27 Fév

Triso Tornado : l’histoire d’une famille avec trisomie 21 signée Violette Bernad et Camille Royer

Personne n’est préparé à ça. Lorsque le médecin leur annonce que Nils, leur fils chéri est atteint de trisomie 21, il y a d’abord le choc pour les parents, le choc et puis l’amour… C’est l’histoire de Triso Tornado, une bande dessinée sensible signée Violette Bernad et Camille Royer…

Un visage lunaire. Il n’y a que l’infirmière et le médecin de la clinique pour si’nquiéter à la naissance de Nils. Les parents, Amélie et Frédéric, trop occupés par leur nouveau bonheur n’y voient là qu’un héritage familial. Mais les examens médicaux finissent par le confirmer : Nils est trisomique, c’est le choc !

« Où est mon enfant parfait ? », s’interroge Amélie, « Mon garçon est handicapé mental. Il est à mille lieues de ce que nous désirions ».

Sidération, colère, peur… Amélie et Frédéric vont passer par tous les cases de l’émotionnel et s’arrêter sur celle de l’amour.

« On a pris perpète… », s’exclame Frédéric. Et de fait, la vie n’est dès lors plus tout à fait la même. Kinésithérapeute, psychomotricienne, orthophoniste, psychologue… Nils nécessite une attention de tous les instants, il est comme une tornade dans le quotidien du couple qui craque, parfois, mais résiste toujours.

Cette histoire aussi intime qu’universelle, est-il très justement écrit en dernière de couverture, est une fiction basée sur la vie réelle de Violette Bernad. Avec beaucoup de sensibilité, elle nous décrit le cheminement psychologique de parents confrontés à la trisomie 21 de leur fils avec le deuil de l’enfant rêvé et une vie qui doit continuer.

Au dessin, Camille Royer qu’on avait découvert en septembre 2019 avec sa première bande dessinée Mon premier rêve en japonais a trouvé le trait juste pour porter le récit, un trait légèrement enfantin qui ramène à l’intime et en même temps assez simple pour parler au plus grand nombre.

Eric Guillaud

Triso Tornado : Histoire d’une famille avec trisomie 21, de Violette Bernad et Camille Royer. Futuropolis. 20€ (parution le 10 mars)

24 Fév

Spider-Man de père en fils ou comment l’un des fils prodiges d’Hollywood se réapproprie un super-héros

JJ Abrams est ce que l’on pourrait appeler un grand assimilateur. Un nerd, un vrai, sincère amateur de culture pop – de la BD en passant par le cinéma bis ou les jeux vidéo. Il  en connaît tous les codes et il fait donc bien attention à ne jamais les oublier dans toutes ses entreprises de réappropriation – de Star Wars à Mission : Impossible en passant par Star Trek ou la série Westworld. Mais il réussit à aller plus loin avec cette mini-série dédiée à Spider-Man, notamment grâce à l’aide de son fils… Et quitte à ne pas faire plaisir à tout le monde.

JJ Abrams est un spécialiste de ce que l’on appelle aujourd’hui le ‘fan service’, cette façon qu’a ce producteur et réalisateur de dire aux fans ultra ‘ne vous inquiétez pas, je ne vous oublie pas les gars’. Cette forme de révérence vis-à-vis d’un corpus bien précis est aussi un peu ces limites car même s’il sait parfaitement se fondre dans un moule, il a par contre parfois du mal à y plaquer une identité propre. L’annonce de son implication dans une mini-série de cinq épisodes consacrée au tisseur a donc d’abord laissé pas mal perplexe. Le papa de Lost connaissait-il vraiment l’univers MARVEL ? Â force de multiplier les projets sur tous les supports, n’aurait-il pas tendance à se disperser ? N’est-ce pas là juste une tactique marketing pour attirer un nouveau public, quitte à ce que cela soit au dépend du contenu ?

Franchement ? Non. Parce qu’à l’image de cette couverture un peu à côté de la plaque car un peu en contradiction avec son titre, finalement le nom ‘JJ Abrams’ n’est qu’un leurre. En fait, gardez juste le nom et changez le prénom et vous serez tout de suite dans le cœur du sujet. Oui, Ce Père en fils est en fait une collaboration entre JJ et son fils Henry et visiblement et c’est surtout ce dernier qui a pris les rênes. Or Abrams Junior connaît lui aussi ses classiques, cela se sent tout de suite mais cela ne l’a pas empêché d’oser un plutôt audacieux pas de côté qui ne plaira d’ailleurs peut-être pas à tout le monde. Surtout qu’on a affaire ici à un drôle de cas de ‘art imitant la vie’. Ou l’inverse…

© Marvel – Panini Comics  / JJ et Henry Abrams, Sara Pichelli

L’histoire commence par un combat entre Spider-Man et un méchant particulièrement monstrueux nommé Cadavérique qui se termine de manière tragique, avec la mort de Mary-Jane, la femme de Parker et la mère de son fils. Dévasté, Spider-Man raccroche sa toile et abandonne son jeune fils qu’il confie à sa mère. Devenu adolescent, celui-ci découvre non seulement qu’il a hérité d’une partie des pouvoirs de son père mais qu’en plus le responsable du meurtre de sa mère le recherche pour récupérer… Son sang.

Comme son titre l’indique, De Père En Fils parle avant tout d’affiliation. Entre Spider-Man – ou plutôt son alter-ego Peter Parker – et son fils, Ben Parker. Entre JJ Abrams et son fils, Henry. Sommes-nous programmés d’avance entre guillemets ? Ne sommes-nous que la somme de nos parents ? Peut-on échapper à son destin ? Un fils est-il obligé de reproduire le parcours du père ? Autant de questions qui peuvent s’appliquer à ces deux ‘couples’, une double lecture qui donne une épaisseur inattendue au récit.

Mais cela implique ainsi de bousculer un peu la dynamique habituelle. Ce qui veut dire que le normalement flamboyant Peter Parker n’est que l’ombre de lui-même. Absent durant les trois tiers du récit, c’est ici un homme brisé, vieilli et incapable de faire face à sa paternité. On croise d’ailleurs aussi au détour du récit un Tony Stark en vieux beau porté sur la bibine et qui n’a jamais digéré la mort de ses amis les Avengers… Reste qu’en faisant du personnage principal un garçon apprenant à apprivoiser à la fois ses pouvoirs et les affres de l’adolescence, Abrams père et fils remontent à l’origine même de la saga Spider-Man et ne font, au final, que reproduire le schéma d’abord élaboré par Steve Ditko et Stan Lee en 1962. La touche moderne, elle, est apportée par le très effrayant et brutal méchant de l’histoire et la ‘patte’ graphique de la dessinatrice italienne Sara Pichelli, déjà croisée sur la série Miles Morales. Certes, la conclusion est bien trop attendue et on ne sait pas si cette série, qui suit sa propre chronologie, aura une suite ou pas mais le créateur d’Alias remporte quand même plutôt son pari, même si certains vont sûrement crier au sacrilège…

Olivier Badin

Spider-Man, De père en fils de JJ et Henry Abrams, Sara Pichelli. Marvel/Panini Comics. 18€.

© Marvel – Panini Comics  / JJ et Henry Abrams, Sara Pichelli

21 Fév

Nellie Bly, dans l’antre de la folie : la remarquable biographie d’une pionnière du journalisme d’investigation signée Virginie Ollagnier et Carole Maurel

Nellie Bly est une pionnière du journalisme d’investigation. En 1887, Joseph Pulitzer, rédacteur en chef du New York World lui confie une mission : infiltrer un asile psychiatrique pour femmes de New York et témoigner. C’est cette histoire vraie et étonnante que racontent Virginie Ollagnier et Carole Maurel dans un album en tout point admirable…

Elle veut retrouver ses troncs, oui ses troncs, et le fait savoir à qui veut bien l’entendre.

« J’ai égaré mes troncs. Auriez-vous l’amabilité de m’aider à les retrouver ? »

Alors forcément, au bout d’un moment, elle finit par passer pour folle. Et c’est justement ce qu’elle recherche. Elizabeth Jane Cochran, alias Nellie Bly, est en fait journaliste d’investigation, une pionnière du genre, et veut se faire interner à Blackwell, un asile psychiatrique de New York, afin d’y enquêter sur les conditions de vie de ses résidentes.

Elle y parvient. Assez facilement. Ce qui est déjà inquiétant. Et ce qu’elle découvre entre les murs de cet univers est effroyable. Les femmes internées dans cet asile psychiatrique sont maltraitées, physiquement et psychologiquement. Douches glacées, aliments avariés, nuits à l’isolement avec réveils nocturnes en prime, humiliations diverses et variées, coups, travail forcé… l’asile ressemble plus à un bagne qu’autre chose.

Pendant 10 jours, elle assiste et subit, avant de finalement quitter ce sinistre lieu et écrire son reportage. Il fit l’effet d’une bombe à New York, obligeant l’administration de l’hôpital à s’expliquer devant la justice.

Nellie Bly Dans l’antre de la folie est la troisième biographie à paraître sur ce personnage en moins de 10 mois. Les éditions Steinkis ont ouvert le feu, suivies des éditions Soleil. Aujourd’hui, c’est donc au tour des éditions Glénat de s’y coller en s’intéressant plus précisément à cette enquête réalisée autour du traitement des aliénées à Blackwell.

Scénario, mise en scène, graphisme, couleurs, atmosphères, dialogues, documentation… les autrices ont soigné toutes les étapes pour nous dresser le portrait vraiment passionnant d’une femme courageuse, moderne, humaniste et féministe. Une histoire effarante, un album éclatant !

Eric Guillaud

Nellie Bly, Dans l’antre de la folie, de Virginie Ollagnier et Carole Maurel. Editions Glénat. 22€

Carole Maurel sera à la Librairie Bulle au Mans pour une journée de dédicaces le 27 février

© Glénat / Ollagnier et Maurel

19 Fév

Robillar, Créatures, Burn the Witch, Kid Paddle, Olive, Mort et Déterré, La Guerre des Lulus, Absolument normal, Zombillénium, Le Baron… une sélection de BD jeunesse pour les vacances de février

Pluie, froid, neige, virus, couvre-feu… le mieux est encore de rester bien au chaud pendant ces vacances d’hiver, bien au chaud avec des bonnes lectures. De l’action, de l’humour, du fantastique, voici déjà 10 albums, 10 pistes pour passer un bon moment… 

On commence avec le deuxième volet d’une série publiée aux éditions Dupuis. Olive est son nom, c’est aussi le nom de son héroïne, une jeune fille de 17 ans profondément introvertie. À longueur de journée, Olive trouve refuge dans un monde parallèle qu’elle s’est construit, un monde plein de douceurs et de couleurs, jusqu’au jour où un spationaute blessé et malade, Lenny Popincourt, y débarque sans prévenir. Olive va devoir sortir de sa zone de confort pour le sauver. Un graphisme plein de charme, une histoire sensible, une héroïne attachante… Une belle série prévue en quatre volets. (Olive tome 2, Allô la Terre ?, de Cazot et Mazel. Dupuis. 12,50€)

Deuxième tome également pour Mort et Déterré, une série des Québécois Jocelyn Boisvert et Pascal Colpron qui nous embarque dans le monde des zombies en compagnie d’un ado, Yan Faucher, tué accidentellement par un dealer. Tué, enterré mais aussi vite déterré par son meilleur ami, notre zombie « cent pour cent réel » retourne promener sa mauvaise mine et son odeur de cadavre ambulant du côté de chez lui où depuis sa mort, la grande soeur tourne mal, la mère perd les pédales et le père, sa fierté. Bref, du boulot pour Yan bien décidé à ne pas laisser sa famille se consumer à petit feu. Zombiesque ! (Mort et déterré tome 2, Pas de quartier pour les macchabées, de Boisvert et Colpron. Dupuis. 9,90€)

Petit saut dans le temps avec le septième volet de La Guerre des Lulus. L’album commence en janvier 1919 quelque part en Picardie sur l’ancienne ligne de front. Tout n’est plus que dévastation et désolation. Au milieu des arbres calcinés et des trous d’obus, Lucien et Luigi se prennent à rêver de retrouver leur orphelinat à Valencourt et surtout de réunir la bande des Lulus que la guerre a fini par séparer. Où sont passés Lucas et Ludwig ? Sont-ils seulement toujours en vie ? Suite d’une très très belle histoire qui s’inscrit dans un contexte fort, cette Der des Ders qui fascine tant les Français. (La guerre des Lulus tome 7, Luigi, de Hautière et Hardoc. Casterman. 13,95€)

À 13 ans, Cosmo Cooreman est un adolescent normal. Tant mieux pour lui me direz-vous. Oui mais non, dans son monde, 13 ans est justement l’âge des mutations. Tandis que ses camarades développent une intelligence, un physique ou un pouvoir extraordinaires, lui reste affreusement normal. Ses professeurs se plaignent, ses parents s’inquiètent et finissent par le confier au gouvernement qui, dans le cadre du plan Nouvel Horizon, et grâce à des méthodes d’éducation très spéciales, doit lui permettre de développer un don. Mais à quel prix ? Un graphisme séduisant, des couleurs vives, un bon récit SF qui nous interroge sur la normalité. (Absolument normal tome 1, Tous différents, de Toussaint,  Martusciello et Pizzetti. Dupuis. 9,90€)

27 ans d’existence, 16 albums, plus de dix millions d’exemplaires vendus, un spin-off du même acabit baptisé Game Over, des adaptations en série animée, en jeux vidéo, en jeux de cartes, une multitude de produits dérivés… la série Kid Paddle est un vrai phénomène éditorial, et ce depuis de nombreuses années. Pourquoi un tel succès ? Tout simplement, si on peut dire, parce que l’auteur, Michel Ledent, aka Midam, a su créer un gamin d’aujourd’hui, passionné de jeux vidéo et de monstres en tout genre, souvent gluants et visqueux. On ne change pas une formule qui a fait ses preuves, ce nouvel album est à l’image des précédents, une succession de gags sur une ou deux pages. (Kid Paddle 16, de Midam, Dupuis. 10,95€)

Ogre, bonne situation, cherche princesse ! Il voulait un château, il a un château, il voulait un trône, il a un trône sur lequel poser ces petites fesses. Bref, il a tout ce qu’il voulait, tout sauf la joie de vivre. L’ogre déprime et rien n’y fait. Son amnésie et son ogritude lui pèsent. Il veut retrouver forme humaine et pour ça il doit embrasser une princesse. Le chat Robilar organise donc un concours de prétendantes, cinq furies débarquent au château et ça va faire mal.  Lancée en septembre 2020, cette série de David Chauvel au scénario et Sylvain Guinebaud au dessin, est un nouveau détournement du conte Le Chat botté popularisé par Charles Perrault à la fin du XVIIe siècle. Une adaptation aussi rusée que le personnage principal  bourrée d’humour, d’action et de dialogues savoureux à double lecture. Pour les petits et les plus grands ! (Robilar ou le maistre chat tome 2, Un ogre à marier. Delcourt. 15,50€)

74 tomes, plus de 120 millions d’exemplaires vendus à travers le monde, une adaptation en série d’animation pour la télé et un anniversaire, le vingtième, en 2021, impossible pour les amoureux de mangas d’ignorer le phénomène Bleach. Aujourd’hui, son auteur, Tite Kibo, est de retour avec le premier volume de Burn the witch qui nous embarque pour la ville de Londres où les dragons, les sorcières et les humains cohabitent sans problème jusqu’au jour où les premiers décident de s’attaquer aux derniers nécessitant la création d’une milice baptisée Wing Band chargée de traquer les dragons… Les fans de Bleach retrouveront avec plaisir le trait précis et dynamique de Kubo ainsi que quelques références à l’univers de la série mythique. (Burn the witch tome 1, de Tite Kubo. Glénat. 6,90€)

En très peu de temps, Zombillénium est devenu un phénomène de la BD et ses personnages les nouvelles coqueluches des jeunes lecteurs et lectrices du journal Spirou. Tout commence en octobre 2008 lorsque Frédéric Niffle, rédacteur en chef du journal, propose à Arthur de Pins de faire la couverture du spécial Halloween. L’auteur, plus connu dans le monde de la bande dessinée pour ses pin-ups que pour ses monstres, accepte. Bingo ! « Je me suis beaucoup amusé à imaginer toute une galerie de monstres dans un cimetière. Frédéric s’est rendu compte que ça me plaisait, et il m’a proposé de développer l’univers pour en faire un album ». Des zombies c’est bien, mais des zombies qui tiennent un parc d’attractions c’est mieux, c’est même excellemment mieux. Et voilà notre Arthur de Pins délaissant les formes avantageuses de ses pin-ups pour une galerie de monstres. Depuis, las série Zombillénium, dont le cinquième et avant dernier volet vient de sortir, s’est vendue à 330 000 exemplaires et a fait l’objet d’une adaptation en film d’animation. (Zombillénium tome 5, Vendredi Noir, de Arthur de Pins. Dupuis. 14,50€)

Il est sorti il y a quelques mois déjà, en octobre pour être précis, mais il n’est jamais trop tard pour se faire plaisir. Le Baron de Jean-Luc Masbou, précédemment dessinateur de la très belle série De Cape et de Crocs publiée chez Delcourt est d’abord un bel objet au grand format, avec titre doré et dos toilé du meilleur effet, c’est aussi un petit bijou graphique et enfin un régal d’aventures autour d’un personnage légendaire :  le fameux  Baron de Münchhausen. Une adaptation de plus ? Non, un regard personnel sur une oeuvre et un personnage, un voyage au pays de l’imaginaire et de l’humour qui fait un bien fou en ces temps de réalité anxiogène. (Le Baron, de Masbou. Delcourt. 23,95€)

On termine avec le premier volet d’une nouvelle série signée Stéphane Betbeder et Djief aux éditions Dupuis. Si vous aimez Seuls, la série de Vehlmann et Gazzotti, alors vous devriez aimer celle-ci. Créatures nous transporte dans un New York post-apocalyptique où tentent de survivre d’étranges créatures et des enfants qui doivent se débrouiller seuls. Graphisme agréable, belle mise en place de l’univers… À suivre ! (Créatures tome 1, La Ville qui ne dort jamais, de Betbeder et Djief. Dupuis. 12,50€)

Eric Guillaud

18 Fév

Batman Arkham – Double-Face : un méchant au carré avec deux fois plus de réussite

Ah, voilà, là où on est tout de suite mieux… Il y a quelques semaines, nous faisions part de nos quelques réserves vis-à-vis de la nouvelle série autour de l’univers BATMAN centrée sur certains lieux emblématiques de la mythologie. Or, malgré la présence de quelques stars au casting, le premier volume sur la Batcave manquait de vraie matière pour vraiment incarner son concept. Mais sa série sœur ARKHAM, elle, fait tout de suite mieux avec un premier tome consacré à DOUBLE-FACE.

Cela dit, la cause était entendue d’avance : en choisissant de consacrer un volume à chacun des ennemis récurrents du Chevalier Noir, DC ne prend aucun risque, tant la majorité d’entre eux (le Joker en premier lieu, le Pingouin, L’Epouvantail, Mr Freeze etc.) sont devenus presque autant de icônes eux-mêmes de la pop culture. Sauf que cette première entrée frappe très fort en jetant son dévolu sur le plus ambivalent de ces ‘grands méchants’ : Double-Face.

Un peu comme le Joker, tout l’intérêt ici de cet ancien procureur vertueux devenu criminel est qu’il apparaît comme une sorte de reflet négatif de BATMAN. Un peu comme lui (même si ce n’est qu’à partir des années 80 et la réappropriation du personnage par Frank Miller que cette thématique sera vraiment creusée) Harvey Dent est constamment écartelé entre Bien et Mal. Une dualité parfaitement illustrée par ce visage digne de Dr Jekyll et Mister Hyde, à moitié beau et à moitié hideux, après qu’un mafiosi ne lui jette par vengeance de l’acide dessus. Comme pour se dédouaner du mal qu’il s’apprête à commettre, il joue à pile ou face avec sa pièce fétiche pour déterminer ses choix, laissant soi-disant le hasard décider à sa place.

© Urban Comics/DC Comics – collectif

Double-Face est donc un méchant atypique, limite schizophrène et graphiquement très contrasté. Une double facette exploitée dès sa première apparition dans un épisode de 1942, reproduit ici en ouverture et dessiné, forcément, par le grand Bob Kane et bien plus subtile que les habituels très manichéennes BD de l’époque.

Mais ce qui frappe peut-être autant ici dans ces quatorze apparitions compilées et parues à la base entre 1942 et 2013, c’est l’incroyable brochette de dessinateurs qui se sont penchés sur son berceau et à qui d’imprimer, à chaque fois, leur patte bien à eux. Il y a bien sûr tout d’abord Kane, le tout premier dont le style presque ‘pop’ tranchait considérablement avec les autres comics de l’époque, encore bloqué sur le style très figé d’un FLASH GORDON par exemple. Mais aussi Neal Adam qui, presque trente ans plus tard (‘La Face Du Mal’) prenait un contrepied quasi-total, ancrant d’un seul coup la série dans un style très réaliste et presque roman noir très proche de celui de Gene Colan du concurrent MARVEL (TOMB OF DRACULA). Ou aussi Matt Wagner (‘Visages’) sous forte influence Richard Corben, qui au début des années 90 l’emmena ensuite vers un style presque gothique et grotesque à la fois, comme un écho de la première adaptation ciné de Tim Burton.       

© Urban Comics/DC Comics – collectif

Chaque auteur successif s’est donc visiblement beaucoup amusé à croquer ce monstre à double visage, quitte à reléguer souvent BATMAN au second plan. Surtout, à part peut-être Adams, tous jouent à fonds la carte de l’ambivalence, n’hésitant pas à montrer un ‘méchant’ qui souffre dans ses rares éclairs de lucidité. Méchant qui est réhabilité ici et qui entame donc cette nouvelle série avec brio.

Olivier Badin

Batman Arkham : Double-Face, collectif. Urban Comics/DC Comics. 29 €

Rencontre avec Le Cil Vert, auteur de l’album Une Vie toute tracée paru chez Delcourt

Après Un Faux boulot et Rentre dans le moule, l’auteur Sylvere Jouin, alias Le Cil Vert, publie Une Vie toute tracée, la suite d’une autobiographie romancée. Interview…
Le Cil Vert © Chloé Vollmer-Lo

Tu es un ancien élève de l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers qui forme des ingénieurs. Comment se retrouve-t-on auteur de bande dessinée ?

Sylvere. C’est vrai qu’à première vue, ce n’est pas forcément la voie la plus directe pour devenir auteur de bandes dessinées… mais entre nous, s’il y avait une voie rapide, ça se saurait ! Plus sérieusement, j’ai eu de la chance de faire ces études et je ne regrette rien, mais ce qui a été important pour moi finalement, c’est de ne pas avoir essayé d’en faire quelque chose, d’être ingénieur et d’essayer de faire de la BD en parallèle. Les deux sont des boulots à part entière. J’ai finalement commencé par dessiner dans des magazines écolos, puis j’ai participé à des projets d’illustrations pour des ONG. Je travaille beaucoup pour me rassurer en fait. Je dois avoir peur du vide.

Un jour, en sortant d’une expo de Chris Ware à la galerie Martel, je me suis assis dans un bar et j’ai écrit 20 pages. Une histoire d’un gars qui travaille dans un abattoir à poulets appartenant à son oncle. C’était pas son idée à la base, c’était celle de sa mère « pour l’aider » parce qu’il était au fond du trou. Je l’ai envoyée à Lewis Trondheim et il m’a publié dans la revue Papier, il y avait un spécial « famille », ça tombait bien. C’est peut-être ça qui m’a fait devenir auteur de BD. Une expo, un abattoir à poulets et Lewis Trondheim !

© Éditions Delcourt, 2021 – Le cil vert

Comme les deux albums précédents, Une Vie toute tracée est une BD autobiographique. Pourquoi avoir appelé ton personnage Jean et non Sylvere ?

Sylvere. Ma toute première BD, publiée en auto-édition s’appelait Le Scaphandre fêlé. C’était mon histoire, celle de Sylvere et c’était bizarre pour mes quelques premiers lecteurs de lire mon histoire sans distance, d’être comme des voyeurs. Et puis, je me suis dis que je n’étais pas non plus Barack Obama, très vite je me suis rendu compte que ma vie n’intéresserait personne. J’ai eu la chance de commencer une psychanalyse et j’ai appris à prendre de la distance avec moi-même.

Finalement, je dirais aussi que ce n’est pas si mal de proclamer que ce n’est pas vraiment mon histoire, on peut raconter des horreurs sur les gens en disant que ce n’est pas vraiment eux non plus.

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La chronique de l’album à lire ici 

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Entre la mort de ton père et ton départ pour Prague, quinze années se sont en fait écoulées. Pourquoi avoir contracté le temps ainsi ? 

Sylvere. Parce que j’ai une DeLorean dans mon garage et que ça serait dommage de ne pas l’utiliser Doc ! Pour moi écrire une histoire c’est surfer sur une vague et ensuite tirer sur un fil et faire un parallèle avec mon histoire. Par exemple, dans Un faux boulot, ma première BD, j’ai parlé des séjours que j’ai animés pour des personnes adultes handicapées. Je n’ai pas parlé des séjours, ça existe déjà en BD, en film, en livres etc… J’ai parlé de vacanciers que j’ai rencontrés qui avaient une vie normale ou plutôt dans la norme et qui, après un choc énorme, se sont réfugiés dans l’alcool ou le cannabis pour ne plus avoir à revenir parmi nous. J’avais d’énormes crises d’angoisses à l’époque. J’avais même peur d’avoir peur et je m’enfermais chez moi, et dans ma névrose. J’étais comme ces vacanciers, ou du moins j’avais peur de leur ressembler de plus en plus… le choc de la mort de mon père m’avait complètement fait perdre pied, et je me suis retrouvé à écrire beaucoup comme pour m’échapper.

Pour cette BD, la vague qui m’emmène est l’expatriation, partir pour Prague c’est marcher comme sur une page blanche. J’ai rencontré pas mal d’immigrés français (parfois ils s’appellent entre eux des expats, ça fait plus classe) qui fuyaient la France pas forcement à cause du fisc, mais plutôt à cause d’une famille trop toxique, un passé lourd à porter. Je me suis dit que pour Jean, ce passé était tout trouvé : la vente de la maison familiale après la mort de son père.

© Éditions Delcourt, 2021 – Le cil vert

Plus qu’une autobiographie, il s’agit d’une autofiction finalement…

Sylvere. Oui, une autofiction, complètement. Je me rends compte qu’il faut que je demande à réécrire tous les dossiers de presse de mes dernières BD parce que je n’ai parlé que d’autobiographie, mais en fait j’ai négligé le coté fiction. Mes histoires sont le mélange d’un tiers de réalité, un tiers d’imaginaire et un tiers d’inconnu ou plutôt de  laisser jouer ensemble les personnages et de voir ce qui va en sortir. Quand je commence une BD, comme une journée d’ailleurs, je ne sais pas comment elle va finir. Des fois, on a vraiment envie de décoller de son lit et de dévorer le monde à pleine dent et parfois, c’est lundi matin et il pleut. Écrire, pour moi, c’est un peu pareil.

L’autodérision est permanente dans l’album, un moyen de prendre de la distance avec ton personnage et ton parcours ?

Sylvere. J’imagine que oui, ça m’aide. Et puis le deuil, la mort, la remise en question, les changements de vie ce n’est pas très vendeur. Je sais qu’on nous vend du divertissement à longueur de télé et que se marrer n’est pas suffisant pour se maintenir en vie mais parfois ça peut aider à faire passer la pilule surtout si le message est derrière. J’ai toujours peur d’être comme le vieux gars dans L’Étoile mystérieuse de Tintin qui au début de l’album tape dans une casserole en criant « c’est la fin du monde ». On vaut mieux que ça, je pense.

Tu vis depuis peu à Nantes avec ta nouvelle compagne, une Tchèque. Est-ce que cette nouvelle « vie toute tracée » dans une ville que tu découvres et apprécies je crois fera l’objet d’un prochain album ? 

Sylvere. J’écris toujours la suite de cette histoire. Alors oui, il y aurait potentiellement une suite ! Encore faut-il que je puisse trouver la vague dont je parlais tout à l’heure, mais j’y travaille ! Et je serai ravi de dessiner Nantes, y planter mes personnages, mais cette fois ils ne suivront certainement pas un fil rouge comme dans Une vie toute tracée, plutôt une ligne verte !

Propos recueillis par Eric Guillaud le 17 février 2021

Pour suivre Le Cil Vert c’est ici

15 Fév

Chez nous… paroles de réfugiés : une BD documentaire sur l’accueil des migrants en Italie signée Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso

En 2019, Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso embarquaient à bord de l’Aquarius pour nous raconter en BD le sauvetage en mer des migrants entassés sur des bateaux de pacotille. Ils reviennent cette année avec une enquête sur les conditions d’accueil de ces mêmes migrants dans l’Italie du sud…

Publié en février 2019 chez Futuropolis, À bord de l’Aquarius nous décrivait le quotidien de l’équipage de ce navire affrété par l’association SOS Méditerranée et surtout les sauvetages de ces migrants, hommes, femmes, et enfants, parfois dans un état pitoyable, tous supportant les pires conditions avec l’espoir légitime d’une vie meilleure, loin de la guerre et de la misère.

Deux ans après, le duo Marco Rizzo – Lelio Bonaccorso reprend plumes et pinceaux pour nous raconter en quelque sorte la suite. Après le sauvetage, l’accueil. Quelle est sa réalité? Comment est-il vécu par les premiers intéressés?

Beaucoup moins médiatisé, parce que beaucoup moins « spectaculaire », l’accueil des réfugiés est « une obligation légale que les états sont tenus de respecter », rappelle dans une postface Amnesty International, co-éditeur de l’ouvrage. Mais dans la réalité, il y a ceux pour qui l’accueil est une évidence, un sursaut d’humanité, et ceux qui n’hésitent pas à refouler les migrants au risque de les envoyer à la mort.

© Futuropolis / Rizzo & Bonaccorso

Pour enquêter, les auteurs se sont rendus en Italie du sud, en Calabre pour être précis, un peu moins de deux millions d’habitants, une région parmi les plus touchées par le chômage mais aussi parmi les plus hospitalières pour les réfugiés. Le besoin de main d’oeuvre agricole à bas coût expliquant peut-être cela.

Là-bas, Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso ont recueilli les témoignages de réfugiés qui ont réussi plus ou moins à s’intégrer, la Nigérienne Blessing, le Sénégalais Buba ou l’Egyptien Irshak, trois parcours différents mais pareillement marqués par la violence, la peur, le mépris, le danger et au final une reconnaissance pour leur pays d’accueil. Ils nous emmènent ensuite à Riace, village quasi-abandonné qui retrouva vie pendant plusieurs années grâce à la volonté de son maire Mimmo Lucano (qui témoigne aussi dans ce livre) d’en faire un village-modèle, une « utopie », d’intégration pour des milliers de migrants. Jusqu’à ce qu’il soit, à l’arrivée de Matteo Salvini au ministère de l’intérieur, suspendu de ses fonctions et interdit de séjour dans son propre village !

© Futuropolis / Rizzo & Bonaccorso

Mais la réalité, c’est aussi le camp de réfugiés San Ferdinando, un bidonville que Matteo Salvini, encore lui, fit évacuer et détruire en mars 2019. Et c’est enfin le fameux décret Sécuritaire, anti-migrants et anti-ONG adopté en 2019 qui modifia considérablement les conditions d’accueil et d’asile. 

Sur une centaine de pages, Chez nous…. paroles de réfugiés remet en avant ce qu’on aurait peut-être tendance à oublier avec l’épidémie. Des migrants traversent toujours les océans au péril de leur vie pensant trouver une vie meilleure ailleurs. Mais lorsqu’ils arrivent dans cet ailleurs, c’est encore la misère, le mépris et parfois la mort qui les attend, eux qui ne recherchent qu’une chose, avoir un chez-eux !

Eric Guillaud

Chez nous… paroles de réfugiés, de Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso. Futuropolis avec Amnesty International. 18€

12 Fév

Le tueur en série Edmund Kemper : un croquemitaine bien réel

Malaise et fascination. C’est sur ce mélange bizarre que s’est bâtie toute la légende des tueurs en série et c’est donc logiquement aussi sur ces mêmes bases que s’est construite la collection Les Serial Killers dont on tient ici un quatrième avatar à ne pas mettre entre toutes les mains. Sur le banc des accusés, le géant Ed Kemper et ses dix victimes, entre 1964 et 1973…

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ce phénomène et depuis les slasher movies (Vendredi13, Massacre  La Tronçonneuse, Freddy Les Griffes De La Nuit’ etc.), la pop culture n’est pas en reste, avec en point d’orgue au début des années 90 les films Seven et Le Silence Des Agneaux. En parlant du réalisateur David Fincher, sa série sur Netflix Mindhunter a su jeter sur le sujet une lumière inédite, malgré le fait qu’elle ait été hélas limitée à seulement deux saisons. En retraçant le travail des premiers agents du FBI à s’être penchés sur la question à la toute fin des années 70, elle a permis de mettre à jour leurs méthodes de travail, à base d’entretiens avec des tueurs-en-série déjà condamnés. Parmi ses personnages haut en couleurs qui ont tous existé, celui d’Ed Kemper a particulièrement frappé les téléspectateurs.

Il y a déjà ce gabarit, herculéen avec ses 2m06 et ses plus de 160 kg. Mais c’est surtout c’est ce calme, cette lucidité, voire même cette douceur si l’on peut dire avec laquelle il sait parler de ses crimes, de toutes ses femmes qu’il a tuées brutalement, comment il les a parfois décapitées pour garder leur tête comme une sorte de trophée ou même de ses pulsions nécrophiles qui frappe ici.

© Glénat / Bourgoin, JDMorvan, Martinez, Vargas, Steren & Ribeiro

Autant le dire tout de suite, ce volume de la série Les Serial Killers est donc réservé à un public très averti. Pas que ses prédécesseurs consacrés à Ted Bundy et Michel Fourniret entre autres soient des bisounours à côté, loin de là. Mais ce qui trouble ici, c’est la volonté du scénariste (assisté par le directeur de la publication Stéphane Bourgoin, spécialiste auto-proclamé plus ou moins contesté en France) de montrer d’abord comment il a été en quelque sorte programmé dès sa tendre enfance à devenir un monstre à cause d’une famille complètement dysfonctionnelle et notamment d’une mère tyrannique et abusive. Avant de suivre son parcours implacable de tueur, sans lésiner sur les détails les plus morbides.

© Glénat / Bourgoin, JDMorvan, Martinez, Vargas, Steren & Ribeiro

Le récit suit donc deux temporalités : une chronologique, partant de son enfance sans rien nous épargner des différents traumas successifs qui vont le transformer en monstre. Et l’autre, en prison, où il est interviewé par l’alter-ego de Bourgoin et où il se confie, sans aucun tabou. Mieux : comme on l’a vu dans Mindhunter, Kemper joue limite avec son interlocuteur et fait preuve d’une étonnante lucidité vis-à-vis de ses crimes, les cadrages stricts, les décors très austères et les dessins parfois froids accentuant l’ambiance au couteau. C’est d’ailleurs cet éternel paradoxe qui rend cet ogre si fascinant, lui qui a échoué à l’examen d’entrée à la police malgré un QI de 145 mais qui ne pouvait s’empêcher de tuer. 

Au final, on ne sait d’ailleurs pas ce qui est le plus glaçant dans l’histoire : le récit en lui-même ou le dossier inclus en fin d’ouvrage à base de photos et de faits avérés qui confirment, hélas, que tout ce qui est raconté est ici diaboliquement vrai.

Olivier Badin

Edmund Kemper, L’Ogre De Santa Cruz de Stéphane Bourgoin, JDMorvan, Roy Allan Martinez, Mauro Vargas, Juliette Steren & Raphaël Ribeiro. Glénat. 17,50 €.

Dans la même collection, trois autres titres sont d’ores et déjà disponibles et racontent les parcours macabres des Américains Gerard Schaefer, scatophile, nécrophile, zoophile, sadique, et manipulateur, accusé du meurtre de deux adolescentes, soupçonné d’en avoir tué plus d’une centaine, Ted Bundy, qui a enlevé, violé et assassiné plus d’une trentaine de jeunes femmes dans les années 70 et du Français Michel Fourniret surnommé l’Ogre des Ardennes, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de meurtres à son actif, le tout avec l’assentiment de sa femme Monique Olivier.

11 Fév

Pacific palace : une aventure de Spirou cinq étoiles de Christian Durieux

La couverture annonce la couleur, Pacific palace est un album de toute beauté. Mais ce n’est pas là la seule qualité du livre, Christian Durieux nous a concocté une histoire comme il en a le secret, belle et sensible. Une aventure de Spirou et Fantasio comme vous n’en avez jamais lue…

Depuis son lancement en 2006, la collection Le Spirou de… offre une relecture passionnante de la série-mère avec des approches graphiques et scénaristiques très différentes et souvent audacieuses.

C’est encore le cas avec cet album de Christian Durieux qui commence sur une drôle de surprise : un Fantasio habillé en Spirou. Autant vous le dire tout de suite, notre héros n’assouvit pas là un fantasme de longue date mais répond à une stricte obligation vestimentaire. En effet, viré du journal Le Moustique, Fantasio s’est fait engager aux côtés de Spirou dans un palace et pas n’importe lequel, le Pacific palace. Avec un job un peu particulier à la clé, puisque l’hôtel a été vidé de sa prestigieuse clientèle pour accueillir un hôte peu recommandable, Korda, le président à vie de la République Démocratique du Karajan, à vie ou presque puisque le dictateur vient d’être chassé de son pays et cherche une terre d’asile.

Autre surprise de taille, même si ce n’est pas la première fois que ça lui arrive, Spirou tombe raide dingue d’une ravissante jeune-femme. Le seul souci, parce qu’il y a bien sûr un souci, est que cette jeune-femme est la fille de Korda. De quoi troubler la quiétude nécessaire et recherchée entre les murs de ce palace pour le ballet politique qui doit s’ouvrir et décider de l’avenir du dictateur en fuite.

Action confinée, ambiances feutrées, ton mélancolique, scénario subtile, graphisme épuré et gracieux, final surprenant… Pacific palace est un album qui ne peut que marquer les esprits des fans de la série et au-delà.

À noter que l’album est accompagné d’un EP du groupe français Cocoon portant également le titre Pacific palace et pour lequel Christian Durieux a réalisé la pochette et le clip ci-dessous.

Eric Guillaud

Le Spirou de Christian Durieux. Pacific Palace, Dupuis. 16,5€

09 Fév

Tournée générale d’humour…

Avocat ou footballeur, sauveur de princesses ou vendeur d’aspirateur, coach en tennis de table ou hypocondriaque, voici une galerie de personnages des plus savoureux qui pourraient bien remettre d’équerre vos zygomatiques en ces temps de covid…

Hitler, Pinochet, Khadafi, Dutroux, Ben Laden, Kim Jong-un, Hannibal Lecter, Dupont de Ligonnès ou encore Charles Manson… Des noms à vous coller l’angoisse pour perpète et au-delà. Sauf pour lui, lui l’avocat du diable, toujours prêt à défendre l’indéfendable, à faire passer un crime contre l’humanité pour une petite erreur de jeunesse, à mettre en avant l’artiste qui sommeille chez le plus ignoble et sanguinaire des dictateurs. Avec ses airs à la Jacques Vergès, le personnage de Tehem enchaîne les plaidoiries loufoques, ce qui ne manquera pas de rappeler aux plus anciens d’entre nous Le tribunal des flagrants délires, fameuse émission radiophonique satirique des années 80. Cent strips pour rire ! (Avocat du diable, de Tehem. Delcourt. 9,95€)

« Il ne joue pas dans les plus grands stades du monde, il ne touche pas un salaire mirobolant, il ne couche pas avec des top-models, il n’est pas l’égérie d’une grande marque, c’est… le footballeur du dimanche ». En une page et quelques lignes, le décor est planté. Après le vélo, Tronchet nous parle du football, du vrai football, celui qui se joue loin des caméras de télévision et des enjeux financiers. Avec son humour et son trait taillé à la serpe, l’auteur des fameux Raymond Calbuth, Les Damnés de la terre associés ou encore de La bite à Urbain enfile le maillot et chausse les crampons, comme il le fait tous les week-ends, pour nous embarquer dans un monde de passionnés. Une belle déclaration d’amour au ballon rond en une cinquantaine de pages et autant de gags. (Footballeur du dimanche, de Tronchet. Delcourt. 12,50€)

L’avantage avec Tebo, c’est qu’on en a généralement pour son argent, en l’occurrence ici un peu plus de 12 euros. L’auteur de Samson et Néon et de Captain Biceps poursuit son exploration de l’humour tendance déjanté et un brin scatologique avec Raowl dont voici le deuxième volume. Rien que le titre est un poème à lui seul, Peau d’âne, la princesse qui pue. Et c’est vrai qu’elle pue, une odeur de truite disent certains. De quoi passer inaperçue auprès de Raowl, sauveur en chef de princesses en détresse. Mais l’arrivée d’une nouvelle reine au château, maniaque de la propreté et prête à tout pour donner un bain à Peau d’âne oblige Raowl à intervenir… Et ça fait mal ! Tordant. (RaowlPeau d’âne, la princesse qui pue, de Tebo. Dupuis. 12,50€)

« Qu’est-ce que l’homme ? D’où venons-nous? Depuis quand existons-nous et comment avons-nous fait pour nous élever au-dessus de toute autre créature. Et pourquoi, au terme de millions d’années d’évolution, sommes-nous toujours aussi cons ? » voilà voilà, Ralf König a toujours le chic pour poser les bonnes questions… et accessoirement y répondre. En quelque 200 pages, l’auteur allemand nous rejoue l’évolution de l’humanité en plongeant deux spécimens particulièrement gratinés d’homo sapiens au milieu d’une colonie de chimpanzés quelque part en Afrique au temps du pléistocène, il  y a plusieurs millions d’années. Le choc des cultures… (Homo Erectus, de Ralf König. Glénat. 27,50€)

Le premier tome avait cartonné. Le second, sorti en octobre dernier n’a pas fait moins. Faut pas prendre les cons pour des gens figure parmi les best-sellers de la bande dessinée d’humour avec plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires vendus à chaque fois. Et que nous racontent Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud dans les pages de cet album ? La vie, tout simplement, mais la vie du côté absurde, où les déambulateurs sont devenus des armes de 2e catégorie, où le sigle HEC ne signifie plus Hautes Études Commerciales mais Hautes Études de Clochard, et n’y rentrent pas qui veut, où un couple de Parisiens parvient à faire construire un mur antibruit sur le littoral pour se protéger du bruit des vagues, où l’on soigne les bronchites en mangeant du poulet. Absurde, complètement absurde mais génial, tellement génial, Faut pas prendre les cons pour les gens pose un regard acide sur notre monde, de quoi faire passer les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. (Faut pas prendre les cons pour des gens 02, d’Emmanuel Reuzé. Fluide Glacial. 12,90€)

Lui aussi a fait un carton dès son premier volet sorti en mai 2018. Énorme le carton, aussi énorme que le personnage principal, le fameux Jacques Ramirez, qui n’a rien d’un super héros, rien d’un héros tout court, expert en aspirateurs chez Robotop le jour, suspecté d’être un assassin la nuit et surtout d’être impliqué dans un attentat contre sa propre société Robotop. Pourchassé par la police mais aussi par les hommes de main d’un dangereux cartel, Ramirez n’a plus le choix : il doit fuir. Jubilatoire ! (Il faut flinguer Ramirez, de Petrimaux. Glénat. 22,95€)

Dans le même esprit tarantinesque, voici Valhalla Hotel de Pat Perna et Fabien Bedouel chez Comix Buro, 64 pages d’action et autant de franche rigolade autour d’une galerie de personnages atypiques et de situations pour le moins décalées. Tout commence sur une route désertique du Nouveau-Mexique, Lemmy et son coach Malone sont en route pour la finale régionale du championnat de tennis de table d’Albuquerque quand leur voiture, une fiat 500, tombe en panne. En attendant de rejoindre un jour peut-être Albuquerque, nos deux protagonistes vont avoir tout le loisir de découvrir la charmante bourgade de Flatstone où se trouve le garage le plus proche. Flatstone, son shérif, homophobe et rustre, sa forte communauté allemande, son schnaps local et son motel, le Valhalla Hotel, tenu par Frau Winkler. De quoi passer un séjour au calme ? Pas tout à fait… (Valhalla Hotel, de Perna et Bedouel. Comix Buro –  Glénat. 14,95€)

Raconter son hyper-anxiété et parvenir à en faire rire ou du moins sourire, c’est le pari osé mais réussi de Théo Grosjean avec sa BD L’Homme le plus flippé du monde née sur les réseaux sociaux avant d’être adaptée en album. Et ça marche fort. Preuve en est son nombre d’abonnés sur Instagram, près de 150 000, preuve en est aussi l’accueil réservé aux deux tomes aujourd’hui disponibles en librairie. Comment expliquer ce succès ? Tout simplement parce que l’homme le plus flippé du monde tient autant de Théo Grojean que de nous tous. Qui ne s’est jamais senti mal à l’aise dans une soirée festive au point de se débiner discrètement ? Qui n’a jamais paniqué à l’idée de prendre la parole en public ? Qui n’a jamais tremblé devant le mot cancer ? Qui n’a pas la fin du monde au moment du premier confinement ? Bon, Théo Grosjean cumule toutes les angoisses du monde, on appelle ça de l’anxiété généralisée. Pour lui, comme pour nous, L’Homme le plus flippé du monde a au final quelque chose de thérapeutique. Essentiel ! (L’Homme le plus flippé du monde Tome 2, de Théo Grosjean. Delcourt. 15,50€)

Eric Guillaud