Le froid, la pluie, le retour de Trump, le dérèglement climatique, les guerres… on peut légitimement avoir envie d’être ailleurs, dans un autre monde, peut-être quelque part dans le futur ou dans l’espace. Mais rien ne dit que ce soit beaucoup mieux ! La preuve avec cette sélection de bandes dessinées de science-fiction.
On commence avec le nouveau projet de Corentin Rouge au dessin et Caryl Férey au scénario, un récit d’anticipation qui comptera à terme trois volumes et près de 450 pages. Islander est son nom et la crise migratoire, sa toile de fond, une crise migratoire qui touche cette fois les Européens chassés de chez deux par une série de catastrophes dues au réchauffement climatique. L’histoire commence dans le port du Havre où des milliers de réfugiés s’entassent avec l’espoir de gagner une terre d’asile.
Mais face à ce nouveau flux migratoire, le Royaume-Uni a choisi de fermer ses frontières, l’Écosse accueille encore quelques groupes triés sur le volet et l’Islande se déchire sur le sort des migrants. C’est pourtant bien dans ce pays que vont débarquer le personnage principal de ce récit, Liam, un loup solitaire prêt à tout pour fuir le continent européen, et Zizek, un scientifique porteur d’une information qui pourrait sauver l’humanité. Encore faut-il qu’il soit écouté !
Un scénario en béton, une imposante galerie de personnages, des dialogues incisifs, un trait réaliste minutieux, des décors et notamment des paysages enneigés magnifiques, des scènes d’actions spectaculaires… L’Exil, premier volet de cette trilogie, est un récit de sang et de glace qui nous projette dans un monde futur où nous risquons bien d’être les nouveaux migrants ! De quoi calmer les discours de haine entendus ici et là ? À suivre… (L’exil, Islander tome 1/3, de Corentin Rouge et Caryl Férey. Glénat. 25€)
La couverture annonce la couleur, la couleur et la teneur : un monde en fin de course baigné dans une lumière à dominante jaune et orange. Et dans ce monde-là, Géo, éboueur de l’espace, échoué là à la suite d’une panne de son vaisseau-benne, erre au milieu des vestiges d’une société disparue. La Terre n’est plus qu’une immense décharge et l’humanité a trouvé refuge sur une planète artificielle en forme de méduse, les plus fortunés habitant la cloche, le dôme, les autres étant relégués dans les tentacules, vastes salles des machines fait d’une multitude d’ascenseurs, de tunnels et de passerelles. Seul sur la Terre, Géo tombe sur un exemplaire de La Tempête de Shakespeare, un livre qui pourrait bien le guider dans cet environnement hostile…
Artiste protéiforme, illustrateur, designer, auteur de comics expérimentaux, le Néerlandais Viktor Hachmang nous invite ici à une immersion vertigineuse dans un univers où l’humanité a finalement détruit son propre foyer. Un imaginaire profondément personnel, un style graphique nourri par les plus belles années du magazine Metal Hurlant et une palette de couleurs audacieuse font de la lecture de L’Arpenteur une véritable expérience graphique et scénaristique. (L’Arpenteur, de Viktor Hachmang. Casterman. 20€)
Si Didier Tarquin est le dessinateur de l’une des séries phares de l’heroic fantasy en BD, Lanfeust de Troy, il peut aussi se faire auteur complet sur une aventure de SF dont le sixième volet vient de paraître. U.C.C. Dolores, tel est son nom, a tout du western intergalactique et peut-être déjà tout d’un classique du genre. « Quand on parle de western en bande dessinée… », expliquait l’auteur à la parution du premier volet, « il y a une oeuvre qui vient immédiatement à l’esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J’avais envie de retrouver ça, de faire quelques chose de très classique – de néo-classique, disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c’était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part ». Inutile de vous dire que le résultat est graphiquement sublime. Quant à l’histoire, celle d’une orpheline élevée dans un couvent qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un croiseur de guerre baptisé U.C.C. Dolores, on ne peut être que conquis. Dans ce sixième volet qui est aussi le début d’un nouveau cycle, Didier Tarquin et Lyse Tarquin aux couleurs nous embarquent pour un monde à l’agonie, exploité, surexploité, prêt à rendre l’âme… (Les Yeux du sans-peur, U.C.C. Dolores tome 6, de Didier Tarquin et Lyse Tarquin. Glénat. 15,95€)
On fait un bond dans le temps pour se retrouver 500 ans après le grand effondrement. La planète Terre n’est plus qu’un immense champ de ruines rongées par des pluies acides. La faute à qui ? La faute aux hommes bien sûr qui ont précipité la fin de l’humanité en s’entêtant pendant des années dans un projet de folie : installer un générateur d’énergie propre sur la Lune pour alimenter les infrastructures terriennes destinées à dépolluer l’atmosphère et les océans. Et ce générateur d’énergie propre n’est ni plus moins qu’une forêt. Une immense forêt…
Ce premier volet d’une trilogie dont on devrait voir le bout en 2026 selon l’éditeur, donc, avec un peu de chance, avant le grand effondrement prévisible de l’humanité, joue habilement sur les contrastes. Le dessin, à la fois imaginatif, moderne et très coloré, adoucit un récit apocalyptique d’une grande noirceur, même si quelques spécimens sont encore là pour témoigner et tenter de changer la fin de l’histoire. À méditer ! (L’Ascenseur, Avaler la Lune tome 1, de Castel, Cousin et Jarry. Casterman. 20€)
De quoi sera fait demain ? Les livres continueront-ils d’être écrits par des êtres humains ? Les intelligences artificielles n’auront-elles pas remplacé les éditeurs et même les boulangers ? Et qui seront les premiers colons interplanétaires de l’humanité ? Toutes ces questions – et bien d’autres encore – sont explorées dans les pages de cet ouvrage collectif qui réunit une belle brochette d’auteurs tels que Jean-Christophe Chauzy, Christian de Metter, Aurélien Ducoudray, Guillaume Dorison ou encore Jean-Michel Ponzio.
Avec des styles graphiques variés, chaque auteur imagine en quelques pages un avenir proche et plausible, marqué par les innovations et les thématiques qui, déjà, bousculent et interrogent notre présent, qu’il s’agisse des intelligences artificielles, du pouvoir des réseaux sociaux et des influenceurs, du réchauffement climatique ou du retour de l’exploration spatiale. C’est souvent effrayant, mais après tout, notre quotidien ne l’est-il pas déjà ? (2050, collectif. Philéas. 19,90€)
Initialement paru en trois volumes entre 2015 et 2017, tout juste réédité en intégrale, le récit SF de Christophe Bec et Jaouen Salaün nous embarque pour 2297. La galaxie n’a alors plus de secret pour l’homme qui en a colonisé la plus grande partie, mais certains phénomènes restent encore largement inexpliqués.
Il y a d’abord ce mystérieux rayon cosmique apparu soudainement dans une galaxie voisine, un rayon gigantesque qui semble traverser le cosmos. Et puis la découverte d’un sarcophage sur une planète minière quelque part au milieu de la Voie lactée, un sarcophage qui interroge. Et qui inquiète ! Depuis sa découverte, tout contact avec la Terre a été rompu. Une équipe est envoyée sur place. Elle y découvre un véritable carnage, des corps dispersés un peu partout dans la base, tués par balles, par armes blanches, tous porteurs de traces de morsures, comme si quelqu’un s’était adonné au cannibalisme. Le sarcophage est rapatrié sur Terre afin de percer son mystère…
Il y a du Alien et du Outland dans l’air, mais pas seulement, l’album Eternum est la somme des nombreuses influences des deux auteurs mais il est aussi le résultat de l’imaginaire sans bornes de Christophe Bec, auteur d’une douzaine de one-shots et d’une trentaine de séries parmi lesquelles Carthago, Bunker, Sanctuaire ou encore Zéro absolu. Un dessin hyper efficace, de l’action à toutes les pages, un zeste de sexe, le tout parsemé de mysticisme, Eternum offre une lecture divertissante et en filigrane une réflexion sur l’humanité, ses origines, son devenir… (Eternum Intégrale, de Bec et Jaouen. Casterman. 29€)
Eric Guillaud