Peut-on rire de tout ? À cette question aussi vieille que l’humanité, Fortu apporte une réponse toute personnelle. Chaque jour, il met en ligne un dessin croquant avec un humour pinçant cette période sombre pour nous tous. À défaut de vaccin, voici déjà un bon remède à la morosité…
En France, on n’a pas de masques mais on a de l’humour! En tout cas, Fortu, auteur de bande dessinée installé du côté de Saumur, en a pour tout le monde. Et il a décidé de nous en faire profiter tous les jours de ce confinement en croquant des scènes de la vie quotidienne – confinée s’entend – qu’il partage sur les réseaux sociaux.
C’est un jardin extraordinaire, un jardin blotti entre les tours HLM d’une banlieue parisienne, un jardin où l’on fait pousser des légumes et des fleurs sur un terreau d’amitié et de solidarité. C’est Le jardin de Rose, un lieu imaginé par Hervé Duphot pour cette chronique sociale hyper sensible…
L’aventure humaine se joue parfois au coin de la rue, dans un de ces petits jardins familiaux par exemple, autrefois appelés jardins ouvriers, coincés entre deux barres de béton et une autoroute. Un petit lopin de terre où se côtoient fleurs et légumes, chats et jardiniers, un endroit où le temps semble s’être arrêté, où le bonheur est simple comme un pied de tomates qui pousse.
Entre un mari peu investi dans la vie du foyer et un chômage qui s’éternise, Françoise, la cinquantaine passée, y a trouvé de quoi redonner des couleurs et des parfums à son quotidien. Jardiner est devenu son espace de liberté, elle qui a fui très jeune la campagne pour la ville et n’avait jusqu’alors jamais planté une graine de sa vie.
C’est un concours de circonstance qui l’a amené là, un concours de circonstance qui a pour nom Rose, une vieille dame de la cité, de sa cité, pour qui elle fait quelques courses parfois. Rose s’est vue attribuer une de ces parcelles. Des années après sa demande. Immobilisée par une mauvaise chute, elle a chargé Françoise de s’en occuper provisoirement. De quoi attraper le virus du jardinage pour cette dernière !
Mais au-delà du jardinage, Françoise découvre un monde fait d’amitié et de solidarité rompant avec son quotidien de quasi-confinée dans son appartement. Entre eux, les jardiniers parlent de leur passion bien sûr mais aussi de la vie, de leur vie, du temps qui passe, de leurs amours, de leurs emmerdes…
Le jardin de Rose est un album plein de tendresse et d’humanité aux planches d’une belle douceur graphique, avec des couleurs directes réalisées à l’aquarelle. Chaudement recommandé !
Eric Guillaud
Le jardin de Rose, d’Hervé Duphot. Delcourt. 17,50€ (disponible en édition numérique)
Retour aux sources de l’héroic fantasy avec cette bande dessinée adaptée de l’oeuvre de Robert E. Howard et signée Stephane Girard, alias Gess, dessinateur notamment des huit premiers volets de Carmen Mc Callum ou de La Brigade chimérique…
S’il a eu une vie pour le moins courte, 30 ans, Robert E. Howard a eu le temps de marquer la littérature mondiale en mettant en place les bases de l’heroic fantasy à travers les aventures de Kull le Conquérant puis de Conan le Cimmérien, également connu sous le nom de Conan le Barbare.
Depuis 2018, les éditions Glénat proposent l’adaptation en bande dessinée de ces dernières, vingt et une histoires au total. Les Mangeurs d’hommes de Zamboula est le neuvième titre.
Après Jean-David Morvan, Luc Brunshwig, Olivier Vatine ou encore Sylvain Runberg, c’est au tour de Gess de s’y coller. Le dessinateur des premiers récits de Carmen Mc Callum, mais aussi de La Brigade chimérique, des Contes de la Pieuvre ou de L’oeil de la nuit, amateur devant l’éternel des univers fantastiques, signe ici une magnifique adaptation de l’une des nouvelles les plus caricaturales de la série, « calibrée pour plaire à son éditeur », nous explique Patrice Louinet en postface, après que l’auteur se soit vu refuser une nouvelle par la revue Weird Tales et qu’une précédente, Au-delà de la rivière noire, parut « sans tambour ni trompette, et surtout sans les honneurs de la couverture ».
Et tout ça pour une raison simple : ces deux récits plus expérimentaux que les autres, très sombres, ne mettaient pas en scène de jeunes femmes nues.
Avec Les Mangeurs d’hommes de Zamboula, Robert E. Howard se rattrape donc, mettant en scène sur quasiment toute la longueur du récit une jeune femmes nue que Conan sauve dès ale départ d’une fâcheuse posture. Elle le suivra dans toute cette aventure qui nous emmènera dans la mythique cité marchande de Zamboula et notamment dans la demeure d’Aram Baksh où Conan compte bien faire étape malgré les rumeurs persistantes de disparitions mystérieuses concernant tous les étrangers y séjournant.
Une belle adaptation avec la touche graphique reconnaissable entre toutes de Gess !
Eric Guillaud
Les Mangeurs d’hommes de Zamboula, Conan le Cimmérien, de Gess. Glénat. 14,95€ (disponible en édition numérique)
Boris Vian est né le 10 mars 1920. Avec cette histoire de coronavirus, on l’aurait presque oublié. Mais c’était sans compter sur la vigilance des maisons d’édition qui ont profité de cette anniversaire pour publier juste avant le confinement général trois livres, une biographie aux éditions Dupuis et deux adaptations de romans aux éditions Glénat…
Écrivain, poète, parolier, chanteur, critique musical, musicien de jazz,directeur artistique… Boris Vian a croqué la vie par tous les bons bouts et marqué d’une empreinte indélébile la culture française avant de mourir d’un accident cardiaque pendant la projection de l’adaptation cinématographique de son livre J’irai cracher sur vos tombes dans un cinéma de Paris. Il n’avait que 39 ans.
À l’occasion du centenaire de la naissance de Boris Vian, Glénat a souhaité nous offrir l’adaptation en BD des oeuvres de Vernon Sullivan alias Boris Vian, quatre romans qui firent scandale à l’époque, à commencer justement par J’irai cracher sur vos tombes, roman noir sulfureux se déroulant dans l’Amérique ségrégationniste. Les Morts ont tous la même peau est sorti dans le même temps, suivront Elles se rendent pas compte ainsi que Et on tuera tous les affreux. Aux commandes de l’adaptation, une belle équipe de dessinateurs réunis autour du scénariste Jean-David Morvan.
Les éditions Dupuis ont de leur côté opté pour la réédition en tirage limité à 2000 exemplaires d’une biographie de Boris Vian signée Hervé Bourhis au scénario et Christian Cailleaux au dessin originellement publiée en 2009. Piscine Molitor, c’est son nom, nous plonge de très belle manière dans la vie du personnage, depuis sa plus tendre jeunesse, déjà marquée par des problèmes cardiaques, jusqu’à sa mort prématurée.
Pourquoi Piscine Molitor ? Parce que Boris Vian se rendait régulièrement dans ce lieu emblématique du Paris des années 50, pour nager en apnée et combattre ses faiblesses cardiaques, une façon pour les auteurs de mettre l’homme à nu. L’album y commence et s’y achève. Entre les deux, une succession de flash-back qui nous emmène sur les traces de l’artiste dans le monde de l’après-guerre, un monde où se côtoient Jacques Prévert, Raymond Queneau, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir ou encore Juliette Gréco, un monde où l’on tentait d’imaginer un avenir qui swingue. Un très bel album au trait anguleux, épais et élégant, au scénario subtil.
Eric Guillaud
Piscine Molitor, de Cailleaux et Bourhis. Dupuis; 19,90€ / J’irai cracher sur vos tombes, de Morvan, Macutay, Ortiz et Scietronc. Glénat. 19,50€ / Les Morts ont tous la même peau, de Morvan, Erramouspe et Vargas. Glénat. 19,50€
Un tout nouveau Richard Corben est prévu pour l’automne prochain mais vous pouvez d’ores et déjà le précommander, soutenant au passage les éditeurs indépendants en cette période de pandémie.
On a déjà eu plusieurs fois l’occasion de vous dire tout le bien que l’on pense de la campagne de réhabilitation du dessinateur Richard Corben menée par la petite-mais-costaud boîte indépendante Delirium. Et ce, bien avant que ce grand artiste au style à la fois gothique et grotesque, passé maître dans l’art du macabre, ne soit récompensé par le festival de la BD d’Angoulême.
Aujourd’hui, après plusieurs rééditions savoureuses (dont Grave et Le Monde Mutant), Delirium propose pour la première fois un récit contemporain de ce grand Monsieur du neuvième art, en cours de parution aux États-Unis par épisode dans le magazine culte, Heavy Metal. Récit dont on ne sait que peu pour l’instant mais qui semble déjà porter toutes les marques de son style si particulier : un univers post-apocalyptique peuplé de sorciers et de cyclopes, une quête initiatique, des personnages (forcément) étranges et décalés…
Mis à mal comme tout le monde par la crise sanitaire actuelle (on parle là d’une petite boîte indépendante avant tout gérée par des passionnés) Delirium a décidé de passer par le financement participatif pour la première édition de Murky World. Et les premiers chiffres sont éloquents : en seulement 24h, près de 200 fans ont déjà contribué et l’objectif initial de 8,000€ a déjà largement plus que doublé !
Histoire de rester fidèle à ses idéaux, Delirium a donc d’ores et déjà prévu une meilleure rémunération des traducteurs, imprimeurs, coloristes et en premier lieu de l’artiste lui-même ainsi que des éditions finales plus luxueuses si la cagnotte continue de grimper comme ça. Et vu qu’il vous reste 49 jours…
D’après un sondage récent, une personne sur cinq croit que le Coronavirus est d’origine militaire. On vous laisse méditer là-dessus! Parc contre, si il y a une arme de destruction massive dont on connaît parfaitement l’origine, c’est bien la bombe atomique. Résultat de plusieurs années de travail sur le sujet, le roman graphique La bombe est une véritable somme sur la cascade d’événements qui a mené au tragique bombardement d’Hiroshima le 6 août 1945…
Au mois d’août prochain, cela fera donc soixante-quinze ans que la première bombe atomique, a réduit en cendres noires le centre d’Hiroshima et tué sur le coup 70 000 personnes. Un décompte macabre qui ne s‘arrête pas là vu que dans les semaines qui suivirent, autant mourront aussi, victimes des radiations. Un acte marquant l’entrée de l’humanité dans l’ère atomique.
La Bombe retrace les douze années qui ont précédées l’explosion et raconte comment un élément a priori anodin, l’uranium, utilisé jusqu’alors uniquement pour la radiographie médicale est devenu un enjeu du conflit mondial à venir.
L’originalité de ce gros pavé de près de 500 pages est de passer par le prisme de l’histoire chorale, mais avec comme personnage principal (entre guillemets) l’uranium lui-même. Soit le seul point commun entre toutes ces personnes vivant sur des continents différents à parfois des époques différentes, des plus importantes comme Robert Oppenheimer – le physicien américain qui a mené jusqu’au bout ce qui fut appelé le projet Manhattan – aux plus annexes en quelque sorte, comme ce modeste habitant d’Hiroshima littéralement soufflé par la déflagration et dont n’a subsisté que l’ombre, gravée sur le mur derrière lui par les radiations.
Ce qui frappe ici, c’est le souci d’exhaustivité. Les trois auteurs (deux scénaristes et un dessinateur) ont beaucoup creusé leur sujet, histoire d’en dévoiler toutes les ramifications, aussi bien scientifiques que politiques ou militaires.
On découvre par exemple qu’au tout début de cette course contre la montre, tous les pays ou presque avaient les mêmes cartes en main. Et que tout s’est joué sur la fuite d’un scientifique d’origine juive de l’Allemagne nazie pour les Etats-Unis. Où, avant même d’en entamer l’étude et la construction, tous se sont battus pour mettre la main sur les différents éléments nécessaires à son élaboration, comme la production d’eau lourde au Nord d’une Norvège envahie par les Nazis ou les mines d’uranium de la région du Katanga, au Congo Belge. On croise aussi, bien sûr, Einstein, Staline, Truman et tous les grands et petits acteurs de la construction de la première vraie arme de destruction massive.
Le choix du roman graphique plutôt que la BD traditionnelle disons est assez logique, tant la documentation très dense et les très nombreux dialogues nécessitaient absolument ce médium. Ce qui ne veut pas dire que le dessinateur Québécois se retrouve corseté pour autant. Serti par un noir et blanc très clair et classieux, Denis Rodier contrebalance la densité parfois un peu excessive des textes par des pleines pages épiques, et un sens du cadre très cinématographique.
Alors oui, le ton est très professoral par moment, trop engoncé par son souci pédagogique. LaBombe n’est pas un livre que l’on peut lire d’une traite. C’est plus une sorte de saga assez fascinante car sous la somme d’informations surnage très souvent le doute de ceux qui ont donné naissance à ce monstre. Comme le rappelle d’ailleurs la fameuse citation d’Oppenheimer, suite à un premier essai réussi dans le désert du Nouveau-Mexique : « je suis devenu la mort, le destructeur de mondes ».
Olivier BADIN
La Bombe de Denis Rodier, Laurent-Frédéric Bollée et Alcante. Glénat. 39€ (disponible en édition numérique)
Confinés mais pas résignés, nous allons continuer à parler BD ici-même avec des bouquins d’ores et déjà disponibles au format numérique et à retrouver en format physique dès que cet épisode de coronavirus au très mauvais scénario nous aura définitivement quitté…
Si vous cherchez du léger, histoire de vous évader un peu du quotidien pesant que nous connaissons tous actuellement, ce n’est peut être pas l’album idéal, je le conçois, mais il pourrait tout de même vous permettre de relativiser un tant soit peu notre situation de confinés.
Les Oiseaux ne se retournent pas est un récit fort, poétique et poignant. Sur plus de 200 pages, l’auteure Nadia Nakhlé raconte le parcours d’une enfant sur la route de l’exil. Amel, qui signifie espoir en arabe, a 12 ans. Elle est orpheline, jusque-là élevée par ses grands parents. Mais la guerre n’en finit pas de ravager son pays. Pour la protéger, lui offrir un avenir, ses grands parents décident de la confier à la famille Hudhad qui cherche à rejoindre la France.
Avec ses souvenirs pour seul bagage, Amel entame un long et périlleux périple en suivant les conseils de sa grand-mère : avancer quoi qu’il arrive, ne pas montrer ses peurs, éviter les passeurs et les militaires, ne donner sa confiance à personne, ne pas parler de sa maison, ni de religion, ne jamais révéler son identité.
Et surtout ne jamais se retourner. Comme les oiseaux ! Dans ce périple, Amel perd de vue la famille Hudhad mais rencontre Bacem, un militaire déserteur et joueur de oud. Ensemble, ils vont partager leurs rêves d’une vie meilleure et se soutenir.
Que se passe-t-il dans la tête d’un enfant qui fuit la guerre ? Le périple est aussi intérieur. Avec un trait sombre, des planches à l’esthétisme très travaillé, Nadia Nakhlé nous glisse dans la peau de cette gamine nous rappelant au passage qu’un quart des personnes exilées en Europe sont des mineurs isolés.
« Ce projet est né d’une révolte et d’un désir, celui de porter l’espoir des enfants de l’exil, de dénoncer la situation actuelle tout en donnant son entière place à la poésie. »
Publié dans la collection Mirages des éditions Delcourt, ce bijou esthétique et poétique s’inscrit dans un projet transversal. Les Oiseaux ne se retournent pas est aussi un spectacle, entre roman graphique et concert performé, associant projections animées, musique et création sonore immersive, un spectacle créé et présenté en janvier dernier à Nantes.
Eric Guillaud
Les Oiseaux ne se retournent pas, de Nadia Nakhlé. Delcourt. 25,50€ (disponible en édition numérique)
Buller c’est bien, c’est même un peu obligatoire en ce moment, mais buller intelligemment, c’est mieux ! Et pour ça, on vous a sélectionné dix bandes dessinées signées par des auteurs ligériens et disponibles en édition numérique. De quoi élargir son horizon en restant dans son canapé…