21 Mar

Il Déserte : un voyage dans l’intime signé Xavier Coste et Antoine de Caunes

Si le nom de Xavier Coste est désormais familier dans le monde du neuvième art, celui d’Antoine de Caunes l’est dans un tout autre domaine même si l’homme porte depuis toujours un intérêt particulier pour la BD à travers notamment sa collection de Pixi. Aujourd’hui, pourtant, l’un et l’autre se retrouvent associés sur la couverture d’un même album au titre aussi mystérieux qu’astucieux : Il Déserte.

Son premier album nous avait fortement impressionnés. Souvenez-vous, nous sommes en 2012 lorsque paraît Egon Schiele dans lequel Xavier Coste déroule la vie du mythique et tumultueux peintre autrichien mort à l’âge de 28 ans de la grippe espagnole. « 64 pages exceptionnelles, captivantes, bouleversantes, 64 pages aux ambiances très travaillées, entre mélancolie et tourment, avec un graphisme qui n’était pas sans rappeler le travail de Schiele », écrivais-je à l’époque dans une chronique à retrouver ici. Je n’y changerai pas un mot aujourd’hui.

Treize ans et une dizaine d’albums plus tard, parmi lesquels 1984, aux éditions Sarbacane, ou Rimbaud l’indésirable, chez Casterman, Xavier Coste s’associe à une figure emblématique, non pas de la bande dessinée mais du petit écran, le génialissime Antoine de Caunes. Ensemble, ils nous proposent un récit intime et totalement inattendu qui nous entraîne sur une île déserte en compagnie d’un Robinson d’un genre inédit.

© Dargaud / Coste & de Caunes

Ce Robinson, c’est Georges de Caunes. Tout simplement le père d’Antoine. Les plus anciens d’entre nous se souviennent de lui comme d’un pionnier de la télévision en noir et blanc, peu, très peu même, le connaissent comme aventurier. Pourtant, du Groenland à l’Amazonie, en passant par la Polynésie, l’homme a parcouru le monde, parfois au prix de sacrifices sur sa vie familiale.

De cet aspect méconnu de l’homme, Antoine de Caunes en garde un souvenir amère et beaucoup d’interrogations. Surtout lorsque ce père s’embarqua pour une île déserte de l’archipel des Marquises avec la ferme intention d’y rester une année entière. « Qu’allait-il donc faire dans cette galère ? », s’interrogeait Antoine. Jusqu’au jour où ce dernier tombe sur le journal intime du naufragé volontaire. Tout y était consigné !

© Dargaud / Coste & de Caunes

De là est né ce livre que vous allez bientôt tenir entre vos petites mains car oui, Il Déserte – vous comprenez mieux le titre maintenant – est un sacrément beau bouquin de 200 pages qui se lit à la fois comme un récit d’aventure et comme une réflexion sur les liens entre un père et son fils.

Pour mettre en images ce récit, il fallait un auteur capable de transcender la vision d’un quotidien insulaire et solitaire pour approcher l’universel. Xavier Coste était l’homme de la situation. Sortant une nouvelle fois de sa zone de confort graphique (mais en a-t-il vraiment une ?), Xavier Coste explose les cases, utilise l’espace de la page, parfois de la double page, pour plaquer son idée de l’histoire avec un trait un brin sauvage et des couleurs ardentes. Brillant !

Eric Guillaud

Il Déserte, de Xavier Coste et Antoine de Caunes. Dargaud. 30€

16 Mar

De la BD au cinéma, Natacha sur tous les fronts !

À quelques jours de la sortie en salles de Natacha (presque) hôtesse de l’air, l’adaptation cinématographique de Noémie Saglio, Dupuis nous embarque dans l’univers de la série à travers un copieux volume d’Une Vie en dessins. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, une vingt-quatrième aventure est également disponible…

Les inconditionnels des éditions Dupuis et plus particulièrement de François Walthéry ne sont pas passés à côté du très riche premier volume de la collection Une Vie en dessin consacré au créateur de Natacha ou de Rubine et collaborateur de Peyo sur différentes séries, notamment Les Schtroumpfs, Benoît Brisefer ou encore Johan et Pirlouit. Sorti en 2019, l’ouvrage qui survolait l’ensemble de son œuvre est aujourd’hui épuisé.

Celui que nous pouvons tenir entre nos mains aujourd’hui n’est pas une réédition mais une nouvelle édition complètement remaniée et recentrée sur la seule Natacha, réunissant sur plus de 250 pages des centaines d’illustrations, planches, croquis, couvertures, photos… le tout accompagné d’une nouvelle introduction signée Charles-Louis Detournay.

Une belle approche de près de 55 ans de création, depuis l’apparition de la toujours jeune héroïne dans les pages du journal Spirou jusqu’à sa dernière aventure en date, Chanson d’avril.

© Dupuis / Walthéry

Chanson d’avril, justement, est la 24ᵉ aventure de notre hôtesse préférée, une aventure qui lui permet de se replonger dans le journal intime de sa grand-mère et de nous raconter ses folles aventures en compagnie du grand-père de Walter. Madame Natacha et Monsieur Walter, ainsi s’appellent-ils, croisent en plein océan Pacifique un paquebot de luxe sur lequel tous les membres du personnel et tous les passagers ont été endormis avant d’être détroussés. C’est le point de départ d’une nouvelle enquête à haute valeur fantastique.

Le film, quant à lui, réalisé par Noémie Saglio avec Camille Lou dans le rôle de Natacha, Vincent Dedienne, Didier Bourdon ou encore Elsa Zylberstein sera à l’affiche de nos salles obscures le 2 avril prochain.

Eric Guillaud

Une Vie en dessins, de Walthéry. Dupuis. 69€

Chanson d’avril, Natacha (tome 24), de Walthéry et Sirius. Dupuis. 12,95€

15 Mar

Dix secondes de Max de Radiguès : comme un air de Fureur de vivre

Après un petit détour par le polar, le western et la science-fiction, Max de Radiguès retrouve la fiction réaliste en explorant le quotidien d’un adolescent qui combat l’ennui et son mal-être par la drogue et les jeux dangereux……


Dix secondes pour se sentir vivant, dix secondes pour peut-être mourir ! C’est un rituel pour le jeune Marco : lorsqu’il arrive en scooter à hauteur du panneau de Rixensart, sa commune, il ferme les yeux et compte jusqu’à 10. Parfois, c’est la gamelle, parfois ça passe de justesse. Il faut dire qu’à part ça, Marco s’ennuie à mourir dans son patelin. Un père absent, une mère étouffante, une banlieue d’une tristesse sans fin à quelques kilomètres de Bruxelles. Les seules distractions qu’il partage avec ses potes sont l’herbe, l’alcool, le tout à s’en rendre malade. Marco est capable de siphonner une bouteille entière d’un douteux mélange aromatisé au coca et de vomir aussitôt dans le sac à dos d’un de ses copains.

La loose totale ! Et si encore, il se rattrapait à l’école. Mais le constat est sans appel : l’école n’est vraiment pas faite pour lui. Quant aux filles ? Ce n’est guère mieux. Marco est maladroit, voire timoré. Et quand il croise la route de Zoé, on pourrait l’imaginer sorti d’affaire, avoir trouvé le chemin pour grandir… mais non !

Prépubliée dans les pages du fanzine Ketje, Dix Secondes est une fiction largement inspirée de la jeunesse de Max de Radiguès qui a lui-même grandi à Rixensart. Comme il le précise en fin d’ouvrage, les personnages sont le fruit de son imagination et de gens qu’il a pu croiser à l’époque. Quoi qu’il en soit, le décor planté est lui bien réel, et rappellera sans doute quelque chose à beaucoup d’entre nous, une ville de banlieue pavillonnaire des années 1990 avec sa jeunesse qui zone en mobylette entre deux petits joints et quelques bières, une jeunesse qui s’ennuie à mourir et cherche une bonne raison de vivre.

Comme toujours, Max de Radiguès aborde son sujet avec une immense douceur, une touche d’humour irrésistible, un graphisme simple, épuré, reconnaissable entre tous et une mise en page d’une extrême fluidité. À la fois auteur, éditeur à L’Employé du Moi et directeur de collection chez Sarbane, Max de Radiguès n’en finit pas de faire du bien au neuvième art partout où il passe. Un livre à acheter les yeux fermés et à lire sans compter !

Eric Guillaud

Dix secondes, de Max de Radiguès. Casterman. 22€

© Casterman / Max de Radiguès

11 Mar

Kieran et Doug Headline inaugurent le label Aire Noire avec l’adaptation d’un roman de la série Parker de Richard Stark

Les amoureux du roman noir ne peuvent décemment ignorer la série Parker de l’Américain Richard Stark alias Donald Edwin Westlake. Et si tel est le cas, voici l’occasion rêvée de rattraper l’affaire avec La Proie, une adaptation en BD du roman Un Petit Coup de vinaigre paru en 1969 chez Gallimard. À la manœuvre, deux fines gâchettes du genre, Doug Healdline et Kieran….

Un bon petit hold-up des familles ! C’est le programme du jour pour Parker et sa bande de braqueurs. Tous des professionnels, des gars expérimentés qu’il connaît plutôt bien. Tous, sauf George Uhl, le chauffeur, qui semble un peu nerveux. Parker se méfie de lui, et il a raison. Car une fois le hold-up réalisé, Uhl va tenter de se débarrasser de ses trois partenaires pour s’approprier le butin. Une balle pour l’un, une balle pour l’autre. Seul Parker parvient à échapper au carnage. Et ça, ce n’est clairement pas bon pour Uhl qui va devenir la proie de Parker pour le restant de ses jours…

Pour inaugurer ce nouveau label dédié au polar, les éditions Dupuis se devaient de frapper fort. Et c’est réussi, tant Parker est un personnage emblématique du genre, sans états d’âme, froid, professionnel. Sur un peu plus de 100 pages, La Proie est une adaptation noire serrée du livre de Richard Stark, traduit en France sous le titre Un Petit Coup de vinaigre. Cette chasse à l’homme effrénée dans l’Amérique des années 60 est menée de main de maître par Doug Headline au scénario, lequel partage la direction du label avec Olivier Jalabert, et Kieran au dessin. D’un côté, une écriture concise, de l’autre, un trait nerveux et incisif, au centre des atmosphères sombres et violentes à souhait… Parker reste incontournable pour tous les amateurs du genre.

D’autres titres Aire Noire sont d’ores et déjà annoncés, notamment Contrapaso de Teresa Valero, Que d’os! de Max Cabanes et Doug Headline, Dernière aube de Jérémie Guez et Attila Futaki ou encore Dortmunder de Jesus Alonso Iglesias et Doug Headline. Avec toujours, annonce l’éditeur, « la promesse d’une qualité littéraire et narrative équivalente à celle du catalogue Aire Libre ».

Eric Guillaud

Parker, La Proie, de Richard Stark, Kieran et Doug Headline. Dupuis. 20,50€

© Dupuis / Stark, Kieran & Headline

08 Mar

Journée internationale de lutte pour les droits des femmes : une sélection de BD engagées

À l’occasion de la Journée des Droits des Femmes, nous vous proposons une sélection de bandes dessinées récentes qui offrent un éclairage précieux sur les luttes féministes. Trois BD, trois femmes, trois parcours, mais un seul combat !

Sorti en octobre dernier aux éditions Steinkis, Les Femmes ne meurent pas par hasard aborde la thématique des violences faites aux femmes à travers le portrait d’Anne Bouillon. Cette avocate inscrite au barreau de Nantes, féministe revendiquée, a renoncé à défendre les hommes violents pour se concentrer sur son engagement auprès des femmes.  « J’ai choisi mon combat », lui font dire dès les premières pages les autrices Charlotte Rotman et Lison Ferné.

Elle a choisi son combat, et quel combat ! Féminicides, violences physiques, menaces, viol, harcèlement, emprise… Anne Bouillon croule sous les dossiers et les témoignages de femmes. Un véritable cortège de souffrances. 

De son cabinet aux salles d’audience, Charlotte Rotman et Lison Ferné nous permettent de suivre l’avocate dans ce combat par ses actes et ses mots avec une approche documentaire qui se veut au plus près de la réalité. Un long travail d’observation et d’écoute a été nécessaire pour les autrices dont l’objectif premier était de « montrer comment les femmes s’adressent à la justice pour des cas de violence et comment la justice essaie de répondre ». Forcément instructif !

Les Femmes ne meurent pas par hasard, de Charlotte Rotman et Lison Ferné. Steinkis Éditions. 24€

La suite ici

Eric Guillaud

01 Mar

Love not dead et Lover Dose : Quand l’amour ne rime plus avec toujours ou glamour…

Parce que l’amour ne rime pas forcément avec toujours, certains ont pris le parti d’en rire. Chacun dans son style graphique, Fortu et Shyle Zalewski nous offrent ici de quoi se détendre avec des histoires courtes et lucides sur les aléas de la vie amoureuse…

Et si l’amour disparaissait à jamais ! Ou pire encore, s’il n’avait jamais existé que dans l’esprit de quelques marginaux, comme une idéologie ou un simple concept. C’est le parti pris de Love not Dead, un petit format carré de Shyle Zalewski paru dans la collection Pataquès des éditions Delcourt. Avec ses cheveux mi-longs et ses lunettes toutes rondes, le protagoniste central a tout du parfait romantique. L’amour, il y croit ! Du moins, il y croyait jusqu’au jour où sa moitié le met dehors. Et dehors, l’amour n’existe pas ou plus, il est devenu une anomalie mentale qui fait souffrir. Dans cette société-là, un cœur n’est plus que le symbole d’une paire de fesses, la Saint Valentin, un jour comme les autres et même la célèbre chanson des Beatles, Love me Do, a été rebaptisée Hate me Do ! Bref, notre romantique de service va tenter de remettre un peu d’ordre et d’amour dans tout ça, mais il va avoir du boulot, beaucoup de boulot… (Love not dead, de Shyle Zalewski. Delcourt. 16,95€)

Du néant à l’overdose, il suffit finalement d’un peu d’imagination et d’un bon coup de crayon. Fortu ne manque ni de l’un ni de l’autre pour nous raconter l’amour dans un album baptisé Lover Dose paru aux éditions Expé. Qu’il s’agisse de l’amour vache, de l’amour complice, parfois brutal, pas toujours partagé, sportif, interdit, adultère ou même simulé, l’auteur explore ici toutes les facettes de l’amour dans une série d’histoires courtes sur une page mettant en scène des couples plus ou moins amoureux, plus ou moins habillés, dans des situations plus ou moins cocasses, révélant au passage toutes les contradictions et les complexités des relations humaines. À lire dans son lit seul ou à plusieurs ! (Lover dose, de Fortu. Expé Editions. 18,95€)

Eric Guillaud

26 Fév

Nouveauté 2025. Billy Lavigne, deuxième round d’une trilogie autour du western signé Anthony Pastor

Il a l’Amérique dans la peau, et même un peu dans son prénom, référence à Anthony Quinn, mais c’est dans l’univers de la bande dessinée qu’Anthony Pastor s’est véritablement imposé, en tant qu’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Récemment, il s’est aventuré dans une trilogie consacrée au western. Billy Lavigne en est le deuxième volet, offrant une nouvelle chevauchée féministe en tout point audacieuse dans un univers violent et masculin…

Souvenez-vous, il y a deux ans exactement sortait La Femme à l’étoile aux mêmes éditions Casterman, un huis clos fortement enneigé quelque part dans l’Ouest américain avec pour héros ou plus exactement pour héroïne Perla, femmes indépendante et de caractère, porteuse d’une étoile de shérif non pas pour faire la loi comme les hommes mais pour afficher son refus de l’ordre patriarcal établi.

Anthony Pastor y révélait, en plus d’un état d’esprit féministe, une passion pour le western, réutilisant avec bonheur les codes du genre pour mieux nous servir une œuvre sensible à l’air du temps.

Avec Billy Lavigne, on ne change rien ou plutôt si, le personnage principal est un homme cette fois, l’incarnation parfaite du cowboy, viril et un brin sauvage. Mais l’objectif reste le même, comme l’explique l’auteur : « En gardant les codes, je fais le pari de renouveler l’idéologie sous-jacente, et peut-être d’amener à réfléchir ceux qui comme moi sont des amoureux du genre ».

© Casterman / Pastor

Et de fait, Billy Lavigne a beau être un mâle dans toute sa splendeur, il n’en est pas moins fragile et l’assassinat de sa mère qu’il n’a pas même pu enterrer va le foudroyer. Lui qui cherchait déjà un père perdait brutalement sa mère. Et la vengeance n’y pourra rien changer…

Dans ce deuxième volet de la trilogie, Anthony Pastor revisite l’esthétique du western avec un graphisme qui peut surprendre au premier coup d’œil, notamment sur la couverture, mais offre au final une profondeur sans pareil au récit, aux personnages et aux décors. Et les couleurs, savant mélange d’encres acryliques et d’aquarelles, ne font qu’accentuer cette impression, l’auteur cherchant à « impacter la rétine ». Parmi les influences revendiquées de l’auteur : Van Gogh, comme on peut s’en douter, mais aussi Bonnard et les Nabis, sans oublier Giraud et les aventures du Lieutenant Blueberry dont Anthony Pastor est bien évidemment un immense fan.

© Casterman / Pastor

Après La Femme à l’étoile et Billy Lavigne, Anthony Pastor travaille aujourd’hui sur le troisième album de la série, Retour au Yellowstone, qui mettra en scène un couple vieillissant dont la femme est atteinte de la maladie d’Alzheimer. « Ni violence, ni coup de feu… », prévient l’auteur, simplement un autre regard sur un genre qui ne demande qu’à être revisité et pourquoi pas, comme ici, sur un air de Bob Dylan. Splendide !

Eric Guillaud

Billy Lavigne, d’Anthony Pastor. Casterman. 22€ (en libraire le 5 mars)

23 Fév

Nouveauté 2025. Greffier : Quand Joann Sfar suivait le procès des caricatures de Mahomet pour Charlie Hebdo

Sixième volume des carnets de Joann Sfar, Greffier est initialement paru en mars 2007. Il est le premier à se concentrer sur un thème spécifique, en l’occurrence Charlie Hebdo et le procès des caricatures de Mahomet. Dix ans après les attentats contre le journal satirique, les éditions Delcourt en proposent une nouvelle édition qui n’a rien perdu de sa pertinence, offrant une réflexion toujours d’actualité sur la liberté d’expression…

Petit rappel des faits : Nous sommes en 2005, le quotidien danois Jyllands-Posten publie dans ses pages plusieurs caricatures de Mahomet provoquant de nombreuses réactions dans le monde musulman, des manifestations, des pressions diplomatiques, des ambassades danoises incendiées et une mise à prix de la tête des dessinateurs par un groupe extrémiste pakistanais.

Quelques mois plus tard, la presse européenne reprend les caricatures, suivie en France par France Soir, Libération et enfin Charlie Hebdo, en y adjoignant d’autres caricatures signées par l’équipe du journal dont le fameux Mahomet débordé par les intégristes de Cabu en couverture.

Trois organisations islamiques, la Mosquée de Paris, l’Union des Organisations Islamiques de France la Ligue Islamique Mondiale, vont porter plainte contre Charlie Hebdo pour « injure publique à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur religion ».

Le procès se déroule les 7 et 8 février 2007, une audience historique qui s’achève par une franche victoire de la liberté d’expression.

Durant les deux jours de procès, Joann Sfar redevient dessinateur pour Charlie Hebdo et croque sur le vif son déroulement. Ce livre réunit l’ensemble des pages qui en découlent ainsi qu’une compilation de chroniques réalisées pour le même journal. Forcément riche en enseignement !

Eric Guillaud 

Greffier, de Joann Sfar. Delcourt. 22,50€

© Delcourt / Sfar

21 Fév

Nouveauté 2025. Aquablue : retour sur la planète bleue avec Fred Duval, Stéphane Louis et Véra Daviet

N’ayons pas peur des mots : nous avons là l’une des plus grandes séries de science-fiction de la bande dessinée francophone qui a inspiré et continue d’inspirer aujourd’hui encore de nombreux auteurs, Aquablue est de retour avec un dix-neuvième épisode emmené une nouvelle fois par Stéphane Louis au dessin et par un petit nouveau qui n’en est pas vraiment un au scénario, Fred Duval…

Les choses ont bien changé depuis le lancement de la série en avril 1988. À commencer par la révolution numérique qui a profondément modifié nos vies. Mais une chose n’a pas évolué, ou plutôt si, elle a empiré, c’est cette capacité qu’ont les hommes à détruire l’environnement pour posséder toujours plus.

Retour vers le futur ! Un futur imaginé par Thierry Cailleteau au scénario et Olivier Vatine au dessin avec, dans le rôle-titre, Aquablue, une planète bleue, couverte essentiellement d’océans et habitée par une communauté de pêcheurs pacifiques. Le seul terrien dans les premières pages de l’album d’ouverture s’appelle Nao. Il est l’unique rescapé d’un naufrage spatial et a été élevé par les indigènes. Une vie de rêve jusqu’à l’arrivée d’autres Terriens ambitionnant de créer sur la planète un complexe industriel aux conséquences environnementales forcément désastreuses. Pour Nao et le peuple d’Aquablue, c’est le début d’une longue résistance à armes inégales.

© Delcourt / Duval, Louis & Daviet

Trente-sept ans et quelques péripéties plus tard, Nao reste au cœur des aventures, malgré les multiples changements d’auteurs et le décès de Thierry Cailleteau. Pour ce 19ᵉ volet, Stéphane Louis, déjà présent sur l’épisode précédent, reprend les pinceaux, tandis que Fred Duval, auteur prolifique de près de 200 albums, dont de nombreux récits de science-fiction (Carmen Mc Callum, Travis, Renaissance, Apogée…), signe le scénario. Un parcours impressionnant qui lui a valu d’être nommé chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2020.

Un parcours qui a surtout débuté dans les années 90 dans le petit cercle formé alors par quelques auteurs rouennais dont faisaient partie Olivier Vatine et Thierry Cailleteau, les créateurs d’Aquablue. Autant dire que ce n’est pas tout à fait un hasard si on le retrouve aujourd’hui à la tête de la série, Fred Duval était l’homme de la situation.

© Delcourt / Duval, Louis & Daviet

Et l’histoire de ce nouvel épisode ? On retrouve avec plaisir l’univers qui a fait le succès de la série, les personnages, les décors, les vaisseaux spatiaux, une bonne dose d’action, une pointe d’humour et la belle petite touche écolo qui a fait la différence depuis le début, ici la mort mystérieuse de plusieurs Uruk Uru, ces monstres marins vénérés par la population locale. Pour en découvrir les raisons, Nao va devoir enfreindre l’interdiction qui lui est faite de mettre les pieds sur Aquablue et tenter par la même occasion de renouer le dialogue avec son fils Ylo. Et l’affaire ne sera pas des plus simples !

Côté graphisme, Stéphane Louis s’en sort très bien avec un dessin qui ne joue pas l’esbroufe mais vise l’essentiel, l’efficacité avant tout, les couleurs de Véra Daviet faisant le reste du boulot. Du divertissement avec un D majuscule !

Eric Guillaud

Clandestin, Aquablue tome 19, de Duval, Louis, et Daviet. Delcourt. 15,50€

15 Fév

Nouveauté 2025. L’Abîme de l’oubli : Paco Roca et Rodrigo Terrasa exhument l’histoire de la guerre d’Espagne

Pourquoi s’entêter à remuer le passé ? Pour ne jamais oublier ! C’était précisément l’objectif des exhumations des victimes de la guerre civile espagnole entreprises dans les années 2000 sur plusieurs fosses communes à travers le pays. Et c’est encore l’objectif de cette bande dessinée qui retrace justement l’une d’entre elles

Plus d’un million de morts, des dizaines de milliers de disparus, autant d’exilés, plus de 4000 fosses communes, un pays en ruine, déchiré pour des années, pour des dizaines d’années.

L’Espagne aussi a connu ses heures sombres au milieu du XXe siècle, laissant le pays exsangue et longtemps enclin à préférer la politique de l’oubli, une amnésie nécessaire au retour de la démocratie selon certains, une amnésie aussi impardonnable que les crimes commis, selon les autres.

Il faut attendre les années 2000, soit plus de 20 ans après le rétablissement de la démocratie, pour que des exhumations soient initiées à travers le pays avec pour ambition de rendre les corps des victimes de la guerre civile aux familles. Mais leur réalisation est demeurée intermittente, soumises aux aides accordées selon les partis au pouvoir.

Cet album signé par Paco Roca, auteur multi-récompensé, et Rodrigo Terrasa, journaliste au El Mundo, raconte l’histoire d’une de ces exhumations. La fosse commune porte le numéro 126, se trouve dans le cimetière de Paterna, du côté de Valence. Il raconte le travail des archéologues, le combat des familles pour récupérer les ossements de leurs proches, il raconte surtout la répression franquiste, les fusillades à la chaine, les milliers de morts, les corps jetés dans l’abîme de l’oubli avec de la chaux pour unique linceul.

Dans un pays qui ne parvient toujours pas à regarder son passé en face, qui se déchire politiquement autour de sa mémoire, Paco Roca et Rodrigo Terrasa entendent donner à travers ces quelques 300 pages « une voix à tous ceux que l’histoire a réduits au silence ».

Pour la réalisation de cet album, les auteurs ont consulté des archéologues, des historiens, des journalistes, recueilli des témoignages de familles de victimes, exploré de nombreuses archives et visité divers sites d’exhumation. Ce travail minutieux de documentation en fait aujourd’hui un témoignage précieux et incontournable pour la mémoire collective.

Eric Guillaud

L’abîme de l’oubli, de Roca et Terrasa. Delcourt. 29,95€

Delcourt / Roca & Terrasa