Il est plus que jamais la loi ! Lui, c’est JUDGE DREDD personnage le plus populaire mais aussi le plus incompris, du moins en France, de l’écurie 2000 AD, l’équivalent britannique de Métal Hurlant dans les années 80. Le cinquième tome de ses intégrales sort tout juste et c’est toujours aussi délirant.
L’incarnation la plus pure de la loi. Une vraie machine inflexible, un peu à l’image de Mega-City One, la tentaculaire mégapole futuriste de 800 millions d’habitants où il exerce. Voici Judge Dredd, homme à la carrure de géant qui cache systématiquement son visage derrière son casque et sa visière, un concentré de testostérone, dénué de tout second degré et prêt à faire appliquer la loi à tout prix. Â TOUT PRIX. Et tant pis pour la casse… Avant toute chose, on déplore le fait qu’hélas encore aujourd’hui, il reste deux cons et demi pour soupçonner JUDGE DREDD de sympathie pour une esthétique fascisante. Une accusation bidon qui prouve bien que ces bien-pensants n’ont jamais ouverts une seule fois la BD, tant ces accusations à deux balles sautent au bout de trois pages et demi.
Ce n’est pas pour rien que cette saga a pris son envol en 1977, tant on y retrouve un esprit frondeur assez punk et surtout complètement déglingué. Car on est ici dans l’absurde pur. Judge Dredd est sans émotion et fait régner l’ordre jusqu’à l’outrance parce qu’il est à l’image de la société qu’il est censé protéger, parfois contre elle même. Car ici, tout le monde en prend pour son grade : les citoyens abrutis par la télévision et la publicité qui cèdent aux moindres sirènes de la mode, les gouvernants qui font tout pour rester en place, les mutants qui vivent en marge de la société mais qui essayent quand même d’en profiter etc. En fait, à travers JUDGE DREDD, les différentes équipes artistiques qui se sont succédées à son chevet (il y a eu pas mal de roulements car chaque semaine, il fallait publier une histoire de six pages) opèrent un véritable jeu de massacre de notre société de consommation, jusqu’au grotesque. Et le style souvent très cyberpunk des différents dessinateurs et qui marquera toute une génération de créateurs (le papa de ‘Tank Girl’ leur doit beaucoup par exemple) enfonce encore un peu plus le clou.
Alors oui, le rythme assez frénétique de parution fait que très souvent ces histoires devant être torchées en donc six pages poussaient à certains raccourcis parfois un peu fatigants lorsqu’on s’enquille plusieurs épisodes comme dans le cadre de cette intégrale. Mais la perle noire de ce cinquième volume est justement la saga de L’Enfant-Juge qui s’étale sur vingt-six épisodes. Une épopée délirante où Judge Dredd doit retrouver l’élu, un enfant capable de visions et soi-disant destiné à devenir, un jour, le nouveau dirigeant de Mega-City One, une sorte d’odyssée version SF délirante où il croise un auto-proclamé ‘roi des ordures’ qui se prend pour la réincarnation des pharaons, une planète où la personnalité des gens est sauvegardée sur une puce électronique greffée de corps en corps, un ancien pilote de vaisseau qui souffre de la maladie du puzzle qui le fait disparaître bout par bout etc. Dans sa quête, il est accompagné par deux jeunes juges, dont un qu’il n’aime pas parce qu’il porte… La moustache. Voilà.
Serti par un noir et blanc ciselé et une reproduction une nouvelle fois de luxe avec couverture carré, ce cinquième (et a priori pas dernier) volume des intégrales est un délire hautement recommandable, chef d’œuvre du cyberpunk. L’alliance improbable entre Blade Runner et les Monty Python, avec un ton très acide qui n’a non seulement pas vieilli du tout, mais qui au contraire paraît diablement d’actualité en ces années Trump. Et puis hop, c’est aussi une bonne excuse pour vous rappeler que dès 1987, les thrashers new-yorkais d’ANTHRAX rendaient hommage à cet antihéros improbable. Et non, si vous voulez qu’on reste ami, on ne parlera par contre pas du tout de l’adaptation ciné ratée avec Sylvester Stallone. D’accord ?
Olivier Badin
Judge Dredd- Les Affaires Classées 05 par John Wagner, Alan Grant, Kelvin GOsnell, Brian Bolland, Ron Smith, Mick McMahon, Ian Gibson, Steve Dillon et Brett Ewins, éditions Delirium. 35€