23 Août

Pages d’été. Avant la rentrée, biopics à volonté…

Avant de retrouver le train-train quotidien, voilà six bonnes occasions de s’évader encore un peu, six albums retraçant des parcours exceptionnels dans le sport, la politique, le cinéma ou dans le monde de l’entreprise…

On commence avec un biopic olympique, celui consacré à Pierre de Coubertin, connu pour avoir relancé les Jeux en 1896 avec une volonté affichée d’universalisme et de pacifisme. Xavier Betaucourt au scénario et Didier Pagot au dessin retracent ici son parcours, son combat pour « rebronzer la France » comme il disait en référence au bronze des monuments historiques alliant beauté et solidité, puis pour initier les Jeux Olympiques modernes. Du sport pour tous et toutes ? Pas vraiment, le sport est alors pour lui « une affaire d’hommes de bonne famille ». Les hommes dans la course, les femmes aux applaudissements ! Une tâche dans l’œuvre de Coubertin largement détaillée et présentée dans les pages de cet album au dessin délicat et séduisant. Tout comme sa misogynie légendaire, les auteurs illustrent ici aussi son esprit colonialiste et raciste, un homme entre ombre et lumière. (Pierre de Coubertin, Entre ombre et lumière, de Bétaucourt et Pagot. Steinkis. 20€)

On continue avec les Jeux Olympiques et un ouvrage signé Églantine Chesneau retraçant le parcours de 16 athlètes qui ont marqué l’épreuve et plus largement la planète, tels que le marathonien Shizô Kanakuri qui s’est endormi chez l’habitant pendant sa course aux JO de 1912, la légendaire gymnaste Simone Biles, notre Marie-José Pérec nationale, triple championne olympique d’athlétisme, Jesse Owens, quadruple médaille lors des jeux de 1936 à Berlin ou le plus grand plongeur de tous les temps Greg Louganis. Seize athlètes, autant de destins exceptionnels qui ont participé à changer la face des jeux, du sport et peut-être aussi de notre monde.  (Vies en jeux, d’Églantine Chesneau. Vents d’Ouest. 19,95€)

Changement radical d’univers cette fois avec cette biographie consacrée au géant du cinéma allemand, réalisateur, acteur, scénariste et producteur, Rainer Werner Fassbinder, et signée par un connaisseur en la matière, Noël Simsolo, lui-même réalisateur, comédien, scénariste, romancier, historien du cinéma et auteurs de plusieurs biopics en BD sur Orson Welles, Sergio Leone ou encore Jean Gabin. Accompagné de Stefano D’Oriano pour le dessin, Noël Simsolo illustre ici la vie de Fassbinder depuis sa naissance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa mort prématurée à l’âge de 37 ans. C’est jeune, trop jeune pour disparaître, mais suffisant pour nous laisser une œuvre conséquente, une quarantaine de longs métrages dont quelques chefs-d’oeuvre tels que Le Mariage de Maria Braun, Lola une femme allemande ou Lili Marleen, une vision du cinéma sans concession, en rapport frontal avec la société allemande d’après-guerre. Un biopic documenté porté par une mise en images claire et cinématographique. (Fassbinder, l’homme qui voulait qu’on l’aime, de Simsolo et D’Oriano. Glénat. 25,50€)

Le développement de PayPal, c’est lui, Telsa, c’est également lui, SpaceX, c’est toujours lui, et Twitter, oui, c’est encore lui depuis qu’il en a remis les rênes en 2022. L’homme a tendance à être un peu partout, parfois là où on ne l’attend pas, défrayant souvent la chronique avec des prises de positions radicales, certains le considèrent comme l’un des nouveaux maîtres du monde, d’autres comme un ultra-réactionnaire à l’égo surdimensionné, Donald Trump se dit même prêt à lui offrir un poste de ministre en cas de victoire. Mais qui est vraiment cet homme ? Comment s’est-il fabriqué ? C’est ce que Darryl Cunningham nous explique dans cette bande dessinée qui relève plus de l’enquête journalistique que du biopic. Forcément instructif ! (Elon Musk, enquête sur un nouveau maître du monde, de Darryl Cunningham. Delcourt. 22,95)

C’est une Légende, une Légende avec un L majuscule, pour tous les passionnés de sport automobile et au-delà, un pilote hors norme, le plus grand pilote de tous les temps disent les connaisseurs, trois fois champion du monde, 41 victoires au compteur, 65 pole positions, mort dans une sortie de route sur le circuit d’Imola le 1ᵉʳ mai 1994. Dans cet album tout simplement titré Ayrton Senna, histoires d’un mythe, les auteurs nous emmènent dans les roues de ce génie des circuits depuis ses premiers tours de roues en karting jusqu’à son accident tragique. Publiée à l’occasion du trentième anniversaire de sa disparition, cette nouvelle édition est enrichie d’un cahier spécial de huit pages signé par le scénariste et journaliste spécialisé en sports automobiles Lionel Froissart. (Ayrton Senna, Histoires d’un mythe, de Froissart, Papazoglakis et Paquet. Glénat. 14,50€)

Co-édité par Glénat et Fayard dans la collection Ils ont fait l’histoire, cet album de Marie Bardiaux-Vaïente au scénario et Sergio Gerasi au dessin retrace le parcours de Jean Monnet considéré comme l’un des « pères de l’Europe ». Coordonnateur des ressources de guerre franco-britanniques pendant la Première Guerre mondiale, promoteur de la SDN, Société des Nations, dont il fut un temps secrétaire général adjoint, coordonnateur de l’effort de guerre entre le Royaume-Uni et les États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis promoteur infatigable de la construction européenne avec, dans un premier temps, la création de la CECA, Communauté européenne du charbon et de l’acier, Jean Monnet n’eut de cesse de promouvoir cette Europe unie qui devait rassembler les Européens dans la paix et prévenir toute future guerre. (Jean Monnet, de Bardiaux-Vaïente et Gerasi. Glénat / Fayard. 14,95€)

Eric Guillaud

18 Août

Pages d’été. « Racines » ou l’histoire d’une quête d’identité capillaire signée Lou Lubie

Largement repérée par le public avec ses trois albums précédents tous parus aux Éditions Delcourt, Goupil et Face, Et à la fin ils meurent et Comme un oiseau dans un bocal, la talentueuse Lou Lubie était de retour en mai dernier avec Racines, une BD qui explore ses racines capillaires autant que ses racines familiales…

L’album s’ouvre sur un visage, celui d’une gamine en furie sous une tignasse en folie. Elle s’appelle Rose, a la peau blanche mais le cheveu crépu, résultat d’un métissage, une mère noire d’un côté, un père blanc de l’autre, et le soleil de La Réunion pour témoin.

Si notre fameuse Rose est en furie, c’est que l’heure est au coiffage. Et elle déteste ça, comme elle déteste ses cheveux. Et elle les détestera pendant de longues années encore, peut-être plus encore lorsqu’elle finit par débarquer en métropole pour poursuivre ses études. Là, plus qu’ailleurs, la norme est le cheveu lisse.

Coupe rasée, tissage, lissage, défrisage… Rose n’aura de cesse de malmener ses cheveux au risque de sa santé, pour ressembler aux autres, se fondre dans la masse, échapper au sexisme et au racisme ambiants, et bien sûr pour répondre aux codes de la beauté féminine.

Au point d’en faire une obsession, des crises de dysmorphophobie, et vider son porte-monnaie. Jusqu’au jour où elle en a assez de courir après les salons de coiffures pour d’effacer son identité et décide de revendiquer enfin sa créolité…

Il y a beaucoup de Lou Lubie dans le personnage de Rose, beaucoup de Lou mais aussi  beaucoup de toutes ces femmes qui ont comme elle tenté par le passé et tentent aujourd’hui encore de se rapprocher du « modèle dominant » en masquant leur identité. Mais au-delà de l’aspect autobiographique, Racines est aussi un ouvrage très pédagogique, particulièrement documenté, qui démêle pas mal d’idées reçues sur le cheveu. Une autrice à suivre !

Eric Guillaud

Racines, de Lou Lubie. Delcourt. 24,95€

© Delcourt / Lubie

14 Août

Pages d’été. Quand l’accouchement devient aussi une affaire d’homme : « Naissance » de Samuel Wambre

Les témoignages en BD sur la maternité et plus spécifiquement sur ce moment important qu’est l’accouchement sont pléthores mais toujours signés par des femmes. Ce qui peut sembler logique de prime abord. Pourtant, voici un album que l’on doit à un homme, Samuel Wambre, car oui il faut être deux pour faire un enfant et, non, l’accouchement n’est pas forcément l’affaire d’une seule personne…

Bien sûr, Samuel Wambre n’a pas accouché. Mais c’est tout comme ! Lui aussi a connu la joie à l’annonce de la grossesse, lui aussi a suivi les séances de préparation à l’accouchement et les échographies, lui aussi a aménagé la chambre destinée à accueillir l’enfant… et bien évidemment, lui aussi s’est réveillé la nuit aux premières contractions.

Alors, lorsque le moment est venu de se rendre à la clinique, que sa femme, Stéphanie, a perdu les eaux, Samuel est encore plus présent, plus impliqué. Et il le sera pendant les prochaines 58 heures, à partager les joies et parfois les doutes, les moments de douce exaltation et ceux d’immense épuisement, des moments dans tous les cas saturés d’amour.

Si Samuel Wambre a avant tout écrit ce livre pour les futurs pères, afin qu’ils sachent à quoi s’attendre et les aider à trouver leur place dans ce grand épisode de la vie, Naissance s’adresse bien à tous et toutes. Un récit aussi intime qu’universel !

Eric Guillaud

Naissance, de Samuel Wambre. Steinkis. 24€

© Steinkis / Wambre

13 Août

Pages d’été. Envoyez l’armée !, un délire atomique signé Fabrice Erre

Rire de l’armée. En voilà une drôle d’idée. Dans un autre temps, dans un autre lieu, l’auteur de ce pamphlet aurait été passé par les armes pour dénigrement de l’uniforme, insulte envers l’autorité et tentative de démoralisation face à l’ennemi… mais là non !


Non et c’est tant mieux pour Fabrice Erre qui s’en donne à cœur joie dans ce petit livre paru dans la collection Pataquès des éditions Delcourt. Tant mieux pour Fabrice Erre et tant mieux pour nous, lecteurs, qui pouvons sans aucun risque rire de la Grande Muette et de ses frasques à travers une série d’histoires courtes franchement drôles et bien senties.

Au centre de tout, un général, aussi fou que bête, qui suggère de déclarer la guerre à l’Uruguay pour défendre le pouvoir d’achat des Français, qui n’hésite pas à envoyer l’armée contre les routiers qui bloquent les routes, les profs qui font grève, les touristes qui occupent les plages, les vaches qui pètent… sans oublier les boches, ces éternels boches, qui cherchent toujours, forcément, à nous reprendre l’Alsace et la Lorraine.

Et pour ça, tous les moyens sont bons, les chars, l’aviation, la bombe atomique, du gel hydroalcoolique, les latrines sèches… Bref, du grand et bon n’importe quoi à distribuer dans toutes les casernes du monde avec un message clair : Faites l’humour, pas la guerre!

Eric Guillaud

Envoyez l’armée, de Fabrice Erre. Delcourt. 13,50€

© Delcourt / Erre

10 Août

Pages d’été. Cinq comics garantis sans super-héros ajoutés… ou presque !

Sorti en mars dernier aux éditions Delcourt, Shadow Hills nous embarque pour un monde étrange, très étrange, et triste, affreusement triste. Avec pour personnages principaux deux sœurs, Anna et Dana, et deux frères, Cal et Will. Deux familles différentes, des histoires qui le sont tout autant mais qui se retrouvent imbriquées dans un récit à l’atmosphère de fin du monde, un paysage désertique truffé de derricks et de crevasses spontanées qui engloutissent régulièrement hommes et maisons. L’exploitation des gisements de shale fait des ravages mais fait vivre aussi toute la petite communauté de Shadow Hills. Jusqu’au jour où une mystérieuse épidémie fait son apparition. Tout devient alors encore plus sombre, plus étrange et plus triste…

Si Sean Ford ne fait pas ici dans la comédie et pourrait facilement plomber le moral de tout un régiment, c’est qu’il souhaite peut-être nous alerter sur les ravages causés par l’homme à l’environnement, notre environnement. Shadow Hills est une éco-fiction qui mélange les genres, du thriller à l’horreur en passant par le fantastique. Un comics à lire l’esprit reposé pour en appréhender toutes les subtilités et apprécier son dessin épuré ! (Shadow Hills, de Sean Ford. Delcourt. 20,50€)

Déjà responsables et coupables de quelques livres essentiels, notamment Criminel, Mes héros ont toujours été des junkies, Fatale, Kill or be killed ou encore Pulp, Ed Brubaker et Sean Phillips nous embarquent ici pour un quartier de l’Amérique moyenne comme les autres, Pelican Road, avec sa supérette, ses maisons, un quartier en apparence tranquille. En apparence seulement ! Car dans ce qui pourrait être un décor de théâtre se joue la vie, avec ses histoires d’amour et de haine, ses rêves et ses mensonges. Avec un casting de premier choix : un flic qui ne l’est pas, une femme fidèle qui ne l’est plus, une gamine qui se prend pour une super-héroïne, un SDF qui squatte une cabane dans les bois, une paumée qui a fui sa cure de désintoxication et vole sa famille, un privé qu’on va retrouver raide mort… Bref, de quoi faire un excellent scénario de polar. Et ça tombe bien, Là où gisait le corps est un polar, un excellent polar, à lire sur la plage ou ailleurs ! (Là où gisait le corps, de Ed Brubaker et Sean Philips. Delcourt. 18,50€)

Ce comics-là date un peu. De septembre 2023 pour être précis. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire et découvrir une petite perle. Vous souvenez-vous de Stray Bullets, une série policière publiée aux États-Unis à compter de 1995 et dans la foulée en France, double Prix Eisner 1996, des histoires noires et radicales qui nous entraînaient dans les bas-fonds de la société américaine. L’album Lodger qui nous intéresse aujourd’hui est signé par le même duo de choc, David et Maria Lapham, et nous plonge dans une toute aussi sombre histoire, celle d’une jeune femme, Ricky Toledo, à la poursuite d’un serial killer dont elle était tombée amoureuse plus jeune mais qui a surtout tué sa mère. La vengeance est un plat qui se mange froid ! (Lodger, de Maria Lapham et David Lapham. Delcourt. 15,95€)

Pas vraiment plus récent, celui-ci date de novembre 2023, mais tout aussi indispensable et bienvenu pour une lecture sur la plage, Clementine s’inscrit dans la lignée de la mythique série Walking Dead de Robert Kirkman, dessinée par Tony Moore puis par Charlie Adlard, et dans la lignée du jeu video édité par Telltale dont Clementine est l’un des personnages principaux. Avec ici l’immense Tillie Walden au dessin ! Plus qu’une suite, c’est en fait une véritable relecture de cet univers que nous propose la jeune autrice de Spinning et de Sur la route de West, deux albums qui lui valurent chacun un Eisner Award, ou encore du magnifique récit de science-fiction baptisé Dans un rayon de soleil. Avec sa grande sensibilité, son approche plus intimiste et son fabuleux trait tout en délicatesse, Tillie Walden nous offre une douce balade au pays des zombies. (Clementine tome 1, Walking Dead, de Tillie Walden. Delcourt. 18,95€)

Vous avez aimé Strangers in Paradise ? Alors, vous aimerez Parker Girls qui n’est autre qu’un spin-off de la série mère aujourd’hui disponible en quatre intégrales chez Delcourt. Pas de super-héros en vue mais une organisation réunissant des héroïnes de choc, les Parker Girls, appelées à la rescousse pour dénouer les situations les plus inextricables. Et justement, l’une d’entre elles, Piper, vient d’être retrouvée morte sur une plage. De quoi donner du travail à Cherry, Kelly, Katchoo et Tambi. Un plongeon dans le monde du crime avec beaucoup d’action et pas mal d’humour… (Parker Girls, de Terry Moore. Delcourt. 22,95€)

Eric Guillaud