09 Fév

« Personne n’est condamné à souffrir en silence », rencontre avec Alix Garin, lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2025

Chaque année, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême met en lumière les talents du neuvième art, et le Prix du Public France Télévisions en est l’un des moments forts. Pour cette édition, le jury a récompensé Impénétrable d’Alix Garin, une œuvre intime et audacieuse qui brise les tabous autour du vaginisme…

© Eric Guillaud / Alix Garin recevant son Fauve Prix du Public France Télévisions sur la scène du théâtre d’Angoulême

Pour la sixième année consécutive, France Télévisions s’est associé au Festival International de la Bande Dessinée pour décerner le Prix du Public. Huit albums étaient en lice cette année, sélectionnés par un comité de journalistes et de spécialistes de la littérature de France Télévisions, et proposés à un jury public composé de neuf lecteurs et lectrices passionnés.

Après Chloé Wary, Léonie Bischoff, Léa Murawiec, Sole Otero, le jury a cette année souhaité remettre le prix à l’autrice belge Alix Garin pour son album Impénétrable paru au Lombard, un témoignage profondément intime, audacieux et sans tabous sur un trouble sexuel méconnu dont elle a souffert pendant des années : le vaginisme, qui rend tout rapport sexuel impossible et affecte la libido.

Pour les membres du jury de lecteurs, Impénétrable est une BD « émouvante, courageuse, lucide, sincère, elle porte sur le désir, sur le plaisir, mais c’est encore plus que ça, c’est aussi une recherche de sens dans la vie et dans le couple ».

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08 Fév

De Buck Danny à Chakipu, dix BD jeunesse à dévorer pendant les vacances d’hiver

Pirates, aviateurs, mousquetaires ou chats au charme sauvage, l’aventure est au bout de la page avec cette sélection de bandes dessinées récentes que nous vous avons concoctée avec passion. Dix albums, autant d’invitations à s’évader… sans bouger de son lit. Merci qui ?

1. Pirates en galère

Des fous, des voleurs, des assassins, des ivrognes, de misérables vermines. Voilà de quoi est constitué l’équipage du bateau pirate Carcoma, tous unis par un serment leur interdisant de reposer un pied sur terre : « Je suis né du sel, et au sel je retournerai ». Et plus vite qu’ils ne pensent car après avoir échoué lamentablement sur un caillou en pleine mer, une drôle de créature s’immisce à bord et perturbe leurs plans, si tant est qu’ils en aient eu un jour…

Dessinateur sur Danse avec moi aux éditions Jungle et sur Love Love Love aux éditions Dupuis, l’Espagnol Andrés Garrido se fait ici auteur complet autour d’une histoire alliant une aventure de piraterie et une bonne dose de fantastique. Le résultat graphiquement est plutôt intéressant, l’histoire ravira les amoureux du genre !

Carcoma, de Garrido. Dupuis. 27,95€

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05 Fév

Nouveauté 2025. Sibylline, un regard sensible sur la prostitution étudiante signé Sixtine Dano

inconnue jusqu’ici dans le monde de la bande dessinée, mais déjà reconnue dans les domaines de l’illustration et de l’animation, Sixtine Dano aborde pour son premier roman graphique un phénomène de société qui touche les plus précaires : la prostitution étudiante.

Même s’il n’existe pas vraiment d’étude sur le sujet au niveau national, on estime le nombre d’étudiants et d’étudiantes se prostituant en France à plusieurs dizaines de milliers. Un véritable fléau qui touche bien évidemment les plus précaires et serait aujourd’hui facilité, comme l’expliquait Libération dans un article paru en novembre 2024, par l’explosion des plateformes prostituantes.

C’est justement par l’intermédiaire d’une de ces plateformes que Raphaëlle, l’héroïne de Sixtine Dano, met un pied – et pas seulement – dans le monde de la prostitution. Tout juste débarquée à Paris pour des études en Archi, la jeune femme prend rapidement conscience du cout élevé de la vie. Est-ce la promesse d’un peu d’argent ou bien la curiosité, Raphaëlle finit par accepter de rencontrer un homme beaucoup plus âgé qu’elle.

Sur la plateforme, elle se fait appeler Sibylline et ne cache pas ses prétentions :

« Étudiante, j’aime l’art, je suis ouverte, naturelle et curieuse. Je cherche à financer mes études tout en m’amusant »

C’est dit ! Mais pas si facile à faire. Raphaëlle enchaîne les cours, les nuits blanches à peaufiner ses maquettes ou à faire la fête avec son amie Leïla, le tout entrecoupé d’aventures amoureuses et de passes d’un soir…

Librement inspiré de témoignages recueillis par l’autrice, notamment auprès de jeunes femmes ayant débuté dans le sexe tarifé dès l’âge de 15 ou 17 ans, Sibylline évite toute caricature pour livrer un récit subtil, sensible et empreint de bienveillance. Sans jugement, mais avec acuité, l’album met en lumière le poids du patriarcat dans notre société et surtout la précarité qui pousse certains étudiants et étudiantes, parfois encore mineurs, vers la prostitution. Si celle-ci est légale en France, rappelle Sixtine Dano en postface, le cas des mineurs est une exception : leur prostitution est interdite, et les clients encourent des amendes de plusieurs milliers d’euros ainsi que des peines de prison.

Subtil dans le propos, subtil dans le trait, Sibylline est une petite douceur graphique réalisée à l’encre et au fusain. Un premier album qui en appelle d’autres !

Eric Guillaud

Sibylline, Chroniques d’une escort girl, de Sixtine Dano Glénat. 22,50€

© Glénat / Dano

02 Fév

Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2025: le palmarès complet en un clic

La 52e édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême s’achève ce dimanche après quatre jours de découvertes, de rencontres, de discussions, de contestations aussi et une ribambelle de prix dont voici le détail…

Le comité de sélection et le jury public France Télévisions 2025 © Katia Martin-Gilis

 

Avant toute chose, le Grand Prix d’Angoulême a été attribué cette année à Anouk Ricard

 

Compétition officielle

 

Fauve d’honneur – John Romita Jr

Prix Konishi de la traduction de manga japonais en français

Yohan Leclerc pour la traduction de Les Saisons D’Ohgishima de Kan TAKAHAMA (Glénat)

Prix René Gosciny en faveur de la promotion des scénaristes de bande dessinée

Meilleur scénariste : Serge Lesman pour Les Navigateurs, Dessin de Stéphane DE CANEVA (Delcourt)

Jeune scénariste : Elizabeth Holleville pour Les Contes de la Mansarde, dessin d’Iris POUY (L’employé du moi)

Fauve jeunesse :

Retour à Tomioka, de Michaël Crouzet, Laurent Galandon, Clara Patiño Bueno, Andrès Garrido Martin (Jungle)

Fauve de la bande dessinée alternative :

Fanatic Female Frustration et Hairspray Magazine

Fauve polar SNCF Voyageurs : 

Revoir Comanche, de Romain Renard (Le Lombard)

Eco-Fauve Raja : 

Vert de Rage, Les enfants du plomb, Martin Boudet & Sébastien Piquet (Michel Lafon)

Fauve Prix du Public France Télévisions : 

Impénétrable d’Alix Garin. Le Lombard

Alix Garin, Fauve d’Angoulême Prix du Public France Télévisions  © Eric Guillaud

Fauve des Lycéens :

Les Contes de la Mansarde, d’Iris Pouy et Elizabeth Holleville (L’employé du moi)

Fauve Patrimoine : 

Come over Come over de Lynda Barry, traduction de Fanny Soubiran (Éditions çà et là)

Fauve Révélation :

Ballades, de Camille Potte (Atrabile)

Fauve de la série : 

Dementia 21 – Vol.2  de Shintaro Kago, Traduction de Baptiste Neveux (Huber Éditions)

Fauve spécial du Jury : 

En territoire ennemi, de Carole Lobel (L’Association)

et

Les Météores, Histoires de ceux qui ne font que passer, de Redolfi et Deveney (Delcourt)

Fauve d’or Meilleur album : 

Deux Filles nues, de Luz (Albin Michel)

 

Prix découvertes 2025

 

Prix des écoles d’Angoulême 2025 :

Léonarde T1 – La barbe du Houéran de Anne-Catherine Ott et Isabelle Bauthian (Drakoo)

Prix des collèges 2025 :

Mardival de Yann Cozic (Glénat)

Prix des lycées 2025 :

Bobigny 72 de Carole Maurel et Marie Bardiaux-Vaïente (Glénat)

 

Concours de la BD scolaire

 

Prix d’Angoulême de la BD scolaire – Prix d’Angoulême
Sur le fil, Emma LARGE

Prix d’Angoulême de la BD scolaire – Prix Coup de cœur MGEN
La chambre hantée, Louise STEPHANT

Prix d’Angoulême de la BD scolaire – Prix Espoir
Vie de chat, Levan TCHKOTOUA

Prix d’Angoulême de la BD scolaire – Prix du scénario
Surpoids, Melchior SOLEILHAC

Prix d’Angoulême de la BD scolaire – Prix du graphisme
Le joueur de flûte, Oskar SHRECK

 

Prix jeunes talents 

 

Lise RÉMON, Endorphines

Sophia BAIDOURI, Non chef

Matthieu DINA, Des nuages à la terre

 

Prix Jeunes talents Région Nouvelle Aquitaine 

 

Chloé RAVENEL, Pré carré

 

Prix Hippocampe 

 

Hippocampe Or Individuel enfant
Lauréat Or Individuel enfant
Notre vie de gourmandise au Fast-food
Joyce GOIMIER

Hippocampe Or Individuel adolescent
Lauréat Or Individuel adolescent
Le Tour du Monde
Sarah JAOUEN

Hippocampe Or Individuel adulte
Lauréat Or Individuel adulte
Reinette et Gourmandine
Alex BOROWIEC

Hippocampe Or Collectif enfants
Lauréats Or collectif enfants
Albert Lingot
Lydia, Enzo, Ethan, Giovanni et Djoulian

Hippocampe Or Collectif adolescents
Lauréats Or collectif adolescents
La gourmandise est un vilain défaut
Alexandre, Hugo et Théo

Hippocampe Or Collectif adultes
Lauréats Or collectif adultes
Cuisines et dépendance
Bernard, Charlotte, Christelle, Christine, Elodie, Jean-Marc
et Noémie

Prix Fred Coulaud

 

Gourmandise de velours, Arthur COULON

 

Prix Europe

 

Cupcake Time, Inès SÁNCHEZ ROYANT

30 Jan

Le PTSD de Guillaume Singelin ressort dans une édition anniversaire au format réduit

Il a rencontré un beau petit succès et raflé pas mal de prix en 2023 et 2024 avec son album Frontier sorti aux éditions Rue de Sèvres, Guillaume Singelin est de retour en 2025 avec une réédition de PTSD initialement sorti en 2019 chez Ankama…

On n’a pas tous les jours 20 ans, les éditions Ankama ont en tout cas décidé de marquer le coup avec la réédition de dix titres en petit format et à prix réduit. Parmi eux, on retrouve PTSD du talentueux Guillaume Singelin, celui-là même qui a signé en 2023 l’un des plus beaux récits SF de l’année, Frontier, largement plébiscité par le public et récompensé par le milieu de la bande dessinée.

Alors oui, le format réduit pourra en frustrer certains tant les planches de Singelin regorgent de détails et méritent une meilleure exposition mais à 11 euros, soit pratiquement la moitié du prix de l’édition originale, cette version offre une belle occasion à ceux qui ont aimé Frontier d’explorer un peu plus l’univers de l’auteur.

Et L’histoire ? PTSD signifie Post Traumatic Stress Disorder ou stress post-traumatique dans la langue d’Obélix. Bandeau noir sur l’oeil droit, cheveux roses, la protagoniste principale du récit, Jun, en est atteinte depuis son retour de la guerre et tente de survivre tant bien que mal dans un monde hyper-violent où les anciens combattants ne sont pas franchement les bienvenus. Pourtant, malgré la brutalité ambiante, il subsiste encore quelques éclats d’humanité…

Eric Guillaud 

P.T.S.D., de Guillaume Singelin. Ankama. 11€

© Ankama / Singelin

Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2025 : 10 bonnes raisons d’y aller

C’est LE rendez-vous de la bande dessinée en France et plus largement en Europe, un festival unique en son genre qui se tient cette année du 30 janvier au 2 février et où se côtoient des dizaines de milliers de passionnés et de professionnels. Dédicaces, expos, concerts de dessins, rencontres, conférences, projections… le programme est gargantuesque. Que faire ? Que voir ? Comme chaque année, on vous donne quelques bonnes raisons d’y aller faire un tour. Mais il y en a beaucoup d’autres…

© Eric Guillaud / Le stand Dupuis Angoulême 2023

 1 – La ville d’Angoulême et le farci charentais

On ne le répétera jamais assez, le cadre d’une manifestation comme celle-ci est important. La ville d’Angoulême s’y prête bien, ni trop grande, ni trop petite, de vastes places pour dresser chaque année les fameuses bulles du festival, mais aussi des petites placettes qui ont conservé le charme d’antan, des restos sympas pour se restaurer, une vieille ville avec des ruelles tortueuses, une gare, des hôtels… et une atmosphère paisible, du moins en temps normal. Parce que, bien sûr au moment du festival, ça se bouscule un peu beaucoup énormément. Reste que la ville est belle, levez les yeux, admirez l’architecture, profitez-en pour visiter les monuments et manger du melon charentais. Bon ok, ce n’est pas vraiment la saison. Par contre, le farci charentais… Peut-être une piste pour un partenariat futur !

2. Une ville entièrement dédiée au neuvième art

Casterman, Glénat, Delcourt, Les Requins Marteaux, L’Employé du Moi, Dupuis, çà et là, Futuropolis, Artrabile, Cornélius, Rouquemoute, Ici Même… les plus grands éditeurs, les plus petits aussi, seront présents pour accueillir le public sur des stands répartis sur plusieurs espaces, Le Monde des Bulles au Champ de Mars pour les éditeurs plutôt mainstream, Le Nouveau monde près de l’Hôtel de ville pour les indépendants, Manga City près de la gare pour les mangas, la Place du 9ᵉ Art près des Halles pour la para-BD.

Stands d’éditeurs, expositions, musée de la BD, animations… C’est toute la ville qui est aux couleurs de la BD. Pour vous y retrouver, munissez-vous d’un plan disponible à l’accueil du festival ou sur son site internet ou en pdf ici : 2025-plan-programme

3. Un espace dédié au manga

Une bande dessinée sur deux vendues en France est un manga. Impossible donc de passer à côté de l’espace qui lui est consacré du côté de la gare. Manga City réunit l’ensemble des éditeurs de mangas dans un décor japonisant et dispose de sa propre scène accueillant projections et rencontres.

© Eric Guillaud / L’entrée de l’espace Mangas Angoulême 2023

4. Du soleil venu d’Espagne

Les habitués le savent, Angoulême à la fin du mois de janvier, ce n’est pas chaud chaud ni même sec sec. Mais, cette année, un peu de soleil et de chaleur pourraient bien nous venir d’Espagne, le pays est en effet l’invité d’honneur du festival. Une centaine d’auteurs devrait traverser les Pyrénées pour venir nous prouver, si besoin est encore, la bonne dynamique de la bande dessinée espagnole. Au programme : des expositions, des rencontres, un pavillon dédié en centre-ville…

5. Des héros en pagaille et même un super-héros…

Et pas des moindres puisqu’il s’agit de Superman, LE super-héros par excellence, imaginé par Jerry Siegel et Joe Shuster en 1938, devenu depuis bien longtemps maintenant une icône culturelle mondiale ou presque, est l’objet d’une exposition qui reviendra sur les différentes étapes de son existence. (Vaisseau Moebius)

6. Huit expositions officielles

Au-delà de celle consacrée à Superman, le festival propose comme chaque année une dizaine d’expositions officielles affirmant le caractère international de l’événement avec notamment une immersion dans l’univers du Japonais Makoto Yukimura et de sa série culte, Vinland Saga (Alpha Médiathèque), ou dans celui de la Britannique Posy Simmonds (Musée de la Ville d’Angoulême) ou encore dans celui de la Française Julie Birmant, Prix Goscinny 2024 pour son album Dali paru chez Dargaud. Toutes les expos ici

© Eric Guillaud – Stand Le Lombard 2024

7. Des dédicaces mais aussi…

Le FIBD, c’est aussi un concours de la BD scolaire réputé, une vente aux enchères de planches et d’illustrations originales, des rencontres, des masterclass, des tables rondes, des conférences qui donnent la parole aux auteurs, aux éditeurs, aux spécialistes, une soirée électro le 31 janvier, des concerts dessinés…

8. Une compétition officielle

Le palmarès officiel du Festival international de la bande dessinée récompense des livres publiés en langue française, quel que soit leur pays d’origine, et diffusés dans les librairies des pays francophones entre début décembre et fin novembre de l’année suivante. 

Les lauréats des Fauves d’Angoulême composant le palmarès officiel du Festival sont dévoilés sur la scène du Théâtre d’Angoulême lors de la cérémonie des Fauves, samedi 1ᵉʳ février à 19 h. Soirée très très très attendue et courue par le tout neuvième art, il est bien évidemment très difficile de décrocher une place. Mais qui sait ? 

9. France Télévisions aime la BD

Pour la sixième année consécutive, France Télévisions décernera le Fauve d’Angoulême – Prix du public. Huit albums ont été présélectionnés par un comité de journalistes et de spécialistes de la littérature de France Télévisions, le lauréat sera choisi par un jury de neuf lecteurs samedi 1ᵉʳ février…

Dans la sélection cette année, huit petites pépites qui reflètent la richesse du 9ᵉ art…

Pour en savoir plus sur la sélection, c’est ici

10. Du In et du Off

Dans la lignée du Spin Off, le Future Off est le pendant underground du festival d’Angoulême. Il réunit la microédition et l’autoédition, un véritable laboratoire de recherche tous azimuts… Ici, les auteurs peuvent expérimenter en toute liberté et chercher à décloisonner la bande dessinée, à en repousser les limites en la confrontant aux techniques, aux nouvelles technologies et aux autres expressions artistiques. Le Off a sa propre programmation, un salon aux Ateliers Magelis, des expos, des concerts…. Toutes les infos ici

Plus d’infos sur le festival ici

29 Jan

Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême : douze mois, douze BD, coup de rétro sur l’année 2024

C’est parti pour la ruée des amoureux du neuvième art vers Angoulême où se tient la 52e édition du Festival International de la Bande Dessinée du 30 janvier au 2 février. Histoire de se mettre en jambes, nous vous proposons une sélection de douze albums essentiels, douze coups de cœur publiés au fil de l’année 2024…

JANVIER / Les Derniers jours de Robert Johnson, de Frantz Duchazeau. Sarbacane. 26€

Frantz Duchazeau a déjà chanté le blues avec Le Rêve de Meteor Slimparu en 2008 aux éditions Sarbacane, il récidive avec Les Derniers jours de Robert Johnson, une autre histoire, un autre destin de musicien, aussi dramatique que bouleversant dans l’Amérique des années 30…

Avec Le Rêve de Meteor Slim, l’auteur Frantz Duchazeau abordait pour la première fois l’univers des musiques populaires américaines, en l’occurrence le blues, à travers le destin tragique d’Edward Ray Cochran alias Meteor Slim. À ce personnage de fiction, l’auteur faisait croiser la route d’un autre bluesman, bien réel cette fois, Robert Jonhson. 

Quinze ans plus tard, toujours aux éditions Sarbacane, Frantz Duchazeau nous entraîne dans les pas et les notes de ce fameux Robert Johnson, une vie là aussi marquée par la passion, la discrimination et l’alcoolisme, dans l’Amérique de la grande dépression.

Frantz Duchazeau, un passionné de blues ? Il l’est devenu avec le temps mais reconnaît qu’il n’y connaissait rien avant l’écriture du Rêve de Meteor Slim comme il le confiait à nos confrères d’ActuaBD en 2011.

Sweet Home Chicago, Travelling Riverside Blues, Love in Vain, Malted Milk, Come on in My Kitchen… Autant de standards du blues repris au fil du temps par les plus grands groupes de rock, de Led Zeppelin aux Rolling Stones, en passant par les Blues Brothers, des standards qui résonnent à la lecture de cet incroyable album dont la couverture bleue est à elle-seul un hommage au genre.

Avec ce trait charbonneux qu’on lui connait maintenant et qui colle parfaitement au contexte, Frantz Duchazeau nous raconte l’histoire d’une pure légende du blues, ses derniers jours mais aussi, par une succession de flashbacks, sa jeunesse, son apprentissage de la guitare, son errance sur les routes à la recherche de cachets, d’auditions et de gloire. C’est aussi une peinture de l’Amérique ségrégationniste des années 20 et 30 avec son lot de violences et de massacres contre la population noire. C’est enfin le récit universel d’un homme qui cherche à dépasser son destin, échapper à sa condition, par son art. L’année 2024 commence à merveille !

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FÉVRIER / Le combat d’Henry Fleming, de Steve Cuzor. Dupuis. 26€

Après la guerre d’indépendance des États-Unis et la Seconde Guerre mondiale, Steve Cuzor nous entraîne sur un autre champ de bataille, celui de la guerre de Sécession, avec l’adaptation d’un grand classique de la littérature de guerre américaine, The Red badge of courage de Stephen Crane…

L’auteur nous avait déjà bluffés avec Cinq Branches de coton noir sorti il y a maintenant cinq ans et réalisé avec Yves Sente au scénario, il récidive seul cette fois avec ce western d’un nouveau genre, un récit qui met en lumière les pensées du protagoniste et nous interroge au plus profond de nous même. En cela, Le Combat d’Henry Fleming est un récit universel mais aussi un éclairage différent sur une guerre que l’on connaît finalement assez peu et qui a laissé une plaie ouverte dans la société américaine.

Graphiquement, on retrouve avec un immense plaisir le trait réaliste et dynamique de l’auteur associé à un découpage fluide et à une mise en couleurs minimaliste en monochromie, déjà expérimentée dans Cinq branches de coton noir, de quoi juste faire ressortir le magnifique travail d’encrage réalisé par l’auteur.

À l’instar de son album précédent, Le combat d’Henry Fleming existe en trois versions, une classique à 26€, une édition spéciale au tirage limité à 1499 exemplaires avec frontispice inédit imprimé sur papier d’art numéroté et signé à 39€, et une édition de luxe en noir et blanc au tirage limité à 1515 exemplaires à 45€. Dans tous les cas, un album indispensable !

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MARS / La Vengeance, de David Wautier. Anspach. 19,50€

Si la vengeance est un thème récurrent dans le western, il s’accommode formidablement à toutes les sauces, comme ici à travers le prisme de la famille. Avec cette question : le désir de vengeance, aussi naturel soit-il, peut-il être plus fort que tout, plus fort que l’amour de ses enfants ?

Ah mais oui, un bon petit western de derrière les fagots ! En voilà une bonne idée. Non pas que le genre se fasse rare en bande dessinée, bien au contraire, il a toujours été et est encore aujourd’hui plébiscité par nombre d’auteurs et de lecteurs, mais il permet finalement d’aborder pas mal de thématiques contemporaines, comme l’écologie, les droits de la femme ou encore les droits des opprimés, le tout sous couvert d’une fiction et d’action.

Alors oui, la thématique de la vengeance est récurrente, dans le western et ailleurs, mais elle permet ici à l’auteur d’en détailler le mécanisme dans un pays et à une époque où la loi se faisait à coup de colt calibre 36 et non de 49.3.

Qui dit récurrent dit rabattu ! Oui, en cela, on peut dire que l’album de David Wautier n’a pas grand-chose d’original. À ceci près que le vengeur de service, un certain Richard Hatton, désireux de voir mourir les « ordures » qui ont tué sa femme, a embarqué dans l’aventure ses enfants, Anna et Tom, qui n’aspirent dans leur cas qu’à une chose, rentrer chez eux et retrouver ce père qu’ils aimaient tant…

Un autre grand classique dans les westerns est bien évidemment la nature ! Avec un style graphique qu’il a développé sur des carnets de voyage, vif et proche du croquis, relevé d’une touche d’aquarelle, David Wautier nous offre une sacrée chevauchée entre montagnes enneigées et déserts rocailleux. Et rien que pour ça, ça vaut le détour !

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AVRIL / Journal d’une bataille, de Cyril Pedrosa. Dupuis. 45€

Les Equinoxes, Portugal, L’Âge d’or… Cyril Pédrosa nous illumine de son talent depuis 25 ans maintenant, d’abord comme dessinateur et coloriste, puis comme auteur complet, cherchant à chaque fois à nous surprendre à travers une exploration narrative et graphique incessante. Il nous revient ici avec un ouvrage qui relève plus du livre d’art que de la bande dessinée. Comme son titre le sous-entend, Journal d’une bataille est un journal intime mais aussi le résultat d’une expérience artistique menée entre juin 2022 et décembre 2023.

Durant 18 mois, l’auteur a accepté de quitter sa zone de confort, si tant est qu’il en ait eu une, pour se jeter dans le vide, coucher sur des grands rouleaux de papier blanc des dessins improvisés illustrant une bataille intérieure et dialoguant avec des textes. Le résultat a donné lieu à une exposition à Saint-Gatien du 26 avril au 29 juin et à ce livre paru aux éditions Dupuis. Un voyage au pays des émotions.

La chronique compète ici

MAI / L’Être nécessaire, Habemus Bastard (tome 1), de Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann. Dargaud. 19,99€ 

Lucien n’a pas vraiment la foi, ne connaît pas un mot de latin, n’a jamais dit la messe et pense que la religion est un business comme un autre. Alors pourquoi se retrouve-t-il parachuté à la tête d’une église dans le Jura ? Certainement pas pour sauver les âmes…

Il faut bien le reconnaître, pour aller à Saint-Claude de son libre arbitre, il faut soit être collectionneur de pipes, soit avoir une foi à toutes épreuves. Pour Lucien qui vient tout juste de poser les pieds sur le quai de la gare sous une pluie battante, la raison est tout autre. Car même s’il porte une soutane et se fait appeler Père-Philippe, notre homme espère surtout se trouver une planque pour quelque temps…

Et quoi de mieux qu’une église pour cela ? La paroisse de Notre-Dame-de-L’Assomption a justement besoin d’un curé. Et tant pis s’il n’a jamais officié de sa vie, tant pis si sa religion à lui est celle du flingue, tant pis s’il n’a pas fait vœu de pauvreté et encore moins de chasteté. Se faire oublier tout en profitant de quelques avantages en nature, voilà son programme, son sacerdoce…

Sylvain Vallée nous avait bluffé avec Tananarive paru en 2021 sur un scénario de Mark Eacersall (Glénat), il récidive ici avec l’adaptation de cette histoire inédite du romancier Jacky Schwartzmann, un polar en deux tomes qui a tout de la comédie ou l’inverse. Le scénario, est un modèle du genre, les dialogues sont percutants, le décor urbain (Saint-Claude) inhabituel en BD, le graphisme semi-réaliste époustouflant, les couleurs d’Elvire de Cock remarquables, et notre personnage de Lucien qui porte aussi bien la soutane que des tee-shirts du Hellfest et de Black Sabbath est absolument diabolique.

Bref, on se laisse totalement embarquer dans cette histoire qui rappellera à certains la série Soda lancée par Philippe Tome et Luc Warnant il y a une quarantaine d’années maintenant. Sauf que le costume de curé cachait un flic et non un truand comme ici.

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JUIN / Hey Djo!, de Marzena Sowa et Geoffrey Delinte. Gallimard. 22€

Hey Djo!, un titre qui vous met immédiatement en tête pour au moins le temps de la lecture le standard rock repris par Jimi Hendrix, les Byrds ou encore Johnny Hallyday. Mais rien à voir, Marzena Sowa, autrice par ailleurs de la très belle série Marzi, et Geoffrey Delinte racontent ici l’histoire d’un petit garçon, Djo, et de son père dont le métier de routier l’amène à être souvent absent du foyer. Ils ne se connaissent pas, ou mal, jusqu’au jour où ils sont amenés à partager la cabine du camion.

Djo découvre alors la vie de routier – et nous aussi par la même occasion – avec les moments de solitude, les rencontres sur le bord de la route, la légendaire solidarité entre gens du métier, le sentiment de liberté, mais aussi la peur des braqueurs de camions. Djo! est un album pétri d’humanité et d’humour autour d’un métier rarement représenté dans la bande dessinée contemporaine, c’est aussi un récit intimiste à portée universelle qui explore les relations père-fils. Magnifique !

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JUILLET / Et travailler et vivre, Les Reflets du monde, de Fabien Toulmé. Delcourt. 25,95€

Quelle est la place du travail aujourd’hui dans notre vie ? Partant de cette interrogation que chacun de nous s’est légitimement posée un jour ou l’autre, Fabien Toulmé attrape son sac à dos, enfile ses baskets et repend la direction de l’aéroport le plus proche pour un nouveau voyage, cette fois au cœur du monde du travail. Avec au menu trois étapes, les États-Unis, la Corée du Sud et les Comores, trois pays, trois cultures, trois approches différentes du travail et à l’arrivée un reportage passionnant qui entend dépasser l’approche strictement didactique grâce au recueil de témoignages de gens ordinaires et à l’éclairage d’une sociologue spécialiste du travail, Dominique Méda.

Entre la grande démission américaine, quarante millions de travailleurs auraient tout plaqué pour vivre une nouvelle vie depuis 2020, le surtravail coréen qui tue régulièrement, et une expérimentation comorienne qui tente de faire coexister l’environnement, l’humain et la rentabilité, Fabien Toulmé nous propose une belle base de réflexion sur le monde du travail et la valeur que nous lui accordons. Avec Ce n’est pas toi que j’attendais, L’Odyssée d’Hakimou encore En lutte, Fabien Toulmé s’installe doucement mais surement comme l’un des auteurs majeurs de ces dernières années avec des thèmes forts, un désir renouvelé de raconter l’humain et toujours avec ce graphisme singulier qu’il rapproche lui-même du synthétisme.

La chronique complète ici

AOÛT / Walicho, de Sole Otero. ça et là. 28€

Lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2023 pour l’album Naphtaline, une épopée familiale au ton et à l’esthétisme résolument modernes, l’autrice argentine Sole Otero est de retour avec Walicho, diable ou Satan en espagnol, une œuvre inattendue et singulière composée de neuf histoires situées à des périodes différentes, depuis l’époque de la colonisation de l’Argentine jusqu’à nos jours, mais se déroulant toujours au même endroit, Buenos Aires, et en la présence, parfois latente, de trois mystérieux personnages, trois sœurs dotées de pouvoirs magiques qui traversent les siècles sans prendre de rides…

Graphisme, narration, mise en page, couleurs… chacune de ces histoires est l’occasion pour Sole Otero d’explorer avec talent et audace les possibilités du medium bande dessinée, d’offrir des instantanés de l’histoire de l’Argentine mâtinés de sorcellerie et de glisser des thématiques contemporaines notamment autour de la condition féminine, dénonçant ici les violences faites aux femmes et leur diabolisation, encourageant là leur émancipation au sein du couple et la lutte pour disposer librement de leur corps. Une œuvre dense aux ambiances sombres et mystérieuses qui révèle plus que jamais une autrice talentueuse. L’album vient d’ailleurs de remporter le prix Prima Bula décerné par le festival Formula Bula à Paris !

La chronique complète ici

SEPTEMBRE / L’Héritage fossile, de Philippe Valette. Delcourt. 34,95€

Changement radical de style et changement non moins radical de genre, après l’humour un brin déjanté et cartoonesque, Philippe Valette a décidé de nous propulser dans le cosmos avec un récit de science-fiction tout simplement remarquable…

Philippe Valette. En trois albums seulement, ce nom s’est imposé à nous comme un gage d’humour. Mais fini de rire, après le diptyque Georges Clooney suivi du pavé Jean Doux et le mystère de la disquette molle, Fauve Polar SNCF 2018, l’auteur publie ce mois-ci un récit SF beaucoup plus sérieux dans le ton et cinématographique dans la forme, un album qui fera certainement date. Son nom ? L’Héritage fossile. Son thème ? Les limites de la civilisation face à l’immensité du cosmos.

Et le résultat est absolument bluffant, le scénario limpide nous prend par la main du début à la fin, les dialogues sont percutants, le découpage ultra-efficace et le graphisme, inspiré des techniques employées dans les films d’animation, absolument saisissant.

Alors, me direz-vous, et l’histoire ? L’histoire s’inscrit dans la continuité d’une science-fiction dite classique tendance « conquête de l’espace » avec un équipage parti pour l’infini ou presque, objectif Geminæ, une planète éloignée de la Terre de quelque 19 999 années, oui vous avez bien lu, mais une planète aux conditions de vie idéales pour y établir une colonie humaine et donc perpétuer la civilisation.

Pour effectuer ce voyage, les membres de l’équipage emmenés par le milliardaire philanthrope Reiz Iger sont placés en biostase, une sorte d’hibernation stoppant le vieillissement, avec un réveil programmé tous les 25 ans histoire d’effectuer quelques travaux de maintenance sur le vaisseau baptisé Héritage. Bien évidemment, sinon il n’y aurait pas d’histoire, tout ne se passe pas comme prévu. Le contact avec la Terre est subitement rompu et tous développent au premier millénaire de voyage un mal étrange qui ronge leurs corps. Entre la survie de la civilisation et leur propre survie, les astronautes vont devoir faire un choix douloureux…

Philippe Valette, qui dit s’interroger énormément sur l’avenir du monde et se refuser à faire de la « science-fiction gratuite », développe ici toute une réflexion sur la place de notre civilisation dans l’univers et sur notre place à nous, en tant qu’individus et simples mortels. Mais l’aventure n’est pas oubliée pour autant et ce récit en vase clos dans le vaisseau Héritage développe son lot de péripéties et de tragédies. On y sent bien évidemment l’influence de certains chefs-d’œuvre de la SF tels que 2001, l’odyssée de l’espace, Philippe Valette reconnaissant pour sa part l’influence de L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam, des romans Spin de Robert Charles Wilson et Silo de Hugh Howey mais aussi l’influence de scientifiques comme l’astrophysicien Aurélien Barreau.

Un récit puissant, un scénario maitrisé, une mise en images ultra-léchée, des décors fabuleux, une lecture plaisir et un bel objet au format carré. Tout est là. Immense coup de cœur !

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OCTOBRE / Perpétuité, Jérôme K. Jérôme Bloche tome 29, de Dodier. Dupuis. 13,50€

C’est le détective privé le plus lunaire du neuvième art, le plus sympathique aussi, Jérôme K. Jérôme Bloche est de retour pour une vingt-neuvième aventure qui commence par une panne de solex et la disparition d’un doudou, avant de prendre une tournure moins ordinaire…

Il a fait un temps figure de héros nouvelle génération, il est aujourd’hui considéré comme l’un des piliers du journal Spirou et des éditions Dupuis à l’image d’un Gaston, d’une Natacha ou de Tuniques Bleues. Et malgré tout, Jérôme K. Jérôme Bloche n’a pas pris une ride, le secret d’une vie de détective au grand air et au grand cœur ! 

Pas de courses-poursuites tonitruantes, pas de gros calibres, pas de grosses Chevrolet, pas d’héroïnes au supers-pouvoirs, non les aventures de Jérôme sont toujours proches de nous, jamais loin de nos préoccupations, dans tous les cas à portée de Solex, son moyen de transport préféré, même si, pour les besoins du scénario, il a dû cette fois troquer son fameux Solex pour une authentique Motobécane.

Bref, Jérôme K. Jérôme Bloche est un être de papier délicieusement attachant, humain, sensible, peut-être un peu lunaire, un détective privé qui n’aime pas les intrigues mais adore les résoudre. Et justement, ça tombe bien, un doudou a disparu ! Oui, un doudou, une peluche en somme, qui appartient à la jeune Yasmina. Mais le plus troublant dans l’affaire, c’est que son oncle a, lui aussi, étrangement disparu. Et au même endroit : une grande maison bourgeoise. Du boulot pour notre détective !

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NOVEMBRE / Du rififi à Ménilmontant, de Tardi et Malet. Casterman. 25€

Nestor Burma ne croit pas au Père-Noël, même s’il en croise à tous les coins de rue. Et ça tombe plutôt bien car cette affaire-là n’a rien d’un cadeau.

Décembre 1957, Paris. Nicole Manchol, des industries pharmaceutiques Manchol & Biscorne, débarque dans le bureau de notre détective privé, sort un pistolet, déclare avoir tué son mari et se tire une balle dans la bouche. De quoi redécorer le sapin de Noël et le papier peint ! De quoi aussi agiter la flicaille du 36 et envoyer notre Nestor Burma enquêter à travers tout Paris, jusqu’à débarquer dans un sombre laboratoire d’expérimentation animale…  

Plus de quarante ans après Brouillard au Pont de Tolbiac, sa première adaptation d’un roman de Léo Malet, Jacques Tardi retrouve le cultissime Nestor Burma dans une histoire qu’il signe entièrement, scénario et dessin. Fidèle à son style, l’auteur nous plonge dans un Paris typique des années 1950, et plus précisément ici dans le XXe arrondissement, avec ses décors authentiques et ses personnages aux gueules d’atmosphère.

Une série culte portée par l’un des plus grands auteurs du neuvième art, un livre incontournable qui séduira tous les amateurs de polars et de films noirs ! 

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DÉCEMBRE/ 1629 ou l’effroyable histoire des naufragés de Jakarta, de Dorison et Montaigne. Glénat. 35€

Avec son grand format, ses 240 pages au total et ses somptueuses couvertures à l’ancienne, le dyptique 1629 ou l’effroyable histoire des naufragés de Jakarta ne peut que titiller la rétine de tout amateur de bande dessinée.

Et pas seulement la rétine ! Le contenu est à l’image du contenant, grandiose ! Le scénariste Xavier Dorison, déjà largement connu et reconnu dans le monde du neuvième art (Goldorak, Le Château des animaux, Le Troisième testament…), et le dessinateur Thimothée Montaigne signent un grand récit d’aventure à la fois fascinant et terrifiant ! Inspirée d’une histoire vraie, l’intrigue débute dans le huis clos du Jakarta, un navire de 40 pieds affrété par la compagnie Voc pour un voyage depuis les Pays-Bas vers l’Indonésie, plus précisément Java.

À son bord, 300 matelots, criminels, déserteurs et mercenaires, mais aussi des passagers, quelques enfants, trente femmes et surtout, dans les cales, une belle cargaison d’or et de diamants destinée au négoce. De quoi rendre ce voyage furieusement explosif. Maladie, mutinerie, naufrage, crimes… Xavier Dorison et Thimothée Montaigne nous embarquent pour un voyage sans retour, où chaque planche explore la profonde noirceur de l’âme humaine dans des illustrations d’une exceptionnelle composition, sombres et violentes à souhait.

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Eric Guillaud

22 Jan

Islander, L’Arpenteur, UCC Dolorès, Avaler la Lune, 2050 et Eternum : six BD SF pour aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs

Le froid, la pluie, le retour de Trump, le dérèglement climatique, les guerres… on peut légitimement avoir envie d’être ailleurs, dans un autre monde, peut-être quelque part dans le futur ou dans l’espace. Mais rien ne dit que ce soit beaucoup mieux ! La preuve avec cette sélection de bandes dessinées de science-fiction.

On commence avec le nouveau projet de Corentin Rouge au dessin et Caryl Férey au scénario, un récit d’anticipation qui comptera à terme trois volumes et près de 450 pages. Islander est son nom et la crise migratoire, sa toile de fond, une crise migratoire qui touche cette fois les Européens chassés de chez deux par une série de catastrophes dues au réchauffement climatique. L’histoire commence dans le port du Havre où des milliers de réfugiés s’entassent avec l’espoir de gagner une terre d’asile.

Mais face à ce nouveau flux migratoire, le Royaume-Uni a choisi de fermer ses frontières, l’Écosse accueille encore quelques groupes triés sur le volet et l’Islande se déchire sur le sort des migrants. C’est pourtant bien dans ce pays que vont débarquer le personnage principal de ce récit, Liam, un loup solitaire prêt à tout pour fuir le continent européen, et Zizek, un scientifique porteur d’une information qui pourrait sauver l’humanité. Encore faut-il qu’il soit écouté !

Un scénario en béton, une imposante galerie de personnages, des dialogues incisifs, un trait réaliste minutieux, des décors et notamment des paysages enneigés magnifiques, des scènes d’actions spectaculaires… L’Exil, premier volet de cette trilogie, est un récit de sang et de glace qui nous projette dans un monde futur où nous risquons bien d’être les nouveaux migrants ! De quoi calmer les discours de haine entendus ici et là ? À suivre… (L’exil, Islander tome 1/3, de Corentin Rouge et Caryl Férey. Glénat. 25€)

La couverture annonce la couleur, la couleur et la teneur : un monde en fin de course baigné dans une lumière à dominante jaune et orange. Et dans ce monde-là, Géo, éboueur de l’espace, échoué là à la suite d’une panne de son vaisseau-benne, erre au milieu des vestiges d’une société disparue. La Terre n’est plus qu’une immense décharge et l’humanité a trouvé refuge sur une planète artificielle en forme de méduse, les plus fortunés habitant la cloche, le dôme, les autres étant relégués dans les tentacules, vastes salles des machines fait d’une multitude d’ascenseurs, de tunnels et de passerelles. Seul sur la Terre, Géo tombe sur un exemplaire de La Tempête de Shakespeare, un livre qui pourrait bien le guider dans cet environnement hostile…

Artiste protéiforme, illustrateur, designer, auteur de comics expérimentaux, le Néerlandais Viktor Hachmang nous invite ici à une immersion vertigineuse dans un univers où l’humanité a finalement détruit son propre foyer. Un imaginaire profondément personnel, un style graphique nourri par les plus belles années du magazine Metal Hurlant et une palette de couleurs audacieuse font de la lecture de L’Arpenteur une véritable expérience graphique et scénaristique. (L’Arpenteur, de Viktor Hachmang. Casterman. 20€)

Si Didier Tarquin est le dessinateur de l’une des séries phares de l’heroic fantasy en BD, Lanfeust de Troy, il peut aussi se faire auteur complet sur une aventure de SF dont le sixième volet vient de paraître. U.C.C. Dolores, tel est son nom, a tout du western intergalactique et peut-être déjà tout d’un classique du genre. « Quand on parle de western en bande dessinée… », expliquait l’auteur à la parution du premier volet, « il y a une oeuvre qui vient immédiatement à l’esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J’avais envie de retrouver ça, de faire quelques chose de très classique – de néo-classique, disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c’était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part ».  Inutile de vous dire que le résultat est graphiquement sublime. Quant à l’histoire, celle d’une orpheline élevée dans un couvent qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un croiseur de guerre baptisé U.C.C. Dolores, on ne peut être que conquis. Dans ce sixième volet qui est aussi le début d’un nouveau cycle, Didier Tarquin et Lyse Tarquin aux couleurs nous embarquent pour un monde à l’agonie, exploité, surexploité, prêt à rendre l’âme… (Les Yeux du sans-peur, U.C.C. Dolores tome 6, de Didier Tarquin et Lyse Tarquin. Glénat. 15,95€)

On fait un bond dans le temps pour se retrouver 500 ans après le grand effondrement. La planète Terre n’est plus qu’un immense champ de ruines rongées par des pluies acides. La faute à qui ? La faute aux hommes bien sûr qui ont précipité la fin de l’humanité en s’entêtant pendant des années dans un projet de folie : installer un générateur d’énergie propre sur la Lune pour alimenter les infrastructures terriennes destinées à dépolluer l’atmosphère et les océans. Et ce générateur d’énergie propre n’est ni plus moins qu’une forêt. Une immense forêt…

Ce premier volet d’une trilogie dont on devrait voir le bout en 2026 selon l’éditeur, donc, avec un peu de chance, avant le grand effondrement prévisible de l’humanité, joue habilement sur les contrastes. Le dessin, à la fois imaginatif, moderne et très coloré, adoucit un récit apocalyptique d’une grande noirceur, même si quelques spécimens sont encore là pour témoigner et tenter de changer la fin de l’histoire. À méditer ! (L’Ascenseur, Avaler la Lune tome 1, de Castel, Cousin et Jarry. Casterman. 20€)

De quoi sera fait demain ? Les livres continueront-ils d’être écrits par des êtres humains ? Les intelligences artificielles n’auront-elles pas remplacé les éditeurs et même les boulangers ? Et qui seront les premiers colons interplanétaires de l’humanité ? Toutes ces questions – et bien d’autres encore – sont explorées dans les pages de cet ouvrage collectif qui réunit une belle brochette d’auteurs tels que Jean-Christophe Chauzy, Christian de Metter, Aurélien Ducoudray, Guillaume Dorison ou encore Jean-Michel Ponzio.

Avec des styles graphiques variés, chaque auteur imagine en quelques pages un avenir proche et plausible, marqué par les innovations et les thématiques qui, déjà, bousculent et interrogent notre présent, qu’il s’agisse des intelligences artificielles, du pouvoir des réseaux sociaux et des influenceurs, du réchauffement climatique ou du retour de l’exploration spatiale. C’est souvent effrayant, mais après tout, notre quotidien ne l’est-il pas déjà ? (2050, collectif. Philéas. 19,90€)

Initialement paru en trois volumes entre 2015 et 2017, tout juste réédité en intégrale, le récit SF de Christophe Bec et Jaouen Salaün nous embarque pour 2297. La galaxie n’a alors plus de secret pour l’homme qui en a colonisé la plus grande partie, mais certains phénomènes restent encore largement inexpliqués.

Il y a d’abord ce mystérieux rayon cosmique apparu soudainement dans une galaxie voisine, un rayon gigantesque qui semble traverser le cosmos. Et puis la découverte d’un sarcophage sur une planète minière quelque part au milieu de la Voie lactée, un sarcophage qui interroge. Et qui inquiète ! Depuis sa découverte, tout contact avec la Terre a été rompu. Une équipe est envoyée sur place. Elle y découvre un véritable carnage, des corps dispersés un peu partout dans la base, tués par balles, par armes blanches, tous porteurs de traces de morsures, comme si quelqu’un s’était adonné au cannibalisme. Le sarcophage est rapatrié sur Terre afin de percer son mystère…

Il y a du Alien et du Outland dans l’air, mais pas seulement, l’album Eternum est la somme des nombreuses influences des deux auteurs mais il est aussi le résultat de l’imaginaire sans bornes de Christophe Bec, auteur d’une douzaine de one-shots et d’une trentaine de séries parmi lesquelles Carthago, Bunker, Sanctuaire ou encore Zéro absolu. Un dessin hyper efficace, de l’action à toutes les pages, un zeste de sexe, le tout parsemé de mysticisme, Eternum offre une lecture divertissante et en filigrane une réflexion sur l’humanité, ses origines, son devenir… (Eternum Intégrale, de Bec et Jaouen. Casterman. 29€)

Eric Guillaud

18 Jan

Nouveauté 2025. L’Enfantôme de Jim Bishop : quand les rêves d’enfants affrontent la pression des adultes

Après Lettres perdues et Mon ami Pierrot, Jim Bishop clôt sa trilogie sur l’adolescence et le passage à l’âge adulte avec L’Enfantôme, un récit aussi étonnant que son titre, dans lequel il est question de famille, d’amitié, de harcèlement, de pression sociale, de rêves de gosses, de folie douce… et de fantômes.

« Tu es moche, tu es nul, tu n’es qu’un gros bouton, tu ne ressembles à rien et personne ne t’aime ». Voilà, c’est dit, le jeune garçon dont vous pouvez admirer le visage et l’acné juvénile en couverture de l’album ne se supporte plus. De quoi pulvériser tous les miroirs de la planète. Mais s’il n’y avait que ça. Le boutonneux, comme on l’a surnommé à l’école, est convoqué par le conseiller d’orientation avec Mims, une autre élève. Tous les deux sont sommés de se reprendre en main, de remonter leurs notes. Sinon ? Sinon, leurs parents se chargeront de les tuer. Oui, c’est assez radical !

Pris au piège, le « boutonneux » et Mims n’ont pas le choix. La pression sur leurs épaules est énorme et leurs parents deviennent de plus en plus menaçants, voire monstrueusement menaçants. Malgré tout, entre le « boutonneux » et Mims nait une belle histoire d’amitié. Ensemble, ils partagent leur passion pour le manga mais aussi leurs craintes face au monde des adultes qu’on tente de leur vendre. De là à se rêver fantômes, libres comme l’air, il n’y a qu’un drap…

Quel plaisir de retrouver la plume et le pinceau de Jim Bishop ! Tous ceux qui ont lu Lettres perdues et Mon ami Pierrot reconnaitront ici le style graphique miyazakiesque de l’auteur, même s’il dit s’être détaché de cette référence pour son nouvel album. Les influences du maître de l’animation japonaise sont peut-être digérées mais coulent encore abondamment dans ses veines et ses pinceaux. Côté histoire, Jim Bishop poursuit son exploration de l’adolescence et du passage à l’âge adulte en nous invitant à réfléchir sur les ravages de la pression scolaire et du conformisme sur les rêves et aspirations de nos jeunes années.

Eric Guillaud

L’Enfantôme, de Jim Bishop. Glénat. 22,50€

© Glénat / Bishop

13 Jan

La Veuve : un western au féminin de Glen Chapron dans les Rocheuses canadiennes

Après L’Attentat avec Loïc Dauvillier et Une Histoire corse avec Dodo, le Breton Glen Chapron retrouve ses pinceaux pour adapter La Veuve,  le premier rroman de Gil Adamson, une chevauchée haletante à travers les Rocheuses canadiennes en compagnie d’une jeune-femme en quête de liberté…

D’abord, il y a la nature, puissante, sauvage, hostile. Nous sommes au cœur des Rocheuses canadiennes, loin de toute trace de civilisation. Vient ensuite une jeune femme, visiblement effrayée et épuisée, courant à travers bois et herbes folles. Et derrière elle, à ses trousses, deux hommes armés et un chien menaçant.

Cette femme s’appelle Tower, ou Mary Boulton, allez savoir, tout dépend des moments et des rencontres. Quant aux deux hommes à ses trousses, ce sont les frères de son mari. Son feu-mari pour être tout à fait exact. Elle l’a tué ! Et ne le regrette aucunement. Dans sa fuite éperdue, la jeune femme croise William Moreland, un ermite et un voleur, qui va la soigner, la faire rire et l’écouter. Mary a énormément de choses à raconter, sa vie, son mari qui collectionnait les maîtresses et les dettes et, pour finir, son geste violent mais tellement libérateur.

On la croit un moment amoureuse de William, prête à partager sa vie dans les montagnes, mais finit par reprendre sa liberté, fait de nouvelles rencontres, se dévoile un peu plus…

Si la vengeance, thème pour le mois récurrent dans le western, constitue le fil rouge du récit, Glen Chapron y trouve surtout un prétexte pour nous raconter une histoire d’émancipation féminine dans un univers très masculin et violent. N’ayant pas lu le roman, je m’abstiendrai de juger le travail d’adaptation. Cependant, le récit présenté ici nous tient parfaitement en haleine grâce à une héroïne attachante qui dévoile son histoire au fil des pages, grâce aussi à un découpage dynamique et surtout grâce à ce trait jeté, épais, ces atmosphères sombres qui exploitent avec justesse le clair-obscur et donnent une intensité remarquable au récit.

Eric Guillaud

La Veuve, de Glen Chapron d’après l’œuvre de Gil Adamson. Glénat. 25€ (en librairie le 15 janvier)

© Glénat / Chapron & Adamson

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