Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…
Madeleine Riffaud n’a que 18 ans lorsqu’elle rejoint l’armée de l’ombre avec un objectif clair : chasser les Allemands hors de France. Prête à tout pour y parvenir, elle n’hésite pas à se mettre en danger. Elle abat un officier nazi, est arrêtée, subit la torture pendant des jours sans jamais révéler un nom, échappe de justesse au peloton d’exécution et à la déportation, avant de participer activement à la Libération de Paris.
Résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, infatigable militante pour la décolonisation et contre l’oppression des peuples, amie de Picasso et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud est une figure exceptionnelle, comme seules les grandes heures de l’Histoire peuvent en façonner.
Des destins comme celui de Madeleine Riffaud méritent d’être racontés pour inscrire leur mémoire dans notre patrimoine collectif et transmettre les valeurs d’engagement et de résistance. Le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail l’ont bien compris en s’attelant à cette tâche dès 2021. S’appuyant sur les souvenirs de Madeleine Riffaud et sur un travail approfondi de documentation historique, ils déroulent sa vie avec un découpage d’une très grande fluidité, un trait sobre, élégant et minutieux, ainsi que des atmosphères parfaitement ancrées dans l’époque. Ce témoignage essentiel pour l’humanité et un vibrant hommage à Madeleine Riffaud, disparue en novembre 2024. (Madeleine, Résistante, tome 3, de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 23,50 euros)
Peut-être que son nom ne vous dit rien, il est pourtant l’un des pionniers de la photographie et du cinéma ! Eadweard Muybridge, anglais de nationalité, américain d’adoption, découvre la photographie dans les années 1860. Il en fait son métier, se fait connaître à travers le monde pour ses photographies de l’Ouest sauvage et de l’Alaska. Mais l’homme nourrit une obsession qu’il partage avec le richissime Leland Stanford, président de la Southern Pacific Railroad et gouverneur de Californie : capturer le mouvement d’un cheval au galop. Et pour cela, il déploie des trésors d’ingéniosités jusqu’à y parvenir. Nous sommes alors en 1878.
S’il s’est fait un nom dans la bande dessinée grâce à ses récits autobiographiques, tels que Pyongyang, Shenzhen, Chroniques de Jérusalem ou encore, sur un ton plus humoristique Le Guide du mauvais père, le Canadien Guy Delisle s’autorise, avec le même talent, à explorer d’autres genres, notamment le témoignage avec S’enfuir, récit d’un otage, paru en 2016, ou la biographie avec ce nouvel album consacré à la vie mouvementée d’Eadweard Muybridge.
Extrêmement documenté, enrichi de quelques clichés de Muybridge et parsemé d’une touche d’humour, Pour une fraction de seconde bouscule nos idées reçues sur l’histoire de la photographie et du cinéma. L’album met en lumière un homme passionné et des innovations majeures ayant marqué l’évolution de l’art photographique, prélude à l’apparition du cinéma. De quoi remettre les pendules à l’heure et confirmer l’immense talent de narrateur et de dessinateur de Guy Delisle. Captivant ! (Pour une fraction de seconde, la vie mouvementrée d’Eadweard Muybridge, de Guy Delisle. Delcourt. 23,95€)
« Personne n’est condamné à souffrir en silence » : c’est par ces quelques mots que l’autrice belge Alix Garin conclut son album et c’est précisément pour cette raison qu’elle a décidé de l’écrire.
Pendant des années, Alix Garin a souffert d’un trouble sexuel méconnu : le vaginisme. Du jour au lendemain, elle ne pouvait plus supporter la pénétration. Des douleurs insoutenables et une libido réduite à néant qu’elle cache à son compagnon. Seule, elle affronte pendant des mois ses questionnements, ses doutes et sa souffrance.
Jusqu’au jour où elle trouve enfin le courage d’en parler. S’ensuivent des années d’errances thérapeutiques, à courir les cabinets des psychologues, sexologues, gynécologues, psychothérapeutes, et autres kinésithérapeutes. Toujours en quête de réponses !
À la peur de fragiliser son couple s’ajoute la honte. La honte de ne pas être comme tout le monde, de ne pas répondre aux injonctions d’une société qui érige la sexualité, le désir et le plaisir en normes absolues de la vie amoureuse…
Avec courage et sincérité, Alix Garin livre un témoignage profondément intime, sans tabous, utilisant les métaphores pour évoquer le désir, la douleur, les injonctions, le cheminement thérapeutique. Un récit essentiel, sensible, libérateur tant pour l’autrice que pour les lecteurs et les lectrices (Impénétrable, d’Alix Garin. Le Lombard. 29,90€)
Eric Guillaud