15 Mar

Dix secondes de Max de Radiguès : comme un air de Fureur de vivre

Après un petit détour par le polar, le western et la science-fiction, Max de Radiguès retrouve la fiction réaliste en explorant le quotidien d’un adolescent qui combat l’ennui et son mal-être par la drogue et les jeux dangereux……


Dix secondes pour se sentir vivant, dix secondes pour peut-être mourir ! C’est un rituel pour le jeune Marco : lorsqu’il arrive en scooter à hauteur du panneau de Rixensart, sa commune, il ferme les yeux et compte jusqu’à 10. Parfois, c’est la gamelle, parfois ça passe de justesse. Il faut dire qu’à part ça, Marco s’ennuie à mourir dans son patelin. Un père absent, une mère étouffante, une banlieue d’une tristesse sans fin à quelques kilomètres de Bruxelles. Les seules distractions qu’il partage avec ses potes sont l’herbe, l’alcool, le tout à s’en rendre malade. Marco est capable de siphonner une bouteille entière d’un douteux mélange aromatisé au coca et de vomir aussitôt dans le sac à dos d’un de ses copains.

La loose totale ! Et si encore, il se rattrapait à l’école. Mais le constat est sans appel : l’école n’est vraiment pas faite pour lui. Quant aux filles ? Ce n’est guère mieux. Marco est maladroit, voire timoré. Et quand il croise la route de Zoé, on pourrait l’imaginer sorti d’affaire, avoir trouvé le chemin pour grandir… mais non !

Prépubliée dans les pages du fanzine Ketje, Dix Secondes est une fiction largement inspirée de la jeunesse de Max de Radiguès qui a lui-même grandi à Rixensart. Comme il le précise en fin d’ouvrage, les personnages sont le fruit de son imagination et de gens qu’il a pu croiser à l’époque. Quoi qu’il en soit, le décor planté est lui bien réel, et rappellera sans doute quelque chose à beaucoup d’entre nous, une ville de banlieue pavillonnaire des années 1990 avec sa jeunesse qui zone en mobylette entre deux petits joints et quelques bières, une jeunesse qui s’ennuie à mourir et cherche une bonne raison de vivre.

Comme toujours, Max de Radiguès aborde son sujet avec une immense douceur, une touche d’humour irrésistible, un graphisme simple, épuré, reconnaissable entre tous et une mise en page d’une extrême fluidité. À la fois auteur, éditeur à L’Employé du Moi et directeur de collection chez Sarbane, Max de Radiguès n’en finit pas de faire du bien au neuvième art partout où il passe. Un livre à acheter les yeux fermés et à lire sans compter !

Eric Guillaud

Dix secondes, de Max de Radiguès. Casterman. 22€

© Casterman / Max de Radiguès

11 Mar

Kieran et Doug Headline inaugurent le label Aire Noire avec l’adaptation d’un roman de la série Parker de Richard Stark

Les amoureux du roman noir ne peuvent décemment ignorer la série Parker de l’Américain Richard Stark alias Donald Edwin Westlake. Et si tel est le cas, voici l’occasion rêvée de rattraper l’affaire avec La Proie, une adaptation en BD du roman Un Petit Coup de vinaigre paru en 1969 chez Gallimard. À la manœuvre, deux fines gâchettes du genre, Doug Healdline et Kieran….

Un bon petit hold-up des familles ! C’est le programme du jour pour Parker et sa bande de braqueurs. Tous des professionnels, des gars expérimentés qu’il connaît plutôt bien. Tous, sauf George Uhl, le chauffeur, qui semble un peu nerveux. Parker se méfie de lui, et il a raison. Car une fois le hold-up réalisé, Uhl va tenter de se débarrasser de ses trois partenaires pour s’approprier le butin. Une balle pour l’un, une balle pour l’autre. Seul Parker parvient à échapper au carnage. Et ça, ce n’est clairement pas bon pour Uhl qui va devenir la proie de Parker pour le restant de ses jours…

Pour inaugurer ce nouveau label dédié au polar, les éditions Dupuis se devaient de frapper fort. Et c’est réussi, tant Parker est un personnage emblématique du genre, sans états d’âme, froid, professionnel. Sur un peu plus de 100 pages, La Proie est une adaptation noire serrée du livre de Richard Stark, traduit en France sous le titre Un Petit Coup de vinaigre. Cette chasse à l’homme effrénée dans l’Amérique des années 60 est menée de main de maître par Doug Headline au scénario, lequel partage la direction du label avec Olivier Jalabert, et Kieran au dessin. D’un côté, une écriture concise, de l’autre, un trait nerveux et incisif, au centre des atmosphères sombres et violentes à souhait… Parker reste incontournable pour tous les amateurs du genre.

D’autres titres Aire Noire sont d’ores et déjà annoncés, notamment Contrapaso de Teresa Valero, Que d’os! de Max Cabanes et Doug Headline, Dernière aube de Jérémie Guez et Attila Futaki ou encore Dortmunder de Jesus Alonso Iglesias et Doug Headline. Avec toujours, annonce l’éditeur, « la promesse d’une qualité littéraire et narrative équivalente à celle du catalogue Aire Libre ».

Eric Guillaud

Parker, La Proie, de Richard Stark, Kieran et Doug Headline. Dupuis. 20,50€

© Dupuis / Stark, Kieran & Headline

08 Mar

Journée internationale de lutte pour les droits des femmes : une sélection de BD engagées

À l’occasion de la Journée des Droits des Femmes, nous vous proposons une sélection de bandes dessinées récentes qui offrent un éclairage précieux sur les luttes féministes. Trois BD, trois femmes, trois parcours, mais un seul combat !

Sorti en octobre dernier aux éditions Steinkis, Les Femmes ne meurent pas par hasard aborde la thématique des violences faites aux femmes à travers le portrait d’Anne Bouillon. Cette avocate inscrite au barreau de Nantes, féministe revendiquée, a renoncé à défendre les hommes violents pour se concentrer sur son engagement auprès des femmes.  « J’ai choisi mon combat », lui font dire dès les premières pages les autrices Charlotte Rotman et Lison Ferné.

Elle a choisi son combat, et quel combat ! Féminicides, violences physiques, menaces, viol, harcèlement, emprise… Anne Bouillon croule sous les dossiers et les témoignages de femmes. Un véritable cortège de souffrances. 

De son cabinet aux salles d’audience, Charlotte Rotman et Lison Ferné nous permettent de suivre l’avocate dans ce combat par ses actes et ses mots avec une approche documentaire qui se veut au plus près de la réalité. Un long travail d’observation et d’écoute a été nécessaire pour les autrices dont l’objectif premier était de « montrer comment les femmes s’adressent à la justice pour des cas de violence et comment la justice essaie de répondre ». Forcément instructif !

Les Femmes ne meurent pas par hasard, de Charlotte Rotman et Lison Ferné. Steinkis Éditions. 24€

La suite ici

Eric Guillaud

01 Mar

Love not dead et Lover Dose : Quand l’amour ne rime plus avec toujours ou glamour…

Parce que l’amour ne rime pas forcément avec toujours, certains ont pris le parti d’en rire. Chacun dans son style graphique, Fortu et Shyle Zalewski nous offrent ici de quoi se détendre avec des histoires courtes et lucides sur les aléas de la vie amoureuse…

Et si l’amour disparaissait à jamais ! Ou pire encore, s’il n’avait jamais existé que dans l’esprit de quelques marginaux, comme une idéologie ou un simple concept. C’est le parti pris de Love not Dead, un petit format carré de Shyle Zalewski paru dans la collection Pataquès des éditions Delcourt. Avec ses cheveux mi-longs et ses lunettes toutes rondes, le protagoniste central a tout du parfait romantique. L’amour, il y croit ! Du moins, il y croyait jusqu’au jour où sa moitié le met dehors. Et dehors, l’amour n’existe pas ou plus, il est devenu une anomalie mentale qui fait souffrir. Dans cette société-là, un cœur n’est plus que le symbole d’une paire de fesses, la Saint Valentin, un jour comme les autres et même la célèbre chanson des Beatles, Love me Do, a été rebaptisée Hate me Do ! Bref, notre romantique de service va tenter de remettre un peu d’ordre et d’amour dans tout ça, mais il va avoir du boulot, beaucoup de boulot… (Love not dead, de Shyle Zalewski. Delcourt. 16,95€)

Du néant à l’overdose, il suffit finalement d’un peu d’imagination et d’un bon coup de crayon. Fortu ne manque ni de l’un ni de l’autre pour nous raconter l’amour dans un album baptisé Lover Dose paru aux éditions Expé. Qu’il s’agisse de l’amour vache, de l’amour complice, parfois brutal, pas toujours partagé, sportif, interdit, adultère ou même simulé, l’auteur explore ici toutes les facettes de l’amour dans une série d’histoires courtes sur une page mettant en scène des couples plus ou moins amoureux, plus ou moins habillés, dans des situations plus ou moins cocasses, révélant au passage toutes les contradictions et les complexités des relations humaines. À lire dans son lit seul ou à plusieurs ! (Lover dose, de Fortu. Expé Editions. 18,95€)

Eric Guillaud

26 Fév

Nouveauté 2025. Billy Lavigne, deuxième round d’une trilogie autour du western signé Anthony Pastor

Il a l’Amérique dans la peau, et même un peu dans son prénom, référence à Anthony Quinn, mais c’est dans l’univers de la bande dessinée qu’Anthony Pastor s’est véritablement imposé, en tant qu’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Récemment, il s’est aventuré dans une trilogie consacrée au western. Billy Lavigne en est le deuxième volet, offrant une nouvelle chevauchée féministe en tout point audacieuse dans un univers violent et masculin…

Souvenez-vous, il y a deux ans exactement sortait La Femme à l’étoile aux mêmes éditions Casterman, un huis clos fortement enneigé quelque part dans l’Ouest américain avec pour héros ou plus exactement pour héroïne Perla, femmes indépendante et de caractère, porteuse d’une étoile de shérif non pas pour faire la loi comme les hommes mais pour afficher son refus de l’ordre patriarcal établi.

Anthony Pastor y révélait, en plus d’un état d’esprit féministe, une passion pour le western, réutilisant avec bonheur les codes du genre pour mieux nous servir une œuvre sensible à l’air du temps.

Avec Billy Lavigne, on ne change rien ou plutôt si, le personnage principal est un homme cette fois, l’incarnation parfaite du cowboy, viril et un brin sauvage. Mais l’objectif reste le même, comme l’explique l’auteur : « En gardant les codes, je fais le pari de renouveler l’idéologie sous-jacente, et peut-être d’amener à réfléchir ceux qui comme moi sont des amoureux du genre ».

© Casterman / Pastor

Et de fait, Billy Lavigne a beau être un mâle dans toute sa splendeur, il n’en est pas moins fragile et l’assassinat de sa mère qu’il n’a pas même pu enterrer va le foudroyer. Lui qui cherchait déjà un père perdait brutalement sa mère. Et la vengeance n’y pourra rien changer…

Dans ce deuxième volet de la trilogie, Anthony Pastor revisite l’esthétique du western avec un graphisme qui peut surprendre au premier coup d’œil, notamment sur la couverture, mais offre au final une profondeur sans pareil au récit, aux personnages et aux décors. Et les couleurs, savant mélange d’encres acryliques et d’aquarelles, ne font qu’accentuer cette impression, l’auteur cherchant à « impacter la rétine ». Parmi les influences revendiquées de l’auteur : Van Gogh, comme on peut s’en douter, mais aussi Bonnard et les Nabis, sans oublier Giraud et les aventures du Lieutenant Blueberry dont Anthony Pastor est bien évidemment un immense fan.

© Casterman / Pastor

Après La Femme à l’étoile et Billy Lavigne, Anthony Pastor travaille aujourd’hui sur le troisième album de la série, Retour au Yellowstone, qui mettra en scène un couple vieillissant dont la femme est atteinte de la maladie d’Alzheimer. « Ni violence, ni coup de feu… », prévient l’auteur, simplement un autre regard sur un genre qui ne demande qu’à être revisité et pourquoi pas, comme ici, sur un air de Bob Dylan. Splendide !

Eric Guillaud

Billy Lavigne, d’Anthony Pastor. Casterman. 22€ (en libraire le 5 mars)

23 Fév

Nouveauté 2025. Greffier : Quand Joann Sfar suivait le procès des caricatures de Mahomet pour Charlie Hebdo

Sixième volume des carnets de Joann Sfar, Greffier est initialement paru en mars 2007. Il est le premier à se concentrer sur un thème spécifique, en l’occurrence Charlie Hebdo et le procès des caricatures de Mahomet. Dix ans après les attentats contre le journal satirique, les éditions Delcourt en proposent une nouvelle édition qui n’a rien perdu de sa pertinence, offrant une réflexion toujours d’actualité sur la liberté d’expression…

Petit rappel des faits : Nous sommes en 2005, le quotidien danois Jyllands-Posten publie dans ses pages plusieurs caricatures de Mahomet provoquant de nombreuses réactions dans le monde musulman, des manifestations, des pressions diplomatiques, des ambassades danoises incendiées et une mise à prix de la tête des dessinateurs par un groupe extrémiste pakistanais.

Quelques mois plus tard, la presse européenne reprend les caricatures, suivie en France par France Soir, Libération et enfin Charlie Hebdo, en y adjoignant d’autres caricatures signées par l’équipe du journal dont le fameux Mahomet débordé par les intégristes de Cabu en couverture.

Trois organisations islamiques, la Mosquée de Paris, l’Union des Organisations Islamiques de France la Ligue Islamique Mondiale, vont porter plainte contre Charlie Hebdo pour « injure publique à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur religion ».

Le procès se déroule les 7 et 8 février 2007, une audience historique qui s’achève par une franche victoire de la liberté d’expression.

Durant les deux jours de procès, Joann Sfar redevient dessinateur pour Charlie Hebdo et croque sur le vif son déroulement. Ce livre réunit l’ensemble des pages qui en découlent ainsi qu’une compilation de chroniques réalisées pour le même journal. Forcément riche en enseignement !

Eric Guillaud 

Greffier, de Joann Sfar. Delcourt. 22,50€

© Delcourt / Sfar

21 Fév

Nouveauté 2025. Aquablue : retour sur la planète bleue avec Fred Duval, Stéphane Louis et Véra Daviet

N’ayons pas peur des mots : nous avons là l’une des plus grandes séries de science-fiction de la bande dessinée francophone qui a inspiré et continue d’inspirer aujourd’hui encore de nombreux auteurs, Aquablue est de retour avec un dix-neuvième épisode emmené une nouvelle fois par Stéphane Louis au dessin et par un petit nouveau qui n’en est pas vraiment un au scénario, Fred Duval…

Les choses ont bien changé depuis le lancement de la série en avril 1988. À commencer par la révolution numérique qui a profondément modifié nos vies. Mais une chose n’a pas évolué, ou plutôt si, elle a empiré, c’est cette capacité qu’ont les hommes à détruire l’environnement pour posséder toujours plus.

Retour vers le futur ! Un futur imaginé par Thierry Cailleteau au scénario et Olivier Vatine au dessin avec, dans le rôle-titre, Aquablue, une planète bleue, couverte essentiellement d’océans et habitée par une communauté de pêcheurs pacifiques. Le seul terrien dans les premières pages de l’album d’ouverture s’appelle Nao. Il est l’unique rescapé d’un naufrage spatial et a été élevé par les indigènes. Une vie de rêve jusqu’à l’arrivée d’autres Terriens ambitionnant de créer sur la planète un complexe industriel aux conséquences environnementales forcément désastreuses. Pour Nao et le peuple d’Aquablue, c’est le début d’une longue résistance à armes inégales.

© Delcourt / Duval, Louis & Daviet

Trente-sept ans et quelques péripéties plus tard, Nao reste au cœur des aventures, malgré les multiples changements d’auteurs et le décès de Thierry Cailleteau. Pour ce 19ᵉ volet, Stéphane Louis, déjà présent sur l’épisode précédent, reprend les pinceaux, tandis que Fred Duval, auteur prolifique de près de 200 albums, dont de nombreux récits de science-fiction (Carmen Mc Callum, Travis, Renaissance, Apogée…), signe le scénario. Un parcours impressionnant qui lui a valu d’être nommé chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2020.

Un parcours qui a surtout débuté dans les années 90 dans le petit cercle formé alors par quelques auteurs rouennais dont faisaient partie Olivier Vatine et Thierry Cailleteau, les créateurs d’Aquablue. Autant dire que ce n’est pas tout à fait un hasard si on le retrouve aujourd’hui à la tête de la série, Fred Duval était l’homme de la situation.

© Delcourt / Duval, Louis & Daviet

Et l’histoire de ce nouvel épisode ? On retrouve avec plaisir l’univers qui a fait le succès de la série, les personnages, les décors, les vaisseaux spatiaux, une bonne dose d’action, une pointe d’humour et la belle petite touche écolo qui a fait la différence depuis le début, ici la mort mystérieuse de plusieurs Uruk Uru, ces monstres marins vénérés par la population locale. Pour en découvrir les raisons, Nao va devoir enfreindre l’interdiction qui lui est faite de mettre les pieds sur Aquablue et tenter par la même occasion de renouer le dialogue avec son fils Ylo. Et l’affaire ne sera pas des plus simples !

Côté graphisme, Stéphane Louis s’en sort très bien avec un dessin qui ne joue pas l’esbroufe mais vise l’essentiel, l’efficacité avant tout, les couleurs de Véra Daviet faisant le reste du boulot. Du divertissement avec un D majuscule !

Eric Guillaud

Clandestin, Aquablue tome 19, de Duval, Louis, et Daviet. Delcourt. 15,50€

15 Fév

Nouveauté 2025. L’Abîme de l’oubli : Paco Roca et Rodrigo Terrasa exhument l’histoire de la guerre d’Espagne

Pourquoi s’entêter à remuer le passé ? Pour ne jamais oublier ! C’était précisément l’objectif des exhumations des victimes de la guerre civile espagnole entreprises dans les années 2000 sur plusieurs fosses communes à travers le pays. Et c’est encore l’objectif de cette bande dessinée qui retrace justement l’une d’entre elles

Plus d’un million de morts, des dizaines de milliers de disparus, autant d’exilés, plus de 4000 fosses communes, un pays en ruine, déchiré pour des années, pour des dizaines d’années.

L’Espagne aussi a connu ses heures sombres au milieu du XXe siècle, laissant le pays exsangue et longtemps enclin à préférer la politique de l’oubli, une amnésie nécessaire au retour de la démocratie selon certains, une amnésie aussi impardonnable que les crimes commis, selon les autres.

Il faut attendre les années 2000, soit plus de 20 ans après le rétablissement de la démocratie, pour que des exhumations soient initiées à travers le pays avec pour ambition de rendre les corps des victimes de la guerre civile aux familles. Mais leur réalisation est demeurée intermittente, soumises aux aides accordées selon les partis au pouvoir.

Cet album signé par Paco Roca, auteur multi-récompensé, et Rodrigo Terrasa, journaliste au El Mundo, raconte l’histoire d’une de ces exhumations. La fosse commune porte le numéro 126, se trouve dans le cimetière de Paterna, du côté de Valence. Il raconte le travail des archéologues, le combat des familles pour récupérer les ossements de leurs proches, il raconte surtout la répression franquiste, les fusillades à la chaine, les milliers de morts, les corps jetés dans l’abîme de l’oubli avec de la chaux pour unique linceul.

Dans un pays qui ne parvient toujours pas à regarder son passé en face, qui se déchire politiquement autour de sa mémoire, Paco Roca et Rodrigo Terrasa entendent donner à travers ces quelques 300 pages « une voix à tous ceux que l’histoire a réduits au silence ».

Pour la réalisation de cet album, les auteurs ont consulté des archéologues, des historiens, des journalistes, recueilli des témoignages de familles de victimes, exploré de nombreuses archives et visité divers sites d’exhumation. Ce travail minutieux de documentation en fait aujourd’hui un témoignage précieux et incontournable pour la mémoire collective.

Eric Guillaud

L’abîme de l’oubli, de Roca et Terrasa. Delcourt. 29,95€

Delcourt / Roca & Terrasa

13 Fév

Nouveauté 2025. Lune de miel de Bastien Vivès : en route pour de nouvelles aventures

Après La Vérité sur l’affaire Vivès, une bande dessinée satirique qui revenait sur les accusations d’apologie de l’inceste et d’éloge de la pédopornographie portées contre lui, Bastien Vivès retourne à la fiction avec le premier volet d’une nouvelle série intitulée Lune de miel, voulue comme un hommage aux films d’action des années 80…

« Dis à mamie de remonter le téléphone, je vois juste vos pieds ». C’est avec cette phrase, qui résonnera sans doute auprès de nombreux parents ayant laissé leurs enfants pour quelques jours de vacances au soleil, que s’ouvre Le Baiser du Sphinx, premier volet de la nouvelle série Lune de miel emmenée par Bastien Vivès. Et de fait, Sophie et Quentin sont partis en amoureux pour une île grecque faire le plein de soleil et le vide autour d’eux.

« Et si le paradis, c’était juste une plage déserte, le soleil, faire l’amour, manger des saganakis… »

Le problème avec le paradis, c’est qu’il n’est jamais très loin de l’enfer. Il suffit d’un hasard malheureux, d’une rencontre imprévue, pour que tout bascule. Ce hasard malheureux s’appelle Olivier Troimil. Sophie et Quentin ne le reconnaissent pas tout de suite, lui très bien. Et de les inviter sur son bateau pour un dîner avec « des gens sympas ».

Enfin son bateau… pas vraiment. Le véritable propriétaire, Jacques Vermulen, est un grand collectionneur de bandes dessinées et accessoirement un trafiquant d’armes. Et les « gens sympas » conviés pour le dîner ? Des barons de la pègre. Sophie et Quentin ont à peine le temps de comprendre dans quelle situation ils se sont fourrés que la soirée dérape et tourne au carnage…

Terminées les gentillettes vacances de papa et maman ! Comme dans ses deux albums de Corto Maltese, Océan noir et La reine de Babylone, l’aventure, la grande aventure, ne pouvait être qu’au bout de la rue de Lune de miel, le tout premier album de 48 pages de l’auteur plutôt habitué jusqu’ici aux romans graphiques au nombre de pages plus conséquent. Et quelle aventure : une belle brochette de narcotrafiquants surarmés et cocaïnés, un papillon tropical tueur, un yacht qui finit par exploser, des requins qui nous rejouent Les Dents de la mer… bref, un vrai récit d’action qui ne manque ni de rythme ni d’humour.

Eric Guillaud

Le Baiser du sphinx, Lune de miel tome 1, de Bastien Vivès. Casterman. 14,95€

© Casterman / Vivès

11 Fév

Vacances d’hiver : 12 mangas à lire sur les skis ou dans un lit

Vacances, on oublie tout… ou presque ! On n’oublie pas de lire, et pourquoi pas de lire des mangas. Vous n’y connaissez rien mais vous êtes un brin curieux, alors voici une petite sélection de nouveautés rien que pour vous…

Attention, pépite ! L’œuvre culte de Taiyô Matsumoto, Frères du Japon, fait son grand retour dans le catalogue Delcourt / Tonkam avec une édition prestige qui devrait ravir les amoureux des univers poétiques et oniriques du Mangaka. Ce recueil est composé de neuf nouvelles, neuf histoires singulières où se mêlent réalisme et imaginaire. Il y explore ses thèmes fétiches, notamment l’enfance, la folie et la mort, avec un graphisme époustouflant, immédiatement reconnaissable par ses influences européennes à chercher notamment du côté de Moebius. Un trait racé, des planches à la composition parfaite, un noir et blanc à tomber par terre et des personnages qui nous embarquent dans leur histoire, Frères du Japon prouve si besoin est l’immense talent de Matsumoto. (Frères du Japon, de Taiyô Matsumoto. Delcourt Tonkam. 19,99€)

Comme nous l’avons vu avec Taiyô Matsumoto, certains auteurs japonais s’inspirent de la bande dessinée européenne, tandis qu’à l’inverse, des auteurs européens puisent leur inspiration dans le manga. C’est le cas d’Ariane Astier, qui signe avec Moody Rouge son premier livre, un manga qui conserve néanmoins un sens de lecture occidental. Côté histoire, Moody Rouge s’inscrit, nous dit l’éditeur, dans la filiation des mangas horrifiques de Naoki Urasawa avec pour personnage un enfant adopté, Ben, qui décide de partir à la recherche de sa famille biologique et tombe sur un secret de famille qui va bouleverser sa vie. (Moody Rouge, d’Ariane Astier. Casterman. 18€)

Le 109e tome de One Piece, la série culte d’Eiichiro Oda, est annoncé pour début avril aux éditions Glénat. En attendant, vous pouvez toujours vous replonger dans son univers avec le magazine qui lui est entièrement consacré. Le tome 14 vient de sortir avec au sommaire un énorme dossier sur les rivaux de Luffy qui l’ont poussé à se surpasser et à devenir le roi des pirates, un manga signé Boichi, une interview de Pone-piglyphe, des illustrations en pagaille… (One Piece magazine, tome 14. Glénat. 19,90€)

Plus de quarante ans d’existence, autant de volumes publiés, plus de 330 millions d’exemplaires écoulés, ce qui en fait le deuxième manga le plus vendu au monde derrière One Pièce!… Bref, Dragon Ball méritait bien son guide officiel et c’est chose faite depuis 2021 avec Dragon Ball – Le super livre qui vient de s’enrichir d’un quatrième volume en décembre dernier avec au menu LE dictionnaire de la série. Personnages, techniques, lieux, objets… tout y est répertorié et classé avec pour commencer un tableau chronologique du monde de Dragon Ball. Une bible pour les fans ! (Dragon Ball – Le Super livre tome 4, de Akira Toriyama. Glénat. 32€)

On reste dans l’univers de Dragon Ball avec la parution du septième volume de la collection Full Color grand format, dont la publication a débuté en mai 2024. Sept tomes en moins d’un an : une cadence impressionnante pour une édition somptueuse qui ravira aussi bien les fans de la première heure que les nouveaux convertis. (Dragon Ball Full Color tome 7, d’Akira Toriyama. Glénat. 14,95€ le volume)

Changement radical d’ambiance graphique avec cette nouvelle édition du cultissime Dorohedoro de la Mangaka Q-Hayashida que vous avez peut-être découvert avec la série Dai Dark en cours de publication aux mêmes éditions Soleil. Dans un univers post-apocalyptique, le personnage principal à tête de reptile, Caiman, navigue entre la cité-décharge des humains et le monde des mages dans une quête acharnée pour retrouver son identité perdue. Une histoire joliment gore passée à la moulinette de l’humour noir serré ! (Dorohedoro, Chaos édition, de Q-Hayashida. Soleil Manga. 19,99€)

Lancée en septembre 2023, la nouvelle édition du manga de Hiroaki Samura, L’Habitant de l’infini, s’est enrichie d’un septième volume en janvier dernier, avec un huitième attendu pour avril. Prévue en 15 volumes doubles, cette réédition offre l’opportunité de découvrir ou redécouvrir l’œuvre dans un format généreux et de retrouver Manji, le samouraï immortel, au cœur de combats de sabre tout à fait spectaculaires, sublimés par un graphisme réaliste brut saisissant. Une œuvre incontournable ! (L’Habitant de l’infini, Immortal editions Tome 7, de Hiroaki Samura, Casterman. 13,95€)

Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité ! Telle était la promesse, mais elle ne se réalisera pas. Alors que la paix entre la Terre et ses colonies semblait sur le point d’être signée, un attentat frappe la station Laplace, où se tient une cérémonie officielle. Le Premier ministre terrien est tué en plein discours, et le conflit millénaire repart de plus belle. Une histoire palpitante pour les passionnés de science-fiction, de vaisseaux spatiaux et de robots emmenée par le mangaka Kozo Ohmori sur un scénario de Harutoshi Fukui ! (Mobile suit Gundam Unicorn, 2 tomes parus, de Fukui et Omori. Vega. 15,50€)

On continue avec les rééditions et la série Rave. Dix-huit tomes attendus, 5 sont d’ores et déjà disponibles, une réédition en grand format et volumes doubles, de quoi profiter pleinement du dessin de Hiro Mashima et de cette histoire à la Dragon Ball qui débute dans un monde sur le point de basculer dans les ténèbres, cinquante ans après une guerre qui a opposé les Rave, les pierres sacrées, aux Dark Bring, les pierres maléfiques et vu la victoire des Rave. Pour éviter que les Dark Bring reprennent le dessus, il faut un sauveur, ce sera Haru, un jeune garçon aux cheveux argentés plein de ressources, doté d’une épée gigantesque et toujours accompagné de Plue, un petit animal qui ressemble étrangement à un bonhomme de neige. Ensemble, ils vont lutter contre les Dark Bring et l’organisation criminelle Demon Card. La première grande série de l’auteur de Fairy Tail ! (Rave tome 5, de Hiro Mashima. Glénat. 14,95€ le volume)

C’est une histoire d’épicier. Mais d’épicier épicé. Du genre qui ne vend pas que des légumes. Taro Sakamoto, c’est son nom, a beau avoir un léger embonpoint, une moustache à la papa, des lunettes de myope, il est à lui seul un mythe, une légende, un ex-tueur admiré de tous ses congénères, craint par tous les gangsters. Oui, Sakamoto l’épicier avait le flingue facile avant de raccrocher, de se marier, d’avoir un enfant et de s’installer comme épicier. Une vie pépère jusqu’au jour où le jeune assassin télépathe Sin débarque dans la supérette. Vous voulez de l’action ? Alors vous en aurez, Sakamoto Days est un concentré d’énergie au rythme de parution effréné. Le tome 16 est sorti en ce mois de janvier et six épisodes sont d’ores déjà disponibles sur Netflix. (Sakamoto Days tome 16, de Yuto Suzuki. Glénat. 7,20€) 

Et si l’économie devait penser l’humain avant de penser l’argent. C’est en tout cas ce qu’enseigne le professeur d’économie Yohei Kamo. Un doux dingue pour certains, un génie pour d’autres, un gars qui va en tout cas jusqu’au bout de ses idées, n’hésitant pas à s’installer dans la rue pour se mettre dans les conditions d’un exclu. C’est d’ailleurs là que Nisaki Natori, étudiante en deuxième année d’économie, le rencontre. Mais c’est dans son bureau, à l’université, qu’elle recevra un cours dont elle risque bien de se souvenir toute sa vie avec des théories révolutionnaires qui pourraient signer la fin du système. Pour tous ceux qui rêvent d’un autre monde ! (La fin du système tome 1, de Shinobu Kaitani. Delcourt / Tonkam. 8,50€)

Inspiré du titre d’une chanson du groupe de rock japonais RC Succession, « Sing Yesterday for Me » raconte l’histoire d’Uozumi, un jeune homme sans réelle ambition, se décrivant lui-même comme un marginal. Fraîchement diplômé de l’université, il travaille dans une supérette pour subvenir à ses besoins. Côté cœur, Uozumi est tiraillé entre Haru, une mystérieuse jeune femme toujours accompagnée d’un corbeau, et Shinako, une ancienne camarade de l’université. Une histoire d’amour avec un supplément d’âme. (Sing Yesterday for me, de Kei Toume. Moon Light. 8,50€)

Eric Guillaud