Marc Malès… Dans les recoins de ma petite mémoire de mollusque, ce nom-là est associé à un polar, un très bon polar. Vérification faite dans mon crâne et dans ma bibliothèque, il s’avère effectivement que Marc Malès a commis Sous son regard, un album publié en 2009 aux éditions Vents d’ouest, un polar écrivais-je à l’époque « noir, racé, viril, qui rend un merveilleux hommage aux films noirs américains des années 50″.
Bien sûr, Marc Malès a travaillé en compagnie de divers scénaristes sur d’autres séries et one-shots tels que Hollywood, Mille visages, De Silence et de sang ou encore Les Révoltés. Mais Sous son regard a en commun avec son tout nouvel album, Mettez des mots sur votre colère, d’avoir Marc Malès pour seul et unique auteur, signant à la fois le scénario et le dessin. Et aujourd’hui comme hier, Marc Malès fait mouche. Mettez des mots sur votre colère est un magnifique album à l’italienne, « pour m’approcher d’un format cinématographique » confie l’auteur, aux atmosphères sépias propices à nous transporter au début du XXe siècle.
Mais pour nous raconter quoi ? Sur près de 140 pages, Marc Malès raconte justement les milieux défavorisés américains de ce début de XXe siècle et notamment les enfants travailleurs, des gamins exploités par des industriels peu scrupuleux, obligés d’accepter les pires conditions, les blessures aussi, parfois même la mort, pour aider leur famille. Un travail de forçat pour, bien sûr, un salaire de misère.
Mais là où l’album pourrait se contenter d’être une BD documentaire ou une BD purement historique, Marc Malès en fait une fiction en mettant en scène un certain Owen Brady, un photographe bien décidé à dénoncer le scandale des enfants travailleurs, un photographe qui a aussi ses zones d’ombres. Soutenu par le National Child Labour Committee, nous le suivons dans sa course à travers le pays, passant d’une usine à l’autre, photographiant les enfants et récoltant de précieuses informations. « Les nombreux ouvrages documentaires sur les Etats-Unis à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe…« , précise l’auteur, « font beaucoup usage de la photographie sociale, celle qui a vocation à témoigner ».
Parmi les représentants de la photographie sociale, il y eut notamment Jacob Riis, Walker Evans et surtout Lewis Hine qui a inspiré le personnage d’Owen Brady. « Avec Lewis Hine et son reportage sur les enfants travailleurs, je ressentais qu’il y a avait une dimension personnelle supplémentaire (…) Je suis parti dans la volonté d’extrapoler par rapport aux sentiments que je devinais chez Lewis Hine. Alors, dans le but de montrer l’idée d’une résonance personnelle avec sa propre histoire, il devenait évident dès le départ que je devais créer un personnage fictif en lieu et place du photographe réel ». Owen Brady qui dénonce l’exploitation des enfants fréquente assidument les maisons closes, une autre forme d’exploitation. Il peut aussi être parfois très violent. C’est cette part d’ombre que Marc Malès nous fait aussi découvrir au fil des pages. Ce qui fait de Mettez des mots sur votre colère un album très riche, très dense aussi, peut-être parfois un peu trop bavard mais toujours très intéressant !
Eric Guillaud
Mettez des mots sur votre colère, de Marc Malès. Editions Glénat. 25,50 €