30 Oct

Les Mauvaises herbes : le témoignage poignant d’une esclave sexuelle de l’armée japonaise recueilli par Keum Suk Gendry-Kim

Oksun ne rêve que d’une chose : aller à l’école. Comme son petit frère. Mais la jeune Coréenne n’ira jamais. Pire encore, à 16 ans, elle sera vendue par ses parents à une famille de restaurateurs comme bonne à tout faire. C’est le début d’une descente aux enfers qui la conduira jusqu’en Chine où elle deviendra une « femme de réconfort » pour les soldats japonais…

Si le terme « femmes de réconfort » est encore aujourd’hui d’usage au sein de certaines organisations gouvernementales et associations sud-coréennes, « esclaves sexuelles » serait pourtant plus adapté à la situation et le plus répandu sur le plan international. L’auteure Keum Suk Gendry-Kim utilise quant à elle une très jolie métaphore pour les désigner, les mauvaises herbes, car, comme l’explique en postface l’historienne Sun Myungsuk, « tout comme elles, elles se redressent après que le vent les a fait plier ou malgré le fait qu’on les a piétinées ».

200 000. Elles furent environ 200 000 femmes, des Coréennes bien sûr, mais aussi des Taïwanaises, des Indonésiennes…, à s’être retrouvées esclaves sexuelles de l’armée japonaise dans les années 30 et 40, pendant la guerre sino-japonaise. Oksun Lee est l’une d’entre elles, une « mauvaise herbe » parmi tant d’autres.

Son histoire commence dans les années 30 du côté de Busan. Très jeune, Oksun aide ses parents. Son frère a la chance d’aller à l’école, elle, elle n’ira pas. La misère impose des choix ! Comme celui de la vendre un peu plus tard à un couple de restaurateurs, avec la promesse qu’elle aura à manger et peut-être même accédera à son rêve: l’école. Mais là non plus elle n’ira pas. Elle servira tout simplement de bonne à tout faire avant d’être à nouveau vendue pour travailler dans un bistrot. Mais durant l’été 1942, Oksun est enlevée et emmenée en Chine pour devenir une esclave sexuelle de l’armée japonaise.

Avec beaucoup de pudeur, les scènes violentes sont intelligemment suggérées, Keum Suk Gendry-Kim raconte les années d’horreur vécues par Oksun Lee. La mauvaise herbe s’est pliée, a été piétinée, mais a survécu et témoigne aujourd’hui de son tragique parcours. Et l’intérêt du livre de Keum Suk Gendry-Kim est de ne pas s’arrêter à cette période d’esclavage. Le témoignage d’Oksun va bien au-delà, relatant sa vie après, son mariage, et surtout son retour en Corée du Sud plus de 60 ans après, espérant retrouver ses proches et enfin le bonheur. Ce ne sera pas vraiment le cas ! Un récit très fort, parfois très noir mais aussi, parfois, éclairé à le lueur de l’espoir.

Eric Guillaud

Les Mauvaises herbes, de Keum Suk Gendry-Kim. Delcourt. 29,95€

Providence : quand Alan Moore fait du Alan Moore et réécrit Lovecraft

Le créateur des Watchmen s’attaque à Cthulhu, les Yuggoth et tous les bestioles verdâtres et baveuses sorties de l’imagination de l’un des maîtres de la littérature fantastique de la première moitié du XXème siècle, Howard Philips Lovecraft. Et le résultat est à l’image du bonhomme : très personnel, très fouillé, parfois génial, parfois bien trop bavard mais jamais commun.

 

Alan Moore est un ogre. L’un des rares scénaristes de BD moderne ‘star’ dont tout le monde connaît au moins l’oeuvre majeure – Watchmen pour ne pas la nommer – même s’il ne l’a pas lu. Son physique d’ermite (ou d’homme des cavernes, au choix) très particulier, son égo disons gentiment quelque peu surdimensionné mais aussi et surtout son écriture ultra-dense et tortueuse lui ont donné cette image de personnage XXXL qu’il entretient savamment. D’ailleurs, histoire de ne surtout pas se méprendre sur ce pavé réunissant pour la première fois en français les douze volumes de la série Providence publiée initialement en 2010, c’est bien écrit en gros sur le revers : ‘la réinterprétation du monde Lovecraft par Alan Moore’. Même pas un mot sur le dessinateur Jacen Burrows, pratiquement relégué au rang de simple exécutant et que l’on sent d’ailleurs tout le long du récit comme presque figé, écrasé même pourrait-on dire, par son imposant patron…

© Panini Comics / Alan Moore & Jacen Burrows

Car il ne faut pas se tromper : ici, Alan Moore fait du Alan Moore. C’est-à-dire qu’il se réapproprie à sa façon l’univers de l’auteur fantastique, bien connu notamment des fans de jeux de rôles Howard Philips Lovecraft (1890-1937). Le titre fait d’ailleurs référence à la ville de naissance de Lovecraft… Ici, Moore s’est transformé en démiurge, refaçonnant le mythe de Cthulhu qui est au centre du travail de Lovecraft tout en y glissant ses obsessions personnelles, à commencer par cette idée récurrente dans son corpus que l’on n’est jamais mettre de son destin mais juste le pion de forces qui nous dépassent mais qui finissent toujours par amener là où elles veulent.

Si le tout commence presque de façon assez classique à travers la quête de Robert Black, jeune journaliste juif new-yorkais et homosexuel sur les vieilles croyances de la Nouvelle-Angleterre dans les années 20, très rapidement Moore s’amuse à déconstruire le récit comme pour mieux perdre le lecteur dans des dédales où, de toutes façons, tout est plus suggéré que montré. En ça, le scénariste est resté fidèle à l’esprit de Lovecraft, personnage d’ailleurs à part entière du récit dans sa seconde moitié !

© Panini Comics / Alan Moore & Jacen Burrows

Mais l’abondance de mots, sans parler de ses nombreuses insertions de textes pures censées être tirées du journal intime de Black et de digressions quasi-philosophiques rend le tout particulièrement ardu. Cela transforme ce que peut-être certains attendaient avant tout comme un ‘simple’ hommage (pas le genre de la maison, pourtant) en une sorte de réflexion métaphysique et très cosmique sur le monde du réel, celui des rêves et une autre dimension voisine de la nôtre attendant son heure pour dévorer notre monde. Les fans de la série TV Stranger Things apprécieront peut-être d’ailleurs la thématique mais ce côté hermétique en font un monstre exigeant qui est sûrement la marque des grandes œuvres mais qui, aussi, risque d’en laisser pas mal sur le palier de cet univers grandiloquent. Mais en même temps, n’est-ce pas le cas de tous les livres d’Alan Moore ?

Olivier Badin

Providence – L’Intégrale, Alan Moore & Jacen Burrows, Panini Comics, 36,95€

Utopiales 2018. Rencontre avec les auteurs de la nouvelle série de science-fiction Renaissance

Ils ont été nourris à la science-fiction dès le plus jeune âge et ça se sent. Les Rouennais Fred Duval, Emem et le Nantais Fred Blanchard débarquent aux Utopiales, le festival international de science-fiction de Nantes, avec une nouvelle série sous le bras et plein d’aliens dans la poche…

Plein d’aliens dans la poche. Et gentils comme des Bisounours ou presque. Impossible ? Dans la science-fiction, tout est possible, tous les futurs sont imaginables. Les auteurs de Renaissance, nouvelle série dont le premier volet vient de paraître aux éditions Dargaud, le mettent une nouvelle fois en évidence. Non seulement, les aliens sont ici des gentils mais ils ont décidé d’envahir la Terre pour le bien de l’humanité, le bien des hommes et des femmes qui l’habitent mais n’ont pratiquement rien fait jusque-là pour la sauvegarder et protéger ses ressources naturelles.

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27 Oct

Artbook Chabouté : bricoles, gribouillis, fonds de tiroirs… et autres trésors graphiques

Des bricoles, des gribouillis, des fonds de tiroirs… un artbook fait de petits riens en somme, des petits rien qui ont pourtant tout du grand génie. Considéré comme l’un des maîtres du noir et blanc en France, Christophe Chabouté nous ouvre ici les coulisses de son imaginaire avec une très belle compilation de croquis, recherches graphiques, illustrations de couvertures et autres pièces d’expositions…

Quand il dessine des musiciens, on entendrait presque des notes de musique. Lorsqu’il dessine New York, on pourrait penser qu’il y a vécu toute sa vie. Et lorsqu’il met en scène des trois-mâts dans une mer déchaînée, on n’imaginerait pas un moment que l’homme n’a jamais mis les pieds sur un bateau. C’est tout le talent d’un raconteur comme Christophe Chabouté.

« Mon métier n’est pas de vendre des bouquins, mon métier est de raconter des histoires du mieux que je peux, d’embarquer des gens dans l’univers que je dessine, de leur donner envie de tourner les pages du livre qu’ils sont en train de lire et de préférence avec enthousiasme, curiosité et plaisir… ».

Par ces mots recueillis en 2014, à l’occasion d’une interview pour ce même blogChabouté nous expliquait son approche du métier. Modeste, discret, Alsacien d’origine, Oléronais d’adoption, l’auteur de Moby Dick, Un Peu de bois et d’acier, Tout seul ou encore de Terre-Neuvas, fait partie de la cour des grands, de ceux qui sont capables de nous faire voyager d’un seul coup de crayon.

L’artbook publié par les éditions Vents d’ouest en collaboration avec la galerie Huberty & Breyne en apporte une confirmation éclatante. 250 pages, des centaines d’illustrations, autant de trésors graphiques que certains d’entre vous ont peut-être aperçu sur le compte Facebook de l’auteur où il en poste très régulièrement. Un très très beau livre, indispensable pour tous les inconditionnels de l’auteur mais pas que….

Eric Guillaud

Artbook Chabouté, Vents d’Ouest. 39€ (en librairie le 31 octobre)

26 Oct

L’Aimant, Le roman graphique de Lucas Harari en compétition pour le prix Utopiales BD 2018

Ce n’est pas ce qu’on appelle une nouveauté, L’Aimant a paru en août 2017, il y a donc un peu plus d’un an. Alors pourquoi en parler ici et maintenant ? Tout simplement parce que l’album est en lice pour le Prix Utopiales BD 2018. L’occasion de se plonger ou replonger dans cette histoire singulière et marquante…

Une histoire singulière et plus largement un livre singulier. L’Aimant s’offre d’abord au regard, 150 pages en trichromie, un dos toilé rouge, une très belle illustration de couverture à l’atmosphère envoûtante et un titre magnétique. L’Aimant est un bel objet, le genre de livre qu’on aime laisser traîner de façon à pouvoir régulièrement jeter un oeil bienveillant dessus.

Et puis il y a l’histoire, construite autour d’une fascination, celle d’un jeune étudiant en architecture pour les – véridiques – thermes de Vals, érigées au coeur de la montagne suisse par l’architecte Peter Zumthor entre 1993 et 1996.

Pierre, le jeune étudiant en question, en avait fait son sujet de mémoire avant de faire une bouffée délirante et de perdre toutes ses recherches. Renouant avec ses études, Pierre décide de se rendre sur place et de percer le mystère de ce bâtiment. Car il en est persuadé, au-delà de leur intérêt architectural, les thermes de Vals renferment un secret, une porte dérobée…

Nourri dès sa plus tendre jeunesse à l’architecture grâce à des parents qui transformaient les moindres vacances en pèlerinages architecturaux, Lucas Harari a été immédiatement fasciné par ces thermes et « submergé par l’atmosphère », comme il le reconnait aujourd’hui dans une interview accordée à France Inter.

À l’esthétisme impeccable et un peu froid du bâtiment de Zumthor, Lucas Harari répond par un graphisme épuré tendance ligne claire troisième génération, héritée de Hergé, Chaland ou Ted Benoît. Certains y verront aussi une touche de Joost Swarte ou du Chris Ware dans l’aspect minutieux des planches, aussi minutieux que le travail de Peter Zumthor.

Plus proche du thriller que de la science-fiction, c’est sans doute sa petite touche fantastique qui lui permet aujourd’hui de se retrouver en lice pour le Prix BD 2018 du Festival international de la science-fiction de Nantes, aux côtés des albums All-Life, Essence, Contes ordinaires d’une société résignée, Ces Jours qui disparaissent et L’Homme gribouillé.

Eric Guillaud

L’Aimant, de Lucas Harari. Sarbacane. 25€

25 Oct

Petit Paul, Porn Story, Pour la peau : du sexe rien que du sexe

Attention, ces bandes dessinées-là s’adressent à un public averti, très averti. On n’y parle pas de voyage interplanétaire, d’ingénieur fou ou de crise de la trentaine mais de sexe, tout simplement de sexe…

Dans la bande dessinée érotique ou pornographique, il y a bien sûr les spécialistes, des gens comme Georges Pichard ou Guido Crepax, qui ont fait les beaux jours du genre. Il y a aussi les autres, assez nombreux finalement, classés dans la catégorie des auteurs classiques, qui s’y essaient le temps d’un album ou plus si affinité. C’est le cas de Bastien Vivès, auteur des honorables Polina, Le Chemisier ou encore Le Goût du chlore, qui a publié en septembre dans la collection Porn’Pop des éditions Glénat un livre intitulé Petit Paul contant l’histoire d’un gamin vivant à la campagne  avec son père et sa soeur Magali. Seule différence avec les autres gamins de son âge, Petit Paul a un sexe énorme qui affole la gente féminine au point de déclencher de violentes pulsions et de se faire violer. Bon, même si Bastien Vivès ne justifie aucunement ici la pédophilie, reste que ce livre est assez troublant, voire lourdement incommodant et ne peut trouver à mon sens sa seule justification dans la provocation. De leur côté, les cercles puritains n’ont pas manqué de réagir en lançant une pétition pour interdire le livre. Les enseignes Gibert et Cultura l’auraient retiré des rayons (Petit Paul, de Vivès. Glénat. 12,90€)

Beaucoup plus soft, bien que pornographique, Pour la peau de Sandrine Saint-Marc et Deloupy raconte une histoire plus classique, celle d’un jeune couple adultérin lancé dans une sulfureuse relation. Elle, c’est Mathilde, mariée sans enfant. Lui, c’est Gabriel, marié et papa. Tous les deux se sont rencontrés dans une fête. Depuis, ils se retrouvent une fois par semaine dans le bureau de Gabriel pour quelques minutes de plaisir partagé. Ils ne se voient jamais à l’extérieur, ne s’envoient jamais de SMS ou de mail et ne s’appellent pas. Bien sûr, au bout d’un moment, les pulsions sexuelles laissent un peu plus de place aux sentiments… (Pour la peau, de Saint-Marc et Deloupy. Delcourt. 17,50€)

On termine avec l’Allemand Ralf König et son livre Porn Story qui est à mes yeux le plus intéressant et finalement le moins pornographique des trois, même s’il en raconte l’histoire, tant au niveau de la technologie que des mentalités. Sous les yeux de son personnage Eberhard, et des nôtres, il fait défiler plusieurs décennies de porno, depuis les bobines super 8 jusqu’aux sites de streaming actuels. L’avantage avec Ralf König, c’est qu’on a une distance avec tout ça grâce à son sens de l’humour. Le sexe, ça peut être drôle aussi ! (Porn Story, de Ralf König. Glénat. 25€)

Eric Guillaud

18 Oct

Roger et les Humains, Zorglub, Les Mythics, Sibylline, Harmony, Dreams Factory, Dad, Lila, Frnck : une sélection de BD jeunesse pour les jours de pluie

Mais non il ne pleuvra pas, c’est pour rire. Mais il peut neiger et faire froid. Ou encore souffler un vent de novembre piquant. Bref, pour tous ces jours là, voici une petite sélection subjective mais assumée de bonnes lectures pour les plus jeunes…

On commence par une BD réalisée par un Youtubeur, LE youtubeur en chef, Cyprien, 12 millions d’abonnés sur sa chaîne, 2 milliards de vues et des sollicitations qui, forcément, viennent d’un peu partout. Alors pourquoi pas du côté de la bande dessinée ? En tandem avec le dessinateur Paka, Cyprien vient de sortir le deuxième tome de Roger et ses humains, une série mettant en scène le gamer fou Hugo, sa copine Florence et le robot de service Roger dans des aventures du quotidien légères et drôles. (Roger et ses humains, de Paka et Cyrpien. Dupuis. 15,95€)

Lui n’est pas YouTubeur, José Luis Munuera est auteur de bande dessinée à temps complet. Il a notamment mis en images Potamoks sur un scénario de Sfar, Nävis avec Philippe Buchet, imaginé une aventure de Spirou, Paris-sous-Seine, lancé seul Les Campbell et Zorglub dont voici le deuxième volet. Pour ceux qui n’auraient jamais lu un Spirou de leur vie, Zorglub est le grand méchant créé par André Franquin et Greg pour l’histoire Z comme Zorglub en 1959. Depuis 2017, il vit des aventures autonomes grâce au talent de Munuera. « Pour moi… », confiait-il à la sortie du premier épisode, « c’est un des personnages de la série les plus riches et les plus vrais, en fin de compte. Même si, au départ, il incarne un archétype, celui du savant mégalomane, celui du méchant des années cinquante, des James Bond des débuts, ce côté-là est contrebalancé par son profil de gaffeur impénitent, de crétin pitoyable qui essaie d’attirer l’attention du monde entier par ses inventions qui se révèlent de plus en plus ridicules ! A cause de, ou grâce à ces contradictions, c’est un personnage qui détient un charme et un potentiel dramatique formidables! ». Dans ce deuxième tome, on retrouve Zorglub dans le désert occupé à vendre ses dernières inventions diaboliques mais peu dangereuses (char d’assaut, chasseur F18, lanceur d’obus… tous gonflables) lorsque débarque sans crier gare un gamin qui veut apprendre le métier de méchant. Un stagiaire en somme. Très belle série… (Zorglub tome 2, de Munuera. Dupuis. 10,95€)

Prenez Patrick Sobral, auteur des Légendaires, plus de six millions d’exemplaires vendus, ajoutez Patricia Lyfoung, auteure de La Rose écarlate, plus d’un million d’exemplaires, complétez avec Philippe Ogaki, qui s’est fait connaître du grand public en adaptant la trilogie de Pierre Bordage Les Guerriers du silence en compagnie d’Algésiras et vous obtiendrez Les Mythics, une série qui met en scène six héros en lutte contre le mal à travers le monde. Après Yuko au Japon, Parvati en Inde, voici Amir en Egypte. (Les Mythics tome 3, de Sobral, Lyfoung, Ogagki. Delcourt. 10,95€)

Retour à quelque chose d’un peu plus bucolique avec les aventures de notre souris préférée, Sibylline, personnage savoureux créé en 1965 par Raymond Macherot pour le journal Spirou. Seize albums dans la série originale, une longue interruption entre 1985 et 2006, et un retour chez Casterman pour de nouvelles aventures sous la plume de Corteggiani et les pinceaux de Netch. Ce deuxième volet nous permet de retrouver nos personnages habituels ainsi que Kirivol, une chauve-souris qui rit et qui vole, enfin qui ne rit pas tant que ça. Après avoir tenté de chaparder le grimoire de Sibylline intitulé La Lune rousse, la chauve-souris se retrouve amnésique. Impossible de retrouver la route qui mène chez elle, au royaume de Ratapiniata. Sibylline et Tabou vont devoir l’aider… (Sibylline tome 2, de Corteggiano et Netch. Casterman. 9,90€)

Quatrième volume mais début d’un nouveau cycle pour cette série de Mathieu Reynès qui remporte un certain succès auprès des jeunes filles. Il faut dire que l’héroïne que l’on a pu découvrir dès novembre 2015 dans les pages du journal Spirou puis à partir de janvier 2016 en album est dotée d’un sacré tempérament et d’un pouvoir surnaturel qui fait fantasmer, la télékinésie, faculté métapsychique hypothétique de l’esprit qui permettrait d’agir directement sur la matière. Ça peut aider à déplacer des montagnes. Harmony, c’est de la SF pour tous plutôt bien écrite et mise en images.  (Harmony tome 4, de Reynès. Dupuis. 12,50€)

Direction Londres sous l’ère victorienne pour ce livre signé Jérôme Hamon et Suheb Zako. Direction Londres et plus précisément les quartiers ouvriers où règne surtout la misère. Comme pas mal d’enfants, la jeune Indira descend tous les jours au fond de la mine de charbon pour gagner presque rien mais suffisamment de quoi nourrir sa famille, en l’occurrence son père et son petit frère Elliot. Et rien ne l’empêchera de le faire, pas même cette mauvaise toux. Pourtant, tout le monde sait ici ce qu’elle signifie. La silicose. Et malgré toute sa bonne volonté, Indira ne parviendra pas à se lever un matin. Son petit frère tentera de la remplacer à la mine. Sans succès. Trop petit, il est refoulé. Mais la riche propriétaire des mines lui propose un autre travail… Un récit émouvant, avec une touche de steampunk, graphiquement sublime, prévu en deux volumes (Dream Factory tome 1, de Hamon et Zako. Soleil. 15,50)

Et voici déjà le cinquième tome de Dad. Il s’appelle Amour, gloire et beauté… enfin plus exactement, Amour, gloire et corvées. C’est moins glamour, plus turbin mais toujours aussi drôle. Publiées dans le journal Spirou dès 2013 et en album depuis 2015, les aventures de Dad et de ses quatre chipies de filles rencontrent un succès toujours grandissant. Et comme le titre le laisse suggérer, on parle dans les pages de ce nouvel opus de corvées (linge, vaisselle, repas, ménage…) mais aussi d’amour. Dad n’est pas qu’un père, c’est aussi un homme et aujourd’hui il rêve de rencontrer l’âme soeur. Ça ne sera pas facile facile… (Dad, de Nob. Dupuis. 10,95€)

« Cher journal, moi qui voulais tellement entrer chez les grands, c’est horrible parce que depuis que j’ai vu les autres, je me sens toute petite ! C’est même pire que ça : j’ai l’impression d’avoir rétréci ! Il y a tellement de monde dans mon collège, encore plus que dans un centre commercial. En fait, ça fait trop peur et je ne veux plus y aller, surtout que Coralie et Chaselyn sont dans une autre classe… ». Vous avez compris, fini la primaire, Lila débarque au collège et découvre un autre monde, plein de grands et grandes, les 3e, de quoi effectivement se sentir toute petite. Le contexte scolaire change mais le principe de cette BD reste le même offrant aux lecteurs et surtout lectrices une histoire plein d’humour mais aussi pleine d’infos sur la vie à l’école, le harcèlement, le premier baiser…  (Lila tome 3, de De La Croix et Roland. Delcourt. 14,95€)

Avoir un smartphone à l’âge de pierre, ça peut épater la galerie et les mammouths aux alentours mais au final ça ne sert pas à grand chose. Pas de réseau, pas d’autres abonnés à qui filer un coup de fil, Frnck s’en sert juste pour jouer à Banane 3 en mode difficile. Sauf qu’il ne lui reste plus que 14% de batterie. Et bien sûr aucune prise électrique dans un secteur de quelques milliers d’années. Bref, le temps risque de paraître bien long à notre gamin de 13 ans, ado d’aujourd’hui, geek pour toujours et préhistorique par erreur. Franck, c’est plus simple à prononcer, est en fait tombé dans une faille spatiotemporelle. Le truc idiot. Le voilà coincé avec des hommes poilus qui mangent les voyelles et de jolies jeunes filles qui tombent facilement amoureuses. On le plaint ! (Frnck tome 4, de Cossu et Bocquet. Dupuis. 10,95€)

Eric Guillaud

16 Oct

La Terreur des hauteurs : les aventures vertigineuses de Jean-C. Denis

Avec Jean-C. Denis, l’aventure peut commencer au bout de la rue, parfois même sans bouger de chez soi, avec le quotidien pour horizon, l’intime pour décor. Dans ce nouveau livre publié chez Futuropolis, l’aventure se déroule sur un sentier, mais pas n’importe quel sentier, le sentier des douaniers qui généralement longe et même surplombe le littoral. Vous n’y verrez toutefois pas de douaniers, pas plus de brigands, juste un auteur de bande dessinée, Jean-C. Denis him-self, bloqué, pétrifié, par le vertige…

Un escalier trop pentu, un chemin escarpé longeant une falaise… Inutile d’aller au sommet de l’Himalaya pour se faire une petite frayeur. Avec Jean-C. Denis, la peur est au bout du sentier des douaniers qu’il emprunte pour rejoindre la plage. Pas de danger réel et immédiat mais une peur irrationnelle qui parvient à le clouer sur place. Ceux et celles qui sont sujet(te)s au vertige comprendront et compatiront.

« La peur des hauteurs, celle du vide, sont des phobies largement partagées… », explique l’auteur, « Chacun les vit à sa façon. Ce qu’elles remuent en nous est intime, unique, personnel, mais ressemble à s’y méprendre à ce qui paralyse les autres, c’est ce qui m’a donné l’envie d’avancer ». Et de finir cette bande dessinée qu’il avait interrompu en 2008 au bout de quatre planches. « Je suis resté bloqué, tout comme le personnage en haut de l’escalier. Comment aborder un sujet aussi familier et incertain ? »

Finalement, le créateur des aventures de Luc Leroi, de La Beauté à domicile ou encore de Quelques mois l’Amélie trouvera la bonne façon d’en parler, en rendant visible l’invisible et le personnel, universel. C’est ce qu’il a toujours fait Jean-C. Denis, que ce soit à travers ses fictions ou ses rares récits autobiographiques dont celui-ci fait partie. C’est le deuxième en fait. On y parle vertiges mais aussi bande dessinée, on y croise un Luke Leroy plongé dans l’Ouest américain, un Philippe Druillet escaladant des balcons en pleine nuit, et un Jean-C. Denis perché sur un rocher à 14 mètres de hauteur, prêt pour le premier… et sans doute le dernier plongeon de sa vie.

Eric Guillaud

Les Terreur des hauteurs, de Jean-C. Denis. Futuropolis. 21€

© Futuropolis / Denis

14 Oct

Que sont devenus les marins des frégates La Boussole et L’Astrolabe ? Vanikoro, une magnifique mise en images du mystère de La Pérouse signée Patrick Prugne

C’est l’un des plus grands mystères de l’histoire maritime, l’ambitieuse expédition La Pérouse chargée d’explorer l’océan Pacifique disparut subitement en juin 1788, alimentant pendant des années et des années tous les fantasmes possibles. Patrick Prugne en propose aujourd’hui une très belle évocation graphique baptisée Vanikoro…

Vanikoro est le nom d’un chapelet d’îles situé au sud de l’archipel des îles Santa Cruz dans l’océan Pacifique. C’est là que furent découverts en 1826 les restes du naufrage de la Boussole et de l’Astrolabe, les deux frégates de l’expédition La Pérouse partis explorer l’océan Pacifique une quarantaine d’années plus tôt.

Pendant des années, le mystère était resté complet, nourrissant les fantasmes les plus fous et les imaginaires les plus débridés. Quantité d’explorateurs, de scientifiques se sont succédé sur le site supposé du naufrage parmi lesquels Peter Dillon qui découvrit en premier les restes du naufrage et plus tard le célèbre Haroun Tazieff.

Si le site du naufrage ne fait plus aujourd’hui de doute, le sort des marins et du capitaine de vaisseau, Jean François de Galaup, comte de La Pérouse, est encore une énigme même si des recherches récentes confirment l’existence de survivants, l’édification d’un fortin sur l’île et même la construction d’une embarcation qui aurait permis à certains de reprendre la mer.

C’est cette histoire-là, celle des survivants, que nous raconte Vanikoro. 84 pages, deux ans de travail, des planches d’une extrême beauté où la luxuriance de la végétation, les personnages aux caractères iodés, les couleurs, la narration… contribuent à nous embarquer corps et âme dans cette aventure à la Robert Louis Stevenson. Un vrai travail d’auteur doublé d’un remarquable travail d’éditeur mais ça Daniel Maghen nous en a maintenant donné l’habitude. Admirable !

Eric Guillaud

Vanikoro, de Partick Prugne. Daniel Maghen. 19,50€ (sortie le 18 octobre)

L’info en +  Les planches de l’album seront exposées à la Galerie Maghen du 30 octobre au 17 novembre.

DM / Prugne