26 Fév

Une Maternité rouge : L’incroyable odyssée d’un jeune Malien et d’une statuette Dogon racontée par Christian Lax

De la brousse malienne à la pyramide du Louvre, des croyances ancestrales à l’actualité la plus brûlante, Christian Lax nous ouvre une nouvelle fenêtre sur le monde avec une forte dose d’humanisme et une élégance graphique qui en font l’un des auteurs phares du neuvième art…

L’auteur Christian Lax écrit des récits qui ont du sens, de ceux qui témoignent de notre monde et véhiculent des valeurs humanistes. On pense en écrivant ces lignes à Des maux pour le dire ou Pain d’alouette, mais son oeuvre entière est dictée par cette attention portée à l’homme. Et c’est encore le cas, peut-être plus que jamais, avec Une Maternité rouge, son nouvel album paru chez Futuropolis en janvier.

Au coeur du récit, une statuette, mais pas une quelconque statuette, une Maternité rouge vieille de plusieurs siècles figurant une femme enceinte. Alou, un jeune chasseur de miel malien l’a découverte après qu’une bande de djihadistes ait fait exploser un arbre sacré. La statuette cachée dans son tronc depuis des années refait surface. Alou la ramasse et court la présenter au sage du village qui l’attribue au maître de Tintam, dont une première Maternité se trouve déjà au Louvre, au Pavillon des Sessions.

Afin de la sauver de la folie destructrice des islamistes radicaux, le sage confie à Alou le soin de quitter le pays avec la Maternité, de rejoindre Paris et de la confier au Louvre. Commence alors pour le jeune garçon un périlleux voyage, celui d’un migrant qui risquera sa vie sur terre et sur mer pour sauver une statuette, la vie d’un homme pour la sauvegarde d’un petit bout du patrimoine humain, était-ce vraiment raisonnable ?

« Je voulais aborder le sujet très actuel des migrants… », explique Christian Lax, « La question de la survie d’êtres humains en danger est sans commune mesure avec tout autre problème ou épreuve à surmonter. Alou, le jeune Malien qui a découvert cette statuette du quatorzième siècle, et qui est chargé de l’emmener vers le musée du Louvre, a pleinement conscience que rien n’est plus précieux qu’une vie humaine. Prendre des risques pour mettre hors de portée de l’obscurantisme destructeur des islamistes un patrimoine artistique peut paraître dérisoire par rapport à celles et ceux qui se jettent sur les mêmes chemins mortifères pour sauver leur peau, et arracher leurs enfants à l’enfer. Mais préserver nos patrimoines culturels, sociaux, artistiques, c’est conserver les traces des générations précédentes. C’est entretenir la mémoire de nos origines, savoir d’où l’on vient et de qui l’on vient, autant de connaissances indispensables qui nous permettent d’envisager où l’on va ».

Après un accident qui l’a immobilisé de longs mois, Christian Lax fait donc son retour en librairie avec cet incroyable récit où se télescopent la fiction et la réalité, les croyances ancestrales du Mali et l’actualité européenne la plus brûlante, la beauté de l’art et la folie des hommes. Un graphisme au top, un scénario brillant, une histoire engagée, un regard humaniste, beaucoup de compassion et d’amour… Du Lax comme on aime!

Eric Guillaud

Une Maternité rouge, de Christian Lax. Futuropolis / Louvre Éditions. 22€

@ Futuropolis – Louvre Éditions / Lax

22 Fév

De Strangers in paradise à Motor girl : Terry Moore, l’homme qui aimait les femmes

Chantre du comics indépendant de l’autre côté de l’Atlantique, Terry Moore est surtout connu pour sa série Strangers in Paradise, véritable saga et équivalent BD de la série TV reine des années 2000, Desperate Housewives, à mi-chemin entre sitcom, polar et comédie romantique. Alors que sa série phare a été rééditée l’année dernière en trois gros volumes, le Texan faisait un détour par Paris avant d’aller au festival d’Angoulême pour parler un peu de Motor Girl, série dont les dix épisodes ont été réunies en un seul livre dans sa traduction française. On a donc parler de sa dernière création, de Strangers in Paradise bien sûr et des femmes en particulier, vu que de toutes les façons les trois sont étroitement liés…

© Chloé Vollmer Lo

Avec son regard presque enfantin et son rire cristallin, Terry Moore ne fait pas vraiment son âge. Tout comme il trahit difficilement ses origines texanes : délicat avec toujours cette petite étoile brillante dans le coin des yeux, l’artiste est presque déstabilisant de simplicité. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant : l’homme est déjà un monument de la BD américaine, et pas seulement parce qu’il est l’un des rares à avoir fait son trou hors des grands éditeurs établis. Du haut de ses plus de deux milles pages ( !) dans sa version française (et encore, la dernière suite en date n’a pas été encore traduite ici), « l’œuvre de ma vie » comme il le dit lui-même Strangers in Paradise est un véritable pavé autour duquel il a articulé toutes ses autres œuvres, de Echo à Rachel Rising et la petite dernière, bien que teintée de SF pas tout à fait sérieuse (mais peu de choses le sont avec lui), Motor Girl n’échappe pas à la règle.

Il semble que quoique tu fasses, tu seras toujours pour le public avant tout LE dessinateur de Strangers in Paradise. Est-ce que cela te va ?

Terry Moore. Oh oui, sans problèmes, Strangers in Paradise est un peu l’œuvre de ma vie, ma baleine blanche à moi et c’est si énorme que quoique je fasse, cela sera toujours quelque part dans le cadre. C’est un peu mon Moby Dick… (sourire)

Est-ce pour cette raison que dans tes autres séries, tu t’es amusé à établir des liens plus ou moins forts avec, justement, l’univers de Strangers in Paradise ?

T. Moore. Cette question risque de t’amener dans le trou de lapin, attention ! (il fait ainsi référence à ‘Alice au pays des merveilles’ et la porte supposée l’emmener dans un autre monde – ndr) Donc oui, toutes ces histoires se passent à la même époque et dans le même univers on va dire donc techniquement, ces différents personnages pourraient tout à fait se rencontrer et d’ailleurs, c’est ce qui se passe dans Strangers in Paradise XXV qui vient de sortir aux Etats-Unis et qui les unit donc toutes entre elles.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Est-ce que c’était prévu dès le départ ?

T. Moore. Non. Â la base, je n’avais en tête qu’une seule histoire, centrée exclusivement autour de l’histoire d’amour entre Katchoo et Francine, deux paumées. Après, j’ai tout de suite pensé que je pourrais en quelque sorte par exemple faire toute une série sur le quartier où elles vivaient, en dédiant une histoire par foyer de résidents. Mais petit-à-petit, la chose a débordé ce petit cadre et très vite, je me suis rendu compte que ma propre création m’avait un peu dépassé, devenant un monde à part entière que je ne cesse depuis de remplir.

L’un de tes traits de caractère est ce besoin que tu as de partir de situations ordinaires, une histoire d’amour entre deux personnes par exemple sur Strangers in Paradise, et d’y injecter à chaque fois des éléments complètement inattendus, comme le passé criminel de Katchoo ou ces petits hommes verts rigolos dans Motor Girl

T. Moore. J’adore l’idée de dépeindre des personnages ordinaires se retrouvant dans des situations extraordinaires. Regarde Spider-Man, c’est un peu la même chose, l’histoire d’un adolescent timide qui se fait un jour piqué par une araignée radioactive et qui devient un super-héros… J’avoue d’ailleurs que c’est la partie de la saga que je préfère ! Dès qu’il s’allie avec les Avengers et qu’ils essayent de sauver le monde, cela ne m’intéresse plus ! J’aime l’idée qu’une histoire te transporte ailleurs, tout en restant plus ou moins crédible. Et puis je n’oublie pas que je suis artiste de comics. Si Strangers in Paradise se résumait à une banale histoire d’amour, cela ressemblerait trop à un mauvais sitcom non ? Alors qu’en tant que dessinateur, je n’ai aucune limite de moyens, je peux dessiner ce que je veux pour rendre une histoire ordinaire extraordinaire.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Dans Motor Girl, le personnage central, Samantha, est accompagné par un gorille imaginaire qu’elle est la seule à voir et avoir des conversations avec. Difficile de ne penser à Calvin et à son tigre imaginaire Hobbes… 

T. Moore. (sourire) J’aimais bien l’idée d’avoir un mâle alpha dans l’histoire. Tout est parti de l’idée d’une série que j’avais eue il y a quelques années. J’avais prévu d’en être le personnage central et sur les croquis préparatoires, je m’étais représenté comme un type un peu gauche et maladroit. J’avais même commencé à dessiner une première histoire où je me retrouvais à inviter à diner mon voisin ultra-macho et viril que j’avais imaginé, justement, en gorille avec un costard trop petit pour lui. J’aimais bien cette idée et je l’ai donc recyclé pour Motor Girl en quelque sorte. Et puis en lui collant un gorille aux basques, j’étais ainsi sûr qu’il n’y avait aucun risque qu’elle soit draguée par qui que ce soit car soyons honnête, aucun homme ne peut lutter face à un gorille ! Je comprends le parallèle avec Calvin & Hobbes, en fait je pense que cette idée d’ami imaginaire est presque un genre en soit. J’adore aussi par exemple le film Harvey de 1950 où James Stewart a pour un ami un lapin imaginaire de deux mètres de haut… Donc Motor Girl est un peu ma contribution à ce mythe.

Sauf que tu es, limite, sadique avec le lecteur car sans en dévoiler trop, on comprend assez vite que ce gorille est en fait le symptôme d’un traumatisme profond qui tourmente l’héroïne. Donc d’un côté tu espères qu’elle va en sortir et de l’autre, tu sais que si c’est le cas, ce gorille auquel on finit par s’attacher disparaîtra de facto

T. Moore. Mais c’est exactement pour ça que cela m’intéressait. C’est le syndrome Roméo & Juliette tu sais, ah c’est beau, tu es amoureuse ah mais non, pas de ce garçon-là, surtout pas ! (sourire) Sur le plan dramaturgique, on peut faire plein de choses avec ce genre d’amour condamné d’avance. Si elle voit ce gorille, c’est parce que lors de sa dernière mission en Irak en tant que soldat, un petit garçon lui a confié son doudou gorille avant de mourir alors qu’elle essayait de le sauver. Donc cette peluche devenue un être à part entière à ses yeux représente la culpabilité avec elle est doit vivre depuis, mais dont elle sait qu’elle devra, un jour, se séparer.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Est-ce pour contrebalancer ce sous-texte assez dur que tu as rajouté les personnages de Vic et Larry, deux hommes de main gaffeurs et pas si méchants que ça ?

T. Moore. J’avais besoin de cet élément de burlesque pour retrouver un certain équilibre, sinon rien qu’avec cette thématique assez dure et ses références à la guerre en Irak et autres, Motor Girl aurait été trop noir. Et puis il y a toujours besoin d’un rayon d’espoir au bout du tunnel, sinon pourquoi continuer à vivre ? Après, c’est aussi comme ça que je fonctionne, je peux me retrouver à un enterrement et malgré tout y trouver l’inspiration pour un gag par exemple. Que veux-tu, je suis un peu bizarre… (sourire)

Tes personnages principaux sont tous des femmes. Est-ce parce qu’en tant qu’auteur, tu les trouves, disons, plus intéressantes ?

T. Moore. Oui. Mettons que toi et moi, nous nous retrouvions confrontés à un grave problème. En tant que homme, nous aurions alors, dans le meilleur des cas, trois options : taper dessus, le brûler ou tout simplement courir dans la direction opposée le plus vite possible… Alors qu’une femme aura, je ne sais pas, cinq ou six autres idées : lui parler, le comprendre, l’aider etc. C’est la nature humaine et c’est pour ça qu’en tant qu’auteur, les femmes sont beaucoup plus intéressantes, oui. 

Si tout ton univers est connecté comme tu le dis, est-ce que cela veut dire que nous allons retrouver à un moment Samantha ?

T. Moore. Oui, d’ailleurs lorsque la suite de Strangers in Paradise XXV sortira en France, tu comprendras ce que je veux dire. La fin de Motor Girl laisse volontairement plusieurs questions en suspens : qu’est-ce qui lui arrive ? Où est-elle partie ? Comment vieilli t’elle ? Le lecteur pourra trouver toutes les réponses à ses questions avec Strangers in Paradise XXV.

Est-ce que cette dernière série sera le point final de la saga ?

T. Moore. J’espère que non. D’ailleurs, même si je ne peux pas tout te dévoiler, disons queStrangers in Paradise XXV se termine sur une note, disons, assez salée et avec un gros, gros souci à résoudre. Donc il va bien falloir à un moment que je règle ça ! Après, j’ai soixante-quatre ans et j’ai beau un hyperactif, je ressens le besoin actuellement de lever un peu le pied. En tous cas, c’est ce que ma femme me dit (sourire) donc cela risque de prendre un certain temps. Mais cela arrivera.Strangers in Paradise est l’œuvre de ma vie donc tant que je respire, je compte bien la perpétuer. 

Des rumeurs parlent d’une adaptation ciné de Strangers in Paradise. Tu confirmes ?

T. Moore. Oui, même si je ne peux pas te dire grand-chose. Sauf que le casting est plus ou moins bouclé et le choix des actrices principales risquent d’en surprendre plus d’un ! Si tout se passe bien, cela devrait sortir l’année prochaine.

Propos recueillis par Olivier Badin à Paris le 23 Janvier

Motor Girl de Terry Moore, Delcourt, 19,99 euros

20 Fév

Craon. Rustine, le festival BD qui regonfle le moral

En tracteur ou à vélo, en auto ou à moto, le festival Rustine vous donne rendez-vous du 22 au 24 février à Craon en Mayenne pour une cinquième édition bourrée de créations et autres curiosités…

extrait de l’affiche

Et de cinq ! Tranquillement mais sûrement, le festival Rustine prend de la bouteille mais garde le cap d’un festival différent, alternatif, ouvert sur la bande dessinée mais aussi la musique, le tatouage, la sculpture, la photo ou encore la peinture.

La suite ici

À bord de l’Aquarius : une BD documentaire signée Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso

Il faut avoir le coeur bien accroché et pas seulement parce que la mer est parfois très agitée. À bord de l’Aquarius, Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso ont assisté au sauvetage de centaines de migrants entassés sur des bateaux de pacotille, une bouée dans un océan de malheurs. Ils nous racontent cette expérience dans un album publié aux éditions Futuropolis…

Raconter l’inadmissible, l’horreur, le malheur des uns, l’indifférence des autres, et au milieu de tout ça, au milieu de l’océan, le courage d’une poignée d’hommes et de femmes réunis sous le pavillon de l’Aquarius avec pour mission de porter secours, c’est l’objet de cette bande dessinée publiée aux éditions Futuropolis et signée par deux Italiens : le journaliste Marco Rizzo et le dessinateur Lelio Bonaccorso.

Et bien sûr, on a beau connaître l’histoire, avoir déjà lu des papiers, vu des images, entendu des témoignages plus poignants les uns que les autres, À bord de l’Aquarius est un documentaire choc. Sur 130 pages, avec un dessin réaliste léger, il décrit le quotidien de l’équipage, 35 personnes en tout, l’organisation à bord du navire et surtout les sauvetages de ces migrants, hommes, femmes, et enfants, parfois en très mauvaise santé, parfois morts pendant la traversée, tous supportant les pires conditions avec l’espoir légitime d’une vie meilleure, loin de la guerre et de la misère.

Ils sont nigériens, syriens, ivoiriens, marocains, irakiens… l’album raconte aussi des tranches de vie basées sur les témoignages, la longue route avant la traversée, le viol des femmes, la cupidité sans limite des passeurs, ceux qu’on réduit à l’état d’esclave ou d’animal, et tous ceux bien sûr qu’on envoie sur des rafiots prêts à couler, un passeport pour la mort…

Dans cet océan de malheur, Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso étaient là pour observer et rapporter. Ce qu’ils ont fait et bien fait. Mais ils se sont aussi impliqués, participant ici à un sauvetage, aidant là aux tâches quotidiennes sur le navire. Une implication qui renforce le côté humain du témoignage sans pour autant affaiblir l’approche journalistique voulue par les auteurs.

Un livre courageux qui a été différemment apprécié dans une Italie en proie à un changement radical de politique, notamment migratoire. À ce propos , les auteurs déclarent : « nous avons subi des critiques et des insultes de la part des personnes qui n’ont même pas lu le livre ! Mais on s’y attendait. Nous avons également reçu énormément de compliments et d’éloges pour notre travail, et c’et extrêmement important pour nous, car ça signifie que nous avons fait du bon boulot ». Oui, un très bon boulot !

Eric Guillaud

À bord de l’Aquarius, de Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso. Futuropolis. 19€

@ Futuropolis / Rizzo & Bonaccorso

18 Fév

Deathfix, un polar dans l’univers impitoyable du football signé Nix et Benus

Ça sent le vestiaire, ça sent surtout le sapin ! Avec Deathfix, Nix et Benus nous embarquent pour le côté obscur de la planète football, là où il n’est plus question de la beauté du sport mais d’argent et de petits arrangements entre amis. On range les crampons et on sort les flingues, bienvenue au Moscou Sporting Club…

Quand l’important n’est plus de participer mais d’encaisser le pognon, ça donne Deathfix, un polar qui nous ouvre les portes du Moscou Sporting Club. Ici, comme ailleurs, les matchs se gagnent et se perdent non plus sur le terrain mais dans les bureaux de la présidence du club.

Au plus grand désarroi de l’entraîneur, Gus, venu spécialement de Hollande pour l’amour du football, le vrai, celui qui sent la sueur. Dans cette histoire, Gus est le personnage le plus honnête même si l’homme se retrouve au coeur même de la fraude organisée, avec d’un côté des mafieux chinois qui le harcèlent, de l’autre un président véreux qui menace de le virer s’il n’obtempère pas. Et d’expliquer : « Il y a deux façons de truquer un match. La première, c’est les propriétaires et les présidents des clubs qui s’arrangent entre eux (…) L’autre façon, c’est la mafia qui paye des joueurs et des entraîneurs pour gagner ou perdre des matchs« .

Traité dans un registre humoristique, Deathfix n’en dévoile pas moins avec lucidité l’envers du décor, ces petits arrangements et grandes arnaques qui salissent le monde du sport depuis toujours. Bien sûr, l’histoire se déroule à Moscou mais elle aurait très bien pu trouver corps plus près de nous où, très régulièrement, des affaires similaires font la Une de l’actualité.

Deathfix est la première adaptation au format papier d’un webtoon, un type de BD conçu pour les portables et qui rencontre un grand succès en Corée du Sud. Les éditions Dupuis qui espèrent surfer sur la vague et développer le genre sur le marché franco-belge viennennt de lancer leur propre plateforme de diffusion Webtoon Factory. Elle compte déjà une trentaine de titres.

Eric Guillaud

Deathfix, le polar qui sent le vestiaire, de Nix et Benus. Dupuis. 14,50€

@ Dupuis / Nix & Benus

16 Fév

War is boring, le témoignage d’un correspondant de guerre sur son addiction à l’adrénaline par David Axe et Matt Bors

Comment peut-on dire de la guerre qu’elle est ennuyeuse ? C’est à première vue aussi absurde que de la considérer comme passionnante ou amusante. La guerre pour la majorité des humains, c’est l’horreur absolue. Pour David Axe, c’est une drogue dure. War is boring raconte cette surprenante dépendance…

Etre accro à la guerre, voilà qui n’est pas banal. C’est pourtant ce qui arrive à l’Américain David Axe, correspondant de guerre notamment pour le Washington Times et Esquire. De l’Irak à la Somalie, en passant par l’Afghanistan ou encore le Timor oriental, David Axe a parcouru les endroits les plus dangereux de la planète et les conflits les plus meurtriers avec parfois, entre deux attaques, deux explosions ou deux attentats, de longues périodes d’ennui. Oui, vous avez bien lu, de l’ennui !

« Trois ans en Irak à essuyer des tirs de mortier, de roquette, des explosions à la bombe. Harcelé par tous les ennemis imaginables, du petit criminel aux miliciens, en passant par les kamikazes (…) Le danger ne manquait pas mais, à ma plus grande surprise, j’ai découvert qu’on s’ennuyait en Irak. J’ai passé des mois entiers à chercher une miette d’excitation ».

Et lorsqu’il rentre au bercail, c’est la même chose, en pire. Passée l’euphorie des retrouvailles avec sa petite amie ou sa famille, David Axe ne pense plus qu’à une chose : repartir. « Avais-je choisi la guerre ou m’avait elle choisi? », finit-il par s’interroger.

Ce roman graphique mis en images par le dessinateur de presse Matt Bors raconte les guerres du journaliste mais surtout cette incroyable dépendance au chaos, à la violence du monde.

Une véritable addiction à l’adrénaline bien connue dans le milieu aujourd’hui. Avant David Axe et ce roman graphique, un autre reporter de guerre, Chris Hedges en parlait dans son livre War is a force that gives us meaning où il résume ce mal en quelques mots : “l’adrénaline du combat provoque souvent une dépendance puissante et mortelle, car la guerre est une drogue”.

C’est peut-être difficile à comprendre pour nous simples mortels, mais ne restons pas nous-mêmes hypnotisés devant les images de violence diffusées sur nos écrans ? C’est peut-être là que commence cette addiction…

Eric Guillaud

War is boring, de David Axe et Matt Bos. Steinkis. 17€

@ Steinkis / Axe & Bors

12 Fév

Ce que font les gens normaux : une histoire de notre temps signée Hartley Lin

En publiant de ce côté-ci de l’Atlantique le roman graphique Young Frances du Canadien Hartley Lin, les éditions Dargaud ont opté pour un titre plus accrocheur mais du coup beaucoup plus énigmatique. L’histoire est pourtant simple, Hartley Lin raconte la vie normale d’une jeune femme normale qui subit sa vie plus qu’elle ne la choisit…

« Personne n’a jamais rêvé d’être une grande clerc ». Tout est dit dans cette rumination nocturne de Frances. Elle n’a jamais rêvé de ce métier, personne n’a jamais rêvé de ce métier. Pourtant, elle le fait avec dévouement et sérieux. Au point de se faire remarquer par le boss et de franchir les échelons à la vitesse d’un TGV en rase campagne pendant que ses collègues sont tout simplement relégués au placard ou mis à la porte.

Bien sûr, Frances n’est pas responsable du malheur des autres, mais l’est-elle pour autant de sa propre réussite professionnelle ? Pas si sûr. Frances a l’impression d’être une spectatrice de la vie des autres comme de sa vie. Elle ne sait même pas si elle doit accepter cette reconnaissance qui l’empêche de dormir et l’interroge. Voulait-elle vraiment de cette vie de bureau ? Trop normale, presque banale. Et de cette pression quotidienne ? Surtout quand elle pense à Vickie, son amie et colocataire qui, elle, a réussi à faire de sa vie un rêve, ou vice versa.

Il faut dire que Vickie est très différente. Joyeuse, fêtarde, impulsive, elle voulait faire du cinéma et finit par décrocher le rôle de sa vie. Direction Los Angeles, laissant Frances seule avec ses questions existentielles…

« Tu devrais être en train de faire du pop corn ou de ranger tes chaussures, enfin des trucs de gens normaux », lance la jeune actrice à Frances qui oublie de lâcher ses dossiers pour s’amuser.

Réaliste dans l’écriture comme dans le traitement graphique, Ce que font les gens normaux est une petite douceur dans un monde de brutes, un roman à la fois léger et profond sur la vie, ce que nous en faisons, ce que nous pourrions en faire. Mais pas question de donner des leçons ici, Hartley Lin raconte les doutes, les peurs, les angoisses des jeunes adultes face à un monde souvent hostile, avec beaucoup de finesse, de tendresse et d’empathie. Un très bel album qui ne peut laisser indifférent !

Eric Guillaud

Ce que font les gens normaux, de Hartley Lin. Dargaud. 18€

@ Dargaud / Hartley Lin

08 Fév

Les Herbes folles : quand le Lapinot de Trondheim se met au vert en 365 dessins

365 dessins et pas un de plus ! Tout est parti d’un pari un peu fou ou plutôt d’une bonne résolution, ce qui revient un peu au même, de celles qu’on prend en début d’année à la fin d’un repas généralement bien arrosé. Mais quand certains se promettent l’arrêt du tabac ou la reprise du sport, d’autres, comme Lewis Trondheim, s’engagent à faire un dessin par jour pendant un an… Et qu’est-ce qui est sorti de son chapeau ? Un lapin bien sûr…

C’est un tout petit livre, un format à l’italienne n’excédant pas les 16 cm sur 11. Petit mais épais, 365 pages et des poussières. 365 pages pour autant de dessins réalisés par Lewis Trondheim et publiés du 1er janvier au 31 décembre 2018 sur son compte Instagram.

Un sacré pari, tenu et remporté haut le crayon par Lewis Trondheim. Non seulement, l’auteur a tenu la cadence mais il réussit au bout du compte à nous embarquer dans une drôle d’histoire où la nature a décidé de reprendre ses droits. Du vert partout, du lierre, des racines, des arbres, des herbes folles… ont envahi les rues de la ville, les appartements et même les frigos.

Et Lapinot dans tout ça ? Le personnage emblématique de Lewis Trondheim a retrouvé Richard pour une déambulation jubilatoire et muette où l’on croise de drôles de bestioles, où l’on lit entre les traits les problématiques environnementales actuelles, où enfin l’amour et l’amitié tiennent une place de choix. Une intrusion du surnaturel dans un monde presque réel. Un bel album, un nouveau souffle pour Lapinot !

Eric Guillaud

Les Herbes folles, Les Nouvelles aventures de Lapinot. L’Association. 19€. 

L’info en +. Pour les fans hyper fans et hyper riches, il existe aussi une édition super luxe avec une couverture blanche, toute blanche, à faire personnaliser avec un dessin de Lewis Trondheim lui-même. Tirage limité à 50 exemplaires numérotés et signés. 350€

@ L’Association / Trondheim

06 Fév

Jeremiah : premier volet d’une somptueuse intégrale en noir et blanc

C’est du lourd, du très lourd même, 2 kg 500 pour l’avoir pesé, 288 pages en noir et blanc pour les avoir comptées, le tout dans un grand format luxe de 340X267, le premier volet de l’intégrale Jeremiah version collector est sorti. Un régal pour les yeux et la tête…

Waouh ! Vous pouvez rester bouche bée mais par les bras ballants. L’ouvrage pèse son poids et ce serait dommage de le laisser lamentablement choir sur le bitume.

Paru dans la collection Niffle / La Grande Bibliothèque, le premier volet de cette intégrale en noir et blanc est un pur bijou, de ceux qu’on aime laisser traîner sur le coin d’une table tel un trophée ou un bel objet de déco.

Mais c’est bien évidemment plus que ça, derrière la beauté de l’objet, il y a une légende, Jeremiah, trente six albums à ce jour, tous signés de la main du maître Hermann, un univers unique qui nous embarque dans un futur post-atomique à la Mad Max, crépusculaire à souhait.

« J’avais lu Ravage de Barjavel », explique Hermann… « un excellent bouquin dont l’action se situe après une guerre atomique… La Terre est ravagée et toute la sauvagerie de l’homme se donne alors libre cours ». Un bon résumé de ce qui attend Jeremiah, son acolyte Kurdy et les lecteurs.

Ce premier volet réunit La nuit des rapaces, Du sable plein les dents, Les héritiers sauvages, Les yeux de fer rouge, Un cobaye pour l’éternité et La secte, les cinq premiers albums publiés entre 1979 et 1982 aux éditions Dupuis.

Bon alors forcément, le prix est un peu élevé, 49€, mais les fans de Jeremiah et Hermann comprendront dès la première page, dès la première rencontre entre Jeremiah et Kurdy, qu’ils ont entre leurs petites mains fébriles une édition historique et l’occasion de mesurer tout le talent de l’auteur dans l’écriture et surtout dans le graphisme avec ces planches grand format en noir et blanc qui révèlent plus que jamais la finesse du trait, une maîtrise absolue du noir et blanc, une précision de tous les instants. Du grand art !

Eric Guillaud

Jeremiah, intégrale N/B, de Hermann. Dupuis / Niffle. 49€

@ Dupuis-Niffle / Hermann

Amer Beton : la réédition d’un chef-d’oeuvre de Taiyou Matsumoto

Dans le monde du manga, voilà un auteur qui tient une place à part, un auteur au trait inimitable. Il s’appelle Taiyou Matsumoto. Cette intégrale a été publiée à l’occasion de l’exposition qui lui était consacrée lors du dernier Festival international de la bande dessinée à Angoulême…

Publié en trois volumes par les éditions Tonkam en 1996 – 1997 avant d’être réédité en un volume en 2007 puis à nouveau en ce début 2019, Amer Beton est ce qu’on peut appeler un petit chef-d’oeuvre du genre, un manga fort et singulier, à la fois par son approche narrative et graphique. À tel point qu’il a été adapté au cinéma par l’Américain Michael Arias en 2006 mais aussi au théâtre.

L’auteur, Taiyou Matsumoto, s’est fait connaître à travers une série de mangas dans l’univers du sport (Straight, God Save the knuckle….). Avec Amer Beton, il décide de mettre ses tripes sur la table et de laisser parler cette colère qui le suit depuis son enfance, passée loin de ses parents. « C’est une oeuvre matricielle, symbole de mon travail », admet-il dans une interview accordée à 20 Minutesavec comme toujours un regard posé sur l’enfance. Ou depuis l’enfance. Cette fois, il le fait à travers les yeux d’un tandem de gamins sans fois ni loi, deux orphelins qui ne possèdent rien et n’ont donc rien à perdre, tout à gagner, un peu de monnaie ici, une montre là.

Ces gamins s’appellent Blanko et Noiro, le Yin et le Yang (autre thème constant de son oeuvre), ils ont fait de la ville de Takara, doux mélange de Tokyo et Osaka, leur terrain de jeu privilégié, un jeu, vous avez bien lu, dont le but serait de survivre au milieu du chaos permanent, de la pauvreté et de la violence. Jusqu’au jour où débarque une bande de yakusa bien décidée à mettre la main sur la région…

Cette très belle réédition parue chez Delcourt / Tonkam nous permet donc de retrouver un auteur et un univers singuliers, influencés par une multitude de courants, de dessinateurs, notamment européens comme Mœbius. De fait, le style de Matsumoto en perpétuel évolution déroge à la règle du manga formaté et lisse.

Plusieurs autres-chefs d’oeuvre de Taiyou Matsumoto viennent d’être réédités à l’occasion de l’exposition visible à Angoulême jusqu’au 10 mars, entre autres Number 5 en intégrale chez Kana et Ping Pong chez Delcourt / Tonkam.

Eric Guillaud

Amer Beton, de Taiyou Matsumoto. Delcourt/Tonkam. 29,99€

À lire : l’excellent dossier sur Matsumoto dans le numéro 6 des Cahiers de la BD