27 Fév

Quand la saga Alien rencontre le pape du cyberpunk William Gibson

Bien qu’un peu oublié aujourd’hui, le romancier américain William Gibson reste l’un des précurseurs du cyberpunk, préconisant dès 1984 non seulement l’avènement d’internet mais aussi la collusion de plus en plus dangereuse entre les machines et notre intimité. Sur le papier, il semblait donc parfait pour apporter sa pierre à l’édifice de la saga Alien. Sauf que la rencontre n’a hélas jamais eu lieu…  En fait si, elle a bien eu lieu mais on ne l’a jamais su. Jusqu’à maintenant…

Comme Gibson le raconte lui-même dans la préface, peu après la sortie du deuxième volet réalisé en 1986 par James Cameron, les trois producteurs du film sont rentrés en contact pour lui commander un scénario. Malgré le fait qu’il n’avait jamais alors travaillé pour le cinéma et jamais réalisé une œuvre de commande avec des instructions assez précises auparavant, il a accepté. Sauf qu’une fois son deuxième jet terminé et ses « obligations contractuelles » remplies comme il le dit, il n’en entendra plus jamais parler. Et quelques années plus tard, ce sera finalement une toute autre histoire qui servira pour Alien 3, réalisé par un alors jeune inconnu David Fincher.

Le scénario de Gibson, lui, est resté dans un tiroir pendant plus de trois décennies, jusqu’à ce que l’éditeur américain Dark Horse (Hellboy, Conan etc.) propose de lui donner vie en BD. Un an après sa sortie américaine, le résultat est désormais disponible en français via Vestron, nouvel éditeur indépendant crée en Février 2019 dont le catalogue plein de zombies (Evil Dead), de monstres de l’espace (Predator) et de groupes de hard-rock peinturlurés (Kiss) sent bon les soirées bières-pizza à regarder des vieilles VHS aux jaquettes sanglantes tout en lisant Mad Movies.

© Vestron / Gibson, Christmas & Bonvillain

Cette suite alternative reprend les choses là où le film Aliens les avait laissées, après que Ripley (le personnage joué par Sigourney Weaver) et ses amis aient atomisé la planète d’origine des xénomorphes, le ‘petit’ nom de nos amis alien une fois leur âge adulte atteint.

Sauf qu’ici, au lieu de ‘tuer’ tous les autres personnages secondaires en faisant s’écraser leur navette sur une planète ‘prison’ comme on le voit dans Alien 3, le vaisseau est braqué par des mercenaires séparatistes qui, sans le vouloir, déclenchent donc une nouvelle épidémie.

En parallèle, la très cynique compagnie Weyland Yutani, qui est l’employeur de Ripley et qui est très au courant de ce qui se passe, essaye de récupérer son joujou extraterrestre pour faire une arme bactériologique, histoire de la vendre ensuite au plus offrant.

© Vestron / Gibson, Christmas & Bonvillain

Avec toutes ses références à la mythologie Alien et ses personnages hérités des films, Alien 3 – Le Scénario Abandonné s’adresse donc clairement avant tout aux fans hardcore avides de prolonger l’expérience. Une avidité d’ailleurs largement récompensée ces dernières années, vu le nombre de romans graphiques et de BD disponibles sur le marché.

L’intérêt de cet énième avatar est que Gibson rajoute un petit côté ‘guerre froide’ à l’ensemble : l’essentiel de l’action se focalise sur le combat opposant les rebelles à la compagnie, comme si le monstre n’était finalement qu’une excuse et n’était là avant tout que pour révéler tout le cynisme de l’être humain.

Après, certains fans risquent de grimacer en voyant Ripley être mise complètement de côté ou devant un scénario parfois un peu confus et plus politique, quitte à trop souvent s’éloigner de l’action pure. Mais bon, ce ne serait pas Alien non plus si quelques torses n’étaient pas implosés de l’intérieur et si cela ne giclait pas sur les murs un minimum non plus…

Alors, est-ce que cela aurait fait un meilleur Alien 3 à l’écran ? Pas sûr. Mais est-ce que cela prouve une nouvelle fois que cet univers dont les premières ébauches datent du milieu des années 70 n’a pas encore révélé tous ses secrets quarante-cinq ans après ? Oh que oui.

Olivier Badin

Alien 3 – Le Scénario Abandonné de William Gibson, Johnnie Christmas et Tamra Bonvillain, Vestron, 17,95 euros

Une touche de couleur : un récit autobiographique sur fond d’addictions signé Jarrett J. Krosoczka

Connu et reconnu aux États-Unis pour sa trentaine de livres jeunesse aux thèmes variés, Jarrett J. Krosoczka débarque de ce côté-ci de l’Atlantique avec le récit autobiographique d’une jeunesse confrontée aux addictions de la mère et à l’absence du père…

Se mettre à nu, ouvrir la porte de son intimité, de ses blessures, n’est jamais chose facile. L’Américain Jarrett J. Krosoczka y parvient avec justesse et retenue dans ce roman graphique de plus de 300 pages paru aux éditions Delcourt.

Jarrett a été élevé par ses grands-parents. Sa mère, alcoolique et toxicomane, passe son temps en centre de désintoxication, et parfois en prison, ne sortant et ne rendant visite à son fils que très rarement, trop pour les grands-parents qui ne supportent plus les addictions de leur fille et tout ce qui va avec. Quant à son père, Jarrett ne le connait pas, ne l’a jamais vu, en entendra parler que tardivement.

Sa touche de couleur dans cette vie un peu terne, c’est le dessin. Jarrett dessine tout, partout, sans arrêt, lit beaucoup de comics et finit par trouver sa voie. Il rejoint une école d’art avec l’ambition de devenir un auteur de bande dessinée et de livres jeunesse. Avec une obsession : montrer à sa mère et à son père retrouvé ce qu’ils ont loupé de sa jeunesse. L’essentiel est ici !

Paru aux États-Unis sous le titre Hey, Kiddo, le livre de Jarrett J. Krosoczka a reçu le Book of the Year au Harvey Awards. 

Eric Guillaud

Une touche de couleur, de Jarrett J. Krosoczka. Delcourt. 23,95€

25 Fév

Théodore Poussin, La Cantina et Mary Jane, la belle actualité de Frank Le Gall en ce début d’année 2020

Souvenez-vous, il nous avait fallu patienter 13 longues années pour retrouver Théodore Poussin dans une nouvelle aventure après Les Jalousies, deux ans seulement cette fois auront été nécessaires. Et ce n’est pas la seule actualité de Frank Le Gall qui signe aussi en ce début d’année un roman aux éditions Alma et le scénario d’une autre bande dessinée chez Futuropolis…

Treize ans, oui treize ans d’attente avaient été nécessaires pour les amoureux de Théodore Poussin mais le treizième épisode allait sonner le retour, mieux la reconquête. Frank Le Gall nous assurait lui-même à l’époque dans une interview à retrouver ici : « On m’a fait remarquer que c’était l’album de la reconquête. Non seulement, Théodore reconquiert sa dignité, il reconquiert ensuite son île et je suis reparti pour ma part en quête de moi-même et du public ».

Et l’actualité de l’auteur en ce mois de février ne fait que valider la chose. Trois livres, rien que ça, portent sa signature. Un avant-goût de la nouvelle aventure de Théodore Poussin, un roman baptisé La Cantina et le one shot Mary Jane chez Futuropolis en compagnie de Damien Cuvillier.

Théodore Poussin tout d’abord. Comme elle l’avait fait pour le treizième volet de ses aventures, la maison d’édition Dupuis nous propose de découvrir ce nouvel épisode à travers trois cahiers qui seront publiés en amont de l’album. Le premier de ces cahiers réunit les photographies de Frank Le Gall et de son grand-père inspirateur du personnage, Théodore-Charles le Coq, des recherches graphiques et bien sûr des planches, les 20 premières, en fac-similé, dans leur jus, avec les traits de lettrage, les imperfections, les annotations de l’auteur. Côté histoire, retour sur l’île de la belle Aro Satoe où Théodore Poussin se cache des autorités anglaises qui l’accusent de piraterie. L’équipage de l’Amok, son bateau, est lui emprisonné à Singapour. De quoi lui faire broyer du noir…

Vous aimez avoir chaud, très chaud ? Alors direction le désert de Sonora. Nous sommes en 1967, Louis-Marie y tient une Cantina avec pour aide le brave Felipe et pour seul confident un cactus, oui un de ces cactus saguaros, dits cierges, précise Frank Le Gall. « Il lui avait semblé que, étant plus près du ciel, ce cactus-là s’y connaîtrait mieux que ses collègues, question mystères de la création et toute la suite ». Ferdinand. C’est le nom qu’il a donné à ce compagnon végétal. Et autour, tout autour, le désert, personne, pas un chat, de quoi déprimer tranquillement. Jusqu’au jour où une vieille Oldsmobile apparaît dans le paysage, prend la direction de la Cantina et y dépose une femme et son vieil amant, « Une de ces femmes dont la peau est blanche comme le lait et les chevaux dorés comme l’or, avec un sourire comme une gifle et une bouche d’une rare obscénité, rouge sang ». Elle s’appelle Rita, lui Juan. Un premier roman réussi à l’écriture légère et imagée.

Changement de décor, d’époque et d’ambiance pour cette bande dessinée parue chez Futuropolis et réunissant Frank Le Gall au scénario et Damien Cuvillier au dessin. Mary Jane nous parle de la misère, de cette misère sociale qui touchait le monde ouvrier du XIXe siècle en Angleterre. Mary Jane était mariée à un mineur, jusqu’au jour où une explosion en décida autrement et la jeta sur la route. Direction Londres où elle découvre que la misère urbaine n’a rien à envier à la misère rurale. Londres ? « Un écrin de crasse et de misère ». Pour Mary Jane, ce ne sera qu’une longue descente en enfer avec au bout une fin monstrueuse et bouleversante. Une histoire tragique qui en croise une autre… Sublime !

Eric Guillaud

Cahiers Théodore Poussin. Dupuis. 13€. Mary Jane avec Damien Cuvillier. Futuropolis. 18€. La Cantina. Alma Editeur. 19€

21 Fév

La Flamme de Jorge González : l’Argentine et le football en héritage

Après un petit détour par le Kosovo et le Chili, Jorge González retrouve le chemin de son pays d’origine, l’Argentine, pour un récit familial porté par le football…

Si vous êtes un brin connaisseur du monde footballistique et plus précisément argentin, peut-être connaissez-vous Jose Maria González, joueur du Racing Club de Avellaneda. Avec près de 200 matchs amateurs et professionnels à son actif, il fut l’un des grands défenseurs du club, il est surtout le grand-père de Jorge González, auteur de ce volumineux album paru aux éditions Dupuis.

La Flamme est un récit autobiographique, une histoire de famille sur quatre générations. Tout commence au début du XXe siècle, le Racing club n’est encore qu’un rêve dans la tête d’une poignée d’hommes et Jose Maria González, un nouveau-né parmi d’autres. Sur 300 pages, Jorge González nous raconte la naissance d’un club et la naissance d’une légende, Jose Maria González, dit La Flamme, en raison de sa chevelure rousse qui volait telle une flamme au vent.

C’est en 1928 qu’il chausse les crampons et devient pro. Dix ans de sa vie avant de passer à autre chose, un boulot morose dans un ministère morose, dix ans pour passer aussi le relais à son fils, qui jouera un temps dans le club avant de devenir architecte et d’avoir lui-même un fils, Jorge, l’auteur, qui n’approchera le monde du football que par les cartes à collectionner. Sepp Maier, la plus rare ! Jorge rêve d’autre chose, d’un père qui depuis le divorce de ses parents est absent, et de bande dessinée. La boucle est bouclée. Ou presque. Car Jorge a lui aussi un fils, Mateo, aux cheveux couleur feu. Comme le grand-père !

Quatre générations, quatre destins et toujours cette question centrale de la passion, de l’amour paternel, de la transmission, de la mémoire et parfois de l’absence, du manque, la vie comme un match de football avec les perdants et les gagnants, creux qui passent la balle et ceux qui la reçoivent, beau comme un dribble, fort comme un penalty.

Dans la lignée de Bandonéon et Chère Patagonie, Jorge González explore l’histoire de son pays, ici à travers l’histoire de sa famille, avec une palette graphique d’une très grande richesse, qu’on pourrait parfois jugée quasi-expérimentale mais tellement expressive. Magnifique !

Eric Guillaud

La Flamme, de Jorge González. Dupuis. 39€

En 2012, Jorge González nous avait accordé une longue et passionnante interview au moment de la sortie de l’album Chère PatagonieUne interview à retrouver ici !

17 Fév

Le coin des mangas : Libraire jusqu’à l’os, Sky Wars, Candy & Cigarettes, Le chat aux sept vies, Maison Ikkoku, Princesse Mononoké… 10 lectures pour les vacances

On commence avec une nouvelle série dont le premier volet est sorti début janvier chez Soleil Manga. Comme son titre peut aisément le suggérer, Libraire jusqu’à l’os est le récit autobiographique d’une libraire japonaise. « Mon boulot, c’est surtout de la relation client, de la gestion de stocks, et j’en passe. En ce moment ce qui me prend le plus de temps, c’est de gérer l’excentricité de mes clients ». Et elle la gère cette excentricité avec bonne humeur et humour comme on peut le voir tout au long du livre et au fil des rencontres dans les rayons de livres. Bien évidemment, la librairie pour laquelle travaille Honda est une librairie spécialisée mangas. Quatre tomes prévus et une adaptation en série animée d’ores et déjà diffusée en France sur Crunchyroll. (Libraire jusqu’à l’os, de Honda San. Soleil Manga. 7,99€)

Et de trois pour la série Sky Wars du mangaka Ahndongshik, série qui nous entraîne dans le petit royaume d’Eldura où sévit un despote de premier ordre qui interdit au peuple de fendre l’air par quelque moyen que ce soit. « Tenter de voler comme le font les oiseaux est interdit. Il paraît que le simple fait de les imiter, c’est faire un affront au roi », nous rappelle Knit, le héros de cette saga. Voler… il en rêve pourtant, comme son père, qui en son temps avait construit une machine volante. Il en rêve en secret jusqu’au jour où surgit dans les cieux du royaume un inconnu chevauchant une monstrueuse créature ailée. (Sky Wars, de Ahndongshik. Casterman. 6,95€ le volume).

Avec sa misérable retraite de flic, Raizô ne peut déjà pas subvenir à ses besoins. Alors, lorsqu’il apprend la maladie de son petit-fils et les frais astronomiques nécessaires pour le soigner ou plus exactement le maintenir en vie, Raizo n’a pas le choix. Il doit trouver un job très rémunérateur. Et il le trouve grâce à une rencontre improbable avec la jeune Miharu, 11 ans, tueuse à gage au service d’une organisation secrète. Un changement de vie radical qui les oblige à voir du pays. Les voilà arrivés en Italie où Miharu s’était promise d’éliminer Saburô Musô, une éminence grise de la pègre. Mais bien sûr, tout ne se passe pas comme prévu… (Candy & Cigarettes, Tomonori Inoue. Casterman. 8,45€)
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Encore des chats, allez-vous me dire. Et vous aurez raison. Mais ces chats-là sont bien loin des Chi et compagnie, pas le genre à se faire dorloter toute la journée sur le canapé du salon, à regarder la pluie tomber bien au chaud derrière la baie vitrée ou à jouer gentiment avec une pelote de laine en attendant l’heure des croquettes. Non, les chats de Gin Shirakawa sont des chats errants qui ne tolèrent la présence des humains que pour la nourriture. Et encore! Nanao et Machi sont de ceux-là. Un jour pourtant, ils font une rencontre qui va changer leur vie de chat…  Pour ceux qui aiment les félins qui parlent ! (Le chat aux sept vies, de Gin Shirakawa. Glénat. 7,60€)
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Une nouvelle collection aux éditions Delcourt / Tonkam. Moonlight, c’est son nom, fera la part belle, prévient l’éditeur, « à des titres touchants, mélancoliques et oniriques ». Quatre volumes viennent de sortir en ce début février, Le Prix du reste de ma vie, de Sugaru Miaki et Shouichi Taguchi, Derrière le ciel gris, de Sugaru Miaki et Loudraw et Parasites amoureux, de Sugaru Miaki et Yuki Hotate en version manga et en version roman. C’est l’une des particularités de cette collection qui pourra décliner une même série à la fois en manga et en light novel. Une approche nouvelle et un point commun à toutes ces nouveautés écrites par le romancier Sugaru Miaki : l’adolescence, ses questionnements, ses rêves, ses doutes, ses peurs, ses sentiments amoureux… (Derrière le Ciel gris, Parasites amoureux et Le Prix du reste de ma vie. Delcourt / Tonkam. 7,99€, 12,50 pour le roman)
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Toujours chez Delcourt / Tonkam, un gros carton éditorial au Japon, 145 000 exemplaires du premier tome vendus en six mois, Empereur du Japon raconte l’histoire d’Hirohito qui officia pendant la seconde guerre mondiale. Plus précisément, Junichi Nôjô au dessin, Issei Eifuku au scénario et Hidetaka Shiba à la supervision du tout explorent des passages méconnus de sa vie, notamment sa jeunesse, dans un style très réaliste et très documenté. (Empereur du Japon, Delcourt / Tonkam. 7,99€)
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Grand Prix d’Angoulême 2019, Rumiko Takahashi est l’auteure de plusieurs séries en cours de publication en France, parmi lesquelles Urusei Yatsura (perfect color edition), Ranma 1/2 et depuis le 20 janvier 2020 Maison Ikkoku (perfect edition). Série culte s’il en est, plusieurs fois rééditée, Maison Ikkoku nous raconte l’histoire de Yusaku Godaï. Ce jeune étudiant raté décide un beau jour de quitter la pension de famille dans laquelle il vit reprochant à ses colocataires de faire trop la fête et trop de bruit. Mais le jour même de sa décision débarque la nouvelle responsable de la maison de famille, Kyoko Otonashi. Elle est belle, elle est jeune, elle est veuve… (Maison Ikkoku. Delcourt / Tonkam. 15€)
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Attention chef d’oeuvre ! Initialement publié entre 2013 et 2018 au Japon, Sengo débarque enfin en France sous les couleurs de Casterman. Deux volumes d’un coup, de quoi profiter pleinement de cette série qui a reçu en 2019 le grand prix de la Japan Cartoonist Association. Aux manettes, l’excellent mangaka Sansuke Yamada et côté histoire, un plongeon dans le Japon d’après-guerre, en ruine et occupé par les Américains. Il y est question de vie quotidienne, de survie devrait-on plutôt dire, de combine à deux balles, de misère totale, de sinistrose mais aussi d’amitié et d’espoir. (Sengo, de Sansuke Yamada. Casterman. 9,95€ le volume)
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On termine avec deux beaux livres associés à l’univers de Princesse Mononoké du grand Hayao Miyazaki : un livre illustré et un fabuleux art book réunissant une multitude d’illustrations mais aussi des dessins extraits du story-board, des layouts (plans directeur indiquant la composition et la disposition sur l’écran), le journal de production et tout un chapitre sur la fabrication des images de synthèse, la technique du compositing multicouche, la colorisation par ordinateur… (Princesse Mononoké, et L’art de Princesse Mononoké, Glénat. 29,90 24,90€)

Eric Guillaud

10 Fév

Sélection officielle Angoulême 2021. Flipette & Vénère : deux sœurs, deux systèmes de valeurs, une belle histoire signée Lucrèce Andreae

À ma droite, Clara aka Flipette, à ma gauche, Axelle aka Vénère. Entre les deux, un gouffre, un océan, un monde, tout les sépare mais une chose va les réunir, la recherche d’un sens à donner à leur vie…

Tout les sépare, oui, même les 300 pages de ce livre. Clara la blondinette fait la couverture. Axelle la brune est sur la quatrième de couverture. Avec le privilège offert au lecteur de « choisir sa préférée au moment de l’exposer sur son étagère », écrit Lucrèce Andreae sur son compte Facebook.

Et la tâche peut s’avérer ardue tant les deux sont certes différentes, mais pareillement attachantes. Clara est une jeune artiste photographe qui doute en permanence de son talent. Peur d’elle-même, peur des autres, peur du monde.  « Je suis nulle », se lamente-t-elle. Et de juger son travail par trop scolaire, sans prise de risque, théorique, chiant, juste propret. « C’est égoïste, je m’amuse à faire mes p’tites bidouilles mais est-ce que le monde a besoin de ça ??? ». 

Une chose est sûre, Clara, elle, a besoin de prendre du recul. L’occasion va lui être donnée. Sa sœur qu’elle n’a pas vue depuis des lustres vient d’avoir un accident de scooter. Une jambe dans le plâtre et une mère qui s’inquiète légitimement. Clara est chargée de se rendre à son chevet.

Axelle n’est pas artiste pour un sou. Son truc à elle, c’est le social, aider ceux qui en ont besoin, ouvrir sa porte aux SDF le temps d’une douche, manifester contre les violences policières, dégoter des locaux pour abriter les réfugiés… Axelle est dans l’action, dans le combat, dans la colère permanente. Enfin, elle l’était, car aujourd’hui, elle est surtout dans le pétrin, une jambe dans le plâtre, bloquée chez elle.

En débarquant chez sa sœur, Clara découvre un monde qu’elle ne soupçonnait pas, le monde de la solidarité, de la démerde, de la lutte, de la résistance… Elle découvre aussi et surtout des hommes et des femmes qui ont trouvé un véritable sens à leur vie. Ici, pas le temps de se regarder le nombril. Alors, l’art vous savez…

Vous l’aurez compris je pense, Axelle et Clara sont les deux facettes de l’autrice Lucrèce Andreae qui réalise ici sa première bande dessinée. Avec une bonne dose d’humour et une certaine fraîcheur jusque dans le trait et la palette de couleurs choisie, Flipette & Vénère aborde des sujets universels dans un contexte politique tendu. Première BD mais non première oeuvre, Lucrèce est la réalisatrice de Pépé le morse, césar du meilleur court métrage d’animation 2018. Une autrice à suivre… et un album qui figure dans la sélection officielle du prochain festival d’Angoulême en janvier 2021.

Eric Guillaud

Flipette & Vénère, de Lucrèce Andreae. Delcourt. 27,95€

© Delcourt / Andreae

Buffy : le retour de la tueuse de vampires en BD

Comment faire revivre une série télé culte des années 90 au neuvième art ? Il faut un petit coup de peinture mais surtout ne pas oublier toutes les raisons et surtout tous les personnages qui lui ont permis de devenir populaire… C’est en tous cas le pari tenté par Buffy qui, vingt ans après, court donc de nouveau après les vampires.

Si vous êtes un trentenaire aussi bien féru de séries que de culture ‘bis’ et notamment de culture vampirique, disons qu’il y a de très fortes chances que vous ayez été biberonné à Buffy Contre Les Vampires, une série télé qui, durant sept saisons entre 1992 et 2000, régna quasiment sans partage, les jeunes téléspectateurs se retrouvant complètement dans le personnage principal, une ado de foyer recomposé perdue dans une banlieue américaine menant une double vie, affrontant aussi bien d’affreux suceurs de sang que les affres de l’adolescence. En gros, Buffy c’était une sorte de mélange improbable entre une sitcom et une série romantique mais avec plein de pieux enfoncés dans le cœur (mais pas trop) et de serviteurs de la nuit dedans en plus.

La BD, elle lui a d’abord permis de prolonger sa vie cinq ans de plus, l’adaptation reprenant alors le fil de l’histoire laissée en jachère après que la série ait été annulée au petit écran. Mais aujourd’hui, on reprend tout à zéro avec cette nouvelle adaptation. Ou presque.

Le changement dans la continuité, voilà le pari (risqué) de ce nouveau portage. Pour faire simple, on reprend l’histoire à ses débuts après l’avoir un chouia réactualisée. Les combats y sont plus réalistes et plus sombres, les sous-entendus sexuels plus appuyés (le personnage de Willow est par exemple ici ouvertement lesbienne) et les téléphones portables désormais prépondérants – et avec eux, cette idée sous-jacente que nous vivons désormais dans une société de l’image, où le paraître fait tout. Mais surtout, on retrouve en guise de fil rouge la même métaphore sur le passage à l’âge adulte, et tous les sacrifices que cela implique. Le titre de ce premier tome (L’Enfer Du Lycée) est d’ailleurs assez éloquent !

Après, bien sûr, on n’a pas oublié non plus les vieux fans qui désormais bien grandi. On a donc aussi fait appel au créateur de la série (Joss Whedon) pour superviser le scénario afin de ne commettre aucun sacrilège. Et visuellement, la modélisation des personnages est très actuelle mais n’oublie pas de rester proche de leurs avatars télévisuels, la coupe brushing de la fin des années 90 en moins. Même si ses nombreuses références à son modèle d’origine risquent de perdre les néophytes, le pari est plutôt réussi avec ce reboot. À condition, par contre, que contrairement à la série BD originale, sa parution en France ne soit pas interrompue à mi-parcours…

Olivier Badin

Buffy Contre Les Vampires, Volume un : L’Enfer Du Lycée de Jordie Bellaire, Dan Mora & Joss Whedon. Panini/Boom, 16 euros

© Panini – Boom / Bellaire, Mora & Whedon

06 Fév

Sur la route de West : Après le space opera, Tillie Walden explore le road trip en mode intimiste et onirique

Tillie Walden nous avait subjugué avec le space opéra Dans un rayon de soleil publié en France en 2019elle nous revient avec un road trip du même tonneau, un petit bijou intimiste et onirique qui nous entraîne sur la route cette fois, Sur la route de West précisément, en compagnie de deux jeunes femmes en prise avec un passé douloureux…

La première se prénomme Béa, 18 ans prétend-elle, la deuxième, Lou, une petite dizaine d’années en plus. Toutes les deux se rencontrent un soir d’hiver dans une de ces stations-service qui vendent tout et rien le long de routes plutôt paumées.

Nous sommes au Texas, Lou propose à Béa de faire route ensemble dans sa petite voiture tractant une microscopique caravane. Béa accepte même si elle ne sait pas précisément où elle va, plus surement ce qu’elle fuit. Lou aussi fuit quelque chose de douloureux, elles vont apprendre à se connaître au fil des milles jusqu’à ce qu’elles croisent les griffes d’un chat perdu. La médaille autour de son cou indique une adresse : 43 Glenwood Road, West, Texas. Lou et Béa se promettent de le ramener dans son foyer mais la ville de West n’apparaît sur aucune carte. Tandis qu’elles recherchent cet endroit mystérieux, de drôles de gars les abordent. Ils prétendent être du Bureau de surveillance routière mais en ont visiblement après le chat…

Si le récit de Tillie Walden commence dans une veine réaliste, il prend assez vite un chemin fantastique et onirique qui nous rappelle son album précédent, le space opera Dans un rayon de Soleil (Gallimard). À 23 ans, Tillie Walden est sans conteste l’une des autrices américaines les plus prometteuses, récompensée par un Eisner Award en 2018 pour l’album autobiographique Spinning (Gallimard), histoire d’une jeune femme qui affirme son homosexualité et revendique sa liberté. Ici aussi, les protagonistes sont homosexuelles, ici aussi, Tillie Walden dresse un portrait de la jeunesse en y mettant certainement un peu de la sienne. Un très beau voyage au pays de l’intime relevé par un trait fin comme de la soie et des ambiances bluffantes. La belle surprise de ce début d’année !

Eric Guillaud

Sur la route de West, de Tillie Walden. Gallimard. 22€

© Gallimard / Walden

03 Fév

L’oeil du STO, la destinée d’un jeune Français dans le tourbillon de l’histoire avec Nadar et Julien Frey

Sujet très peu, pour ne pas dire jamais, abordé dans la fiction, le STO est au centre de cet album signé Nadar et Julien Frey chez Futuropolis. Retour sur les années noires de l’Occupation et le funeste Service du Travail Obligatoire instauré par le régime de Vichy en février 1943…

Historien, spécialiste de l’histoire de la collaboration et auteur d’un livre sur le STO, Raphaël Spina présente en postface l’album de Nadar et Julien Frey comme « la toute première bande dessinée consacrée au Service du Travail Obligatoire (STO) ». Cela peut paraître étonnant mais une recherche rapide sur internet permet de confirmer ses propos, en tout cas, ne permet pas de les infirmer. Seul un récit en BD daté de 1942 et signé Frick, L’aventure de Célestin Tournevis, parle du STO, en termes élogieux dans ce cas puisqu’il s’agit d’une brochure de propagande pro-allemande.

Une absence des écrans radar étonnante d’autant que, comme le souligne Raphaël Spina, rares sont les familles françaises à ne pas avoir compté dans leurs rangs un membre concerné par le STO, qu’il soit requis ou volontaire. Il faut dire que le STO fût vécu comme un traumatisme par ceux qui sont partis et comme une trahison pour ceux qui sont restés, au point que ces derniers ont un peu facilement assimilé les premiers à des collabos. Quoiqu’il en soit, le sujet est longtemps resté sensible au sein de la population française. Ceci explique cela.

© Futuropolis / Nadar & Frey

Dans ce récit, Justin est l’un de ces gars de la STO, pas un volontaire, un requis. Bien sûr, comme un grand nombre de requis sur la fin de la guerre, il aurait pu choisir le maquis, « se battre au lieu de cirer les pompes des Allemands », mais la trouille ou l’éventualité de mettre un peu de beurre dans les rutabagas l’en dissuade. À 22 ans, Justin se retrouve en Allemagne, ouvrier dans une usine de locomotives avec des conditions de vie difficiles, un hébergement collectif et spartiate dans le camp d’Hennigsdorf, une absence totale d’hygiène et un encadrement allemand brutal et sadique. Alors, à la première occasion, Justin prend la poudre d’escampette pour retrouver les bras de sa dulcinée à Paris, où il vit dans la clandestinité jusqu’à la Libération sans argent, sans ticket de rationnement…

© Futuropolis / Nadar & Frey

Nadar et Julien Frey racontent le quotidien de Justin au STO, « conforme à ce que les historiens en connaissent » précise Raphaël Spina. Ils racontent aussi ce poids du passé qui lorsque la paix fut revenue, ne le laissa guère tranquille, honteux de ne pas avoir choisi le camp de la Résistance, honteux de ne pas avoir servi la patrie. Au moment de prendre sa retraite, Justin dit non à la pension qui lui revient pourtant de droit sur cette période de STO. Tout simplement parce qu’il a cette fois le choix, le pouvoir de dire non, ce non qu’il aurait tant aimé prononcer autrefois.

Non seulement, L’oeil du STO a assurément une valeur pédagogique de par son approche très documentée de la période, mais il offre aussi une bonne dose d’émotion avec notamment, au milieu de tous ces bruits de bottes, de toutes ces haines et rancœurs, une belle histoire d’amour et de famille. Côté dessin, l’auteur espagnol Nadar, qui a déjà déjà fait sensation de ce côté-ci des Pyrénées (Papier froissé, Salud!…), propose une mise en images en noir et blanc sobre et efficace. Chaudement recommandé !

Eric Guillaud

L’œil du STO, de Nadar et Julien Frey. Futuropolis. 24€ (en librairie le 5 février)