28 Août

La BD fait sa rentrée. Bons baisers de Limón, premier roman graphique du Costaricain Edo Brenes

S’il y a bien quelque chose d’universel, ce sont les histoires et les secrets de familles. Bons baisers de Limón se déroule au Costa Rica, il aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. L’album n’en reste pas moins une belle découverte et un voyage singulier…

Pour ceux qui ne le sauraient pas, comme moi quelques minutes avant d’écrire ces lignes, et de fait vous épargner une recherche sur Google, Limón, à la fois province et ville, se situe sur la côte caraïbe du Costa Rica.

L’auteur, Edo Brenes, en est originaire. Il vit aujourd’hui à Cambridge au Royaume Uni. Dans ce roman graphique, il met en scène un jeune homme prénommé Ramiro vivant en Angleterre et revenant sur ses terres avec l’idée d’écrire un livre sur les membres de sa famille qui ont vécu à Limón dans les années 40 à 50. Vous l’aurez compris, sans être présentée comme une autobiographie, Bons baisers de Limón est largement inspiré de sa vie.

Arrivé chez sa mère, il déniche quantité de photos dans une vieille malle du grand-père. Elles seront le point de départ de ses recherches et de ses rencontres…

Pour un premier roman graphique, Edo Brenes nous surprend vraiment par sa maîtrise de la narration et du graphisme. Personne ne sera étonné à la lecture de son livre qu’il adore Chris Ware. Il se dit aussi inspiré pour cet album par Giuseppe Tornatore (Cinema Paradiso) et Wong Kar-Wai (In the Mood for Love). Bref, que de bonnes influences pour un récit qui se savoure tranquillement, allongé sous un palmier ou non. Page après page, on se prend à aimer cette famille et à se prendre pour l’un des siens. Pas d’aventure avec un grand A ici, juste des tranches de vie ordinaires déroulées sur un mode tendrement nostalgique. On adore !

Eric Guillaud

Bons baisers de Limón, de Edo Brenes. Casterman. 23€ ( en librairie le 8 septembre )

© Casterman / Brenes

26 Août

La BD fait sa rentrée. Bettie Hunter ou quand la SF à la française sait habilement mélanger humour et space-opera

Début des aventures d’une chasseuse de primes pas comme les autres au XXVème siècle, très douée pour se fourrer dans de sacrés pétrins, dans le premier de deux tomes annoncés. Décalé et drôle.

Peut-être écrasée par la concurrence anglo-saxonne, la BD française ne s’aventure pas si souvent que ça sur le terrain casse-gueule du space opera. Et quand elle le fait, c’est souvent sur un ton très sérieux, voire assez mystique, comme on l’a vu récemment sur l’excellent Amen par exemple. Donc déjà, rien que le contrepied total pris par Bettie Hunter fait un bien fou, surtout qu’on ne tombe pas pour autant dans la gaudriole non plus.

Non, ici tout est coloré, pop et joyeusement foutraque, dans un style finalement plus proche du duo Tome & Janry lorsqu’il était en charge de Spirou dans les années 80 que celui d’un, mettons, Moebius. Et surtout, tout tient grâce à son personnage principal, la fameuse Bettie Hunter – jeu de mot sur ‘bounty hunter’ qui veut dire en anglais ‘chasseur de primes’ – chasseuse de primes donc, à la langue bien pendue mais aussi au background, disons, compliqué : élevée dans un orphelinat et surdiplômée, elle est éternellement flanquée d’un robot un peu perché comme elle. L’histoire se passant au XXVème siècle, les auteurs s’amusent d’ailleurs beaucoup à de temps en temps insérer une double pleine page où elle endosse alors une tenue universitaire pour nous faire une sorte de cours magistral sur telle ou telle créature extraterrestre…

© Glénat / ComixBuro – Ducoudray & Lechuga

Toujours à cours d’argent, elle accepte une mission a priori facile, retrouver la trace d’une jeune femme travaillant dans l’humanitaire. Sauf dès que le duo se rend à Minaria Prime sa dernière affectation, une lointaine planète où deux espèces se livrent une guerre sans merci sous l’œil torve des êtres humains, les ennuis commencent.

Leur éditeur parle d’une aventure survoltée et tapageuse dans la veine des Gardiens de la Galaxie de MARVEL. Mais on rajouterait bien aussi une pincée de Tank Girl, à qui Bettie a d’ailleurs en partie la coupe de cheveux mais aussi le sens de la répartie cinglante, et de Valérian pour le côté bariolé. Mais surtout, au-delà des dialogues très réussis et de l’interaction toujours très drôle du duo, il y a aussi sous-jacent un discours sur la tolérance et le racisme, où l’être humain n’a, pour une fois, pas le plus beau rôle. Bref, une vraie réussite, qui plus est animée par deux auteurs français qu’on a très envie de suivre avec assiduité.

Olivier Badin

Bettie Hunter, Tome 1 par Aurélien Ducoudray et Marc Lechuga. Glénat/Comixburo. 15,50 euros

© Glénat / ComixBuro – Ducoudray & Lechuga

25 Août

La BD fait sa rentrée. Meadowlark, le polar coup de poing de Greg Ruth et Ethan Hawke

Ce duo-là nous avait déjà subjugué en 2017 avec l’album Indeh qui revenait sur le destin tragique des Apaches. Il nous bluffe à nouveau avec ce polar chaud bouillant, une histoire de voyous mais aussi une histoire de famille et d’amour filial…

L’affiche trône comme un trophée juste au-dessus de son lit. Une fierté. SA fierté ! Et pour cause, elle annonce une rencontre au sommet entre Domingo « Ringo » Rojas et Jack « Meadowlark » Johnson, son père, un champion de boxe, un vrai fauve… à l’époque.

Aujourd’hui, Meadowlark a raccroché les gants et la hargne qui va avec. Il est devenu gardien de prison. Ça ne nourrit pas vraiment son homme. Ça fait d’ailleurs un bail qu’il n’a pas payé la pension alimentaire pour son fiston justement, Cooper de son prénom, qu’il voit de temps en temps quand tout va bien.

On ne peut pas dire que tout aille bien ce matin-là quand il déboule chez son ex. Non seulement, Cooper a piqué les roues de la Firebird qui sert désormais au beau-père qu’il déteste, mais il s’est fait virer de l’école.

« J’ai fait tomber un joint de mon sac pendant le cours de M. Pikett. Et ils en ont trouvé d’autres dans mon casier… Et de l’acide ».

© Robinson / Ruth & Hawke

Bon, pas de quoi l’emmener en prison me direz-vous, il va pourtant y faire un passage ce jour-là,  mais simplement pour accompagner son père au boulot. Au mauvais endroit, au mauvais moment, une émeute éclate dans un des blocs de la prison, des gardiens sont tués, des prisonniers s’évadent…

« Je dois mettre ces sauvages hors d’état de nuire », s’exclame Meadowlark. « Tu te prends pour qui ? Le shérif de Dodge City ? », lui rétorque Cooper.

Et voilà nos deux héros embarqués dans un mauvais roadtrip, une sale histoire qui révélera de sombres secrets et qui ne finira pas, bien évidemment, comme un conte de fées…

© Robinson / Ruth & Hawke

Décidément, la collaboration entre le dessinateur Greg Ruth et le réalisateur, acteur, écrivain et scénariste Ethan Hawke est des plus payantes. Après le magnifique Indeh publié en 2017 aux éditions Hachette Comics, ils nous offrent ici un thriller noir en même temps qu’un mélodrame familial. L’atmosphère est lourde, poisseuse, ça suinte à toutes les cases, un récit intense, un découpage efficace, un graphisme réaliste toujours aussi percutant, des dialogues qui vont à l’essentiel et des personnages à fort caractère, Meadowlark relève du genre génial et indispensable.

Eric Guillaud

Meadowlark, de Greg Ruth et Ethan Hawke. Robinson. 22€ 

23 Août

Prix René Goscinny du meilleur scénariste. Madeleine, résistante ou l’engagement permanent, une histoire de Bertail, Morvan et Riffaud

À l’image de la Der des Der, la seconde guerre mondiale a inspiré quantité de fictions, documentaires et biographies. En voici une nouvelle page avec la vie de Madeleine Riffaud, 96 ans, résistante jusqu’au bout de la vie, un fabuleux témoignage sur la liberté…

Sur le compte Facebook du dessinateur Dominique Bertail, on peut lire : « Notre album Madeleine, résistante, avec Madeleine Riffaud et Jean David Morvan, chez Aire Libre aux Éditions Dupuis, vient de sortir !!! Mélange d’émotion et de fierté. L’album est beau, bien imprimé, sur du beau papier et il sent bon ».

Et tout est vrai, aucunement exagéré, il est beau et il sent bon, il sent bon le travail bien fait, le travail de passionnés. Au scénario, Jean David Morvan (Sillage, 7 Secondes, Nomad…), au dessin Dominique Bertail (L’enfer des Pelgram, Ghost Money…), deux auteurs qu’on ne présente plus, accompagnés pour le coup d’une jeune autrice de bande dessinée, Riffaud, Madeleine de son prénom, 96 ans et une vie incroyable au service de la liberté.

© Dupuis – Bertail, Morvan & Rifffaud

Madeleine, résistante est le portrait de cette dernière, née en 1924, résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, combattante éternelle pour la décolonisation, l’oppression des peuples d’une manière générale, amie de Picasso et Hô Chi Minh, bref un personnage comme seules les grandes heures de l’histoire peut en fabriquer, une femme pleine de courage mais surtout d’humilité bien décidée à transmettre dans les pages de cet album son histoire et au-delà, un esprit, celui de l’engagement et de la Résistance.

« Ne jamais pleurer sur l’état de son pays ou sur son propre sort. Aucune cause n’est jamais perdue, sauf si on abandonne », écrit-elle en préface.

Prépublié sous la forme de trois cahiers « work in progress » entre juillet 2020 et juin 2021, aujourd’hui disponible en album, ce premier des trois volets annoncés allie la force du témoignage historique et le souffle de l’aventure avec un scénario taillé au cordeau et un trait fin et précis, des planches en bichromie d’une beauté exemplaire, et bien sûr une histoire passionnante. Le coup de coeur de la rentrée !

Eric Guillaud

Madeleine, résistante (tome 1), de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 23,50€

13 Août

Pages d’été. Comme une envie de mettre les voiles ?

Été capricieux, épidémie qui joue les prolongations, il y a des moments où on aimerait être ailleurs, embarquer pour l’aventure sous d’autres horizons. En attendant, voici déjà quatre albums qui vont vous permettre de lever l’ancre sans bouger le petit doigt…

Si je vous dis HMS Bounty, forcément ça vous cause. L’une des mutineries les plus célèbres de l’histoire maritime mondiale. Alors que le trois-mâts de la Royal Navy se trouve dans le Pacifique sud le 28 avril 1789, ses marins s’emparent du navire et abandonnent sur une chaloupe le capitaine Bligh ainsi qu’une vingtaine de marins qui lui sont restés loyaux. Bligh parvient à rejoindre l’Angleterre. Maintes fois porté à l’écran, adapté en roman ou en bande dessinée, cet épisode tragique est ici raconté sous un angle singulier, celui du capitaine Bligh visité par un journaliste du Times désireux d’enquêter sur l’affaire. Tous deux doivent embarquer sur l’un des bateaux de la flotte de Spithead mais là encore une mutinerie les en empêche, la mutinerie de la Nore. Les marins réclament de meilleures conditions de travail et une revalorisation de leur solde. Les représailles sont sanglantes. Un très bon scénario basé sur le personnage bien réel du capitaine Bligh et de magnifiques planches réalisées en couleurs directes. (Capitaine Bligh, de Fabrice le Hénanff. Robinson. 14,95€)

Publié en octobre 2020 aux éditions Glénat, le premier volet de ce dytique nous raconte la vie de l’un des pirates les plus célèbres des océans, Edward Teach, plus connu sous le nom de Barbe Noire, Blackbeard en anglais. Quand je vous aurais dit que l’auteur Jean-Yves Delitte est peintre officiel de la Marine, membre titulaire de l’Académie des Arts & Sciences de la mer, qu’il a réalisé précédemment les aventures de Black Crow, relaté l’histoire du Belem, de la frégate Hermione ou encore, on y revient, la mutinerie de la Bounty, vous aurez compris qu’on n’a pas affaire là à un marin d’eau douce. Black Beard, dont le deuxième volet est annoncé pour octobre prochain est du genre essentiel pour tous les amoureux de la mer et de la marine. (Black Beard tome 1, de Jean-Yves Delitte. Glénat. 13,90€)

Cette nouvelle série, dont le premier tome est sorti en mars, n’offre pas à proprement parler un récit d’aventure maritime. O’Sullivan est plus exactement l’histoire d’un écrivain venu s’isoler sur la terre de ses ancêtres quelque part en Irlande pour écrire son nouveau livre. Il se remémore l’histoire de Mary-Maë, embarquée en mai 1847 sur le Janet Johnson avec l’idée de fuir la famine. Direction le Nouveau Monde, le Canada en l’occurrence, mais avant de pouvoir commencer une nouvelle vie, la jeune femme va devoir supporter les conditions de vie effroyables à bord du bateau, échapper au tiphus et survivre au centre d’observation pour les nouveaux migrants où le nombre de morts dépasse celui des vivants. O’Sullivan est l’histoire d’une femme du 19e siècle qui rêve d’un monde meilleur pour son enfant et est prête à tout pour y arriver, à commencer par braver les océans. Bon scénario, bon dessin, bon premier volet. (O’Sullivan,de Rodolphe etMarc-Renier. Delcourt. 14,95€)

Retour sur un mystère, la disparition des navires de l’expédition de La Pérouse. Nous sommes en 1788. Après un périple de deux années à travers le Pacifique, les frégates L’Astrobale et La Boussole atteignent l’Australie en janvier 1788 d’où La Pérouse envoie une lettre annonçant son retour en France pour le mois de décembre. Mais l’expédition ne donne plus de nouvelles à partir de ce moment-là. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. 40 ans plus tard, le commandant Peter Dillon se fait remettre par un indigène de l’île de Tikopia une garde d’épée ayant visiblement appartenu à un officier de marine européen. C’est le début d’une longue enquête qui lui permettra au final de ramener en Europe divers objets et de lever un coin du voile sur la disparition des navires. Avec son trait simplifié et racé, Boris Beuzelin nous raconte avec brio l’une des plus grandes énigmes de l’histoire maritime. (Peter Dillon, de Boris Beuzelin. Glénat – Treize Étrange, 17,50€)

Eric Guillaud

05 Août

Pages d’été. Sinaï, voyage en pays inconnu avec Lelio Bonaccorso et Fabio Brucini

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Le Sinaï. Bien sûr, tout le monde en a entendu parler. Mais de là à pouvoir le situer sur une carte, à en connaître l’histoire, l’économie ou même la culture, il y a un monde.

Et pourtant, cette fraction de terre égyptienne bordée par la Méditerranée au nord, la mer Rouge au sud, le canal de Suez à l’ouest, Israël et la bande de Gaza à l’est, mérite largement le détour pour ses paysages, mais aussi et surtout pour les hommes et les femmes qui y vivent.

Lelio Bonaccorso, à qui l’on doit précédemment les documentaires Chez nous… paroles de réfugiés et À bord de l’Aquarius, tous deux réalisés en compagnie de Marco Rizzo, s’associe ici à Fabio Brucini pour un récit qui oscille entre le documentaire et le carnet de voyage. L’idée est née de la rencontre entre les deux hommes. Le premier est dessinateur de BD, le second, plongeur professionnel, installé depuis le début des années 90 à Sharm El-Sheikh, dans la péninsule égyptienne. Lelio Bonaccorso découvre le Sinaï en 2012.

« Ce qui me frappa le plus… », écrit-il en préface, « fut le sentiment de familiarité que j’éprouvais dans ce lieu. Étaient-ce les lointaines influences des dominations arabes de ma Sicile ? ».

© Futuropolis / Bonaccorso & Brucini

Il y retourne en 2016 avec Fabio Brucini qui connait déjà très bien la région. Ensemble, ils partent à la rencontre de ceux qui y sont nés, les Bédouins comme on les appelle en France, les Bedu comme ils se définissent eux-mêmes, et de ceux qui s’y sont installés, égyptiens ou italiens.

C’est précisément ce voyage que retrace l’album. Au fil des pages et des rencontres, les auteurs partagent avec nous leur enthousiasme pour la richesse incroyable de cette terre et de ses habitants, abordant tour à tour les traditions locales, la religion, la place des femmes, le rituel du thé, la médecine traditionnelle, le bonheur, cette hospitalité et cette sagesse hors du commun… Un regard forcément très instructif et pour le moins captivant complété par un dossier pédagogique d’une dizaine de pages. Un beau voyage !

Eric Guillaud

Sinaï – la terre qu’illumine la lune, de Lelio Bonaccorso et Fabio Brucini. Futuropolis. 24€

02 Août

Pages d’été. Valhalla Hotel, le récit complètement rock’n’roll de Perna et Bedouel

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Il y a du Motörhead dans l’air ! Dans le rythme complètement hallucinant du récit, c’est certain, mais aussi dans les personnages. Il y a d’abord ce jeune champion de ping-pong, pardon de tennis de table, prénommé Lemmy comme le feu-chanteur du groupe de metal. Il y a aussi El Loco, passionné d’armes en tout genre, de courses-poursuites en bolides et de musique rock, toujours prêt à reprendre du Motörhead à la guitare.

Et le reste n’est pas moins rock. Valhalla Hotel met en scène une galerie de personnages complètement déjantés dans le décor sec et poussiéreux de Flatstone au Nouveau Mexique, petit clin d’oeil en passant au film Il était une fois dans l’Ouest qui se déroulait dans la ville de Flagstone.

L’histoire ? Lemmy, le fameux pongiste doit se rendre avec son coach Malone à Albuquerque pour une compétition de premier ordre. Mais leur voiture, une Fiat 500, rend l’âme en plein désert. Bloqué au Valhalla Hotel en attendant une hypothétique réparation, le tandem a tout le loisir de faire connaissance avec les autochtones, tous plus barrés les uns que les autres. Mais le plus grave n’est pas là, Lemmy s’est fait kidnapper. Son coach est persuadé que c’est un coup d’El Loco : « Il est évident que ce type respire la normalité! », ironise-t-il, « Y’a qu’à écouter sa musique ».

Scénario, dessin, dialogues, découpage, couleurs, Valhalla Hotel est typiquement le genre de bouquin qui vous nettoie le cerveau. Peu de bla-bla, beaucoup d’action et d’humour. Jouissif !

Eric Guillaud

Valhalla Hotel, de Perna et Bedouel. Glénat / Comix Buro. 14,95€

© Glénat / Comix Buro – Perna & Bedouel

01 Août

Pages d’été. il était cinq fois dans l’Ouest

Rien de tel q’un bon western pour s’évader le temps d’une chevauchée fantastique, d’une ruée vers l’or ou d’une poursuite infernale dans les Rocheuses. En voici cinq assez différents les uns des autres, avec des bons, des brutes et des truands…

On commence par Mauvaise réputation, un récit qui affiche sa singularité dès la couverture avec ce magnifique plan large de trois cavaliers vus de trois-quarts dos, noyés dans ce qu’on pourrait imaginer être une verte prairie. On est bien loin de l’imagerie habituelle des westerns dits classiques, plus proche d’un récit intimiste à l’approche psychologique. Et c’est le cas, Ozanam au scénario et Emmanuel Bazin au dessin nous racontent ici la véritable histoire d’Emmett Dalton, le plus jeunes de la fratrie, celui qui vivra le plus longtemps aussi, mort en 1937 après avoir écrit le livre When the Daltons Rode, adapté au cinéma par George Marshall avec Emmett dans son propre rôle. Absolument rien à voir avec les frères Dalton de Morris bien sûr, Mauvaise réputation est un récit réaliste basé sur l’histoire vraie de ces fameux hors-la-loi qui ne l’ont pas toujours été d’ailleurs. Tous ont été marshals avant de virer bandits. C’est sombre, brutal, un brin mélancolique et fataliste mais surtout magnifiquement mis en images par Emmanuel Bazin qui signe ici son premier livre. Une histoire d’hommes au coeur de la grande histoire, loin de la caricature ! (Mauvaise réputation, de Ozanam et Bazin. Glénat. 15,50€)

Il a le goût, l’odeur et la couleur d’un western mais n’en est pas vraiment un. L’histoire de ce récit publié aux éditions Delcourt, signé Thierry Cailleteau et Luc Brahy, nous embarque dans l’Amérique de la prohibition. Nous sommes en 1922 dans l’état de Virginie. Doyle Doohan, bootlegger, vient de se faire liquider par la mafia pour ne pas avoir accepté de vendre sa gnôle aux Italiens. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait, Julie Doohan, sa propre fille, interrompt ses études à l’université pour reprendre la petite affaire de son père et commence par rendre une petite visite de courtoisie aux Italiens, de quoi déclarer la guerre. Touche à tout, Thierry Cailleteau nous rappelle ici qu’il est l’un des grands scénaristes de la bande dessinée française avec une plume inimitable qui manie aussi bien l’action que l’humour. Un très bon scénario donc mais aussi un dessin qui a de la gueule, autant de gueule que la galerie de personnages qui traversent les deux volumes parus à ce jour. (Julie Doohan, 2 tomes parus, de Cailleteau et Brahy. Delcourt. 14,50€ le volume)

Vous avez aimé la série Chinaman d’Olivier Taduc et Serge Le Tendre ? Alors vous aimerez Le Réveil du tigre des mêmes auteurs, un one shot de 136 pages qui conclut la saga de très belle façon. Sorti au début de l’année dans la collection Aire Libre, ce récit s’offre un petit saut temporel de plusieurs années par rapport à la série mère pour nous entraîner dans les pas d’un Chinaman vieilli et drogué. Jusqu’au jour où son ami se fait descendre devant lui. Assoiffé de vengeance, il se lance à la recherche des assassins en suivant les Pinkertons, fameuse agence de détectives privés dans laquelle vient d’être recrutée Matt Monroe, un jeune métis qui se révèlera être le propre fils de Chinaman. Voulu comme un album de renaissance, de rédemption par les auteurs, Le Réveil du tigre est avant tout un magnifique récit dans une Amérique violente et raciste qui après la ruée vers l’or se lance dans une ruée vers l’or noir. Beau et sombre à la fois ! (Le Réveil du tigre, de Taduc et Le tendre. Dupuis. 28,95€)

Seulement huit petits mois auront été nécessaires pour tenir entre nos mains la suite de cette aventure qui nous emmène dans les Rocheuses en compagnie d’une légende de l’Ouest, Jeremiah Johnson. On avait dit tout le bien qu’on pensait du premier tome à l’époque de sa sortie, on ne fera que se répéter ici, le dessin du Brésilien Jack Jadson est splendide, racé, les couleurs de Nuria Sayago, sobres et efficaces, quant au scénario de Fred Duval et Jean-Pierre Pécau, il est la libre adaptation réussie du livre de Raymond W. Thorp et de Robert Bunker Jeremiah Johnson Le mangeur de foie, qui a lui-même servi à l’écriture du scénario du fameux film de de Sydney Pollack sorti en 1972. C’est aussi à la base une histoire vraie, celle d’un trappeur qui pour venger la mort de sa femme enceinte, une Amérindienne de la tribu des Têtes-Plates, scalpa plusieurs dizaines de Crows avant de, selon la légende, manger leur foie. (Jeremiah Johnson tome 2, de Duval, Pécau et Jadson. Soleil. 14,95€)

On garde les deux scénaristes, Fred Duval et Jean-Pierre Pécau, on change de dessinateur, passant du Brésilien Jack Jadson au Néo-Zélandais Colin Wilson, et on obtient une autre aventure dans un grand Ouest gagné par la fièvre de l’or noir et du cinéma. C’est Nevada, troisième volet de la série. Tout commence sur un plateau de tournage, un saloon pour décor, des cowboys à la gâchette facile pour figurants, un shérif dans le rôle principal qui s’écroule pour de vrai, victime d’une crise cardiaque. Pour le remplacer, une seule solution, un certain Mac Nabb, addicte à l’alcool, au jeu et à la drogue. Celui-ci accepte de reprendre le rôle au pied levé à une condition : rejoindre le lieu du tournage à cheval et passer une nuit avec les indiens navajos histoire dit-il de s’imprégner du vieil ouest. Pour l’escorter, un homme, Nevada Marquez… Un bon scénario, un bon dessin réaliste, une bonne série. (Nevada tome 3, de Duval, Pécau et Wilson. Delcourt. 14,95€)

Eric Guillaud