13 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Immatériel, Les Indomptés, En Territoire ennemi…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

Connaissez-vous le syndrome d’Hikikomori ? Apparu au Japon dans les années 1990, ce phénomène qui se caractérise par un isolement social extrême concernerait un million de personnes dans ce pays et, depuis la pandémie de Covid, toucherait un nombre croissant de Français, en particulier des hommes. Ce sujet est au coeur de cette bande dessinée de Jérôme Dubois !

Version 1.0.0

Le protagoniste, reclus chez lui depuis des mois, vit au milieu des déchets qu’il ne se résout plus à sortir. Ses journées se résument à attendre des livraisons de repas. Jusqu’au jour où il s’effondre, victime d’un malaise fatal ! Quelques temps plus tard, une équipe de nettoyage investit son appartement pour le débarrasser. Mais, même une fois vidé et parfaitement lessivé, l’âme de l’ancien locataire continue de hanter les lieux…

Jérôme Dubois propose ici, comme dans chacun de ses albums, une expérience à la fois visuelle et narrative, invitant à une profonde réflexion existentielle. On se souvient notamment de Citéville et Cinéville, deux œuvres indissociables sélectionnées au Festival d’Angoulême en 2021. Ces récits nous interrogeaient sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur. Avec cette nouvelle histoire, l’auteur explore le syndrome d’Hikikomori pour nous questionner sur la mémoire que les lieux peuvent conserver de leurs habitants. Un sentiment d’étrangeté se dégage de cet album, accentué par l’alternance entre le noir et blanc et les couleurs vives de certaines cases. (Immatériel, de Jérôme Dubois. Cornélius. 34,50€)

Lucky Luke n’aime pas les enfants. Une révélation ? Un postulat qui permet à Blutch de nous embarquer dans une nouvelle aventure du célèbre personnage de Morris et Goscinny et de retrouver toute la saveur comique qui a fait le succès de la série. Il n’aime pas les enfants donc mais va pourtant devoir composé avec deux représentants du genre et pas franchement des anges. Il faut dire qu’ils ont de qui tenir. Leur père est un bandit des grands chemins, disparu depuis peu, avec un butin sous le bras et quelques collègues assez mécontent aux fesses. Lucky Luke aussi est à sa recherche pour le coller en prison mais Casper et Rose, les deux fameux gamins, ne vont pas lui faciliter la tâche…

On connait l’amour de Blutch pour les Tuniques Bleues, série dont il tire son nom d’artiste mais il rend ici un sacré hommage à Lucky Luke et donc à Morris et Goscinny avec une histoire gonflé à l’humour, à la fois fidèle à l’esprit de la série originelle, dans ses codes graphiques et couleurs, et porté par une certaine liberté, celle d’un auteur qui sans cesse remet son art en question. De quoi dépoussiérer l’affaire ! (Les Indomptés, de Blutch. Dargaud. 13€)

C’est une histoire comme on en voit malheureusement beaucoup, une histoire de relation toxique qui aurait pu mal finir mais s’est arrêtée à temps. Carole Lobel en témoigne aujourd’hui à sa manière dans une bande dessinée baptisée En Territoire ennemi. Les mots sont forts mais justes tant cette expérience aurait pu être un voyage sans retour.

Fille d’une militante chrétienne anti-avortement, Carole rencontre Stéphane, étudiant aux Beaux-Arts, d’extrême gauche, fumeur de joints. Elle en tombe éperdument amoureuse. Pourtant, très vite, elle perçoit un malaise dans leur relation, notamment dans leur relation intime. Bien qu’elle ne souhaite pas d’enfants, elle finit par en avoir deux.

De son côté, Stéphane, sans emploi, s’isole progressivement de la vie sociale, sombre dans la paranoïa, le complotisme, la misogynie, adopte les idéologies d’extrême droite, apprend l’hymne officiel des SA et du Parti national-socialiste des travailleurs allemands et devient violent avec ses propres enfants qu’il souhaite « endurcir » !

Face à cette spirale destructrice, Carole décide de le quitter mais des années de vie commune ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Et ses enfants vont le lui rappeler…

Réalisé au stylo-bille quatre couleurs avec un graphisme et une narration très actuelles, En Territoire ennemi n’est pas un témoignage de plus, c’est un témoignage essentiel qui décrit comment naissent les relations toxiques et peut-être comment les repérer pour s’en extraire au plus vite.  En Territoire ennemi est la première bande dessinée de Carole Lobel. Un livre à mettre entre toutes les mains ! (En Territoire ennemi, de Carole Lobel. L’Association. 26€)

Eric Guillaud

10 Déc

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Impénétrable, Madeleine Résistante , Pour une fraction de seconde…

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

Madeleine Riffaud n’a que 18 ans lorsqu’elle rejoint l’armée de l’ombre avec un objectif clair : chasser les Allemands hors de France. Prête à tout pour y parvenir, elle n’hésite pas à se mettre en danger. Elle abat un officier nazi, est arrêtée, subit la torture pendant des jours sans jamais révéler un nom, échappe de justesse au peloton d’exécution et à la déportation, avant de participer activement à la Libération de Paris.

Résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, infatigable militante pour la décolonisation et contre l’oppression des peuples, amie de Picasso et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud est une figure exceptionnelle, comme seules les grandes heures de l’Histoire peuvent en façonner.

© Dupuis / Morvan, Bertail & Riffaud

Des destins comme celui de Madeleine Riffaud méritent d’être racontés pour inscrire leur mémoire dans notre patrimoine collectif et transmettre les valeurs d’engagement et de résistance. Le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail l’ont bien compris en s’attelant à cette tâche dès 2021. S’appuyant sur les souvenirs de Madeleine Riffaud et sur un travail approfondi de documentation historique, ils déroulent sa vie avec un découpage d’une très grande fluidité, un trait sobre, élégant et minutieux, ainsi que des atmosphères parfaitement ancrées dans l’époque. Ce témoignage essentiel pour l’humanité et un vibrant hommage à Madeleine Riffaud, disparue en novembre 2024. (Madeleine, Résistante, tome 3, de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 23,50 euros)

Peut-être que son nom ne vous dit rien, il est pourtant l’un des pionniers de la photographie et du cinéma ! Eadweard Muybridge, anglais de nationalité, américain d’adoption, découvre la photographie dans les années 1860. Il en fait son métier, se fait connaître à travers le monde pour ses photographies de l’Ouest sauvage et de l’Alaska. Mais l’homme nourrit une obsession qu’il partage avec le richissime Leland Stanford, président de la Southern Pacific Railroad et gouverneur de Californie : capturer le mouvement d’un cheval au galop. Et pour cela, il déploie des trésors d’ingéniosités jusqu’à y parvenir. Nous sommes alors en 1878. 

© Delcourt / Delisle

S’il s’est fait un nom dans la bande dessinée grâce à ses récits autobiographiques, tels que Pyongyang, Shenzhen, Chroniques de Jérusalem ou encore, sur un ton plus humoristique Le Guide du mauvais père, le Canadien Guy Delisle s’autorise, avec le même talent, à explorer d’autres genres, notamment le témoignage avec S’enfuir, récit d’un otage, paru en 2016, ou la biographie avec ce nouvel album consacré à la vie mouvementée d’Eadweard Muybridge.

Extrêmement documenté, enrichi de quelques clichés de Muybridge et parsemé d’une touche d’humour, Pour une fraction de seconde bouscule nos idées reçues sur l’histoire de la photographie et du cinéma. L’album met en lumière un homme passionné et des innovations majeures ayant marqué l’évolution de l’art photographique, prélude à l’apparition du cinéma. De quoi remettre les pendules à l’heure et confirmer l’immense talent de narrateur et de dessinateur de Guy Delisle. Captivant !  (Pour une fraction de seconde, la vie mouvementrée d’Eadweard Muybridge, de Guy Delisle. Delcourt. 23,95€)

« Personne n’est condamné à souffrir en silence » : c’est par ces quelques mots que l’autrice belge Alix Garin conclut son album et c’est précisément pour cette raison qu’elle a décidé de l’écrire.

Pendant des années, Alix Garin a souffert d’un trouble sexuel méconnu : le vaginisme. Du jour au lendemain, elle ne pouvait plus supporter la pénétration. Des douleurs insoutenables et une libido réduite à néant qu’elle cache à son compagnon. Seule, elle affronte pendant des mois ses questionnements, ses doutes et sa souffrance.

© Le Lombard / Garin

Jusqu’au jour où elle trouve enfin le courage d’en parler. S’ensuivent des années d’errances thérapeutiques, à courir les cabinets des psychologues, sexologues, gynécologues, psychothérapeutes, et autres kinésithérapeutes. Toujours en quête de réponses !

À la peur de fragiliser son couple s’ajoute la honte. La honte de ne pas être comme tout le monde, de ne pas répondre aux injonctions d’une société qui érige la sexualité, le désir et le plaisir en normes absolues de la vie amoureuse…

Avec courage et sincérité, Alix Garin livre un témoignage profondément intime, sans tabous, utilisant les métaphores pour évoquer le désir, la douleur, les injonctions, le cheminement thérapeutique. Un récit essentiel, sensible, libérateur tant pour l’autrice que pour les lecteurs et les lectrices (Impénétrable, d’Alix Garin. Le Lombard. 29,90€)

Eric Guillaud 

30 Nov

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Les Météores de Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi aux éditions Delcourt

Pour leur deuxième collaboration, Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi nous plongent dans une Amérique profonde bien éloignée de la verticalité de New York. Ici, pas de héros, pas de super-héros, mais une ville sans nom, sans âme, peuplée de gens ordinaires aux vies fragiles et éphémères…

« Dans la vie, il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires. On a tous notre rôle à jouer ». Tout est là, dans ces quelques mots prononcés par une des protagonistes de l’album. Dans Les Météores, il n’y a effectivement pas de héros, encore moins de super-héros, mais des gens très ordinaires qui ont une vie très ordinaire. Comme ce bon Flyod qui prend chaque jour le bus de 5h46 trimbalant son énorme carcasse et ses pertes de mémoire, ses « blancs » comme il les appelle avec un brin de poésie. Ou comme Hollie, une jeune assistante de vie qui élève seule son fils et s’auto-persuade d’aimer son job même quand il s’agit d’essuyer les fesses d’un vieillard. Ou encore Don qui est tombé amoureux d’une vendeuse d’Ikea (rebaptisé ici Aeki), où une bonne partie de l’histoire se déroule. Il y a aussi Gary, Charlie, Sammy, Elijah… tous occupés à vivre ou plus surement à survivre, sans éclats ni passions. Et même lorsqu’une météorite a la fâcheuse intention de vouloir passer un peu trop près de la planète et d’anéantir toute forme de vie, ils continuent leur chemin, sans héroïsme ni panique, résignés comme s’ils ne faisaient eux-mêmes que passer.

Avec Les Météores, Deveney et Redolfi passent de la verticalité de leur précédent album, Empire Falls Building (2021, Éditions Soleil) – qui explorait la construction mystérieuse d’un gratte-ciel new-yorkais – à une horizontalité marquée, renforcée par un format à l’italienne. Ce choix offre une lecture apaisée, presque cinématographique, parfaite pour cette narration où le temps semble suspendu.

Avec un trait léger, des ambiances hivernales, une luminosité basse, une game de couleurs réduite, les auteurs nous attrapent par les yeux pour nous embarquer dans cette histoire qui n’a pas vraiment de début, pas vraiment de fin, déroulant avec poésie des fragments de vies qui laissent entrevoir toute la fragilité de l’humanité. Un récit Intimiste et tellement universel !

Eric Guillaud

Les Météores – Histoires de ceux qui ne font que passer, de Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi. Delcourt. 34,95€

© Delcourt / Deveney & Redolfi

03 Oct

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Au-Dedans de Will McPhail aux éditions 404 Graphic

Certains livres nous transportent l’air de rien vers des territoires insoupçonnés. C’est le cas ici avec cet album de Will McPhail. Ne connaissant pas l’auteur, un simple avis de conseiller de vente dans une grande librairie et une couverture minimaliste auront suffi à éveiller ma curiosité. Et très franchement, je n’allais pas être déçu…

Que je ne connaisse pas Will McPhail n’a finalement rien d’étonnant. Après quelques recherches rapides sur internet, je comprends que l’homme, un Anglais, signe ici son tout premier roman graphique et qu’il est surtout connu et reconnu pour ses dessins de presse publiés dans le magazine américain The New Yorker. Que je ne lis pas !

Au-Dedans est donc un premier bouquin. Et quel bouquin ! Dès les premières pages, son style graphique, son trait réaliste très précis, ses personnages aux yeux écarquillés, ses cases épurées, ce découpage des planches adapté au récit… tout est réuni pour frapper notre esprit et nous charmer définitivement.

Et les quelque 270 pages qui alternent noir et blanc et couleurs sont du même niveau. Impossible de lâcher la lecture en cours, on est littéralement happé, happé par la forme bien sûr mais aussi par le fond.

Mais que peut bien raconter Au-Dedans ? Une aventure intérieure ou plus précisément une aventure vers l’intérieur. La petite porte sur la couverture… vous la voyez ? Elle donne accès à cet intérieur.

Avec une question qui revient tout au long de l’ouvrage : comment connecter les différents intérieurs ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

Nick est un jeune artiste, illustrateur pour quelques feuilles de choux genre L’Hebdo de la Carpe. Oui, ça existe ! Pas d’enfants, pas de maison, pas de bijoux, pas de super recette de famille à léguer, juste une mère à qui il rend visite régulièrement, une sœur qui ne mène pas le même genre de vie et depuis peu une amoureuse, une oncologue, rencontrée dans un des nombreux cafés branchés qu’il fréquente pour occuper sa vie, remplir son quotidien et tenter de s’interconnecter avec les autres.

Sans grand succès, il faut avouer ! Uniquement des interactions superficielles, regrette-t-il. Jusqu’au jour où il parvient à dire une poignée de mots qui comptent à son plombier venu réparer une fuite à son domicile.

« C’était quoi ça ? Non, mais c’était quoi ? Ça partait comme une conversation habituelle et puis… puis il s’est passé quoi ? »

Une connexion ! La première mais pas la dernière. Nick a compris que pour rejoindre l’espace intérieur des autres, il devait avant tout ouvrir le sien…

Né dans le Lancashire au Nord-Ouest de l’Angleterre, région où on ne dévoile pas plus qu’ailleurs ses sentiments, Will McPhail a malgré tout toujours été fasciné par la mécanique des mots et les différentes directions que peut prendre une simple conversation. Son sens aiguisé de l’observation, son humour, son regard sur la vie et nos contemporains ont fait le reste. Au-Dedans est l’un des plus beaux livres de l’année. Assurément !

Eric Guillaud

Au-Dedans, de Will McPhail. 404 Graphic. 26,50€

© 404 Graphic / McPhail

28 Sep

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Walicho de Sole Otero aux éditions ça et là

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce nouvel album de la très talentueuse autrice argentine Sole Otero…

Lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2023 pour l’album Naphtaline, une épopée familiale au ton et à l’esthétisme résolument modernes, l’autrice argentine Sole Otero est de retour avec Walicho, diable ou Satan en espagnol, une œuvre inattendue et singulière composée de neuf histoires situées à des périodes différentes, depuis l’époque de la colonisation de l’Argentine jusqu’à nos jours, mais se déroulant toujours au même endroit, Buenos Aires, et en la présence, parfois latente, de trois mystérieux personnages, trois sœurs dotées de pouvoirs magiques qui traversent les siècles sans prendre de rides…

Graphisme, narration, mise en page, couleurs… chacune de ces histoires est l’occasion pour Sole Otero d’explorer avec talent et audace les possibilités du medium bande dessinée, d’offrir des instantanés de l’histoire de l’Argentine mâtinés de sorcellerie et de glisser des thématiques contemporaines notamment autour de la condition féminine, dénonçant ici les violences faites aux femmes et leur diabolisation, encourageant là leur émancipation au sein du couple et la lutte pour disposer librement de leur corps. Une œuvre dense aux ambiances sombres et mystérieuses qui révèle plus que jamais une autrice talentueuse. L’album vient d’ailleurs de remporter le prix Prima Bula décerné par le festival Formula Bula à Paris !

Eric Guillaud

Walicho, de Sole Otero. ça et là. 28€

© ça et là / Otero

16 Jan

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : L’Expert de Jennifer Daniel aux éditions Casterman

Dans les années de plomb du côté de Bonn en République Fédérale d’Allemagne, un employé de l’institut de médecine légale se retrouve impliqué dans un accident de la route qui a coûté la vie à une jeune femme et son fils. Tout indique qu’il en est le responsable mais quelques éclats de phare retrouvés sur place l’entrainent sur une autre piste…

Monsieur Martin, la cinquantaine bedonnante, partage son temps entre son appartement dans lequel il vit avec femme, enfant et belle-mère, et l’institut de médecine légale où il est chargé de photographier les autopsies. Rien de bien folichon dans les deux cas, notre homme tente juste de poursuivre une vie qui avait fort mal commencé, sous l’uniforme de la Wehrmacht. Une période de sa vie qu’il ne parvient pas à assumer et qui hante ses nuits et ses jours.

L’alcool et le jeu lui apportent un peu d’évasion jusqu’au jour où, en rentrant d’une partie de carte particulièrement arrosée, Martin a un accident de voiture. Une jeune femme, membre d’un groupuscule terroriste d’extrême gauche et son fils sont retrouvés morts. À la culpabilité d’avoir tué des hommes pendant la guerre vient s’ajouter celle d’avoir tué une automobiliste et un enfant. Pas longtemps ! Quelque chose lui dit qu’il n’est en rien responsable.

Du doute à la certitude, il n’y a qu’un pas, une ombre aperçue dans le noir au moment de l’accident et quelques débris de phares retrouvés sur le bitume. Le vrai responsable est là ! Est dès lors, Monsieur Martin n’aura de cesse de vouloir le retrouver…

Une société traumatisée par la seconde guerre mondiale, des organisations d’extrême gauche prêtes à recourir à la violence et une élite qui se croit au-dessus des lois, au-dessus des hommes, c’est l’atmosphère étouffante de ce roman graphique paru chez Casterman et signé par l’Allemande Jennifer Daniel.

L’Expert se déroule juste avant l’automne 1977 qui sera marqué par l’apogée des actes de violence terroriste en Allemagne. Enlèvements, détournements, assassinats, prises d’otages… La tension est alors à son comble dans le pays et ce polar, une fiction que l’autrice a voulue hyper réaliste, très documenté et inspiré par certains aspects de son histoire familiale, nous en offre un aperçu saisissant, une véritable autopsie de la société allemande de l’après-guerre, aussi froide que peuvent l’être les quelques 200 planches de l’album et le dessin réalisé sur ordinateur.

Eric Guillaud

L’Expert de Jennifer Daniel. Casterman. 25€

© Casterman / Daniel