14 Mai

Octopolis : à la recherche du père et de la mer

Après Les Grands cerfs, le grand bleu version Gaétan Nocq, un voyage à la recherche de soi-même mais aussi à la rencontre de ce monde sous-marin que l’homme, aveuglé par la richesse, s’évertue à détruire petit à petit…

Octopolis est un objet hybride, à la fois roman graphique et outil pédagogique. C’est surtout l’œuvre d’un artiste complet, à la fois dessinateur, peintre et carnettiste, fasciné par la nature et ses mystères.

Mais ce qui ressort avant tout de cet Octopolis est ce bleu profond, présent à toutes les pages, parfois dénuées de tout texte, comme pour suggérer les silences des abysses et de la faune sous-marine que découvre son héroïne, et nous avec. 

© Daniel Maghen / Nocq

Personne solitaire et mutique, Mona est rappelée à Paris suite à la disparition de son père, avec lequel elle a pourtant rompu tout contact depuis la mort de sa mère sept ans avant. Chercheur-paléontologue, il travaillait sur un essai intitulé Octopolis qu’elle retrouve sur le disque dur de son ordinateur, à propos d’un lieu unique au monde, refuge des poulpes sur lesquels il a fait des recherches toute sa vie.

Au fur et à mesure de ses rencontres – une chercheuse du muséum d’histoire naturelle de Paris, un moniteur de plongée mutique, le tenant d’une galerie d’art océanien à Paris – elle essaye de démêler cette pelote de laine qui finit par l’emmener au bout du monde, jusque dans un atoll perdu de l’océan Pacifique.

© Daniel Maghen / Nocq

Tout est très symbolique ici : Mona doit d’abord essayer de retrouver son père au milieu d’une ville de deux millions d’habitants. Sans succès. Au final, ce n’est qu’en s’enfonçant sous la mer, loin de ses semblables puis en s’exilant à l’autre bout de la Terre sur un minuscule lopin de terre inhabité, qu’elle finit par trouver en partie ce qu’elle recherche. Quant aux méchants de l’histoire si l’on peut dire, on ne voit jamais vraiment leurs visages, seulement les gigantesques machines qu’ils ont lancées pour assouvir leur avidité sans fin, au mépris de la faune sous-marine.

Sorte de thriller écologique, Octopolis est avant tout un conte graphique, réalisé à la plume et au pinceau. Le récit principal de la quête de cette jeune femme alterne avec des reportages sur la faune sous-marine, pleins de poésie. En résulte un objet hybride, à la dramaturgie certes imparfaite (la conclusion hâtive, par exemple, laisse sur notre faim) mais à la beauté évanescente, sans de réel équivalent dans la production actuelle.

Olivier Badin

Octopolis de Gaétan Nocq. Daniel Maghen. 30€

12 Mai

Nuages, une ode à la rêverie signée J. Personne

Les rêves sont-ils faits pour être réalisés ou, comme disait Coluche, pour être simplement rêvés ? Dans ce très bel album paru aux éditions Glénat, J. Personne n’apporte pas forcément de réponse mais encourage à ne jamais renoncer…

Léo a un rêve, un drôle de rêve : celui de voler ! Sans doute l’influence de ses lectures de jeunesse. Et de s’imaginer dans les airs le poing en avant comme tout super-héros qui se respecte, fendant l’air, traversant les nuages, dépassant l’horizon, pour changer la vie, pour changer le monde.

Ce rêve ne le quittera jamais, accompagnant toutes les étapes de sa vie, depuis sa plus tendre jeunesse jusqu’à son dernier souffle. Une vie ordinaire, presque banale, des vacances à la mer avec ses parents, des années à user ses fonds de culotte sur les bancs de l’école, les jeux avec les copains, les premières amoureuses, les premiers baisers, les études à Paris, les petits boulots, le grand amour, le mariage, la paternité… et puis le décès de son père, la maladie de sa mère, son couple qui périclite, le divorce, la vieillesse. Des nuages qui s’amoncellent mais des rêves qui persistent !

Avec une touche de mélancolie et beaucoup de poésie, Nuages nous raconte une vie, LA vie, la vraie, avec le temps qui passe inéluctablement, les moments de bonheur et les autres, les rêves qui se confrontent à la réalité, les histoires d’amour qui finissent mal en général, la vieillesse qui arrive sans prévenir, la mort.

Auteur d’une poignée d’albums, parmi lesquels La famille Yacayoux paru aux éditions Bang ou Soufflement de narines chez Delcourt, J. Personne développe un univers fait de douceur et de poésie, de gravité et de fantaisie. Une histoire touchante qui met des mots (choisis) et des images (splendides) sur des émotions universelles. À lire tout doucement…

Eric Guillaud

Nuages, de J. Personne. Glénat. 25€

© Glénat / J. Personne

Hellboy, une édition spéciale pour les 30 ans du super-héros de Mike Mignola

Personnage culte de la bande dessinée américaine, Hellboy fête ses trente ans à travers un très bel album paru aux éditions Delcourt. 400 pages pour revenir à ses origines…

Au départ était un dessin, un dessin parmi tant d’autres, un monstre aux cornes proéminentes et à la boucle de ceinture assez large pour que Mike Mignola y inscrive ces sept lettres : HELLBOY.

Nous sommes en 1991, Mike Mignola enchaîne les projets chez DC Comics et Marvel, oubliant un temps ce dessin avant d’y revenir, convaincu de ne plus vouloir raconter « des histoires de Batman ».

« J’ai repris ce dessin du monstre avec ce drôle de nom, je l’ai retravaillé, lui ai mis un long manteau et voilà : grosso modo, je tenais mon personnage. »

Une véritable success-story

En 1994 parait la première aventure de ce fameux Hellboy, Seed of destruction pour les Américains (Dark Horse), Les Germes de la destruction pour les Français (Dark Horse France), point de départ d’une success-story qui ne se dément toujours pas après 30 ans de bons et loyaux services, une vingtaine d’albums au compteur chez Delcourt, des adaptations en dessin animé, en jeux vidéos ou pour le cinéma… De quoi faire dire à son auteur :

« J’aime bien l’idée d’avoir une biographie constituée d’une seule et unique phrase : Mike Mignola est le créateur de Hellboy ».

Oui, Mike Mignola est le créateur de Hellboy, aucun doute, un créateur de génie qui a donné naissance à un personnage qui est aujourd’hui entré dans le patrimoine mondial de la bande dessinée, un monstre né pour combattre d’autres monstres sous l’étiquette du Bureau de Recherche et de Défense sur le Paranormal.

Une édition spéciale 30 ans

Afin de marquer le coup à l’occasion de ses trente ans, les éditions Delcourt publient cette édition spéciale qui réunit le premier tome de la série principale, l’intégralité des récits courts ainsi que des peintures et croquis de recherche, dont le fameux premier dessin de Hellboy, tous issus des carnets de l’auteur. Un beau et gros pavé de plus de 400 pages qui ravira les connaisseurs et les autres.

Eric Guillaud

Hellboy, édition spéciale 30ᵉ anniversaire, de Mike Mignola. Delcourt. 39,95€ (en librairie le 15 mai)

© Delcourt / Mignola

02 Mai

Habemus Bastard : un miracle signé Jacky Schwartzmann et Sylvain Vallée

Lucien n’a pas vraiment la foi, ne connaît pas un mot de latin, n’a jamais dit la messe et pense que la religion est un business comme un autre. Alors pourquoi se retrouve-t-il parachuté à la tête d’une église dans le Jura ? Certainement pas pour sauver les âmes…

Il faut bien le reconnaître, pour aller à Saint-Claude de son libre arbitre, il faut soit être collectionneur de pipes, soit avoir une foi à toutes épreuves. Pour Lucien qui vient tout juste de poser les pieds sur le quai de la gare sous une pluie battante, la raison est tout autre. Car même s’il porte une soutane et se fait appeler Père-Philippe, notre homme espère surtout se trouver une planque pour quelque temps…

Et quoi de mieux qu’une église pour cela ? La paroisse de Notre-Dame-de-L’Assomption a justement besoin d’un curé. Et tant pis s’il n’a jamais officié de sa vie, tant pis si sa religion à lui est celle du flingue, tant pis s’il n’a pas fait vœu de pauvreté et encore moins de chasteté. Se faire oublier tout en profitant de quelques avantages en nature, voilà son programme, son sacerdoce…

© Dargaud / Vallée & Schwartzmann

Sylvain Vallée nous avait bluffé avec Tananarive paru en 2021 sur un scénario de Mark Eacersall (Glénat), il récidive ici avec l’adaptation de cette histoire inédite du romancier Jacky Schwartzmann, un polar en deux tomes qui a tout de la comédie ou l’inverse. Le scénario, est un modèle du genre, les dialogues sont percutants, le décor urbain (Saint-Claude) inhabituel en BD, le graphisme semi-réaliste époustouflant, les couleurs d’Elvire de Cock remarquables, et notre personnage de Lucien qui porte aussi bien la soutane que des tee-shirts du Hellfest et de Black Sabbath est absolument diabolique.

Bref, on se laisse totalement embarquer dans cette histoire qui rappellera à certains la série Soda lancée par Philippe Tome et Luc Warnant il y a une quarantaine d’années maintenant. Sauf que le costume de curé cachait un flic et non un truand comme ici.

Eric Guillaud

L’Être nécessaire, Habemus Bastard (tome 1), de Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann. Dargaud. 19,99€ (en librairie le 3 mai)