11 Jan

Esad Ribic ou comment sublimer le tragique chez les super-héros

Esad Ribic ne rentre dans aucun moule. Ce croate, qui fêtera cette année ses cinquante ans, détonne aussi bien par son style très sculptural que par son parti-pris graphique à la fois majestueux et froid. Et comme il se fait très rare ces dernières années, préférant se consacrant à la réalisation de couvertures, chacune de ses sorties est un mini-événement en soit. Ça tombe bien, il y en deux ce mois-ci !

Aussi talentueux qu’il soit par contre, cela ne l’empêche de se ‘rater’ parfois… Comme avec cette nouvelle adaptation de la série Les Éternels, à l’occasion de la sortie de l’adaptation cinématographique sortie un peu en catimini en France en Novembre dernier. Il faut dire que sur le vieux continent, la série est loin d’avoir l’aura qu’elle a aux Etats-Unis.

 l’origine, Les Éternels est une création du ‘king of comics’ Jack Kirby, la superstar absolue de la maison MARVEL. Kirby était intouchable dans les 60’s (Quatre Fantastiques, Thor, Captain Americaetc.) mais après s’être fâché avec MARVEL, il avait filé à la concurrence avant de revenir finalement quelques années au bercail. Publié en 1976, Les Eternels est peut-être sa dernière grande œuvre. On y découvre une race d’être immortels (ces fameux éternels donc) crées par des extra-terrestres il y a un million d’années dans le but alors avoué de faire évoluer ensuite l’espèce humaine. Mais leur conflit avec les plus génétiquement instables déviants, leurs cousins en quelque sorte, les obligent à se cacher pendant des siècles, jusqu’à ce qu’ils soient redécouverts par hasard.

Pour faire simple, jamais avant ou après Kirby (qui signait ici aussi le scénario) n’a été aussi mystique, jonglant avec des concepts assez complexes tournant autour de l’immortalité, de l’ordre du cosmos et ce genre de choses assez fumeuses. On ne comprenait pas tout mais c’était beau, très beau car rarement le King n’avait été aussi emphatique.

© J.M. Straczynski et Esad Ribic

Et bien avec cette nouvelle mini-série de cinq épisodes tous réunis pour cette version française, c’est un peu la même chose. Le scénariste Kieron Gillen a beau essayer à la fois de réinventer la mythologie tout en y restant fidèle, les longues plages de dialogues assez abscons – avec d’incessantes références antérieures au récit que seuls les initiés comprendront – risquent de décourager même les plus braves. Même le d’habitude très expansif Ribic semble un peu étriqué dans cet univers bavard malgré les couleurs très chatoyantes et où les quelques scènes d’actions ou l’intervention du super-méchant Thanos ne semblent avoir été rajoutés que pour tenter de raviver l’intérêt général.

Non, en fait, si on veut vraiment prendre la pleine mesure du croate, il faut se jeter sur Silver Surfer : Requiem, édité qui plus est en version grand format. Il fallait au moins ça pour s’en prendre plein les mirettes et ainsi assister à la mort de l’un des personnages les plus christiques si l’on peut dire de MARVEL et ancien héraut de Galactus le mangeur de planète.

© Kieron Gillen et Esad Ribic

C’est simple, avec Loki et Thor : Le Massacreur de Dieu, ceci est sûrement LE chef d’œuvre de Ribic, un chant du cygne (littéralement) aux accents tragiques presque shakespeariens et d’une force émotionnelle intense. Presque un comble, tant la critique récurrente qu’on entend à propos du croate est justement le côté parfois trop figé et donc peut-être un désincarné de ses dessins.  Sauf qu’ici, tout a été fait pour magnifier son style majestueux. Il faut dire que le scénario est (volontairement) des plus minimaliste : atteint d’une sorte de cancer et se sachant condamné, le surfeur d’argent décide ici en quelque sorte de solder les comptes et d’aller revoir son monde natal une dernière fois avant de mourir.

© Kieron Gillen et Esad Ribic

Ce n’est pas pour rien que le quatrième de couv’ parle d’une édition « qui met en valeur les (…) peintures de l’artiste ». Parce qu’on parle bien ici de véritables peintures, où cet être impassible au corps intégralement chromé et lancé à travers l’espace sur sa planche cosmique devient des plus émouvants alors qu’il apprend petit-à-petit à accepter son destin. Impossible d’ailleurs de ne pas penser au mythique La Mort De Captain Marvel sorti en 1982 et où le scénariste Jim Starlin avait réalisé un récit introspectif aussi tragique qu’émouvant et où le héros mourait, déjà, d’un cancer.

Pas de bastons épiques, pas de convulsions scénaristiques et encore moins de coups de théâtre. Juste un dessinateur au sommet de son art et un personnage stoïque face à son destin. Chef d’œuvre !

Olivier Badin

Le Éternels : Seule La Mort Est Éternelle de Kieron Gillen et Esad Ribic. 20,99€.

Silver Surfer : Requiem de J.M. Straczynski et Esad Ribic. 28€.