23 Sep

Journal de 1985. Xavier Coste imagine une suite au chef-d’oeuvre de George Orwell

Xavier Coste avait époustouflé le public et la critique avec son adaptation de 1984 en 2021, il nous revient aujourd’hui avec Journal de 1985, une suite au chef-d’œuvre de George Orwell. Et bien évidemment, Big Brother est toujours là…

Petit retour en arrière. Nous sommes en janvier 2021. Le roman de George Orwell, 1984, publié en 1949, vient de tomber dans le domaine public et est par conséquent libre de droits.

Résultat ? C’est la guerre des adaptations, quatre verront le jour en ce mois de janvier 2021. Si 1984 a été maintes fois adapté au cinéma, à la télévision, au théâtre ou encore décliné en chanson, il ne l’avait étrangement jamais été en bande dessinée. Le retard est alors rattrapé et bien rattrapé.

Et parmi ces quatre adaptations, un livre de Xavier Coste, paru aux éditions Sarbacane. L’auteur des – déjà – remarqués Egon Schiele vivre et mourir, Rimbaud l’indésirable ou encore A comme Eiffel, signe une adaptation époustouflante et très fidèle au texte d’Orwell, un magnifique livre de 224 pages en quadri accompagnées d’un non moins magnifique pop-up réservé à la seule version originale.

© Sarbacane / Coste

L’accueil du public et de la critique fut à la hauteur de l’évènement. Le livre obtint le prix Albert-Uderzo de la Meilleure contribution au 9ᵉ Art en 2021 et le Prix BD Fnac France Inter en 2022.

Mais Xavier Coste ne devait pas en rester là, imaginant dès la sortie de 1984 une suite au roman d’Orwell, une suite qui débute avec le même protagoniste, Winston Smith. Pas pour longtemps ! L’homme pourtant classé inoffensif à 99,9% depuis sa remise en liberté, une véritable coquille vide qui n’a plus rien à voir avec le révolté d’hier, est soupçonné d’avoir écrit et distribué un livre, Le Livre de Winston. Il est arrêté, torturé et exécuté comme tous ceux qui l’ont approché.

© Sarbacane / Coste

Si Winston Smith est bien mort, son livre continue à être diffusé, déposé ici et là avec l’espoir d’éveiller les consciences. C’est en tout cas ce qu’espèrent le jeune Lloyd Holmes et ses camarades réfractaires et imperméables à la propagande de Big Brother. Lloyd Holmes le sait et en rêve toutes les nuits. Un jour viendra où il sera arrêté pour activités contre-révolutionnaires et crimes aggravés contre le parti. Il sera emmené en prison, interrogé et exécuté. En attendant, Lloyd Holmes prend la relève de Winston pour combattre le régime.

En reprenant le même style graphique que l’adaptation, le même format carré, et en respectant l’esprit insufflé par Orwell, Xavier Coste s’approprie avec bonheur l’univers de 1984 pour en donner une suite cohérente et tout aussi effrayante.

En Bonus : découvrez ici l’envoûtante bande son du livre, une musique originale signée par le compositeur multi-instrumentiste franco-russe Ilia Osokin

Eric Guillaud

Journal de 1985, de Xavier Coste. Sarbacane. 29€

22 Sep

L’Héritage fossile : Philippe Valette en route vers l’infini

Changement radical de style et changement non moins radical de genre, après l’humour un brin déjanté et cartoonesque, Philippe Valette a décidé de nous propulser dans le cosmos avec un récit de science-fiction tout simplement remarquable…

Philippe Valette. En trois albums seulement, ce nom s’est imposé à nous comme un gage d’humour. Mais fini de rire, après le diptyque Georges Clooney suivi du pavé Jean Doux et le mystère de la disquette molle, Fauve Polar SNCF 2018, l’auteur publie ce mois-ci un récit SF beaucoup plus sérieux dans le ton et cinématographique dans la forme, un album qui fera certainement date. Son nom ? L’Héritage fossile. Son thème ? Les limites de la civilisation face à l’immensité du cosmos.

Et le résultat est absolument bluffant, le scénario limpide nous prend par la main du début à la fin, les dialogues sont percutants, le découpage ultra-efficace et le graphisme, inspiré des techniques employées dans les films d’animation, absolument saisissant.

Alors, me direz-vous, et l’histoire ? L’histoire s’inscrit dans la continuité d’une science-fiction dite classique tendance « conquête de l’espace » avec un équipage parti pour l’infini ou presque, objectif Geminæ, une planète éloignée de la Terre de quelque 19 999 années, oui vous avez bien lu, mais une planète aux conditions de vie idéales pour y établir une colonie humaine et donc perpétuer la civilisation.

© Delcourt / Valette

Pour effectuer ce voyage, les membres de l’équipage emmenés par le milliardaire philanthrope Reiz Iger sont placés en biostase, une sorte d’hibernation stoppant le vieillissement, avec un réveil programmé tous les 25 ans histoire d’effectuer quelques travaux de maintenance sur le vaisseau baptisé Héritage. Bien évidemment, sinon il n’y aurait pas d’histoire, tout ne se passe pas comme prévu. Le contact avec la Terre est subitement rompu et tous développent au premier millénaire de voyage un mal étrange qui ronge leurs corps. Entre la survie de la civilisation et leur propre survie, les astronautes vont devoir faire un choix douloureux…

© Delcourt / Valette

Philippe Valette, qui dit s’interroger énormément sur l’avenir du monde et se refuser à faire de la « science-fiction gratuite », développe ici toute une réflexion sur la place de notre civilisation dans l’univers et sur notre place à nous, en tant qu’individus et simples mortels. Mais l’aventure n’est pas oubliée pour autant et ce récit en vase clos dans le vaisseau Héritage développe son lot de péripéties et de tragédies. On y sent bien évidemment l’influence de certains chefs-d’œuvre de la SF tels que 2001, l’odyssée de l’espace, Philippe Valette reconnaissant pour sa part l’influence de L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam, des romans Spin de Robert Charles Wilson et Silo de Hugh Howey mais aussi l’influence de scientifiques comme l’astrophysicien Aurélien Barreau.

Un récit puissant, un scénario maitrisé, une mise en images ultra-léchée, des décors fabuleux, une lecture plaisir et un bel objet au format carré. Tout est là. Immense coup de cœur !

Et un auteur qui ira loin, très loin…

Philippe Valette sera en dédicaces à la librairie Bulles au Mans vendredi 27 et samedi 28 septembre.

Eric Guillaud 

L’Héritage fossile, de Philippe Valette. Delcourt. 34,95€

© Delcourt / Valette

10 Sep

La BD fait sa rentrée. Les Yeux doux de Corbeyran et Colline : un album plus que séduisant !

Vous rêviez d’un autre monde ? En voici un qui pourrait calmer vos ardeurs, un monde aussi atypique que dystopique où votre unique chance d’exister est de vous conformer à la norme…

Ce monde-là n’a pas de nom, pas de données GPS, mais une usine, une seule, qu’on appelle L’atelier universel, un commerce, un seul, Le Panier garni, et pour que tout fonctionne sans anicroche, une société de surveillance baptisée Les Yeux doux qui n’a de doux que le nom et ses affiches de propagande mettant en scène des pin-ups et des slogans affligeants.

Pour le reste ? Pour le reste, il n’y a rien, nada, nothing, nichts. Tout est interdit et si vous perdez votre boulot à L’Atelier universel comme Arsène, un des personnages de ce récit, alors vous vous retrouvez sans logement, sans dignité et même sans apparence. Du jour au lendemain, Arsène devient un homme invisible dans tous les sens du terme. Effacé de la vie !

© Glénat / Colline et Corbeyran

Fort heureusement, là où il y a obéissance aveugle de la majorité, il y a désobéissance d’une minorité. Anatole, jusqu’ici employé modèle de la société de surveillance Les Yeux doux a craqué par amour, menti à ses chefs pour sauver une jeune femme prise à voler au Panier garni. Elle s’appelle Annabelle et n’est autre que la sœur d’Arsène. Vous suivez ?

Et tout ce beau monde se retrouve dans un repaire d’exclus, un monde à l’ancienne où chacun participe à la vie de la communauté selon ses savoirs, ses envies, un monde qui rêve de faire la révolution et d’anéantir le système en place…

© Glénat / Colline et Corbeyran

Un vrai bonheur ! Dès sa couverture, Les Yeux doux nous transporte dans un univers futuro-vintage du plus bel effet, un univers signé du prolixe Corbeyran au scénario et du surprenant Colline au dessin. Avec un brin de gravité dans le fond et beaucoup de fantaisie dans le trait, les auteurs imaginent un possible avenir pour l’humanité, un monde affreusement déshumanisé où la consommation serait érigée en religion et le moindre de nos gestes épiés par des caméras de surveillance. Big Brother is watching you ! Il y a du 1984 dans l’air, du Brazil aussi, de la ligne claire dans le trait et de l’école de Marcinelle dans l’esprit. C’est beau, c’est bon, ça se lit sans fin. Un vrai bonheur je vous dis !

Eric Guillaud

Les Yeux doux, de Corbeyran et Colline. Glénat. 24€