Qu’a donc fait Wilson Starger pour en arriver là ? En peu de temps, cet éleveur de l’Iowa a vu la moitié de son bétail empoisonné, sa femme hospitalisée, des inconnus le passer à tabac en pleine rue et, comme si tout ça ne suffisait pas, sa fille, son bébé, Jenny Lee, kidnappée. Le seul point positif dans toute cette affaire : avoir frappé à la bonne porte pour demander de l’aide, en l’occurrence celle de Cinder, un ancien du Vietnam reconverti en détective privé. Lui et sa tendre, Ashe, qu’il a ramenée de là-bas, vont tout faire pour sortir leur client de cette situation… même s’ils doivent se confronter à leur passé.
On s’offre un petit voyage dans les années 80 et la Nouvelle-Orléans avec cette mini-série de quatre épisodes enfin éditée de ce côté-ci de l’Atlantique. Signé par deux pointures du comics, l’Américain Gerry Conway et l’Espagnol José Luis Garcia-López, Cinder & Ashe est un récit dense en action et fort en contexte. L’ombre du Vietnam plane en effet du début à la fin sur les personnages, Cinder et Ashe, et plus généralement sur l’histoire. En supplément, un carnet de croquis signé Garcia-López ! EGuillaud
Cinder & Ashe, de Gerry Conway et José Luis Garcia-Lopez. Editions Delcourt. 14,95 euros
A partir de 1942, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada unissent leurs forces autour du projet Manhattan, un programme de recherche et de développement qui mena notamment à la création de la bombe atomique. Aux commandes de ce projet, le major-général Leslie Richard Groves. Partant de ce fait historique et de personnages bien réels, les deux auteurs américains Jonathan Hickman et Nick Pitarra imaginent ici une histoire alternative. Groves mais aussi Robert Oppenheimer qui était le directeur scientifique du projet ou encore Albert Einstein se retrouvent mêlés à toute une série d’autres programmes secrets, plus fous, plus délirants et dangereux les uns que les autres pour l’humanité.
Projets Manhattan n’est pas le premier ouvrage du tandem Hickman-Pitarra. Ils ont déjà travaillé ensemble sur S.H.I.E.L.D. pour Marvel et créé la série Red Wing pour Image Comics, série publiée chez Delcourt en 2012. Une bonne idée de départ, un bon scénario, un bon coup de crayon qui n’est pas sans rappeler celui – très européen – de Geof Darrow, d’ailleurs lui-même influencé par le Français Moebius… Projets Manhattan réunit tous les ingrédients qui font la bonne SF. Avis aux amateurs ! EGuillaud
Projets Manhattan (tome 1), de Hickman et Pitarra. Editions Delcourt. 14,95 euros
Repéré en France en 2007 avec la trilogie Histoire couleur terre, déjà parue chez Casterman, le Coréen Kim Dong-hwa nous revient cette année avec un album spécialement conçu pour les éditions Casterman et donc le public franco-belge. Un album au format classique donc, au dessin minimaliste d’une très grande finesse, aux couleurs joyeuses, à la mise en scène poétique, délicate, sensuelle et aux dialogues ciselés comme de la dentelle. C’est beau, franchement beau et personne ne coupera au premier réflexe de regarder l’album dans tous les sens, sous toutes les coutures avant de l’ouvrir…
Et le bonheur ne s’arrête pas là. Kim Dong-hwa explore une nouvelle fois dans ce récit l’intimité des femmes. Comme dans Histoire couleur terre, on y parle d’éveil à l’amour, de sensualité, du temps qui passe… autour de l’histoire d’une femme qui connaîtra deux nuits de noces, à l’aube puis au crépuscule de sa longue vie. Un petit bijou de délicatesse teinté de nostalgie pour une Corée disparue ! EGuillaud
Nuits de noces, de Kim Dong-hwa. Editions Casterman. 15 euros
7 février 2017. Le mystérieux projet IX qui devait procurer à l’humanité une incroyable source d’énergie, capable de lui faire faire un bond technologique sans précédent, est bien mal parti. La station lunaire internationale, base secrète de ce projet, ne répond plus. Un géant vert vient d’y semer la désolation. Et pendant ce temps-là sur Terre, l’anthropologue Adesh Khan comprend que l’humanité a plus à perdre qu’à gagner avec ce projet. Mais il est déjà trop tard. Une guerre mondiale d’un genre nouveau est enclenchée. L’humanité pourra-t-elle y faire face ?
Un récit de SF de plus ? Non, un récit de SF signé Jerry Frissen, le scénariste des Zombies et de Lucha Libre, qu’il définit lui-même comme des séries d’humour. Mais cette fois, fini de rire ! World War X serait un récit réaliste, « tant est bien sûr qu’on puisse qualifier une invasion extraterrestre de réaliste », précise l’auteur. Une histoire d’apocalypse avec des créatures venues d’ailleurs couplée à une histoire d’amour : « Je voulais aussi y ajouter une véritable histoire humaine car quoi de mieux que d’essayer de reconstruire un couple au bord du divorce quand on combat des monstres extraterrestres préhistoriques? ». L’humour n’est quand même pas loin… Deux tomes ont d’ores et déjà été publiés, en février et avril 2013, le troisième et dernier est prévu pour le mois de juillet. 3 albums en 6 mois, une affaire rondement menée ! EGuillaud
World War X, de Frissen et Snejbjerg. Editions Le Lombard. 12 euros le volume
Eté 1976, quelque part dans le centre de la France. Comme partout ailleurs cette année là, il fait chaud, très chaud, et sec. C’est bien simple, on dirait le sud, un temps à ne pas traîner dehors. Et pas un nuage en vue. Pas une goutte de pluie annoncée. Rien de rien. Dans le ciel, seuls les hélicoptères s’aventurent encore pour s’assurer que la population respecte les consignes : pas d’eau pour les piscines. Tant qu’ils n’interdisent pas aux clients du bar local, le Sporting, de rallonger leur pastis, ça ne gène pas grand monde. Non, ce qui gène en cet été caniculaire, c’est le meurtre d’enfants dans le sud de la France. Accoudé au comptoir, on parle d’un gars en pull-over rouge, on imagine sa tête en haut d’un mât, on se réfère aux chansons de Michel Sardou et on regarde les étrangers d’un mauvais oeil… Ca occupe. Pendant ce temps-là, Max Plume, le syndicaliste de l’usine locale, un homme pourtant apprécié de tous pour son honnêteté et son intégrité, aide le patron à mette en place un plan de licenciement massif, sélectionnant avec minutie et peut-être même un certain sadisme les heureux élus…
Suite et fin de ce récit écrit par Cédric Rassat et dessiné par Raphaël Gauthey. Un récit qui nous ramène à une époque charnière marquant la fin des années d’insousiance des trente glorieuses et le début des années giscardiennes, de la crise pétrolière, du chômage, des fermetures d’usines… Avec un graphisme original, des textes qui sonnent justes et une narration simplement efficace, les auteurs brossent le portrait d’une France qui a disparu, du moins en partie, une France un peu désuète qui s’interrogeait encore sur l’utilité de maintenir la peine de mort, une France où les enfants n’étaient pas skotchés en permanence devant des écrans de console, d’ordinateur ou de télévision, une France qui se retrouvait au bar du coin, pour parler de tout et surtout de rien. Coup de coeur assuré ! EGuillaud
La Fin des coccinelles, On dirait le sud (tome 2), de Rassat et Gauthey. Editions Delcourt. 14,95 euros
Fabien Grolleau et Thierry Bedouet sont à l’origine de la maison d’édition Vide Cocagne fondée il y a dix ans. Après avoir développé leurs propres projets et mûri leur style, les deux compères signent ensemble une BD bourrée d’humanité qui nous emmène sur les quais de Nantes. Rencontre…
C’est une drôle d’histoire que nous proposent Fabien Grolleau au scénario et Thierry Bedouet au dessin. Une drôle d’histoire qui a pour décor la ville de Nantes, son port, l’estuaire de la Loire et le bateau Maillé-Brézé…
Et voilà le 13e volume de l’intégrale consacrée aux aventures de Spirou et Fantasio. Un 13e volume important puisqu’il marque l’arrivée d’un nouveau tandem, Tome & Janry, à la tête de la série après l’éviction du Breton Jean-Claude Fournier et une période un peu floue pendant laquelle trois équipes d’auteurs furent mises en concurrence. Et dès les premières pages réalisées par Tome & Janry, la presse, les professionnels et le publics furent relativement unanimes pour parler d’une véritable renaissance. Franquin, lui-même, soutenait le duo. C’est dire ! Le premier album à sortir fut Virus. Suivront Aventure en Australie, Qui arrêtera Cyanure ?, trois albums que l’on retrouve aujourd’hui réunis dans cette intégrale. Mais en 1983 apparaît un nouveau personnage qui deviendra quelques années plus tard une très très grande vedette : le Petit Spirou. C’est dans un court récit qu’il apparaît, un court récit paru dans un Hors-série Spirou spécial 45e anniversaire et par la suite publié dans l’album intitulé La Jeunesse de Spirou. Plus qu’une renaissance, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre… EGuillaud
Spirou et Fantasio (Intégrale 13), de Tome & Janry. Editions Dupuis. 24 euros
Les éditions Glénat parlent d’un nouveau « From Hell ». Sans aller jusque là, il faut bien avouer que l’ouvrage impose le respect. 500 pages réalisées au lavis pour raconter la colonisation de ce qu’on appelait à l’époque la Terra Australis Incognita ou Terre australe inconnue, un épisode important de l’histoire, un épisode finalement pas si éloigné de nous, 230 ans à tout casser. Et c’est vrai que, tant au niveau du scénario que du graphisme, l’ouvrage est plutôt pas mal léché. Et de nous entraîner dans les basfonds de Londres, ceux des sans grades, des sans sous, des brigands et des forçats. L’Angleterre croule sous ses prisonniers, la criminalité est en hausse, décision est prise d’en exiler vers l’île continent. Une dizaine de navires, 1000 personnes, des hommes, des femmes et des enfants, 24000 km à parcourir, une véritable armada se met en branle, enmenée par la capitaine Arthur Phillip. Et au bout, pour ceux qui survivront, l’espoir d’une autre vie, peut-être meilleure…
5 ans de travail ont été nécessaires pour réaliser Terra Australis, entre le moment où a germé l’idée dans l’esprit de Laurent-Frédéric Bollée et la livraison de la dernière page à l’éditeur. 5 ans de travail, de fouilles documentaires, de réflexions sur la mise en scène des événements, sur l’apparence des êtres et des choses, sur le découpage, 5 ans de recherches graphiques, de mise en images… et au bout du compte un album riche, très riche, qui a valeur de témoignage sur ce passé pas toujours glorieux et qui nous appartient collectivement. Un énorme boulot et un résultat très digeste, Terra Australis se lit d’une traite. Une magnifique aventure humaine ! Bravo. EGuillaud
Terra Australis, de Bollée et Nicloux. Editions Glénat. 45 euros
Ce beau voyage est tout d’abord un voyage intérieur, un de ceux qui m’a transporté dans un maelström d’émotions. C’est un récit bouleversant à travers la quête d’identité d’une jeune femme. Un récit signé Zidrou, un auteur à découvrir ou plutôt à redécouvrir sous un jour nouveau pour ceux qui le connaissent déjà.
Depuis toujours, Léa poursuit sa vie plus qu’elle ne la construit. Trentenaire aux goût sexuels multiples, elle mène la vie décousue de présentatrice de show TV. Son quotidien bascule le jour où elle apprend la mort de son père. Pour elle, c’était à la fois un homme qu’elle idéalisait et un médecin plus présent pour ses patients que pour elle-même. Le retour à la maison familiale fait remonter les images du passé et le secret de cette piscine vide, autant de bulles de souvenirs qui éclatent une à une comme autant d’épreuves surmontées : la mort de la mère, le premier avortement, la maladie, la perte d’un enfant.
Le Beau Voyage - Springer/Zidrou - Dargaud
C’est d’ailleurs par cette image envoutante que démarre le récit : une pleine page avec un enfant tout habillé flottant entre deux eaux. Le récit est rythmé par les paroles d’une chanson, celle de Boby Lapointe, Le beau voyage, une chanson qu’appréciait le père de l’héroïne.
Zidrou - Dargaud / Rita Scaglia
L’auteur, Zidrou, de son vrai nom Benoit Drousie, nous fait découvrir depuis plusieurs albums (Les Folies Bergères, La peau de l’Ours) une nouvelle facette de son talent. Reconnu pour les gags de L’élève Ducobu (2,3 millions d’exemplaires vendus), c’est cette fois-ci un récit subtil et intimiste qu’il développe. Le parti pris de départ, très distancié et très cru (public adulte), amène par petites touches vers des sentiments vrais, ceux d’une jeune femme face à son passé.
Dans une autre partie de sa vie, Zidrou était un instituteur en Belgique. Il a gardé en mémoire une peinture d’enfant, celle d’une « maison qui pleure », « une maison triste, noire et rouge, sur laquelle s’acharnaient de grosses gouttes de pluie ». A l’époque il n’a pas su ou pas pu interprété le sens caché de ce dessin. Aujourd’hui avec Benoit Springer (Les funérailles de Luce, On me l’a enlevée) aux crayons, il en donne une magnifique et bouleversante signification.
Le Beau Voyage - Springer/Zidrou - Dargaud
Un album à lire et à offrir, pour faire un beau voyage. Et qui sait, peut-être, un album qui aidera à trouver « la force de vider et nettoyer sa piscine, puis de la remplir d’une eau fraiche et cristalinne. »
Le Beau Voyage - Springer/Zidrou - Dargaud
Le Client - Man/Zidrou - Dargaud
Post-Scriptum : un nouvel album de Zidrou vient de paraître, Le Client, avec l’espagnol Man, Manolo Carot (Mia, En sautant dans le vide) aux dessins.
Une histoire dans le milieu de la prostitution en Espagne (là même où vit Zidrou depuis quelques années), une histoire comme on aime à croire qu’elle puisse arriver, aussi incroyable puisse-t-elle être. Celle d’un client amoureux, qui réussit à extraire son « ange déchu » de cet univers. Un récit bien mené avec des dessins fluides.
Quelle drôle d’idée ! Voler dans le port de Nantes l’ancien escorteur Maillé-Brézé devenu musée pour aller se recueillir sur la tombe de Jacques Brel aux Marquises. Et cette idée, c’est celle d’un vieux gars de la Marine justement, Jacques, comme le chanteur. Et Jacques est malade. Quelques mois et il aura lui aussi cassé sa pipe. Alors c’est le moment ou jamais. Avec ses potes et le jeune Stéphane, un pauvre gars rencontré sur les quais, Jacques transforme son idée en opération commando. Larguez les amarres et cap vers l’aventure…
Une étrange aventure de fait, imaginée par deux Nantais, Fabien Grolleau et Thierry Bedouet, connus sur la place pour avoir créé la maison d’édition associative Vide Cocagne. Au delà de l’effet sympathique pour les Nantais de retrouver les lieux de leur ville, Jacques a dit est un récit bourré d’humanité, de sensibilité et de poésie subtilement mis en images et en couleurs par un auteur formé aux livres jeunesse. Un album pour tous les gars de la Marine et les autres… EGuillaud