30 Juin

Chronique d’été : Joël Alessandra, un petit-fils d’Algérie

9782203093997C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode no-stress et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Sa famille faisait-elle partie des « racistes affameurs » ? C’est à cette question grave et essentielle que Joël Alessandra compte bien apporter une réponse lorsqu’il décide de s’envoler pour Constantine, la ville de ses ancêtres. C’est la première fois qu’il met les pieds là-bas, invité par l’Institut français. Pour lui, l’Algérie s’arrête aux souvenirs racontés par la famille, au couscous du dimanche et à quelques photographies jaunies. Un pays qui l’impressionne forcément par son histoire, par le terrorisme, par la pauvreté aussi et les élites corrompues. Un cliché ? Pas tant que ça. Pendant tout son séjour, Joël est encadré par un guide, parfois des policiers. Le petit-fils de pied noir est avant tout un Français, un occidental, une cible potentielle.

« Les tiens étaient tout sauf racistes… », lui confie une Algérienne qui fut proche de la famille, « ils parlaient couramment arabe ! Is aimaient l’Algérie, ils aimaient les Algériens ». Le voici soulagé, presque fier. En cherchant les traces de son passé familial, ici une maison, là un cinéma que son grand-père architecte a construit, là encore le caveau familial, Joël découvre une autre Algérie, presque apaisée, qui s’est peut-être décidée à faire la paix avec son histoire, si douloureuse soit-elle. Quête d’identité pour l’auteur, récit de voyage ou visite guidée pour le lecteur, Petit-fils d’Algérie paru en avril chez Casterman est un très beau roman graphique qui se savoure page après page, vignette après vignette. Le dessin d’Alessandra est un pur bonheur, il respire l’Algérie, restituant sa lumière, ses couleurs, presque ses odeurs…

Et si vous êtes sous le charme de cet album, je vous conseille L’Algérie c’est beau comme l’Amérique d’Olivia Burton et Mahi Grand. C’est un peu la même histoire mais bien évidemment racontée d’une autre manière. L’album est paru en janvier de cette année aux éditions Steinkis.

Eric Guillaud

Petit-fils d’Algérie, de Alessandra. Editions Casterman. 19 €

© Casterman / Alessandra

© Casterman / Alessandra

27 Juin

La Bulle Escoublac : le festival BD de La Baule fête ses 20 ans du 9 au 11juillet

20eme_bulleLa Baule coincera la bulle ou l’inverse du jeudi 9 au samedi 11 juillet avec des expos, des animations, un salon de lecture, des jeux, des concours, des ateliers, et bien évidemment des séances de dédicaces.

Parmi les invités cette année : le Nantais Bruno Bazile, auteur du livre Le Garage de Paris, auteur aussi de l’affiche 2015 du festival, Bruno Bertin, Brucero, Dominique Mainguy, Moony, Zanapa, Yamano, François Plisson…

Plus d’infos sur le festival ici

Mal de mère : Rodéric Valambois raconte l’alcoolisme de sa mère

9782302045033_cg« En ce qui me concerne, je n’ai plus de mère » : ces paroles terribles ont été prononcées par Rodéric lorsqu’il n’était encore qu’un enfant. Des paroles terribles qui disent tout du désarroi dans lequel il pouvait se trouver à l’époque. Face à lui, une femme, sa mère, qui sort tout juste de cure de sevrage pour replonger aussi sec dans l’alcool.

Et il n’en peut plus Rodéric. Des années que son père et sa mère ne se parlent que pour s’engueuler, des années que la famille proche ne met plus les pieds à la maison, des années que les enfants assistent impuissants à des scènes d’une grande violence, des années que cette mère picole dans tous les coins de la maison. De la cave au grenier, partout des bouteilles de porto, dans la bannette de linge salle, dans les armoires, sous l’évier, dans le garage, sous les lits, dans les coffres à jouets… Pendant sa cure, toute la famille s’est mobilisée pour passer la maison au peigne fin. 1500 cadavres de bouteilles de porto ont ainsi été retrouvées et jetées dans les bennes. 1500 bouteilles. De quoi donner le tournis sans avoir bu une seule goutte.

C’est l’histoire ce cette mère et plus largement de cette famille confrontée à l’alcoolisme que raconte Rodéric Valambois dans ce roman graphique paru aux éditions Soleil. « je raconte comment une famille heureuse devra renoncer à tout ce qui la construisait, perdre pied, devenir peu-à-peu une famille de cas sociaux… », explique l’auteur qui poursuit : « Je rends compte de l’évolution de chacun des membres de notre famille, pas seulement de celui de ma mère ».

Mal de mère est un témoignage choc, dur, cru, parfois insoutenable, c’est peut-être le prix à payer pour qu’il serve à quelque chose. Marquer les esprits, ne pas ménager le lecteur, ne pas ménager non plus les personnages de ce douloureux passé, « ceux qui faisaient souvent mine de ne rien voir, nous tournant le dos, nous jugeant, et ceux qui, parfois, nous comprenaient et nous aidaient. J’ai écrit cela en n’épargnant personne, mais sans acharnement. S’il y a des jugements, il n’y a pas de morale. Chacun a sa part d’ombre et d’humanité« .

Mieux vaut prévenir que guérir, un album à mettre entre toutes les mains !

Eric Guillaud

Mal de mère, de Roderic Valambois. Editions Soleil. 18,95 €

©  Soleil / Valambois

© Soleil / Valambois

24 Juin

Chronique d’été : Les Minions débarquent au cinéma et en BD

Capture d’écran 2015-06-24 à 09.46.53C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode no-stress et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Ils vont nous rendre complètement Banana ces Minions. Après leur prestation plus que remarquée dans Moi, moche et méchant, les capsules jaunes en cote de travail des Studios Universal débarquent au cinéma le 8 juillet prochain où ils auront cette fois le premier rôle. Enfin les 3999 premiers rôles. Après le petit écran, les jeux vidéos, les applications pour smartphones ou les nuggets dans une chaîne de restauration rapide, oui oui, les Minions continuent d’envahir la planète, imposant un peu partout leur image de héros universel et leur langage international constitué de français, d’anglais, d’espagnol et d’italien.

Il ne manquait finalement plus que la BD pour être complet. La voici ! Elle est signée Renaud Collin, dont on a déjà pu apprécier le travail graphique dans les pages du magazine Spirou, et Didier Ah-Koon, story-boarder sur les films Moi, moche et méchant.

Résultat des courses, un album de gags en une page qui, pour l’avoir tester dans un très proche entourage, semble largement remporter les suffrages. « Trop bien » , « Super mignon« , « trop cool« … Rien à redire, manque juste le son (mais c’est une BD!) qui nous permettrait de savourer pleinement le vocabulaire érudit de nos Minions préférés, vocabulaire qu’un passionné a commencé à répertorier sur son site ici.

Bref, Banana!, premier volet d’un dytique, est plutôt un bon amuse-gueule avant tout réservé aux jeunes lecteurs. Rendez-vous le 8 juillet dans toutes les bonnes salles pour la suite de l’aventure sur grand écran.

Eric Guillaud

Banana!, Les Minions (tome 1/2), de Ah-Koon et Collin. Editions Dupuis. 9,90 €

L’info en +

Le directeur artistique de Moi, moche et méchant, Eric Guillon, nous expliquait en 2013 comment étaient nés les Minions. Une interview à retrouver en vidéo ci-dessous et en version intégrale ici-même

12 Juin

L’île aux femmes : Zanzim en dédicaces à Nantes samedi 13 juin

501 ILE AUX FEMMES[BD].inddJouer les Robinson Crusoe sur une île uniquement peuplée de femmes, un fantasme pour beaucoup d’hommes, un sombre cauchemar pour Céleste Bompard. Cet as de la voltige et de la bagatelle, engagé dans la guerre de 14 comme facteur, en avion tout de même, écrase son biplan sur une île qu’il croit déserte. Elle est en fait habitée par de nombreuses femmes, des amazones, toutes plus belles les unes que les autres et très très court vêtues. Il n’en faudra pas plus à notre Bompard pour tomber sous le charme, se laisser mener par le bout du nez, et devenir l’objet-reproducteur de ces dames…

C’est l’une des BD marquantes du début d’année avec aux manettes un Zanzim pour la première fois auteur complet. Après le dessin de Ma Vie posthume chez Glénat et de Tartuffe chez Delcourt, l’auteur rennais, d’origine mayennaise, signe ici à la fois le dessin et le scénario. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’en sort merveilleusement le bougre. L’album fortement remarqué par la profession, encensé par la critique, plébiscité par le public, est un petit bijou de délicatesse et de drôlerie aussi bien graphique que scénaristique. Un album qu’il faut impérativement avoir dans sa bibliothèque, et quitte à l’avoir autant l’avoir dédicacé. Ça tombe bien, l’auteur sera en dédicaces samedi 13 juin à la Mystérieuse librairie à Nantes de 14 à 18h00. À vos albums…

Eric Guillaud

L’île aux femmes, de Zanzim. Editions Glénat. 19,50 €

 

08 Juin

Les aventures de Modeste et Pompon de Franquin en intégrale au Lombard

5b4yLbFwkBcD5dTKxzrER0T9G7WN2oYx-couv-1200Tout le monde connait les aventures de Gaston Lagaffe ou celles de Spirou et Fantasio qu’il a animées pendant une vingtaine d’années. Les plus grands fans de l’artiste ont aussi dévoré Les Idées noires. Mais combien sommes nous à avoir lu les aventures de Modeste et Pompon ?

Beaucoup moins. Et c’est une erreur, une grave erreur que les éditions Lombard nous proposent de corriger avec cette très belle intégrale aux couleurs des années 50 marquées par une évidente modernité. 183 gags au coeur des Trente glorieuses. On croit alors au progrès, aux bienfaits de la technologie et de la consommation, le futur se dessine sur les routes comme dans les intérieurs.

Ces aventures doivent leur existence à une fâcherie entre l’auteur André Franquin et son éditeur de toujours, Charles Dupuis, propriétaire du journal Spirou. Une histoire de sous bien sûr qui trouvera vite une solution mais trop tard pour éviter que le maître du 9e art aille vendre une autre série à la concurrence, au fameux Journal de Tintin. Et cette série, c’est Modeste et Pompon qu’il animera de 1955 à 1959, 4 ans de bons et loyaux services et une reprise assurée par Attanasio.

A l’occasion des 60 ans de la série, les éditions du Lombard nous offrent donc cette formidable intégrale réunissant l’ensemble des planches dessinées par André Franquin ainsi qu’un dossier très documenté de plus de 70 pages revenant sur le contexte de création.

Eric Guillaud

L’intégrale des aventures de Modeste et Pompon, par Franquin. Editions Le Lombard. 29 €

06 Juin

Manuel de la jungle : une BD documentaire au coeur de la forêt guyanaise avec Joub et Nicoby

manuel-de-la-jungle-nicoby-joub-copin-dupuis-couvertureLes petites bébêtes rampantes les plus insignifiantes vous font grimper sur les tables en hurlant à la mort ?  Alors, vous n’auriez absolument pas pu partager l’aventure de Nicoby et Joub dans la jungle guyanaise...

Invités par un ami à découvrir ce qu’on appelle l’enfer vert, les deux auteurs de bande dessinée on enfilé leurs costumes d’aventuriers le temps d’une balade, de plusieurs jours quand même. Au programme, pirogue, chasse, bivouac… et quelques rencontres animales mais pas que. Outre les caïmans, serpents, araignées… qui font partie du décor, pourrait-on presque dire, la petite troupe a croisé le chemin d’orpailleurs et de clandestins, nombreux dans la région, souvent armés et parfois agités de la gâchette.

Mais l’histoire finit bien, vous vous en doutez, puisque Joub et Nicoby sont revenus entiers de cette aventure et nous la racontent avec beaucoup d’humour dans cette bande dessinée publiée chez Dupuis. « Vous en aurez pour 10 ans d’anecdotes », leur a promis leur hôte. C’est un minimum !

Eric Guillaud

Manuel de la jungle, de Joub et Nicoby. Editions Dupuis. 19 euros

© Dupuis / Joub et Nicoby

© Dupuis / Joub et Nicoby

04 Juin

Les esclaves oubliés de Tromelin : l’interview de Sylvain Savoia

© Sylvain Savoia

© Sylvain Savoia

NantesMetz, Rennes, Saint-MaloMontargis, difficile d’attraper au vol Sylvain Savoia. Depuis la sortie de son album Les esclaves oubliés de Tromelin, l’auteur doit être partout à la fois, ici pour dédicacer, là pour recevoir le prix du meilleur album 2015, là encore pour répondre aux sollicitations des journalistes.

Même s’il touche à peine terre depuis 5 semaines, comme il dit, Sylvain Savoia ne se plaint pas. « Le premier tirage a été épuisé en trois semaines et il vient d’être réimprimé, je ne m’attendais pas à cet accueil, c’est très agréable mais aussi très prenant« .

Il faut dire que « Les esclaves oubliés de Tromelin » est le témoignage exceptionnel d’un épisode pour le moins funeste de la traite négrière. En 1761, un bateau transportant des esclaves fait naufrage sur des récifs à proximité de l’île de Tromelin. L’équipage blanc repart sur une embarcation de fortune, les noirs restent sur l’île où certains survivront pendant 15 ans.

Un album formidable qui relève à la fois du documentaire, du carnet de voyage  et du récit historique avec en toile de fond l’esclavage bien sûr mais aussi le déracinement, l’exil, l’instinct de survie… Interview.

La suite de l’interview ici, la chronique de l’album là

01 Juin

Aurélien Ducoudray et Eddy Vaccaro envoient Mobutu dans l’espace

couve_mobutu_dans_l_espace_web-thumbUne fusée, un dictateur africain que les plus attentifs reconnaitront immédiatement. Mais que peut bien raconter cette bande dessinée ? Tout simplement l’histoire incroyable de Manfred Sternschnuppe, jeune ingénieur allemand de l’OTRAG (Orbital Transport und Raketen AG), envoyé en 1978 au Zaïre pour travailler sur la construction de la première fusée africaine dans le cadre de l’ambitieux programme spatial décidé par Mobutu.

Loufoque pensez-vous ? Pas du tout, le récit d’Aurélien Ducoudray et Eddy Vaccaro, bien que romancé, est basé sur des faits absoluments authentiques. Le président dictateur du Congo, appelé Zaïre entre 1971 et 1997, voulait concurrencer la France, la Russie et les Etats-Unis sur le marché des mises en orbites satellitaires.

Vous ne voulez toujours pas me croire ? La preuve en images…

L’échec de la phase expérimentale, quelques considérations géopolitiques aussi, eurent raison du projet. Quelques dizaines d’années plus tard, Aurélien Ducoudray découvre cette séquence tirée d’un film de Thierry Michel, Mobutu roi du Zaïre et reste médusé comme nous pouvons l’être nous-même. Il explique : « Le documentaire de Thierry Michel dure plus de trois heures (et c’est loin d’être un film comique), retraçant le joug infernal de Mobutu Sese Seko sur son peuple… mais cette séquence est digne d’une slapstick comedy des années 20 : décollera ? Décollera pas ? S’écrasera ? S’écrasera pas ? Je me repasse la séquence en boucle n’y croyant toujours pas… et le fou rire vient inéluctablement. Grandeur et décadence d’un mythomane en une seule image… ».

Drôle et tragique à la fois. Alors bien sûr, qui dit Congo dit Tintin. Mais Manfred n’a rien à voir avec Tintin comme nous l’explique l’auteur. « Je vois mon personnage principal comme l’inverse de Tintin au Congo. Dans l’album d’Hergé, Tintin arrive avec sa bonne vision de blanc qui connait tout à l’avance. Dans Mobutu dans l’espace, l’ingénieur arrive en ne sachant rien et va apprendre des noirs qui on été éduqués par les blancs »

Pas de héros tintanesque donc mais un petit clin d’oeil tout de même au personnage d’Hergé avec cette illustration pleine page (à droite) qui vous rappellera forcément la couverture de l’album Objectif Lune (à gauche).

© Casterman / Hergé /// Futuropolis / Ducoudray & Vaccaro

© Casterman / Hergé /// Futuropolis / Ducoudray & Vaccaro

Par les auteurs de Young et de Championzé.

Eric Guillaud

Mobutu dans l’espace, de Ducoudray et Vaccaro. Editions Futuropolis. 18 €