Paris, 2050. L’Arc de triomphe est toujours en bonne place, la Tour Eiffel aussi, offrant une vision rassurante de la capitale. Pourtant, Paris et plus largement le pays n’ont plus grand chose à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Cyril Pedrosa et Nicolas Gaignard ont imaginé un monde où le devenir de l’humanité se joue à grands coups de sérums de vérités… et de mensonges !
Les uns parlent d’une véritable purge, les autres d’un procès équitable, le résultat est le même, les grandes têtes pensantes de la Ve République ont dû quitter le pouvoir et répondre de leurs actes. Nombreux sont ceux qui ont pris le chemin de l’exil, en l’occurrence l’Allemagne. Pour les autres, ceux qui sont restés, le nouveau régime, dictatorial, leur a concocté un monde pas franchement joyeux joyeux, déshumanisé, aussi fliqué que flippé, avec couvre-feu, pardon période de veille obligatoire chaque nuit, histoire dit-on d’économiser l’énergie produite par des centaines, des milliers, d’éoliennes. L’écologie au service d’une dictature.
Bracelet d’identification et de localisation au bras, Kader fait partie de ce monde-là, un monde dont il ne rêvait absolument pas. Est-ce parce qu’il a travaillé autrefois sous les ors de la République, ou pour une toute autre raison, Kader a reçu une injection de sérum de vérité comme le veut le programme Vérité-Sécurité. Et Kader ne peut plus mentir. Alors forcément, sa vie privée en prend un sacré coup, sa vie professionnelle aussi, sa vie tout court tourne au cauchemar. « Avec ce putain de sérum… », dit-il, « je suis devenu tellement transparent que je n’existe même plus ». Mais qui est vraiment Kader ? Juste un homme asservi par le nouveau régime, sans plus aucune volonté, ni capacité de jugement? Pas si sûr…
C’est la première fois que le Nantais Cyril Pedrosa, auteur de Portugal ou Equinoxes pour ne citer que deux de ses plus récents albums, écrit pour un autre. Nul besoin d’une injection du fameux sérum pour vous dire la vérité, l’album paru aux éditions Delcourt offre un récit d’anticipation psychologique et politique assez captivant autour de cette course permanente à la transparence et à la vérité, assez captivant mais également assez cafardeux, âpre, en tout cas très sombre. Côté dessin, Nicolas Gaignard signe un premier album réussi en optant pour des ambiances glacées, des décors austères, parfaitement appropriés au scénario de Pedrosa.
Eric Guillaud
Serum, de Pedrosa et Gaignard. Éditions Delcourt. 18,95€