhait, et les clins d’œil malicieux aux contes traditionnels font corps pour nous offrir un petit ovni éditorial.

Mais derrière cette apparente légèreté, Ballades nous parle aussi, entre les lignes et entre les cases, de notre monde et de notre époque, du féminisme, de la démocratie, de l’émancipation des femmes et des peuples… Bref, pour un premier album, l’autrice Camille Potte frappe fort, très fort. Une belle découverte, un bonheur absolu ! (Ballades, de Camille Potte. Éditions Atrabile. 22€)

Il faut bien l’admettre : nous sommes nombreux, de ce côté-ci de l’Atlantique, à ignorer l’histoire du Québec, et encore davantage l’histoire du mouvement indépendantiste. Pourtant, la mémoire collective a retenu la célèbre phrase « Vive le Québec libre ! » lancée par le général de Gaulle en juillet 1967, lors de son discours historique à Montréal. Une déclaration percutante qui eut des répercussions non seulement sur les relations entre le Canada et la France, mais aussi au sein même du Canada, où le rêve d’un Québec libre nourrissait déjà les passions et un idéal révolutionnaire en quête de son Che Guevara.

C’est précisément cet idéal révolutionnaire que raconte Chris Oliveros dans le roman graphique Mourir pour la cause. S’il s’est appuyé sur une documentation historique rigoureuse pour développer son récit, il a choisi de lui donner la forme d’un documentaire fictif de la CBC, censé avoir été tourné en 1975 et retrouvé bien plus tard. Avec un style graphique simplifié, pour ne pas dire simpliste, et une tonalité quasi-burlesque qui, tout en n’atténuant pas la gravité du contexte, allège quelque peu le propos, Chris Oliveros illustre les premières années du Front de Libération du Québec, évoquant ses actions, ses échecs, ses hommes, souvent animés par un amateurisme déconcertant. Ce premier volet paru en janvier 2024 couvre les années 1960, le second se penchera sur octobre 1970 marqué par une série d’enlèvements de personnalités politiques. (Mourir pour la cause, Révolution dans le Québec des années 1960, Chris Oliveros. Pow Pow. 24€)

Trois histoires distinctes composent ce roman graphique. Trois histoires, mais un seul lieu où tout commence et tout s’achève : un appartement situé au septième et dernier étage d’un immeuble parisien, une mansarde. Et à chaque fois par un été caniculaire.

Pour le reste, ce roman graphique, largement inspiré des Contes de la Crypte et des Contes du Chat perché de Marcel Aymé nous propose un univers fantastico-horrifico-réaliste urbain et contemporain qui explore les problématiques universelles que sont la solitude, l’amour, la vieillesse et la mort.

Fil rouge de ces contes, une vieille femme au comptoir d’un bar de quartier – Les Deux Magots tout de même – introduit chacune des histoires avec un brin d’humour, de quoi alléger la tonalité de l’ensemble qui reste finalement assez sombre avec des histoires qui finissent tragiquement !

Au dessin, Iris Pouy insuffle au récit une atmosphère intimiste portée par un trait que l’on pourrait qualifier de sobre et contemporain. Quant au scénario, Elizabeth Holleville a été récompensée pour cet album par le Prix René Goscinny du jeune scénariste 2025.

L’album Contes de la mansarde figure dans la sélection officielle ainsi que dans la sélection Fauve des lycéens. (Contes de la mansarde, d’Iris Pouy et Elizabeth Holleville. L’Employé du Moi. 22€)

Eric Guillaud

13 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Immatériel, Les Indomptés, En Territoire ennemi…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

Connaissez-vous le syndrome d’Hikikomori ? Apparu au Japon dans les années 1990, ce phénomène qui se caractérise par un isolement social extrême concernerait un million de personnes dans ce pays et, depuis la pandémie de Covid, toucherait un nombre croissant de Français, en particulier des hommes. Ce sujet est au coeur de cette bande dessinée de Jérôme Dubois !

Version 1.0.0

Le protagoniste, reclus chez lui depuis des mois, vit au milieu des déchets qu’il ne se résout plus à sortir. Ses journées se résument à attendre des livraisons de repas. Jusqu’au jour où il s’effondre, victime d’un malaise fatal ! Quelques temps plus tard, une équipe de nettoyage investit son appartement pour le débarrasser. Mais, même une fois vidé et parfaitement lessivé, l’âme de l’ancien locataire continue de hanter les lieux…

Jérôme Dubois propose ici, comme dans chacun de ses albums, une expérience à la fois visuelle et narrative, invitant à une profonde réflexion existentielle. On se souvient notamment de Citéville et Cinéville, deux œuvres indissociables sélectionnées au Festival d’Angoulême en 2021. Ces récits nous interrogeaient sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur. Avec cette nouvelle histoire, l’auteur explore le syndrome d’Hikikomori pour nous questionner sur la mémoire que les lieux peuvent conserver de leurs habitants. Un sentiment d’étrangeté se dégage de cet album, accentué par l’alternance entre le noir et blanc et les couleurs vives de certaines cases. (Immatériel, de Jérôme Dubois. Cornélius. 34,50€)

Lucky Luke n’aime pas les enfants. Une révélation ? Un postulat qui permet à Blutch de nous embarquer dans une nouvelle aventure du célèbre personnage de Morris et Goscinny et de retrouver toute la saveur comique qui a fait le succès de la série. Il n’aime pas les enfants donc mais va pourtant devoir composé avec deux représentants du genre et pas franchement des anges. Il faut dire qu’ils ont de qui tenir. Leur père est un bandit des grands chemins, disparu depuis peu, avec un butin sous le bras et quelques collègues assez mécontent aux fesses. Lucky Luke aussi est à sa recherche pour le coller en prison mais Casper et Rose, les deux fameux gamins, ne vont pas lui faciliter la tâche…

On connait l’amour de Blutch pour les Tuniques Bleues, série dont il tire son nom d’artiste mais il rend ici un sacré hommage à Lucky Luke et donc à Morris et Goscinny avec une histoire gonflé à l’humour, à la fois fidèle à l’esprit de la série originelle, dans ses codes graphiques et couleurs, et porté par une certaine liberté, celle d’un auteur qui sans cesse remet son art en question. De quoi dépoussiérer l’affaire ! (Les Indomptés, de Blutch. Dargaud. 13€)

C’est une histoire comme on en voit malheureusement beaucoup, une histoire de relation toxique qui aurait pu mal finir mais s’est arrêtée à temps. Carole Lobel en témoigne aujourd’hui à sa manière dans une bande dessinée baptisée En Territoire ennemi. Les mots sont forts mais justes tant cette expérience aurait pu être un voyage sans retour.

Fille d’une militante chrétienne anti-avortement, Carole rencontre Stéphane, étudiant aux Beaux-Arts, d’extrême gauche, fumeur de joints. Elle en tombe éperdument amoureuse. Pourtant, très vite, elle perçoit un malaise dans leur relation, notamment dans leur relation intime. Bien qu’elle ne souhaite pas d’enfants, elle finit par en avoir deux.

De son côté, Stéphane, sans emploi, s’isole progressivement de la vie sociale, sombre dans la paranoïa, le complotisme, la misogynie, adopte les idéologies d’extrême droite, apprend l’hymne officiel des SA et du Parti national-socialiste des travailleurs allemands et devient violent avec ses propres enfants qu’il souhaite « endurcir » !

Face à cette spirale destructrice, Carole décide de le quitter mais des années de vie commune ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Et ses enfants vont le lui rappeler…

Réalisé au stylo-bille quatre couleurs avec un graphisme et une narration très actuelles, En Territoire ennemi n’est pas un témoignage de plus, c’est un témoignage essentiel qui décrit comment naissent les relations toxiques et peut-être comment les repérer pour s’en extraire au plus vite.  En Territoire ennemi est la première bande dessinée de Carole Lobel. Un livre à mettre entre toutes les mains ! (En Territoire ennemi, de Carole Lobel. L’Association. 26€)

Eric Guillaud

De Mafalda à Nestor Burma, notre sélection de BD pour Noël

Vous cherchez des idées de cadeaux et pourquoi pas des bandes dessinées ? Bonne pioche ! Nous avons sélectionné pour vous dix albums, dix nouveautés, qui ne manqueront pas de faire sensation au pied du sapin.

Vous rêvez d’une grande aventure maritime ou d’un polar dans le Paris des années 50, vous adorez les récits en forme de témoignages ou les autobiographies et n’avez rien contre l’humour… Alors, découvrez sans plus attendre nos dix coups de cœur, spécialement sélectionnés pour vous !

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10 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Impénétrable, Madeleine Résistante , Pour une fraction de seconde…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

Madeleine Riffaud n’a que 18 ans lorsqu’elle rejoint l’armée de l’ombre avec un objectif clair : chasser les Allemands hors de France. Prête à tout pour y parvenir, elle n’hésite pas à se mettre en danger. Elle abat un officier nazi, est arrêtée, subit la torture pendant des jours sans jamais révéler un nom, échappe de justesse au peloton d’exécution et à la déportation, avant de participer activement à la Libération de Paris.

Résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, infatigable militante pour la décolonisation et contre l’oppression des peuples, amie de Picasso et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud est une figure exceptionnelle, comme seules les grandes heures de l’Histoire peuvent en façonner.

 

Des destins comme celui de Madeleine Riffaud méritent d’être racontés pour inscrire leur mémoire dans notre patrimoine collectif et transmettre les valeurs d’engagement et de résistance. Le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail l’ont bien compris en s’attelant à cette tâche dès 2021. S’appuyant sur les souvenirs de Madeleine Riffaud et sur un travail approfondi de documentation historique, ils déroulent sa vie avec un découpage d’une très grande fluidité, un trait sobre, élégant et minutieux, ainsi que des atmosphères parfaitement ancrées dans l’époque. Ce témoignage essentiel pour l’humanité et un vibrant hommage à Madeleine Riffaud, disparue en novembre 2024. (Madeleine, Résistante, tome 3, de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 23,50 euros)

Peut-être que son nom ne vous dit rien, il est pourtant l’un des pionniers de la photographie et du cinéma ! Eadweard Muybridge, anglais de nationalité, américain d’adoption, découvre la photographie dans les années 1860. Il en fait son métier, se fait connaître à travers le monde pour ses photographies de l’Ouest sauvage et de l’Alaska. Mais l’homme nourrit une obsession qu’il partage avec le richissime Leland Stanford, président de la Southern Pacific Railroad et gouverneur de Californie : capturer le mouvement d’un cheval au galop. Et pour cela, il déploie des trésors d’ingéniosités jusqu’à y parvenir. Nous sommes alors en 1878. 

S’il s’est fait un nom dans la bande dessinée grâce à ses récits autobiographiques, tels que Pyongyang, Shenzhen, Chroniques de Jérusalem ou encore, sur un ton plus humoristique Le Guide du mauvais père, le Canadien Guy Delisle s’autorise, avec le même talent, à explorer d’autres genres, notamment le témoignage avec S’enfuir, récit d’un otage, paru en 2016, ou la biographie avec ce nouvel album consacré à la vie mouvementée d’Eadweard Muybridge.

Extrêmement documenté, enrichi de quelques clichés de Muybridge et parsemé d’une touche d’humour, Pour une fraction de seconde bouscule nos idées reçues sur l’histoire de la photographie et du cinéma. L’album met en lumière un homme passionné et des innovations majeures ayant marqué l’évolution de l’art photographique, prélude à l’apparition du cinéma. De quoi remettre les pendules à l’heure et confirmer l’immense talent de narrateur et de dessinateur de Guy Delisle. Captivant !  (Pour une fraction de seconde, la vie mouvementrée d’Eadweard Muybridge, de Guy Delisle. Delcourt. 23,95€)

« Personne n’est condamné à souffrir en silence » : c’est par ces quelques mots que l’autrice belge Alix Garin conclut son album et c’est précisément pour cette raison qu’elle a décidé de l’écrire.

Pendant des années, Alix Garin a souffert d’un trouble sexuel méconnu : le vaginisme. Du jour au lendemain, elle ne pouvait plus supporter la pénétration. Des douleurs insoutenables et une libido réduite à néant qu’elle cache à son compagnon. Seule, elle affronte pendant des mois ses questionnements, ses doutes et sa souffrance.

Jusqu’au jour où elle trouve enfin le courage d’en parler. S’ensuivent des années d’errances thérapeutiques, à courir les cabinets des psychologues, sexologues, gynécologues, psychothérapeutes, et autres kinésithérapeutes. Toujours en quête de réponses !

À la peur de fragiliser son couple s’ajoute la honte. La honte de ne pas être comme tout le monde, de ne pas répondre aux injonctions d’une société qui érige la sexualité, le désir et le plaisir en normes absolues de la vie amoureuse…

Avec courage et sincérité, Alix Garin livre un témoignage profondément intime, sans tabous, utilisant les métaphores pour évoquer le désir, la douleur, les injonctions, le cheminement thérapeutique. Un récit essentiel, sensible, libérateur tant pour l’autrice que pour les lecteurs et les lectrices (Impénétrable, d’Alix Garin. Le Lombard. 29,90€)

Eric Guillaud