19 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Ballades, Mourir pour la cause, Contes de la mansarde…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

On se demande parfois comment certains albums peuvent nous échapper. Le manque de temps, d’argent, de curiosité, une pochette qui ne capte pas l’attention, sans oublier la surproduction qui finit par tout noyer. Oui, les raisons sont multiples, mais heureusement, le hasard fait parfois bien les choses. La présence de Ballades dans la sélection officielle du prochain Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême me permet au final de découvrir une véritable pépite, un conte médiéval aussi drôle qu’original.

Et quand je dis drôle, je devrais dire complètement délirant, déjanté, tant le scénario, le dessin, d’une élasticité à toutes épreuves, les dialogues, mélange de vieux français et de mots inventés, les couleurs, écarlates, les personnages, tous plus délicieux les uns que les autres, les situations, burlesques à souhait, et les clins d’œil malicieux aux contes traditionnels font corps pour nous offrir un petit ovni éditorial.

Mais derrière cette apparente légèreté, Ballades nous parle aussi, entre les lignes et entre les cases, de notre monde et de notre époque, du féminisme, de la démocratie, de l’émancipation des femmes et des peuples… Bref, pour un premier album, l’autrice Camille Potte frappe fort, très fort. Une belle découverte, un bonheur absolu ! (Ballades, de Camille Potte. Éditions Atrabile. 22€)

Il faut bien l’admettre : nous sommes nombreux, de ce côté-ci de l’Atlantique, à ignorer l’histoire du Québec, et encore davantage l’histoire du mouvement indépendantiste. Pourtant, la mémoire collective a retenu la célèbre phrase « Vive le Québec libre ! » lancée par le général de Gaulle en juillet 1967, lors de son discours historique à Montréal. Une déclaration percutante qui eut des répercussions non seulement sur les relations entre le Canada et la France, mais aussi au sein même du Canada, où le rêve d’un Québec libre nourrissait déjà les passions et un idéal révolutionnaire en quête de son Che Guevara.

C’est précisément cet idéal révolutionnaire que raconte Chris Oliveros dans le roman graphique Mourir pour la cause. S’il s’est appuyé sur une documentation historique rigoureuse pour développer son récit, il a choisi de lui donner la forme d’un documentaire fictif de la CBC, censé avoir été tourné en 1975 et retrouvé bien plus tard. Avec un style graphique simplifié, pour ne pas dire simpliste, et une tonalité quasi-burlesque qui, tout en n’atténuant pas la gravité du contexte, allège quelque peu le propos, Chris Oliveros illustre les premières années du Front de Libération du Québec, évoquant ses actions, ses échecs, ses hommes, souvent animés par un amateurisme déconcertant. Ce premier volet paru en janvier 2024 couvre les années 1960, le second se penchera sur octobre 1970 marqué par une série d’enlèvements de personnalités politiques. (Mourir pour la cause, Révolution dans le Québec des années 1960, Chris Oliveros. Pow Pow. 24€)

Trois histoires distinctes composent ce roman graphique. Trois histoires, mais un seul lieu où tout commence et tout s’achève : un appartement situé au septième et dernier étage d’un immeuble parisien, une mansarde. Et à chaque fois par un été caniculaire.

Pour le reste, ce roman graphique, largement inspiré des Contes de la Crypte et des Contes du Chat perché de Marcel Aymé nous propose un univers fantastico-horrifico-réaliste urbain et contemporain qui explore les problématiques universelles que sont la solitude, l’amour, la vieillesse et la mort.

Fil rouge de ces contes, une vieille femme au comptoir d’un bar de quartier – Les Deux Magots tout de même – introduit chacune des histoires avec un brin d’humour, de quoi alléger la tonalité de l’ensemble qui reste finalement assez sombre avec des histoires qui finissent tragiquement !

Au dessin, Iris Pouy insuffle au récit une atmosphère intimiste portée par un trait que l’on pourrait qualifier de sobre et contemporain. Quant au scénario, Elizabeth Holleville a été récompensée pour cet album par le Prix René Goscinny du jeune scénariste 2025.

L’album Contes de la mansarde figure dans la sélection officielle ainsi que dans la sélection Fauve des lycéens. (Contes de la mansarde, d’Iris Pouy et Elizabeth Holleville. L’Employé du Moi. 22€)

Eric Guillaud

13 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Immatériel, Les Indomptés, En Territoire ennemi…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

Connaissez-vous le syndrome d’Hikikomori ? Apparu au Japon dans les années 1990, ce phénomène qui se caractérise par un isolement social extrême concernerait un million de personnes dans ce pays et, depuis la pandémie de Covid, toucherait un nombre croissant de Français, en particulier des hommes. Ce sujet est au coeur de cette bande dessinée de Jérôme Dubois !

Version 1.0.0

Le protagoniste, reclus chez lui depuis des mois, vit au milieu des déchets qu’il ne se résout plus à sortir. Ses journées se résument à attendre des livraisons de repas. Jusqu’au jour où il s’effondre, victime d’un malaise fatal ! Quelques temps plus tard, une équipe de nettoyage investit son appartement pour le débarrasser. Mais, même une fois vidé et parfaitement lessivé, l’âme de l’ancien locataire continue de hanter les lieux…

Jérôme Dubois propose ici, comme dans chacun de ses albums, une expérience à la fois visuelle et narrative, invitant à une profonde réflexion existentielle. On se souvient notamment de Citéville et Cinéville, deux œuvres indissociables sélectionnées au Festival d’Angoulême en 2021. Ces récits nous interrogeaient sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur. Avec cette nouvelle histoire, l’auteur explore le syndrome d’Hikikomori pour nous questionner sur la mémoire que les lieux peuvent conserver de leurs habitants. Un sentiment d’étrangeté se dégage de cet album, accentué par l’alternance entre le noir et blanc et les couleurs vives de certaines cases. (Immatériel, de Jérôme Dubois. Cornélius. 34,50€)

Lucky Luke n’aime pas les enfants. Une révélation ? Un postulat qui permet à Blutch de nous embarquer dans une nouvelle aventure du célèbre personnage de Morris et Goscinny et de retrouver toute la saveur comique qui a fait le succès de la série. Il n’aime pas les enfants donc mais va pourtant devoir composé avec deux représentants du genre et pas franchement des anges. Il faut dire qu’ils ont de qui tenir. Leur père est un bandit des grands chemins, disparu depuis peu, avec un butin sous le bras et quelques collègues assez mécontent aux fesses. Lucky Luke aussi est à sa recherche pour le coller en prison mais Casper et Rose, les deux fameux gamins, ne vont pas lui faciliter la tâche…

On connait l’amour de Blutch pour les Tuniques Bleues, série dont il tire son nom d’artiste mais il rend ici un sacré hommage à Lucky Luke et donc à Morris et Goscinny avec une histoire gonflé à l’humour, à la fois fidèle à l’esprit de la série originelle, dans ses codes graphiques et couleurs, et porté par une certaine liberté, celle d’un auteur qui sans cesse remet son art en question. De quoi dépoussiérer l’affaire ! (Les Indomptés, de Blutch. Dargaud. 13€)

C’est une histoire comme on en voit malheureusement beaucoup, une histoire de relation toxique qui aurait pu mal finir mais s’est arrêtée à temps. Carole Lobel en témoigne aujourd’hui à sa manière dans une bande dessinée baptisée En Territoire ennemi. Les mots sont forts mais justes tant cette expérience aurait pu être un voyage sans retour.

Fille d’une militante chrétienne anti-avortement, Carole rencontre Stéphane, étudiant aux Beaux-Arts, d’extrême gauche, fumeur de joints. Elle en tombe éperdument amoureuse. Pourtant, très vite, elle perçoit un malaise dans leur relation, notamment dans leur relation intime. Bien qu’elle ne souhaite pas d’enfants, elle finit par en avoir deux.

De son côté, Stéphane, sans emploi, s’isole progressivement de la vie sociale, sombre dans la paranoïa, le complotisme, la misogynie, adopte les idéologies d’extrême droite, apprend l’hymne officiel des SA et du Parti national-socialiste des travailleurs allemands et devient violent avec ses propres enfants qu’il souhaite « endurcir » !

Face à cette spirale destructrice, Carole décide de le quitter mais des années de vie commune ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Et ses enfants vont le lui rappeler…

Réalisé au stylo-bille quatre couleurs avec un graphisme et une narration très actuelles, En Territoire ennemi n’est pas un témoignage de plus, c’est un témoignage essentiel qui décrit comment naissent les relations toxiques et peut-être comment les repérer pour s’en extraire au plus vite.  En Territoire ennemi est la première bande dessinée de Carole Lobel. Un livre à mettre entre toutes les mains ! (En Territoire ennemi, de Carole Lobel. L’Association. 26€)

Eric Guillaud

De Mafalda à Nestor Burma, notre sélection de BD pour Noël

Vous cherchez des idées de cadeaux et pourquoi pas des bandes dessinées ? Bonne pioche ! Nous avons sélectionné pour vous dix albums, dix nouveautés, qui ne manqueront pas de faire sensation au pied du sapin.

Vous rêvez d’une grande aventure maritime ou d’un polar dans le Paris des années 50, vous adorez les récits en forme de témoignages ou les autobiographies et n’avez rien contre l’humour… Alors, découvrez sans plus attendre nos dix coups de cœur, spécialement sélectionnés pour vous !

La suite ici

10 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Impénétrable, Madeleine Résistante , Pour une fraction de seconde…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

Madeleine Riffaud n’a que 18 ans lorsqu’elle rejoint l’armée de l’ombre avec un objectif clair : chasser les Allemands hors de France. Prête à tout pour y parvenir, elle n’hésite pas à se mettre en danger. Elle abat un officier nazi, est arrêtée, subit la torture pendant des jours sans jamais révéler un nom, échappe de justesse au peloton d’exécution et à la déportation, avant de participer activement à la Libération de Paris.

Résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, infatigable militante pour la décolonisation et contre l’oppression des peuples, amie de Picasso et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud est une figure exceptionnelle, comme seules les grandes heures de l’Histoire peuvent en façonner.

 

Des destins comme celui de Madeleine Riffaud méritent d’être racontés pour inscrire leur mémoire dans notre patrimoine collectif et transmettre les valeurs d’engagement et de résistance. Le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail l’ont bien compris en s’attelant à cette tâche dès 2021. S’appuyant sur les souvenirs de Madeleine Riffaud et sur un travail approfondi de documentation historique, ils déroulent sa vie avec un découpage d’une très grande fluidité, un trait sobre, élégant et minutieux, ainsi que des atmosphères parfaitement ancrées dans l’époque. Ce témoignage essentiel pour l’humanité et un vibrant hommage à Madeleine Riffaud, disparue en novembre 2024. (Madeleine, Résistante, tome 3, de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 23,50 euros)

Peut-être que son nom ne vous dit rien, il est pourtant l’un des pionniers de la photographie et du cinéma ! Eadweard Muybridge, anglais de nationalité, américain d’adoption, découvre la photographie dans les années 1860. Il en fait son métier, se fait connaître à travers le monde pour ses photographies de l’Ouest sauvage et de l’Alaska. Mais l’homme nourrit une obsession qu’il partage avec le richissime Leland Stanford, président de la Southern Pacific Railroad et gouverneur de Californie : capturer le mouvement d’un cheval au galop. Et pour cela, il déploie des trésors d’ingéniosités jusqu’à y parvenir. Nous sommes alors en 1878. 

S’il s’est fait un nom dans la bande dessinée grâce à ses récits autobiographiques, tels que Pyongyang, Shenzhen, Chroniques de Jérusalem ou encore, sur un ton plus humoristique Le Guide du mauvais père, le Canadien Guy Delisle s’autorise, avec le même talent, à explorer d’autres genres, notamment le témoignage avec S’enfuir, récit d’un otage, paru en 2016, ou la biographie avec ce nouvel album consacré à la vie mouvementée d’Eadweard Muybridge.

Extrêmement documenté, enrichi de quelques clichés de Muybridge et parsemé d’une touche d’humour, Pour une fraction de seconde bouscule nos idées reçues sur l’histoire de la photographie et du cinéma. L’album met en lumière un homme passionné et des innovations majeures ayant marqué l’évolution de l’art photographique, prélude à l’apparition du cinéma. De quoi remettre les pendules à l’heure et confirmer l’immense talent de narrateur et de dessinateur de Guy Delisle. Captivant !  (Pour une fraction de seconde, la vie mouvementrée d’Eadweard Muybridge, de Guy Delisle. Delcourt. 23,95€)

« Personne n’est condamné à souffrir en silence » : c’est par ces quelques mots que l’autrice belge Alix Garin conclut son album et c’est précisément pour cette raison qu’elle a décidé de l’écrire.

Pendant des années, Alix Garin a souffert d’un trouble sexuel méconnu : le vaginisme. Du jour au lendemain, elle ne pouvait plus supporter la pénétration. Des douleurs insoutenables et une libido réduite à néant qu’elle cache à son compagnon. Seule, elle affronte pendant des mois ses questionnements, ses doutes et sa souffrance.

Jusqu’au jour où elle trouve enfin le courage d’en parler. S’ensuivent des années d’errances thérapeutiques, à courir les cabinets des psychologues, sexologues, gynécologues, psychothérapeutes, et autres kinésithérapeutes. Toujours en quête de réponses !

À la peur de fragiliser son couple s’ajoute la honte. La honte de ne pas être comme tout le monde, de ne pas répondre aux injonctions d’une société qui érige la sexualité, le désir et le plaisir en normes absolues de la vie amoureuse…

Avec courage et sincérité, Alix Garin livre un témoignage profondément intime, sans tabous, utilisant les métaphores pour évoquer le désir, la douleur, les injonctions, le cheminement thérapeutique. Un récit essentiel, sensible, libérateur tant pour l’autrice que pour les lecteurs et les lectrices (Impénétrable, d’Alix Garin. Le Lombard. 29,90€)

Eric Guillaud