30 Sep

Dad a les nerfs à vif et le porte monnaie à sec

sVlvsvsS0KejC2pg1XjYGDKbBzULTdeC-couv-1200C’est la crise ! Les factures tombent comme les feuilles mortes en automne et il n’y a plus un sou dans la tirelire, mais vraiment plus un sou…

Dad doit prendre des mesures drastiques, réduire les dépenses, interdire les douches qui durent des plombes, rogner sur les forfaits téléphoniques des filles, rendre une petite visite de courtoisie à son banquier et trouver un vrai travail, enfin un travail quoi…

Toujours aussi pétillantes ces histoires de Dad, le plus grand papa poule de la bande dessinée francophone. Quatre filles et pas une mère en vue, Dad doit tout gérer seul alors forcément ce n’est pas facile tous les jours. Surtout quand les finances s’en mêlent et quand une ex décide de taper l’incruste…

Des histoires courtes pour rire tout simplement. Et c’est déjà énorme!

Eric Guillaud

Les Nerfs à vif, Dad (tome 3), de Nob. Editions Dupuis. 10,60 

28 Sep

Pas de retour en Ostalgie de Hagedorn et Fras ou comment une jeune enfant prend conscience de son homosexualité dans la Pologne communiste aux éditions Steinkis

9791090090712-PasDeRetourEnOstalgiePetite, elle dévorait les contes de fées et les romans au point de s’imaginer en Robinson Crusoé, vivant seule sur une île au milieu de l’océan. Mais dans la vraie vie, elle habitait Szczecin en Pologne, une ville sinistre, un immeuble sinistre à côté d’une église sinistre. Tout y était sinistre. Même les gens. Elle y passa 11 ans de sa vie, une enfance « catholique, patriarcale et polonocommuniste, donc dépressive, oppressive et répressive » confie-t-elle aujourd’hui dans ce roman graphique publié chez Steinkis…

Elle, c’est Wandzia, alias Wanda Hagedorn. Aujourd’hui, elle vit en Australie mais a passé toute sa jeunesse en Pologne dans un appartement partagé. D’un côté, une vieille femme allemande, de l’autre sa famille. Entre un père communiste jusqu’au bout de l’ennui et une mère bigote, le quotidien de Wanda n’avait rien de très sexy.

C’est avec sa grand-mère Helena, une femme pétillante, qu’elle s’ouvrit au monde, à la littérature d’abord, à l’amour ensuite.  « Comme la lecture, elle était pour moi un refuge et une force. Elle me donnait tout ce que j’essayais d’obtenir de maman : un enthousiasme absolu, un amour inconditionnel, de la tendresse et des encouragements ». Cette grand-mère connut une grande histoire d’amour avec une femme. Pour Wanda, ce ne fut certainement pas la seule. « Grand mère cachait son orientation sexuelle, plus complexe que ne le laissaient croire les apparences ».

Au fil des pages, Wanda nous ouvre sa boîte à secrets. Elle nous parle de cette grand-mère tant aimée qui mourut de la maladie d’Alzheimer, mais aussi de ses soeurs et de son père, un « pervers narcissique » colérique et violent avec qui elle eut des rapports plus que conflictuels jusqu’au bout. Elle évoque aussi son homosexualité naissante. Une homosexualité difficile à vivre on imagine dans ce contexte.

Malgré tout, malgré cette sinistrose ambiante, malgré son père, Wanda Hagedorn s’est réalisée. Bien sûr, il n’y aura aucun retour en Ostalgie pour elle, pas de regrets pour cette époque grise que le dessinateur, polonais lui-aussi, Jacek Fras, a parfaitement su restituer à travers les 220 pages de ce très beau roman graphique.

Eric Guillaud

Pas de retour en Ostalgie, de Wanda Hagedorn et Jacek Fras. Editions Steinkis. 20 €

27 Sep

Nuit noire sur Brest : Cuvillier, Galic et Kris nous racontent un épisode méconnu de la guerre d’Espagne sur le sol breton

790514_01 « L’ouvrage de Patrick Gourlay ferait un excellent scénario de film », écrivait Yannick Guérin, journaliste à Ouest France au moment de la sortie du livre Nuit franquiste sur Brest. En attendant un hypothétique film, Cuvillier, Galic et Kris en ont tiré une bande dessinée chez Futuropolis, un récit aussi rocambolesque que vrai. L’histoire d’un sous-marin républicain réfugié dans la rade de Brest…

C’est un événement quasiment oublié, effacé de la mémoire collective par les années noires de la deuxième guerre mondiale, enseveli sous les décombres de la ville bombardée sans relâche entre 1940 et 1944. Un événement qui resurgit aujourd’hui grâce aux recherches de l’historien Patrick Gourlay publiées dans le livre Nuit franquiste sur Brest, aujourd’hui adapté en bande dessinée par le trio Cuvillier – Galic – Kris.

Cet événement-là, cette histoire-là commence le 29 août 1937 lorsqu’un sous-marin républicain espagnol fait irruption dans la rade de Brest, poussé là par une avarie. En Espagne, la guerre civile oppose alors républicains et nationalistes dans un bain de sang épouvantable. En France, le Front populaire doit faire face aux attaques de l’extrême droite. Un contexte particulièrement sous tension, complexe, qui ne va pas laisser cet événement au rang de simple anecdote.

Ce sous-marin, l’un des six de l’armée républicaine, attise très rapidement la convoitise des Franquistes qui, eux, n’en possèdent pas. Un commando est chargé de s’emparer du navire avec l’appui de quelques fascistes locaux. La ville devient le terrain de jeu d’espions, de contre-espions, de femmes fatales, d’anarchistes, de communistes, de phalangistes. Une histoire pour le moins mouvementée mettant en scène de nombreux personnages dans un contexte brûlant, le tout racontée avec talent par notre trio picardo-breton. Un plongeon dans le Brest des années 30 avec la guerre pour seule horizon.

Eric Guillaud

Nuit noire sur Brest, de Cuvillier, Galic et Kris. Editions Futuropolis. 16 €

© Cuvillier, Galic et Kris

© Cuvillier, Galic et Kris

25 Sep

Théodore Poussin, bientôt le retour…

FullSizeRenderThéodore Poussin. Un nom pareil, ça ne s’oublie pas. il a beau avoir disparu des écrans radars pendant 10 ans, l’annonce de son retour n’a fait qu’un tour dans le monde de la bande dessinée. Il faudra juste patienter une petite année pour retrouver sa frimousse et ses aventures au long cours…

Un petite année, oui, pour tenir l’album entre nos mains ! Le dernier voyage de l’amok sera son nom, une treizième aventure annonciatrice – on l’espère – d’une longue série à venir.

Un an, c’est long, très long. Alors, histoire de nous faire patienter, les éditions Dupuis ont une belle idée, marketing certes, mais un belle idée quand même : offrir d’ici la rentrée 2017 l’album dans une version en noir et blanc, quatre cahiers pour autant de chapitres, accompagnés à chaque fois de recherches graphiques et d’un entretien avec l’auteur.

Du beau boulot, farouchement collector, au tirage limité à 2800 exemplaires. Le premier volet est sorti en mai, le deuxième en septembre. Deux autres sont programmés d’ici l’automne 2017.

Si vous êtes un fan inconditionnel de Théodore Poussin comme moi ou si vous rêvez de retrouver l’atmosphère des grandes aventures de Tintin ou de Corto Maltese, dont Théodore est la juste symbiose, alors jetez-vous sur ces cahiers. C’est beau, c’est grand, c’est original, c’est du génie pourait-on dire dans un élan d’enthousiasme contrôlé. Merci Frank Le Gall, merci Dupuis, de nous faire rêver à nouveau…

Eric Guillaud

Cahiers Théodore Poussin, de Frank Le Gall. Editions Dupuis. 13€

Martha & Alan, Emmanuel Guibert poursuit la mise en images des souvenirs d’Alan Ingram Cope à L’Association

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Qu’est ce qui fait qu’une vie mérite ou non d’être racontée ? Bonne question. Peut-être que toutes les vies le méritent finalement et que tout ou presque réside dans la façon de raconter.

En ce sens, la vie d’Alan Ingram Cope n’a rien de fondamentalement extraordinaire ou héroïque. Depuis seize ans pourtant, Emmanuel Guibert nous en livre régulièrement des épisodes avec une façon à lui qui rend l’ordinaire passionnant. Tout commence en 2000 avec le premier volet de La Guerre d’Alan. L’auteur pose en une centaine de pages, un peu moins peut-être, les bases de ce qui le fera connaître du grand public. Un trait sobre et épuré, une narration simple et efficace, une écriture aussi limpide que l’eau d’une rivière de montagne, un récit qui oscille entre la biographie et le documentaire. Cette signature-là se retrouvera dans tous les albums de la série mais aussi dans la trilogie Le Photographe, publiée entre 2003 et 2006.

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

La Guerre d’Alan raconte la guerre à travers le quotidien du GI californien Alan Ingram Cope, débarqué en France le 19 février 1945, précisément le jour de ses 20 ans, après des mois d’entrainement sur sa terre natale.

À la fin de la guerre, Alan Ingram Cope choisit de rester en France et se retire pour ses derniers jours sur l’île de Ré. C’est là, par le plus grand des hasards, que les chemins de l’ancien GI et de l’auteur de BD se croisent. Nous sommes en 1994. Emmanuel Guibert tombe sous le charme des talents de conteur du vieil homme. Entre les deux hommes se noue une solide amitié. « Alan pratique volontiers l’understatement… », confie l’auteur dans une interview pour lemonde.fr, «Il est quelqu’un qui « euphémise » ce qu’il raconte par une certaine douceur et une volonté de ne pas appuyer son propos. Faisant cela, il raconte souvent des anecdotes de très forte portée, d’une manière transparente, cristalline, fluide – anecdotes qui, du coup, peuvent passer le filtre d’une sensibilité qui s’arrêterait à la lettre de ce qui est dit. »

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

Pendant cinq ans, Emmanuel Guibert enregistre Alan parlant de sa vie, de la guerre, de ses parents, des ses amours, de choses futiles et de pensées essentielles. Des heures et des heures de conversation, jusqu’en 1999. Alan est emporté par un cancer.

De 2000 à 2008, Emmanuel Guibert nous raconte donc la vie du GI Alan Ingram Cope. Trois volumes en tout et une belle reconnaissance dans le milieu de la BD et au-delà. Mais l’auteur ne s’arrête pas là. « Dès le début… », explique-t-il en 2012 à Morgan Di Salvia pour le site ActuaBD, « j’ai su que je raconterais toute sa vie. L’effet d’optique, c’est que « La Guerre » est sortie en premier lieu. Je n’ai pas annoncé la couleur en disant qu’il y aurait d’autres choses après. Donc, la plupart des gens pensaient que je faisais un récit de guerre. À l’époque, je savais déjà qu’il y aurait L’Enfance et L’Adolescence« .

En 2012 sort la préquelle L’enfance d’Alan dans laquelle Emmanuel s’attache à retranscrire les souvenirs d’enfance de son ami. Il nous offre par la même occasion un fabuleux témoignage sur la vie quotidienne aux Etats-Unis avant-guerre.

© L'Association / Guilbert

© L’Association / Guilbert

Dans Martha et Alan enfin, l’auteur se penche sur la première histoire d’amour de son ami. Son prénom est Martha. Alan la rencontre à l’âge de 5 ans. Ensemble, ils partagent pendant quelques années des moments joyeux avant que les liens ne se distendent. La mère d’Alan décède. Son père se remarie avec une jeune femme de 20 ans qui entreprend d’éponger les dettes de son nouveau mari. Nous sommes au coeur de la Grande Dépression. Un moment très difficile pour Alan et sa famille. Juste avant de partir pour la guerre, le jeune homme revoit Martha, le temps d’apprendre qu’elle a attrapé la polio.

Avec un trait vaporeux comme les souvenirs et des dessins en double page sans cases, sans bulles, Emmanuel Guilbert nous embarque avec beaucoup de justesse, d’émotion et un brin de nostalgie dans cette nouvelle tranche de vie. Un véritable hommage à l’ami Alan en même temps qu’un fabuleux témoignage sur l’Amérique du XXe siècle !

Eric Guillaud

Martha et Alan, d’Emmanuel Guibert. Editions L’Association. 23 €

22 Sep

Bizu, Les Schtroumpfs, Boulouloum et Guiliguili : les intégrales font leur rentrée aux éditions Dupuis

1507-1Du classique certes mais du classique en intégrale. Ça change tout.

Savez-vous comment sont nés les Schtroumpfs ? Assez bêtement finalement, autour d’une table réunissant Pierre Culliford, alias Peyo, André Franquin et leurs épouses respectives. Un mot qui ne vient pas et Peyo lance le schtroumpf pour désigner une salière. Le repas se conclue en schtroumpferies diverses. Un an plus tard, Peyo glisse les premiers lutins bleus dans une histoire de Johan et Pirlouit, La Flûte à six trous, et publie en 1959 dans le journal Spirou la première aventure des Schtroumpfs sous la forme d’un livre miniature à confectionner soi-même, Les Schtroumpfs noirs. C’était parti pour une des plus belles aventures du Neuvième art.

A partir de 1973, Les Schtroumpfs sont absents des pages du magazine Spirou. Et lorsqu’ils réapparaissent enfin le 11 décembre 1975 dans un numéro spécial Schtroumpf, pas la moindre planche signée Peyo. Il faut dire que l’homme est très occupé par ailleurs. Un travail qui devait lui prendre 3 mois, pensait-il, et qui l’accapara plus de deux ans. Ce travail, c’est l’adaptation en dessin animé de La Flûte à six schtroumpfs.

Ce quatrième volume de l’intégrale consacrée aux lutins bleus revient bien évidemment sur cet épisode cinématographique dans un dossier signé Hugues Dayez et réunissant photos, témoignages, recherches graphiques diverses.

ogxdloP70T7gdA9vLY2SaiopWGp7NRA2-couv-1200C’est dans le journal Spirou que Mazel et Cauvin ont découvert les aventures de Tarzan. Au lendemain de la guerre, entre 1946 et 1949, avant que la censure contraigne l’éditeur à transférer le personnage de Burne Hogarth dans l’hebdomadaire Le Moustique. «Tarzan, c’était notre époque… », confie Raoul Cauvin, «un mec musclé, beau comme un dieu, qui n’arrêtait pas de se bagarrer et qui gagnait à la fin. Quand tu as dix ans, que tu es un petit garçon, tu t’identifies à ce genre de personnage. Forcément » . 

Fans de l’homme au slip léopard, les deux auteurs vont pourtant en prendre le contre-pied en proposant les aventures de Boulouloum et Guiliguili. Tout a commencé en fait avec deux pages dessinées par Mazel et intitulées Les aventures imbéciles de Darzan. « J’avais envie de varier les plaisirs… » , témoigne Mazel, « dessiner un Tarzan abruti, par exemple. J’ai préparé deux pages d’essai, intitulées Les aventures imbéciles de Darzan, et je suis passé chez Dupuis. Raoul (Cauvin, ndlr) était présent. Nous avons discuté de ma proposition. Il m’a suggéré de suivre une autre piste, d’accentuer la parodie, de prendre le bonhomme à contre-pied et mettre en scène un mini-Tarzan, accompagné d’un énorme gorille. L’idée m’a plu. Il ne restait plus qu’à finaliser ce qui n’était au départ qu’un simple projet d’histoire courte ». Ainsi n’acquirent les aventures de Boulouloum. 

Ce deuxième volume réunit les albums Rapt, Les Aventuriers de la préhistoire, Les Chevaliers de l’enfer, Le Péril Rouge, Les Epaves ressuscitées ainsi qu’un dossier revenant sur le contexte de création de chacun d’eux.

hgbBmnqLF3ahr3xqPJgRuEbOKgQK8KTf-couv-1200Une dernière intégrale pour la route, Bizu volume 2 réunit les deux premières aventures au long cours du lutin de Brocéliande, deux aventures publiées en 1986 chez Fleurus, Le Signe d’Ys et Le Fils de Fa Dièse, ainsi qu’un récit inachevé de 35 planches intitulé Le Grand désordre.

Ces histoires longues arrivent après 20 ans de récits plus ou moins courts publiés dans le journal Spirou de façon plutôt sporadique finalement puisque Jean-Claude Fournier, le créateur de Bizu, reçoit  la lourde charge d’animer les aventures de Spirou et Fantasio pendant 10 ans, de 1970 à 1980. Jusqu’à ce qu’il en soit écarté de façon peu charitable. Jean-Claude Fournier reprend alors les aventures de son personnage et publie les premiers albums chez Fleurus avant de retourner chez Dupuis pour quatre nouveaux titres entre 1990 et 1994. Poétiques, féériques et bretonnantes, les aventures de Bizu sont celles qui ressemblent le plus à leur auteur, nous précise Martin Zeller, auteur du dossier introduisant cette nouvelle intégrale.

Eric Guillaud

Le Schtroumfs, intégrale 4. 28€ / Boulouloum et Guiliguili, intégrale 2. 28€ / Bizu, intégrale 2. 12€

19 Sep

Délicieuse Daisy et Fantomiald : Glénat poursuit son travail de mémoire autour de Disney

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Mickey, Donald, Picsou, Riri, Fifi, Loulou, Pat Hibulaire, Daisy, Gontran ou encore Géo Trouvetou, depuis 2010, les éditions Glénat ont entrepris de publier toutes les aventures légendaire des personnages de Walt Disney. Et ça continue avec deux nouveaux recueils consacrés à Daisy et Fantomiald.

« J’ai appris à lire dans Le Journal de Mickey et c’est un rêve qui se réalise aujourd’hui d’être éditeur de Mickey et Donald en bandes dessinées. Je me suis aussitôt replongé dans mes collections de journaux anciens et je suis impatient de publier tous ces trésors du passé, du présent et de l’avenir… » déclarait Jacques Glénat en 2010 au moment du lancement de ce programme de parution ambitieux.

Six années et plusieurs dizaines d’ouvrages plus tard, voici deux nouveaux recueils, le troisième volet des aventures de Fantomiald, le célèbre justicier masqué, et Délicieuse Daisy, personnage considéré comme secondaire mais qui a quand même vécu plus de 10000 histoires, nous rappelle l’éditeur.

Comme toujours les albums sont soignés et mettent en valeur le travail des auteurs. Une nouvelle approche souhaitée par Jacques Glénat pour « faire un travail de mémoire, de qualité, et non seulement imprimer des planches ». Et de fait, chacun de ces albums nous fait découvrir des auteurs de talent qui ont longtemps travaillé dans l’ombre de Disney tels que Carl Barks ou Floyd Gottfredson. Intemporel !

Eric Guillaud

Fantomiald court toujours. Editions Glénat. 18,95 €

Délicieuse Daisy. Editions Glénat. 14,95 €

Confessions d’un enragé, le nouvel album de Nicolas Otero chez Glénat

9782344010655-LDans son malheur, Liam, 4 ans, a eu de la chance. Beaucoup de chance. L’animal qui l’a attaqué en cet été 1979 dans la médina de Rabat au Maroc est un chat et non un chien. Le chien n’aurait jamais lâché sa proie. Le chat l’a juste griffé sévèrement au visage. De belles cicatrices en perspective. Mais le plus grave n’est pas là. Le chat avait la rage.

Pour le petit garçon, la vie n’aura plus jamais le même parfum d’insouciance et de liberté. Fini de jouer et rejouer la coupe du monde dans la cour de la maison avec son frère et les copains. Direction la France pour recevoir des soins adaptés. Les années passent, les cauchemars succèdent aux cauchemars. Liam change. Il prend peur de tout, des gens, de la nuit, des voitures, de la mort. Il devient violent, très violent, et finit par se réfugier dans la drogue. On le croit perdu, c’est à ce moment précis qu’il croise l’amour…

Si Confessions d’un enragé commence comme un récit réaliste, voire autobiographique, il prend très vite une tournure fantastique. « Cet enfant de quatre ans qui se fait attaquer par un chat qui se révèle enragé, c’est moi… », nous confie Nicolas Otero dans une interview à découvrir en intégralité ici, « La mort, je l’ai frôlée de très près au Maroc, j’avais donc envie de raconter surtout une histoire de vie, un parcours initiatique ou comment trouver sa place quand on est différent ».

Et c’est bien là que réside l’intérêt du livre de Nicolas Otero, dans ce subtil mélange des genres qui permet à la fois d’aborder la maladie et ses conséquences sous un angle quasi-scientifique et de suivre le parcours d’un gamin marqué très jeune par le destin.

« Ce n’est pas courant de se faire attaquer par un animal enragé… », poursuit Nicolas Otero, « enfin il me semble! J’ai mis du temps à en parler, et à chaque fois que j’évoquais le sujet, on me renvoyait un sempiternel: Ha, d’accord, je comprends mieux alors… Pourtant, je n’avais pas l’impression d’avoir un comportement particulier, violent ou colérique. Mais c’est pourtant l’image et l’attitude que je transmettais, quasi contre mon gré, ou à l’insu de… »

Confession d’un enragé marque une grande première pour Nicolas Otero. C’est en effet la première fois qu’il signe à la fois le dessin ET le scénario. « J’ai tout écrit d’une traite en moins de dix jours, de façon quasi compulsive, en prenant un pied d’enfer !! Et le dessin a été aussi source d’intense plaisir, je m’étais tellement approprié le parcours de ce petit bonhomme… ». Violent, sombre, désespéré, effrayant, Confessions d’un enragé est aussi une ode à la vie. Après la nuit vient le jour…

Eric Guillaud

Confessions d’un enragé, de Nicolas Otero. Éditions Glénat. 25 €

L’interview de l’auteur ici

© Glénat / Otero

© Glénat / Otero

Confessions d’un enragé : interview express de Nicolas Otero

Nicolas Otero s’est déjà fait remarqué il y a déjà quelques années en signant le dessin de la série Amerikkka puis plus récemment en adaptant le livre d’Heloïse Guay de Bellissen, Le roman de Boddah. Il revient aujourd’hui avec Confession d’un enragé qui mélange récit autobiographique, initiatique et fantastique. Il nous explique ses choix, nous parle aussi un peu de sa vie, de lui, des chats…

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On le sent dans la précision du récit et notamment dans le détail des diagnostics médicaux, votre récit est en partie autobiographique. Jusqu’où ?

Nicolas Otero. Il est autobiographique dans la mesure où cet enfant de quatre ans qui se fait attaquer par un chat qui se révèle enragé, c’est moi. Il est autobiographique puisque les cauchemars récurrents qui ont suivi pendant le traitement antirabique et où un affreux matou enragé et écorché entraîne Liam au plus profond de son lit, je les ai faits toutes les nuits. Enfin, il est autobiographique puisque beaucoup des épreuves que traverse Liam tout au long de l’album sont inspirées plus ou moins directement de moments de mon existence.

© Glénat / Otero

© Glénat / Otero

Pourquoi avoir choisi finalement un angle fantastique ?

Nicolas Otero. Parce que justement je ne voulais pas d’une pure autobiographie, c’est bon pour les gens morts ou très vieux et j’ai encore beaucoup de choses à vivre et à raconter!! La mort, je l’ai frôlée de très près au Maroc, j’avais donc envie de raconter surtout une histoire de vie, un parcours initiatique ou comment trouver sa place quand on est différent.

© Glénat / Otero

© Glénat / Otero

En quoi pensez-vous que ce drame très jeune a changé votre vie ?

Nicolas Otero. Ce n’est pas courant de se faire attaquer par un animal enragé, enfin il me semble! J’ai mis du temps à en parler, et à chaque fois que j’évoquais le sujet, on me renvoyait un sempiternel : Ha, d’accord, je comprends mieux alors… Pourtant, je n’avais pas l’impression d’avoir un comportement particulier, violent ou colérique. Mais c’est pourtant l’image et l’attitude que je transmettais, quasi contre mon gré, ou à l’insu de… J’en ai forcément joué parfois, mais j’ai dû faire très tôt un travail sur moi-même, pour m’intégrer au mieux.

© Glénat / Otero

© Glénat / Otero

C’est votre premier album en qualité à la fois de scénariste et de dessinateur. Le dépucelage comme vous dites sur votre compte Facebook s’est bien passé ?

Nicolas Otero. Il s’est très bien passé, je portais cette histoire depuis toujours finalement. Et le fait d’avoir travaillé seul pour le bouquin sur Kurt Cobain m’a donné confiance en mes capacités narratives et le fait de pouvoir faire passer des émotions, des sensations. J’ai tout écrit d’une traite en moins de dix jours, de façon quasi compulsive, en prenant un pied d’enfer!! Et le dessin a été aussi source d’intense plaisir, je m’étais tellement approprié le parcours de ce petit bonhomme… Donc pour un dépucelage, oui, ce fut juste génial!!

© Glénat / Otero

© Glénat / Otero

Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec les chats ?

Nicolas Otero. Pendant longtemps, je ne pouvais croiser un matou sans changer de trottoir, je dois reconnaître que les félins étaient loin d’être mes amis, je terrorisais assez vite, c’était phobique, vraiment plus fort que moi. Et puis, il y’a quatre ans, mon chien est mort et les enfants ont eu énormément de chagrin, tout comme moi, et une cousine venait d’avoir une portée de petits chatons, vous imaginez la suite…
J’ai craqué et depuis un félin noir aux yeux jaunes vient régulièrement poser ses coussinets à côté des pages en cours.

Merci Nicolas

Interview réalisée le 16 septembre 2016 – Eric Guillaud

La chronique de l’album ici

Travail sur la couverture - Vérane Otero

Travail sur la couverture – Vérane Otero

14 Sep

La Déconfiture : le nouveau Rabaté chez Futuropolis

couv46613501Lorsqu’on commence à parler en matière de livre du « nouveau untel » ou du « dernier tartempion », c’est que le untel ou le tartempion en question n’est plus à présenter, qu’il fait partie des meubles en quelques sortes, de notre patrimoine culturel et des étagères de nombre de lecteurs. C’est le cas bien sûr de Pascal Rabaté. Et que vaut ce « nouveau Rabaté » qui a pour nom La Déconfiture ? C’est un petit bijou. Mais est-ce vraiment surprenant ?

Sans vouloir le vieillir prématurément, ça fait quand même des lustres que Pascal Rabaté illumine le Neuvième art de son talent de scénariste ET de dessinateur. Depuis le début des années 90 pour être précis, époque de la série Les Pieds dedans, une fable noire qui nous invite à la table d’une famille de Français moyens, vraiment très moyens.

Suivent Ex-Voto, Un ver dans le fruit… et Ibicus, un véritable chef d’oeuvre qui nous aide à changer de siècle, quatre albums publiés entre 1998 et 2001 et un Alph’Art du meilleur album pour le deuxième volet au festival d’Angoulême en 2000.

© Futuropolis / Rabaté

© Futuropolis / Rabaté

Plus rien ne peut arrêter Pascal Rabaté. 2003, c’est Bienvenue à Jobourg, 2006 La Marie en plastique mais aussi Les Petits ruisseaux qu’il adapte au cinéma en 2010 et lui ouvre les portes d’une carrière de réalisateur.

Les mauvaises langues peuvent dès lors l’imaginer perdu pour la BD mais non. Pas une année ne passe sans que nous ayons le droit à un « nouveau Rabaté ». Bien des choses, Le Petit rien tout neuf avec un ventre jaune, Crève Saucisse, Biscottes dans le vent… et puis La Déconfiture qui nous entraîne sur les routes de France en juin 1940.

une véritable transhumance, c’est la France des matelas

« Plus fort que l’été 36, toute la France sur les routes (…) une véritable transhumance, c’est la France des matelas », ironise son personnage principal, un simple bidasse au nom très agricole, Amédée Videgrain. Un bidasse plus témoin qu’acteur de cette débandade générale. Entre les trous d’obus et les cadavres de civils ou de militaires jonchant la route, Videgrain joue les panneaux indicateurs et les croque-morts en tentant de garder un certain détachement. L’individu reprend le dessus sur le collectif en fuite. Lui aussi pourrait fuir, déserter. Mais non, sa seule volonté est de retrouver son régiment. Mais où est donc passé le 11e régiment ? 

© Futuropolis / Rabaté

© Futuropolis / Rabaté

Ah elle est belle l’armée française ! Pendant que les Français sabotent les derniers chars encore en état de marche, les Allemands, eux, s’organisent un méchoui…

Regardez ça, y en a même qui se font dorer la pilule. Je m’en serais passé de ce tourisme de masse

Tourisme de masse ! C’est dans les dialogues, parfois dans les situations, que Pascal Rabaté parvient à glisser un trait d’humour, d’ironie, dans le contexte dramatique de la débâcle. Mais dans le fond, l’auteur pose à travers le destin de ce soldat inconnu un regard fait de compassion sur tous ceux qui ont vécu l’époque.

© Futuropolis / Rabaté

© Futuropolis / Rabaté

Taboue la débâcle ? On pouvait penser cet épisode peu glorieux enfoui au plus profond de la mémoire collective. Pourtant, et depuis les années 60, des films comme Week-end à Zuydcoote, Mais où est donc passé la 7e compagnie? et prochainement Dunkerque de Nolan, abordent cette période. Côté bande dessinée, rien d’aussi probant à ma connaissance si ce n’est quelques fictions telles que Comment faire fortune en juin 40 aux éditions Casterman ou Ciel de guerre chez Paquet qui prennent appui sur ce contexte.

Des dialogues savoureux, un trait réaliste épuré et raffiné, une narration formidablement fluide, des personnages qui nous ressemblent… Le « nouveau Rabaté » ne devrait pas déclencher d’exode mais au contraire une affluence record dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre.

Eric Guillaud

La Déconfiture (première partie), de Rabaté. Editions Futuropolis. 19 €