26 Mai

Douze histoires aux scénarios signées Al Ewing dans le monde tordu du Judge Dredd, une dystopie délirante

La loi, c’est lui : Judge Dredd. Grâce à la belle campagne de réédition toujours en cours lancée par l’éditeur Delirium il y a quelques années, le lectorat français a (re)découvert le juge impitoyable de Mega-City One. Un univers si puissant qu’il n’a aujourd’hui même plus besoin de son personnage principal pour vivre…

Souriez C’est La Loi est marquant pour deux raisons : primo, il ne réunit que des histoires scénarisées par le britannique Al Ewing dont la plume acérée a tout compris des enjeux de la série, sachant exactement quel bouton pousser le plus loin possible au bon moment. Deuxio, dans plus de la moitié des cas, le fameux Judge Dredd n’est ici qu’un personnage quasi-secondaire, n’apparaissant qu’en fin de course et souvent pour administrer une sentence attendue.

© Delirium / Al Ewing, Liam sharp, Simon Fraser & John Higgins

Non, la vraie star ici, c’est bien sûr Méga-City One et ses habitants dégénérés que l’on regarde s’agiter vainement ici comme des rats dans une cage. Qu’ils soient des ‘athlètes’ avec un pénis parlant ( !) participant aux championnats du monde du sexe, des acteurs pétant un plomb à force de devoir jouer le rôle d’Hitler dans un musée vivant ou des adeptes de l’extrême fainéantise, tous sont plus pathétiques les uns que les autres, symptomatiques d’une société malade. Dans ces douze courtes histoires, il n’en y a pas un pour sauver l’autre. Mais ce jeu de massacre (mis à part l’étonnement mélancolique Une Maison Pour Aldous Mayou) est foutrement réjouissant car très grinçant et, disons-le franchement, assez impitoyable.

© Delirium / Al Ewing, Liam sharp, Simon Fraser & John Higgins

Cerise sur le gâteau : l’hommage à James Bond dans l’épisode Demain Ne Meurt Jamais Plus Jamais, un huit-clôt où ses incarnations au cinéma se font tuer les uns après les autres, ce qui permet d’ailleurs au dessinateur Liam Sharp de s’amuser à envoyer Roger Moore dans les mâchoires d’un requin muni d’ailerons à réaction. Aucune limite et c’est pour ça que c’est bon !

Olivier Badin

Judge Dredd : Souriez C’est La Loi, d’Al Ewing, Liam sharp, Simon Fraser & John Higgins. Delirium. 22€

05 Mai

Monkey Meat : de la monnaie de singe ?

Une petite bouchée de viande de singes pour le déjeuner ? Allez-y, c’est si bon, si populaire. Et leur patron est si sympathique… Une satire féroce et très colorée qui marque l’arrivée d’une future star, Juni Ba.

Entre deux gros pavés MARVEL rentabilisés avant leur atterrissage dans les bacs, c’est une bonne nouvelle de voir PANINI donner ainsi sa chance à de nouveaux auteurs, surtout avec des auteurs aussi atypiques et en même temps rafraichissants comme Juni Ba.

Originaire de Dakar mais établi en France, c’est pourtant aux Etats-Unis que cet artiste multicartes (dessin, scénario) a d’abord dû se faire la main. Moralité, Monkey Meat est sa première œuvre traduite en français. Mais c’est un vrai coup de cœur.

© Panini Graphic Novel / Panini

On parle ici du portrait d’une entreprise délirante ayant fait fortune en vendant de la viande de singe (d’où le titre) en boîte et vivant en vase clôt sur sa propre petite île. On tient évidemment là une critique assumée du capitalisme débridée mais aussi une critique drôle, acide même et surtout très pop. Son approche visuelle, s’inspire aussi bien des mangas que des tags urbains multicolores aperçus dans les rues de Dakar ou des artistes ‘déviants’ comme Mike Mignola, le créateur de Hellboy. Mais on retrouve aussi ici beaucoup l’influence de Jamie Hewlett, le papa de Tank Girl mais surtout de la partie graphique de Gorillaz : même explosion de couleurs et même façon d’alterner mouvements frénétiques et poses dramatiques, amplifiées par les mensurations décalées de ses personnages.

© Panini Graphic Novel / Panini

Au total, cinq petites histoires, cinq scénarios plutôt simples décrivant des dessous peu reluisants (expérimentations animales, conditions de travail déplorables etc.) laissant toute latitude à Ba pour se lâcher complètement sur le plan graphique, quitte à saturer des pages entières. Résultat, une espèce d’OVNI flamboyant, à l’éthique encore très underground et en même annonçant l’arrivée d’un vrai auteur à part. ‘Première fournée’ dixit l’accroche de couverture ? On attend la suite !

Olivier Badin

Monkey Meat – Première Fournée de Juni Ba. Panini Graphic Novel. 24 euros

22 Avr

Forgotten Blade ou partir à la rencontre de Dieu, l’épée à la main

Si le titre Forgotten Blade sonne comme, au choix, un jeu vidéo des années 90 ou comme la digression littéraire d’un jeu de rôle, ce n’est bien sûr pas innocent. Surtout connu pour ses séries d’animation (Gotham, Gremlins) le touche-à-tout américain Tze Chun réalise ici un grand écart plutôt réussi entre fantasy et science-fiction.

Voici le royaume des cinq rivières, monde hybride aussi technologique que moyenâgeux. Ruza dit ‘le crasseux’ y noie son désespoir dans l’alcool en espérant, un jour, trouvant enfin un adversaire « à sa mesure » pour résister aux assauts de son épée magique, la lame oubliée. Noa, elle, est une chamane dont le seul désir est de sauver l’âme de ses enfants, assassinés. Seule solution : rencontrer le Patriarche, être mystérieux que personne n’a jamais vu et qui est pourtant vénéré ici dans cette société très cadenassée comme un dieu. Les deux unissent leurs forces pour infiltrer la Citadelle, lieu de résidence supposée du dieu tout en ayant l’Inquisition à leurs trousses.

Forgotten Blade est très dense, c’est peu de le dire. Le tout est pourtant ramassé en un seul volume, alors qu’il y avait ici sûrement matière à donner naissance à une vraie saga et cette première réussite est due à son rythme nerveux et sa science du récit. Mais surtout, l’histoire réussit à nous emmener avec elle, tout en racontant deux quêtes personnelles pas si distinctes que cela. En fait, les personnages principaux cherchent toutes les deux une forme de rédemption dans un monde où la foi a été pervertie par les personnes mêmes qui étaient censées la protéger, transformant ainsi le récit en procès du fanatisme religieux. Et ce alors que le tout s’achève, justement, sur un acte de foi…

© TKO Studios & Ankama / Tze Chun & Toni Fejzula

Une grande partie de la réussite revient au dessinateur d’origine serbe Toni Fejzula : son style hachurée et crayonnée sert parfaitement le propos, autant dans son humanité que dans ses passages les plus grandioses. Dans ses moments les plus baroques, comme lorsque les deux conspirateurs traversent cette rivière des douleurs rouge sang, sa façon de découper les planches et de jouer sur plusieurs dominantes chromatiques amplifie le côté épique de l’action. Â noter un beau cahier graphique en bonus, soulignant la finesse de son trait.

© TKO Studios & Ankama / Tze Chun & Toni Fejzula

Aussi beau graphiquement que complexe sur le plan scénaristique, Forgotten Blade est donc une œuvre homérique, désespérée et en même temps pétrie par cette croyance inébranlable en l’être humain. Un vrai, beau récit fantastique.

 Olivier Badin

Forgotten Blade de Tze Chun & Toni Fejzula. TKO Studios & Ankama. 22,90 €

17 Mar

Grandville : un présent alternatif où les animaux ont pris la place des hommes et où la paranoïa est générale

La maison d’édition indépendante Delirium continue son œuvre de salubrité publique en rééditant l’univers du magazine britannique ‘déviant’ 2000 AD. Œuvre de l’un des auteurs phares de la revue publiée à part, Grandville est une passionnante uchronie policière.

Le plus fascinant avec ce premier tome de Grandville, ce sont ses différents niveaux de lecture.

On y trouve d’abord une uchronie assez subtile, c’est-à-dire une reconstruction fictive de l’histoire. Dans ce monde parallèle, tout diverge à partir de l’accession au pouvoir de Napoléon. Au lieu de perdre la bataille face aux anglais et d’être déchu, ici l’Empereur a remporté la victoire et envahit la perfide Albion avant d’y décapiter la famille royale. L’Angleterre est désormais gérée comme une sorte de colonie officiellement autonome mais avec lesquels les relations sont très tumultueuses.

La capitale de l’Empire est toujours Paris mais a été rebaptisée Grandville. L’action se passe dans un décor très steampunk, mélangeant technologie rétro-futuriste et décors et costumes d’inspiration Art Nouveau. En découle une atmosphère à la fois feutrée et décadente, entre un croisement entre les aventures d’Adèle Blanc-Sec, Sherlock Holmes et Jules Verne. Une impression renforcée par le souci du détail et les nombreux clins d’œil à la pop culture éparpillés à droite et à gauche – le lecteur peut par exemple au détour d’une case y croise les personnages de Bécassine ou Spirou – mais aussi à des artistes ayant réellement existé au tout début du XXème siècle, comme Alfred Mucha ou l’actrice Sarah Bernhardt. 

@ Delirium / Talbot

Mais le plus fascinant reste ce choix de personnages d’animaux anthropomorphes, parmi lesquels évoluent quelques êtres humains réduits à des tâches purement subalternes et transparents alors que leurs ‘maitres’, eux, s’aiment, se détestent, se battent ou débattent avec passion. Le héros de l’histoire l’illustre bien : envoyé par Scotland Yard pour enquêter sur une série de meurtres et de suicides mystérieux, L’inspecteur LeBrock semble d’abord évoquer (forcément) d’abord du 10, Downing Street avant d’évoluer vers quelque chose de plus ambigu, où son esprit de déduction n’est pas sa seule arme, ce qui le rend plus impitoyable et donc bien plus intéressant.

@ Delirium / Talbot

Enfin, l’ambiance lourde et complotiste dans laquelle ce premier volume baigne renvoie forcément à une époque un peu oubliée de l’histoire mondiale, celle de quasi-insurrection en Europe après la crise de 29. Une époque trouble où pullulaient alors sociétés secrètes et autres milice d’extrême droite (on pense beaucoup à la Cagoule) et d’extrême gauche, visant toutes à renverser le gouvernement en place. Un cadre paranoïaque où tout le monde était un potentiel ennemi… Ou une potentielle victime. Pas étonnant au final de retrouver derrière cette brillante aventure policière romanesque tordue ça l’un des auteurs phares de la revue 2000 AD (Judge Dredd, Nemesis) Bryan Talbot qui cumule ici les postes de scénariste et dessinateur.

 noter que par rapport à la première version française de 2011, celle-ci contient une trentaine de pages de bonus, avec croquis et commentaires de l’auteur. Enfin, un deuxième tome (sur cinq prévus au total) sortira le 7 avril prochain.

Olivier BADIN

Grandville de Bryan Talbot. Delirium. 22.

12 Jan

Pim Pam Poum, retour en enfance et à la naissance des comics strips

Après Hagar Dunor, c’est au tour des petits vauriens de Pim Pam Poum de revenir dans une réédition de qualité du même acabit, après avoir fait le bonheur des lecteurs du Journal de Mickey pendant des décennies. Un vrai bout d’histoire du neuvième art et un premier volume classieux de 250 pages.

Il y a deux niveaux d’intérêt avec ce très beau livre au format ‘à l’italienne’, c’est—dire s’étalant dans le sens de la largeur. Le premier est avant tout historique : sous sa première forme et sous le nom de The Katzenjammer Kids ce strip fut publié à partir de 1897, ce qui en fait l’un des tous premiers de l’histoire. L’autre est purement nostalgique car certains d’entre nous les ont connu dans les pages du Journal De Mickey, magazine où ils sont apparus pour la première fois en 1935-36 avant de revenir trente ans plus tard de façon épisodique, jusqu’en 1989. 

Renommée en VF Pim Pam Poum, cette bande dessinée a contribué à établir certaines des bases sur lesquelles le genre se repose encore aujourd’hui : un cadre unique (l’île imaginaire de Bongo), deux garnements toujours à la recherche de nouvelles bêtises à faire (Hans et Fritz), un souffre-douleur attitré (le Capitaine) plus la petite morale qu’il faut à la fin de chaque épisode.

© Urban Comics / Harold Knerr

Accessoirement, c’est aussi un cas d’école car suite à un désaccord entre leur créateur Rudolph Dirks et son premier éditeur, ce dernier l’a confié à partir de 1912 à un autre dessinateur Harold Knerr. Furieux, Dirks décide de continuer de publier sa version chez un éditeur concurrent. S’en suit un procès dont le jugement fait depuis jurisprudence, statuant qu’un personnage appartient à son éditeur, non pas à son créateur. Ce qui n’a pas empêché les deux séries de continuer d’exister, en parallèle.

© Urban Comics / Harold Knerr

Ce premier volume reprend la version de Knerr et les planches publiées à partir du 20 septembre 1936, soit les plus anciennes retrouvées dans un état jugé suffisamment acceptable. Dirks étant un immigré allemand, il avait glissé dans la version originale pas mal de références à sa culture germanique, notamment dans le choix des prénoms des héros ou dans les dialogues, mélange d’argot américain et allemand. Dans l’excellente introduction de ce volume, le spécialiste Tristan Lapoussière explique que ces traits ont dû être gommés dans la version française pour des raisons pratiques : impossible de retranscrire correctement nombre d’expressions intraduisibles de patois, à moins de les dénaturer. Les héros, aussi, ont été rebaptisés, devenant Pam et Poum, leur tante devenant, elle, Pim. 

© Urban Comics / Harold Knerr

Ces recadrages n’entachent en rien le rendu, bien au contraire. Grâce notamment au superbe travail de reproduction (du même niveau que celui effectué par le même éditeur pour les Dailies de Batman signés Bob Kane) et au séquençage étonnement moderne et dynamique pour un comics des années 30, le tout garde une fraicheur et une simplicité qui transcende assez vite son caractère historique. Oui, peut-être que la façon dont des personnages secondaires, comme le roi Bongo et ses sujets, sont décrits est un chouia caricaturale et cela fera peut-être tiquer ceux qui aujourd’hui considèrent qu’une BD comme Tintin Au Congo est trop colonialiste. Mais il faut remettre les choses dans leur contexte et ne pas oublier que la série s’adressait avant tout à des enfants des années 30, ni occulter le superbe travail de restauration effectué.

Olivier Badin

Pim Pam Poum – 1936 – 1942  de Harold Knerr. Urban Comics. 29 euros.

13 Déc

Bloodstar ou quand Richard Corben se frotte au papa de Conan et fait des étincelles

Après HP Lovecraft et Edgar Allan Poe, le grand prix Angoulême 2018 Richard Corben s’est aussi logiquement attaqué en 1975 à l’adaptation d’une œuvre du créateur de Conan le Barbare, Robert E. Howard. Le résultat est un Bloodstar crépusculaire, aujourd’hui enfin réédité plus de quarante ans après une première édition française dans la collection Métal Hurlant.

Extrait de la couverture © Delirium – Richard Corben & Robert E. Howard

Par contre, soyons clairs : même si c’est le nom de Howard qui l’on voit en premier sur la couverture, nous avons bien affaire ici à une œuvre avant tout dominée par Corben. Certes, dans les cas de Poe et Lovecraft, il avait approché le corpus avec révérence, mettant son art avant tout au service des textes originaux, véritables monuments de la littérature fantastique de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Or dans le cas de Bloodstar, et plus précisément de la nouvelle qui l’a inspiré La Vallée du Ver parue initialement en 1934, c’est comme si, à l’inverse, il avait décidé de s’attaquer volontairement à une œuvre mineure et peu connue afin de mieux la modeler à sa guise.

© Delirium – Richard Corben & Robert E. Howard

Après, il n’avait pas trop le choix non plus, vu que les éditions MARVEL avait déjà racheté (cher) les droits des personnages les plus connus de Robert E. Howard, en premier lieu Conan bien sûr mais aussi Kull… Cela dit, les thèmes étaient taillés pour lui : après un cataclysme qui a ravagé le globe, la Terre est revenue à l’état sauvage, les survivants étant revenus à une sorte d’âge de pierre, vivant désormais en tribu. Sur son lit de mort, un vieil homme raconte l’histoire de Bloodstar, homme banni par les siens pour avoir osé aimer une femme qui ne lui était pas destinée mais qui, pourtant, décide les sauver de l’extinction.

En soit, cette histoire contient la quintessence de ce qui a toujours été le fil directeur de nombreuses histoires de Corben : un héros solitaire, un destin tragique et solitaire auquel il ne peut se soustraire, la lâcheté des hommes, la transmission etc. En fait, le dessinateur a tellement retravaillé et tellement imprégné de son style l’histoire originale, aussi bien sur le plan graphique qu’en terme de dramaturgie, que la ‘patte’ pourtant en général assez imposante de Robert E. Howard s’efface très vite, lui laissant ainsi toute la place et lui permettant d’accoucher d’un roman graphique avant l’heure de haute volée.

© Delirium – Richard Corben & Robert E. Howard

Bloodstar est donc du pur Corben, superbement servi ici par un travail de reproduction aux petits oignons, mettant plus que jamais tous ses jeux d’ombres et de lumière qu’il affectionnait tant grâce à un noir et blanc classieux. Même lorsque le tout bascule dans l’horreur cosmique, le récit est toujours porté par une espèce de souffle quasi-hollywoodien, surtout dans les pages en préambule où il décrit l’agonie du globe. Oui, du grand Corben, dans une grande édition, encore une fois grâce aux éditions Delirium qui continue avec sérieux de réhabiliter en France depuis 2013 ce grand maître la bande dessinée américaine d’après-guerre.

Olivier Badin

Bloodstar, de Richard Corben & Robert E. Howard. Delirium. 25€

06 Déc

King Of Spies : il n’est jamais trop tard pour faire le ménage

En 2006, la scène d’ouverture du film Casino Royale saluait non seulement l’arrivée de Daniel Craig dans le rôle de James Bond mais aussi d’un nouveau ton, plus réaliste, plus violent. Oui, un agent secret doit se salir les mains, tuer s’il le faut et obéir aux ordres, les soirées cocktails et les belles voitures restant en option. C’est également le constat de la nouvelle série du créateur de Kingsman à la violence débridée.

C’est une des idées derrière King Of Spies, la nouvelle œuvre du scénariste Mark Millar qui s’y connaît rayon services secrets, lui qui nous avait tant amusés avec Kingsman et les adaptations ciné qui allaient avec. Les codes sont donc respectés : le protagoniste principal Roland King est une sorte de super-agent à l’aise aussi dans un club feutré un verre de cognac à la main qu’avec une arme à la main, il a accès à quantité de gadgets plus mortels les uns que les autres et malgré le fait que cette mini-série ne compte que quatre épisodes, elle comptabilise un nombre impressionnants de fusillades et de morts.

Sauf que King, dont les beaux jours sont derrière lui, apprend en préambule qu’il a une tumeur au cerveau et qu’il ne lui reste que six mois à vivre. Il se rend alors compte un peu tard qu’en plus d’avoir ruiné sa vie de famille et d’avoir des enfants qui soit ne le connaissent carrément pas, soit refusent de lui parler, il a aussi pendant trop longtemps accepté de faire le sale job pour des puissants qui ne voulaient se salir les mains et trop souvent obéi sans réfléchir, quitte à éliminer des innocents. L’heure est donc venue de faire le ménage et ça va saigner. Beaucoup.

© Panini Comics / Mark Millar & Matteo Scalera

En businessman désormais très avisé, Millar a désormais une méthode bien rôdée qu’il applique ici aussi : la vente d’un concept commun, télé ou ciné plus BD. King Of Spies a donc été simultanément été mis sur les rails pour une série prévue sur une grande chaîne de streaming et une bande dessinée, avec ici le très talentueux Matteo Scalera aux dessins.

Le résultat est très dynamique et très cinématique, sorte de script avant l’heure bien aidé par le style frénétique de Scalera, dont on avait déjà remarqué la patte sur le White Knight Presents : Harley Quinn. Cela va à 400 à l’heure et cela ne retient à aucun moment ses coups, quitte à (volontairement) tombé dans l’excès d’hémoglobine. Millar n’est d’ailleurs clairement pas là pour faire réaliste, d’où un (anti)héros pourtant sexagénaire échappant à des centaines de soldats surentrainés lancés à sa poursuite, sautant d’un avion en flamme avant de déclencher son parachute au dernier moment ou kidnappant le pape en plein Vatican. On a en fait affaire à une sorte de synthèse de James Bond, Mission : Impossible et Fast & Furious en mode zapping, avec une (vague) réflexion sur l’âge et ce que l’on choisit de laisser aux siens comme héritage. Oui, les deux ne vont pas vraiment ensemble et c’est vrai que sur ce second sujet, Millar ne fait pas vraiment dans la finesse.

© Panini Comics / Mark Millar & Matteo Scalera

Mais cela n’empêche le ‘produit’ King Of Spies de réussir son objectif, devenir l’équivalent BD de ces gros blockbuster américain style True Lies qui ont bercé notre adolescence. Sauf qu’il le fait sans s’embêter avec le politiquement correct, le résultat affichant d’ailleurs une violence graphique ne faisant pas dans la dentelle. Mention spéciale au duo de tueurs frère/sœur attachés ensemble car le premier a perdu ses jambes et la seconde ses bras à cause de King.

Pas sûr d’ailleurs que la série télé qui va en découler puisse se permettre autant et bonne chance pour trouver l’acteur qui réussira à incarner ce King plein de contradictions, viril en même temps que vieillissant, classieux mais aussi infect, tour-à-tour violent et attendrissant etc. Raison de plus pour profiter de la BD !

Olivier Badin

King Of Spies de Mark Millar & Matteo Scalera. Panini Comics. 19 €

16 Nov

Primordial, l’odyssée de l’espace ?

Le nouveau projet du duo Jeff Lemire (Black Hammer) et Andrea Sorrentino (Green Arrow) les voit s’attaquer cette fois-ci à la science-fiction, avec un passionnant et psychédélique – même si très déroutant – récit remettant en cause l’un des mythes fondateurs de la conquête spatiale, sur fond de guerre froide.

Le point de départ de Primordial est digne d’un épisode de X-Files et plaira d’entrée aux amateurs de théorie du complot : et si Laïka, premier être vivant mis en orbite par les Russes en 1957, n’était pas morte comme on l’avait supposé ? Surtout qu’on n’a jamais retrouvé son corps, le satellite dans lequel elle voyagea s’étant consumé dans l’atmosphère.

Mieux : et si cette chienne bâtarde récupérée dans les rues de Moscou avait été au final enlevée par une intelligence supérieure et attendait, quelque part, de revenir sur Terre ? Quatre ans plus tard, un professeur du MIT nommé Donald Pembrook, recruté à la base pour le programme spatial, se retrouve embarqué malgré lui dans la recherche de la vérité par une chercheuse russe, le tout sur fonds de guerre froide et d’espionnage. 

© Urban Comics / Jeff Lemire & Andrea Sorrentino

Même si le scénario, paranoïaque à souhait, réussit bien à retranscrire l’ambiance étouffante et pleine de faux-semblants de cette époque si particulière, la vraie réussite de Primordial tient dans son parti pris graphique audacieux. En fait, on suit deux histoires en parallèle : d’un côté, la quête de la vérité de Pembrook et de l’autre, la quête de Laïka, avant, pendant et surtout, après son voyage, alors qu’elle retrouve Abe et Baker, les deux singes envoyés par les américains dans la foulée.

© Urban Comics / Jeff Lemire & Andrea Sorrentino

Or chacune a une identité graphique très forte et distincte. Comme pour renforcer son côté ‘John le Carré’, l’odyssée de Pembrook en RDA fait très roman graphique, avec des teintes très monochromes, chaque case ressemblant presque à des photos. Or autant cette facette-là est volontairement austère et froide, autant le destin du canidé est, à l’inverse, une explosion perpétuelle de couleur et de pages déstructurées, où chaque détail semble jaillir de la page. Le résultat est d’abord déroutant car autant ce choix audacieux donne aux animaux une humanité et une âme touchantes, autant l’être humain, terne et souvent presque sans visage, y apparaît comme froid et cruel. Avec en sous-texte, une condamnation donc sans équivoque de l’expérimentation animale…

Alternant donc moments assez austères et verbeux et récit soudainement éclaté et kaléidoscopique, Primordial est une uchronie déroutante, assez contemplative, très conceptuelle (quitte à ce que l’on perde parfois un peu le fil) et en même temps, très originale et cosmique. Un vrai OVNI, dans tous les sens du terme.

Olivier Badin

Primordial de Jeff Lemire & Andrea Sorrentino. Urban Comics. 21 €

17 Oct

Refrigerator Full Of Heads : pour en prendre plein la tête !

Après un panier, c’est au tour d’un réfrigérateur d’accueillir tout un stock de têtes découpées ayant la fâcheuse tendance de toujours bavasser pendant qu’un tas de gens qui ne sont jamais ce qu’ils semblent être se découpent en rondelle pour récupérer une hache viking aux propriétés magiques.

Extrait de la couverture © Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Dans l’horreur, on aime les franchises. Ok, parfois un peut trop – avait-on vraiment besoin d’un énième remake (raté) de Massacre  La Tronçonneuse ? Ou de douze ( !) films Vendredi 13 ? Mais bon, malgré des résultats donc très divers, l’exercice permet quand même aussi de prolonger le plaisir et d’en parfois creuser plus profondément le sillon.

En juin dernier sortait Basketful Of Heads, une ‘première’ à plusieurs niveaux : première sortie en France d’une nouvelle collection baptisée ‘Hill House’ et première sortant sous cette bannière là avec un scénario signé Joe Hill (justement), fils du romancier Stephen King s’étant fait un nom grâce à la saga Locke & Key. En pleine mode revival horreur 80’s grâce au succès phénoménal de la série TV Stranger Things, le résultat était un joyeux pot-pourri de références cinématographiques à peine voilées, d’action très série B et de gore foutraque. Avec en guise de véritable héroïne de cette histoire une hache magique dont la lame a été prétendument forgée avec une dent de Fenrir, mythique loup géant de la mythologie scandinave. Sa particularité ? Les têtes qu’elle décapite restent en vie…

© Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Un pitch foutraque mais au final assez drôle. Enfin à condition d’aimer l’humour noir, et avec un final voyant la jeune June Branch partir au soleil couchant après avoir laissé un belle trainée de sang derrière elle alors qu’elle était à la base venue passer de tranquilles vacances avec son petit ami à la mer.

Refrigerator Full Of Heads en est la suite directe, l’action se déroulant un an après. Joe Hill a cédé sa place au romancier britannique Rio Youers mais le ton, presque potache, avec toujours ces clins d’œil appuyés : l’action se passe sur Brody Island, île fictive de la côte est américaine et la première ‘victime’ de la hache magique est un… Requin blanc. Cela ne vous rappelle un certain film des années 70 signé Steven Spielberg se passant sur une île nommée Amity et où un squale est chassée par un chef de la police locale nommé Brody ???

© Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Fidèle aux canons du genre, ce Basketful Of Heads : deuxième partie se pique donc de faire plus fort, plus violent et plus gore que son prédécesseur. Mission plus que réussie. On découvre notamment que la hache n’est au final qu’un seul élément d’une série de quatre artefacts magiques, détail qui aura son importance lors d’un final à la Brain Dead (le film culte de Peter Jackson, avant qu’il ne devienne quelqu’un de respectable avec la trilogie du Seigneur Des Anneaux) où l’hémoglobine coule tellement à flot qu’on frôle l’overdose.

Oui, on est volontairement dans l’excès et oui, c’est parfois délirant mais c’est assumé, même si le style graphique de Tom Fowler reste un chouia trop sage à notre goût et pas assez déstructuré.

© Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Pour faire un parallèle de circonstance, Refrigerator Full Of Heads est un peu à son prédécesseur ce qu’Evil Dead 2 fut Evil Dead. Une relecture plus plus, peut-être sans le charme de la nouveauté mais quand même bien fun. Et surtout bien gore, avec plein d’éclaboussures dedans ! Reste à savoir ce qui sera utilisé pour le prochain numéro : ‘un four micro-ondes plein de têtes’ peut-être ?

Olivier Badin

Refrigerator Full Of Heads de Rio Youers & Tom Fowler. Urban Comics/DC/Black Label. 15 euros

06 Oct

Full Circle : la rencontre de deux géants des comics au service des Quatre Fantastiques

Cette histoire n’a beau faire « que » 64 pages et être la 876745e aventure des Quatre Fantastiques, elle reste un événement car on parle là d’un passage de témoin entre deux géants des comics US à près de soixante ans d’intervalle : Jack Kirby et Alex Ross. Le résultat ? Superbe, époustouflant, incroyable.

Le premier reste bien sûr le ‘king of comics’, celui qui régnait sans contestation possible sur la planète MARVEL dans les années 60 et qui en a défini les plus grands héros, comme les Quatre Fantastiques susnommés mais aussi Captain America, Black Panther, Ant-Man et plein d’autres. Son style très emphatique, coloré et quasi-pop art est pour beaucoup dans la façon dont l’art du comics s’est par la suite développé.

Né en 1970, Alex Ross s’est, lui, avant tout fait un nom grâce à ses dessins de couvertures et son coup de pinceau hyper-réaliste, en général réalisés à la gouache, faisant de lui l’un des rares dessinateurs de comics avec un profil de peintre. Sa rareté n’a fait qu’augmenter sa valeur ces dernières années et ce Full Circle est d’ailleurs son premier signe de vie (artistique) depuis longtemps. Par contre, attention, on parle là d’artbook et c’est ce qui fait toute la différence.

© Panini Comics / Marvel – Ross

Car oui, c’est bien là que réside le principal attrait de Full Circle, cette capacité à complètement transcender la notion de ‘simple’ comics, quitte à en faire une sorte d’œuvre d’art que certains trouveront peut-être pédante et figée. Le choix de reprendre l’intrigue d’un épisode précis datant de 1966 (le 51ème de la saga au cas où vous voudriez chercher) n’est pas innocent car c’est à ce moment-là que Kirby et son alors éternel compère Stan Lee ont introduit pour la première la notion de Zone Négative, sorte de dimension parallèle permettant au ‘king of comics’ de se lâcher complètement avec ses pleine pages psychédéliques mélangeant dessin et collages déstructurées si caractéristiques. 

© Panini Comics / Marvel – Ross

Bien que Ross assume complètement le côté hommage de ce exercice de style – même le style de narration semble reprendre les canons des 60’s – il en accentue l’élégance absolue. Comme un pied de nez aux canons modernes et aux productions actuelles parfois hélas affreusement digitales et tristes, on a presque envie de se perdre complètement dans ces panels si détaillés et si réalistes. Après, si le scénario paraît donc très (trop) simpliste et calé sur des rails qu’il ne quitte jamais, nous rappelant qu’en 1966 les comics s’adressait avant tout aux jeunes ados, dans la forme le résultat est donc époustouflant. Une véritable explosion de couleur où chaque planche mériterait d’être affichée en poster, malgré une psychologie réduite donc au minimum et des personnages quelque figés dans leur posture, critique récurrente dans l’œuvre de Ross.

© Panini Comics / Marvel – Ross

Un exercice de style donc, avec des limites que l’on ressent très vite mais qui, visuellement, est d’une telle beauté et d’une telle fougue que l’on en oublie très vite les défauts pour (re)plonger la tête la première dans la zone négative. Et à quand une édition (très) grand format pour rendre justice à sa démesure ?

Olivier Badin

Full Circle d’Alex Ross. Panini Comics/Marvel. 26 euros