La Conquête de l’Ouest, la destruction massive des bisons et par la même occasion le massacre des Amérindiens, chacun de nous en connaît plus ou moins l’histoire, souvent – pour les plus vieux d’entre nous au moins – à travers le prisme des westerns qui ont inondé les salles de cinéma au siècle passé. Mais Étunwan, Celui-qui-regarde n’est pas un western…
Du moins au sens commun et cinématographique du terme. Même si on y croise au fil des pages une tribu de Sioux, des troupeaux de bisons sauvagement abattus, des hommes blancs à la recherche de l’eldorado, Étunwan, Celui-qui-regarde est en fait un récit d’aventure et plus encore un récit d’aventure intérieure. L’intime au coeur des grands espaces !
Personnage central de l’histoire, ni héros ni anti-héros, Joseph Wallace, 33 ans, photographe de son état, tire le portrait de l’upper class, des notables et patrons de Pittsburgh en Pennsylvanie.
Jusqu’au jour où, pour une raison que lui-même ignore, le photographe confortablement installé décide de se joindre à une mission d’exploration des territoires encore sauvages, laissant femme et enfants, emportant l’essentiel, sa chambre photographique.
L’objectif de cette expédition est d’explorer de nouvelles zones à cartographier, de trouver peut-être de nouveaux gisements d’or ou de charbon, de nouvelles terres à coloniser, et pour notre Joseph Wallace, de photographier un monde en marche.
« Peut-être est-il vain de vouloir à tout prix saisir les choses et d’en arrêter, même l’espace d’un instant, le mouvement – ou même de donner l’illusion de cet arrêt – parce qu’au bout du compte tout continue sans nous, inévitablement ». Joseph Wallace n’a rien d’un chercheur d’or ou d’un conquistador, son truc à lui, c’est la photographie tout simplement. Et lorsque son objectif croise le regard d’une famille de Sioux Oglalas, la vie de Joseph Wallace en est à jamais transformée, l’homme cherchant dés lors à dresser de manière urgente un état des lieux photographique de la culture des Indiens des grandes plaines…
Une belle écriture, élégante, un trait noir et épais, des couleurs d’une grande sobriété, un très bel album en vérité de Thierry Murat, qui signe ici son premier livre en tant que dessinateur ET scénariste.
Sur son blog, l’auteur explique : « C’est donc la première fois que je signe un livre seul. Vraiment tout seul. Un récit que j’ai écrit pour tenter de parler « vraiment » du génocide amérindien, sans pour autant faire un énième western. J’y parle du travail de mémoire, de la place de l’artiste dans son rôle de témoin au milieu de toute l’absurdité humaine… Mais c’est un livre qui parle aussi et surtout de la photographie naissante (on est à la fin du 19ème siècle), et puis du regard et de sa capacité à raconter… Et de beaucoup d’autres choses encore, plus intimes et plus fragiles que l’histoire avec un grand H ».
En plus d’être passionné par la bande dessinée et ses possibilités narratives, Thierry Murat est également féru de photographie, ceci explique cela, Étunwan, Celui-qui-regarde est doublement une affaire de passion.
Eric Guillaud
Étunwan, Celui-qui-regarde, de Thierry Murat. Editions Futuropolis. 23 €