30 Mar

I Hate Fairyland : les contes de fées ne sont plus ce qu’ils étaient et c’est tant mieux

Capture d’écran 2017-03-30 à 20.50.49   Allez, avouez bandes d’hypocrites, cela vous a bien traversé au moins une fois le crâne de – restons polis, allez – donner un coup très, très fort là où le soleil ne brille jamais à ces gamines chantant à tue-tête la chanson-titre de ‘la Reine des Neiges’ jusqu’à côté de vous dans le bus non ? Où de hurler à Blanche-Neige que plutôt que de perdre son temps à glandouiller avec sept nabots en attendant un hypothétique prince charmant, elle ferait mieux d’aller en boîte et de se laisser embarquer par le premier venu non?

Gertrude, elle, ne pose pas toutes ces questions. Elle y va. Â fonds. Elle ne parle pas, elle tape, elle trucide même. Elle découpe, elle dévore, elle dégueule et elle jure comme une poissonnière après deux bouteilles de vodka. En même temps, vingt-sept ans, c’est long. Très long même. Oui, vingt-sept ans à chercher cette foutue clef que lui permettrait de sortir de ‘Fairyland’ monde magique et merveeeeeeillllleux où elle a été aspiré alors qu’elle jouait dans sa chambre, pépère. Bon, à la base, cela ne devait pas se passer comme ça ou du moins durer aussi longtemps mais voilà, la machine s’est grippée et passée l’émerveillement, disons poliment qu’elle commence à trouver le temps très long et qu’elle commence à perdre patience. Sentiment d’ailleurs partagé par la reine Claudia, censée régentée ce pays coloré plein de petits animaux à fourrures tout mimi et de créatures magiques que la jadis douce fillette devenue kamikaze est en train de mettre à feu et à sang.

© Skottie Young, Urban Comics

© Skottie Young, Urban Comics

Ce point de départ cartoonesque, c’est celui de I Hate Fairyland signé par le dessinateur américain Skottie Young (Little Marvel). Une BD à l’humour très noir et cynique, gore mais toujours sous l’angle humoristique et qui prend un malin plaisir à dézinguer pas mal des personnages clichés de tout conte de fée qui se doit (la sorcière, la reine maléfique, le troll etc.). Le tout à un rythme frénétique digne de la série de dessins animés Looney Tunes (Bugs Bunny, Bip Bip et Coyote etc.) mais sans le filtre ‘politiquement correct’ qui allait avec et par contre des haches qui décapitent, des bouts de membres qui volent et des mâchoires fracturées, quand ce n’est pas l’héroïne qui croque à pleine dents ses assaillants ou qui veut faire la peau à l’autre petite fille innocente atterrie elle aussi par hasard à ‘Fairyland’ et qui l’empêche de rentrer chez elle…

© Skottie Young, Urban Comics

© Skottie Young, Urban Comics

Alors parfois, on sent que certains gags ont perdu leur force à travers la traduction (par exemple, ‘Fairyland’ n’autorisant pas les gros mots, les personnages utilisent des néologismes absurdes pour les remplacer) et cela va tellement vite que l’on arrive presque épuisé à la fin de ce premier tome, ne sachant pas trop comment les auteurs réussiront à tenir la distance par la suite. Mais franchement, il y a quelque chose de profondément jouissif à voir ainsi une môme de six ans faire la peau à tous ces machins rose bonbons et acidulés. Cela rattrape toutes ces heures perdues par tous les parents du monde entier obligés de se farcir trois fois d’affilée dans l’autoradio la BO de Cars ou le passage annuel obligatoire hors de prix à Disneyland non ?

Olivier Badin

I Hate Fairyland, Tome 1 : Le Vert de ses Cheveux de Skottie Young, Urban Comics, 10 euros

© Skottie Young, Urban Comics

© Skottie Young, Urban Comics

27 Mar

Sécurité, open your bag : le quotidien d’un vigile au pied de la tour Eiffel par Lénaïc Vilain

album-cover-large-32614Pendant deux ans, Lénaïc Vilain a été agent de sécurité au pied de la tour Eiffel. Deux ans à voir défiler des hordes de touristes et à répéter inlassablement les mêmes mots : Open your bag !

Bien sûr il aurait pu varier les plaisirs, faire un effort de style, donner du « Madame s’il vous plait » et du « Auriez-vous l’extrême amabilité d’ouvrir votre sac afin que je m’assure personnellement que rien ne contrevient à l’accès de notre merveilleux monument national envié de tous ». Mais c’était un peu long. « Open your bag » était finalement bien plus direct et efficace !

Alors, pendant deux ans, Lénaïc Vilain a répété inlassablement ces mots aux milliers de touristes qui se pressaient devant les grilles. Avec en retour, bien sûr, les grognements des uns, les blagues douteuses des autres…

Ce n’est pas la première fois que Lénaïc Vilain met ainsi en lumière le travail des agents de sécurité. Son album R.A.S. paru aux Éditions Poivre et Sel en 2013 s’inspirait déjà de son travail de veilleur de nuit pour différents hôtels parisiens. Un milieu pas franchement hilarant mais qui, avec le regard et le pinceau de l’auteur, peut se révéler ici non dénué d’humour et surtout d’intérêt !

« Les gens ne savent pas grand chose de ces agents qu’ils côtoient pourtant quotidiennement, au supermarché, au musée, au fast-food, etc. ils ne se posent pas de questions sur ces personnes, tant leur présence est devenue habituelle et fantomatique. Ces hologrammes du quotidien, c’est eux que je raconte dans cette bande dessinée. Par-delà l’uniforme ou le talkie, ils ont des personnalités, des vies, des histoires et pour certains un vrai potentiel comique que j’e m’attache à retranscrire ».

Un livre qui vous fera ouvrir les sacs avec le sourire !

Eric Guillaud

Sécurité, Open your bag, de Lénaïc Vilain. Éditions Vraoum! 20 euros.

Vraoum! / Vilain

Vraoum! / Vilain

23 Mar

Puta Madre : un monde sans pitié signé Run et Neyef pour le Label 619

Capture d’écran 2017-03-23 à 23.01.19

Plongée dans le monde des gangs latinos et de l’univers carcéral pour le créateur de Doggybags, plus désespéré que jamais et en même temps, nouvelle baffe graphique au rythme frénétique.

Tout est parti d’un constat, aussi véridique qu’effrayant : aux Etats-Unis, un mineur peut-être jugé comme un adulte et condamné à la prison à vie. Marqué par la vision d’un documentaire de 2011 consacré à un fait divers sordide (un gamin de douze ans inculpé pour le meurtre de son petit frère), le chef d’orchestre de Doggybags s’est lancé en compagnie de Neyef, avec lequel il signe les dessins, dans cette nouvelle série où l’on retrouve pas mal de ses thèmes récurrents comme la prédestination sociale, la propension irrésistible de l’être humain à céder à la violence ou encore la faillite du système.

Présenté comme un ‘spin off’ de Muthafukaz, la série phare de label 619, dont il reprend certaines des références (la culture mexicaine, le hip-hop), tout est centré ici autour d’un seul et même personnage, Jésus que l’on suit donc tout le long de sa vie depuis ses douze ans, âge auquel il se retrouve en prison et où il doit apprendre à survivre au milieu des différents gangs ethniques, des matons corrompus et des trafics en tout genre.

© Label 619 - Run et Neyef

© Label 619 – Run et Neyef

Forcément, impossible de ne pas penser à la série américaine du début des années 2000 Oz sur les deux premiers volumes (sur six à paraître) qui se passent derrière les barreaux. Comme elle, Puta Madre est sans fard, ni happy end. Les faibles finissent mal, les salauds raflent la mise et les autres font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir. En gros, si Jésus finit assez rapidement par franchir le Rubicon, ce n’est parce qu’il est foncièrement mauvais, c’est parce qu’il n’avait juste pas le choix. « J’étais entré en prison comme un agneau / J’en sortais comme un loup »

Une fois dehors à partir du troisième album, il a beau tenter de reprendre le cours d’une vie (à peu près) normale, très rapidement il est rattrapé par son destin. Et la violence, encore et toujours.

© Label 619 - Run et Neyef

© Label 619 – Run et Neyef

Désespéré ? Sûrement. Mais aussi très documenté et véritable road trip dans une Californie du sud désertée et laissée aux mains des laissés pour compte du rêve américain qui s’entredéchirent entre eux pour survivre. Comme Abel et Caïn, modèle revendiqué de Jésus…

Oliver Badin

Puta Madre, volumes 1 à 3 de Run et Neyef, Label 619, 3,90 euros

Salud! : une histoire d’amour et de désamour sur fond de franquisme et d’alcoolisme signée Philippe Thirault et Nadar

SaludEst- ce parce qu’il aime l’alcool qu’il travaille pour un caviste ou le contraire, toujours est-il qu’Antoine est porté sur la bouteille. Mais il est jeune et plein de projets. Il vient de rencontrer une femme, plus vieille que lui, une Espagnole. Direction la Corogne pour entamer une nouvelle vie…

Et gagner plein d’oseille ! Il en est persuadé le gars Antoine. Sûr qu’il va revenir d’ici peu et épater la galerie, à commencer par son frangin, dernier membre de sa famille qu’il fréquente encore. Les autres ? Des « pourritures ».

La famille, pourtant, il va devoir compter avec elle, du moins avec celle de sa douce. Et en Espagne, on ne plaisante pas avec la famille. De quoi le faire fuir ? Pas vraiment. Surtout quand cette famille lui ouvre son porte-monnaie, lui offre une voiture, lui trouve un local pour installer son restaurant (son rêve!) et lui apporte sur un plateau les relations nécessaires pour travailler dans une Espagne tenue de main de fer par Franco, une Espagne renfermée sur elle-même où la moindre rébellion est réprimée.

Avec sa « french touch » comme on dirait aujourd’hui, Antoine fait un carton, amasse les pesetas, roule en cabriolet sport, porte des fringues de luxe, mais très vite, son alcoolisme le rattrape. Il devient violent et frappe sa femme. Une fois, deux fois, trois fois. Il n’aurait pas dû…

C’est un histoire vraie que nous racontent Philippe Thirault (Mille visages, Videz la corbeille…) et Nadar (Papier froissé, Le Monde à  tes pieds…) dans ce roman graphique paru aux éditions Futuropolis, une histoire vraie que lui aurait confiée un certain Antoine, aujourd’hui 71 ans et SDF.

Qui ne s’est jamais demandé quel avait pu être le parcours d’un de ses hommes croisés au hasard des rues, allongés sur un banc, un sac plastique en guise de valise ? Philippe Thirault nous en donne une idée avec ce scénario fort bien construit. Graphiquement, on avait adoré Papier froissé déjà publié aux éditions Futuropolis, on retrouve le trait simple et efficace de Nadar relevé par une mise en couleurs surprenante au premier abord mais qui devient évidente au fil des pages. « Pour cet album… », nous a-t-il confié, « j’ai travaillé digitalement. J’ai choisi ces couleurs pour faire un petit contraste avec le thème de l’histoire et aussi parce que j’adore cette palette chromatique ».

Nadar et La France une histoire d’amour ? « Je suis très content de publier en France et en Espagne. En Espagne, c’est vraiment difficile de vivre en tant qu’auteur de BD. Il est toujours nécessaire de travailler pour le marché international. Pour moi c’est un vrai cadeau de pouvoir publier avec Futuropolis ».

Un très bon livre !

Eric Guillaud

Salud!, de Philippe Thirault et Nadar. Éditions Futuropolis. 19,50€

© Futuropolis / Thirault & Nadar

© Futuropolis / Thirault & Nadar

21 Mar

Doggybags : that’s all folks ?!

Doggybags_13Comme annoncé depuis le début, le treizième volume de la série Doggybags sera le dernier dans tous les sens du terme. Même si, comme l’un de ces nombreux monstres de série B qui finissent toujours par mourir sous les coups de vertueux héros, la bête pourrait peut-être revenir d’entre les morts d’une façon ou d’une autre…

Trois ‘grosses’ histoires indépendantes bourrées de références à la trash culture 80’s à gogo (en vrac : Sos Fantômes, La Rue Sésame, 40 Jours de Nuit, Spiderman, ça de Stephen King et encore on en oublie) réalisées par trois équipes différentes, chacune peuplée de beaux perdants qui ont tout à perdre, rien à gagner et beaucoup, mais alors beaucoup d’hémoglobine. Pour sa dernière virée en Enfer, ce qui se situe toujours à mi-chemin entre le magazine trois étoiles et le livre – imaginez une sorte de version mutante d’Egoïste avec beaucoup plus de zombies dedans ! – a décidé d’éclabousser les murs. Pourtant, l’objet en lui-même reste superbe avec sa tranche cartonnée, ses fausses pubs cyniques et sa mise en page bien dense mais jamais étouffante.

© Doggybags - Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

© Doggybags – Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

Sauf qu’au-delà du pastiche et/ou de la déclaration d’amour à la culture ‘pulp’ américaine on y décèle une angoisse nettement plus sérieuse que ne cherche d’ailleurs même pas à cacher leur mentor et scénariste/illustrateur/gourou Run. Ici, il signe l’histoire la plus destroy du lot, ‘Times Scare’ dont le point de départ d’ailleurs, bien que conçu des mois avant, rappelle d’une manière assez prophétique l’affaire Théo. Et dans les deux éditos qu’il signe dans ce numéro, ce tout juste quadra confesse qu’au-delà du plaisir de charcuter à tout va, mettre ainsi en dessin cette débauche de bidoche était sa façon à lui d’exorciser le traumatisme post-Charlie Hebdo.

© Doggybags - Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

© Doggybags – Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset

Bon, ça, c’est pour la partie psycho. Parce que pour ce qui est du reste, que les histoires soient ancrées dans le fantastique, dans le réel ou versent carrément dans l’onirique, ça charcute, ça trucide, ça découpe et – allez, on est entre nous alors on vous confie un secret – cela ne finit souvent par un gros éclat de rires (noir) mais JAMAIS bien.

Jason, le tueur à la machette et au masque de hockey, ayant quand même accouché de onze films, on se dit que treize volumes, c’est bien trop peu pour épuiser le créneau et dixit sa postface, l’esprit Doggybags devrait désormais se décliner via deux nouvelles séries indépendantes. Oui, ça va (encore) gicler.

Olivier Badin

Doggybags Volume 13, de Run, Mojo, Hutt, Calla & Rosset, Label 619, 13,90 euros

20 Mar

Le miracle de Vierves : un récit boisé d’Inne Haine chez Vraoum!

Couv_300665Vierves sur Hayne, petit village de Flandres perdu au milieu des bois, quelques dizaines d’habitants, une auberge, une église, des cerfs et, comme à Lourdes, des miracles. Saint Antoine, pour remercier une certaine Suzanne d’avoir pris soin de Gérard, un jeune cerf perdu, aurait exaucé un de ses voeux les plus chers : celui d’être enceinte…

Et comme à Lourdes, depuis ce miracle, des hordes de touristes accourent d’un peu partout chaque année pour la fête des Ramures, chacun se mettant à la recherche dans la campagne environnante de bois tombés de la tête du fameux cerf.

Il est vrai qu’à 1000 euros la chute de bois trouvée, ça peut valoir le déplacement. Une aubaine pour les touristes mais aussi pour les villageois qui on su – comme à Lourdes – transformer ce miracle immaculé en miracle économique.

Hébergement, restauration, boissons ou figurines à l’effigie de Gérard… tout le monde profite allègrement du juteux business jusqu’au jour où le cerf est renversé et tué par la voiture d’un habitant. Alors commence une hallucinante histoire afin de préserver la poule aux oeufs d’or, pardon le cerf aux bois d’or…

On pourrait presque discerner des senteurs de sous-bois dans ce premier livre de l’illustratrice flamande Inne Haine tant elle parvient à nous emmener avec elle dans ce récit à la fois drôle et dramatique. Une belle narration, quelques belles idées de présentation, un graphisme tantôt naïf, tantôt floral, une histoire qui sort des sentiers battus… Un petit miracle au pays du neuvième art !

Eric Guillaud

Le miracle de Vierves, de Inne Haine. Éditions Vraoum!. 20€

16 Mar

Tif et Tondu : les premiers récits de Will enfin réunis dans une intégrale

AYB83gRonKNHOwWFjsuCBT34Wjk4jGJj-couv-1200Il y a à peine quatre ans s’achevait la publication de la première intégrale consacrée à Tif et Tondu sur un treizième volume réunissant Les Vieilles dames aux cent maisons, Fort Cigogne et Le Mystère de la chambre 43, trois petits bijoux simenoniens réalisés dans les années 90 et signés Sikorski et Lapière.

On oublie tout – ou presque – et on recommence. L’Intégrale Tif et Tondu fait peau neuve, un sacré coup de lifting pour une meilleure mise en valeur de l’une des pièces centrales du patrimoine des éditions Dupuis. Nouvelle maquette, nouvelle introduction historique rédigée par les spécialistes Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, nouvelle approche éditoriale et publication strictement chronologique.

C’est bien, c’est même très bien, mais c’est encore mieux que ça. Les aventures de Tif et Tondu ont été publiées dès le premier numéro du journal Spirou en 1938. Fernand Dineur est alors seul aux commandes. Mais en 1949, dans un souci de rajeunissement des héros et de leurs aventures, les éditions Dupuis demandent à Will de prendre en charge la partie graphique, Dineur conservant pendant quelques années encore le scénario.

Ce sont ces premières aventures signées à quatre mains, inédites en intégrale, que réunit ce premier volet, à savoir Tif et Tondu en Amérique centrale, La villa Sans-Souci, Le Trésor d’Alaric et Oscar et ses mystères.

En prime, trois autres récits d’une trentaine de planches, uniquement publiés dans des éditions confidentielles, et bien sûr le très épais et documenté dossier des Pissavy-Yvernault complètent ce gros bébé joufflu de 368 pages et 1,5 kg.

Eric Guillaud

Intégrale Tif et Tondu (1949 – 1954), de Will, Gillain, Dineur et Desprechins. Éditions Dupuis. 35€

13 Mar

Indeh : une histoire des guerres apaches signée Ethan Hawke et Greg Ruth chez Hachette Comics

Capture5Que ce soit de ce côté-ci de l’Atlantique ou de l’autre, l’histoire des Apaches a principalement été écrite et transmise par l’homme blanc, à travers le cinéma mais aussi la littérature. C’est encore la cas ici avec Indeh, Ethan Hawke et Greg Ruth ne sont pas Apaches, mais le point de vue qu’ils ont choisi pour raconter cette histoire est justement celui de ces tribus amérindiennes. Et ça change tout…

« Pendant des décennies, la culture populaire américaine a prétendu parler en notre nom par le truchement de films, de livres et d’émissions télévisées », explique en préface l’artiste amérindien Douglas Miles, « Presque toujours, ces histoires nous resservent les mêmes clichés et suscitent un sentiment mêlé de tragédie, de pitié, de sauvagerie, non dépourvu d’arrières pensées commerciales ».

Aux innombrables films hollywoodiens qui ont contribué au mythe de l’Amérique conquérante et à la simplification de l’image de l’Indien par le recours massif aux clichés les plus basiques, où les gentils colons se voyaient attaqués par des hordes sauvages, Indeh répond en se mettant dans la peau et dans le regard des Apaches qui ne font que répondre à la violence par la violence, choisissant la guerre contre le gouvernement des États-Unis pour défendre leur liberté, leurs terres, leur culture, et s’opposer à la déportation des leurs dans des réserves.

© Hachette Comics - Hawke & Ruth

© Hachette Comics – Hawke & Ruth

Si l’histoire des Apaches ne lui appartient pas non plus, l’acteur de cinéma Etan Hawke a découvert très jeune que les films de cow-boys n’étaient qu’un tissu de mensonges. « Les fusillades qui les émaillaient… », écrit-il, « n’avaient rien d’accrochages héroïques et palpitants. Ce n’était que des massacres ».

Des années plus tard, devenu acteur de renom, Etan Hawke entame l’écriture d’un film inspiré par l’ouvrage de David Roberts sur les guerres apaches, Nous étions libres comme le vent, film qui ne verra finalement jamais le jour pour de sombres raisons de casting et d’argent.

De fil en aiguille, le script de ce qui devait être un film devient un scénario de bande dessinée avec au dessin un illustrateur américain réputé, Greg Ruth.

« J’avais été très sensible à son style, à sa puissance émotionnelle. Le script lui plaisait, mais il me fit comprendre que, si je cherchais simplement quelqu’un pour en faire un story-board, j’avais frappé à la mauvaise porte (…) Mais, si j’étais prêt à creuser encore et à faire en sorte de mettre ce matériau au service de la création d’une oeuvre originale dans ce médium, alors il serait partant pour travailler avec moi ». 

© Hachette Comics - Hawke & Ruth

© Hachette Comics – Hawke & Ruth

A l’arrivée, Etan Hawke et Greg Ruth nous offrent un roman graphique absolument captivant, 240 pages en noir et blanc, une mise en scène époustouflante, un graphisme réaliste de caractère, un nouveau regard, plus objectif, sur le destin tragique des Apaches et sur le rôle de leur chef emblématique Geronimo.

« Geronimo représente le protagoniste parfait d’un récit épique, avec toute sa complexité, sa lumière et ses zone d’ombre – un véritable héros shakespearien ».

Sortie en librairie le 22 mars

Eric Guillaud

Indeh, une histoire des guerres apaches, De Ethan Hawke et Greg Ruth. Éditions Hachette Comics. 19,95€

© Hachette Comics - Hawke & Ruth

© Hachette Comics – Hawke & Ruth

 

11 Mar

Loup : un récit poétique signé Renaud Dillies chez Dargaud

Couv_297178À la question de savoir quel est son nom, il répond de façon automatique Loup. Mais en fait, il ne connaît pas son nom. Il l’a oublié. Comme tout le reste. D’où il vient, ce qu’il fait là, où il va. Loup est amnésique mais il joue formidablement de la guitare…

Au point de se faire une sacrée réputation dans le milieu des musicos et d’être repéré par un gros producteur. C’est la gloire ! Bientôt, Loup est connnu de tous mais reste inconnu de lui-même. Personne ne s’est manifesté pour signaler sa disparition, aucun indice sérieux qui pourrait mettre la police sur une piste, pas de cicatrice, pas de tatouage, pas de signe particulier, rien, nada, nothing, niente. Jusqu’au jour où…

Cette histoire m’en rappelle une autre, réelle celle-là. C’était il y a une dizaine d’années en Angleterre, un homme retrouvé amnésique sur une plage du Kent et qui se révéla un virtuose du piano. Il fit la Une de pas mal de médias avant qu’on lui retrouve sa famille et qu’on reconnaisse qu’il n’avait en fait rien de virtuose, tout juste quelques connaissances en musique, suffisantes pour épater la foule et émoustiller la presse.

Là s’arrête la comparaison, Loup est incontestablement amnésique et virtuose, ce qui permet à Renaud Dillies de nous interroger sur ce que nous pourrions être, sur ce que pourrait être aussi le monde, si nous oublions un peu ce que nous sommes, autrement dit si nous laissions parler plus souvent la poésie, la magie, le rêve…

Dire que Loup est un album sensible et intelligent serait juste mais incomplet, il est merveilleux dans le fond et délicieux dans la forme. Bref, Loup est une friandise à croquer à pleines dents !

Eric Guillaud

Loup, de Renaud Dillies. Éditions Dargaud. 12,99€

© Dargaud / Dillies

© Dargaud / Dillies

10 Mar

Là où se termine la terre, un roman graphique de Désirée et Alain Frappier aux éditions Steinkis

Capture d’écran 2017-03-08 à 20.16.14Là où se termine la terre est une histoire vécue, celle de Pedro Atias, celle aussi d’un pays, son pays, le Chili, et plus largement du monde, notre monde…

Transmettre. C’est ce qui anime depuis toujours Désirée et Alain Frappier, les auteurs de cet album paru chez Steinkis en janvier. Transmettre la grande histoire du monde en la mêlant à l’histoire intime, celle des hommes, en l’occurence ici celle de Pedro Atias.

En 1948, quand débute ce récit, Pedro Atias n’est qu’un enfant en culotte courte, un enfant qui admire son père, Guillermo Atias, écrivain. Pedro est alors scolarisé à l’Alliance française et apprend « nos ancêtres gaulois », quasiment rien sur son pays, le Chili.

Mais peu importe, l’essentiel pour son père, un intellectuel de gauche, est d’inscrire ses enfants à l’Alliance Française, une école réputée pour la qualité de son enseignement.

« La France jouissait alors d’une image exceptionnelle en Amérique latine. Tout le monde aimait la France… »

Aujourd’hui, Pedro l’exilé vit en France. Mais ses souvenirs le ramène perpétuellement au Chili. Des souvenirs d’enfant, main dans la main avec son père face à la mer, puis des souvenirs d’adolescent qui s’éveille au monde, en découvre le côté lumineux, la coupe du monde de football de 1962, le cinéma, la littérature, et son côté obscur, l’assassinat de Kennedy, la guerre du Vietnam, la guerre froide…

Et puis il y a les souvenirs plus douloureux encore, le coup d’état militaire en septembre 1973, la mort de Salvador Allende, la dictature de Pinochet, la répression contre la gauche chilienne, les tortures, les déportations, les exécutions et disparitions de plusieurs milliers de personnes… et enfin, pour lui, l’exil.

Plus fort qu’un récit documentaire, plus fort qu’un récit historique, Là où se termine la terre nous plonge dans le passé chilien entre 1948 et les années 70. « Depuis longtemps, avec Alain, nous souhaitions raconter une histoire qui se déroule en Amérique latine, en Argentine ou au Chili… », explique Désirée Frappier, « Mais cela nous semblait impossible sans l’aide d’un fil conducteur sensible, capable de nous mener dans les méandres d’une histoire excessivement complexe tout en nous maintenant toujours dans la fragilité de l’intime et du particulier ».

Un récit dense et documenté, au ton souvent nostalgique et grave, emmené par un graphisme et une mise en page d’une très belle sobriété, qui ‘n’est pas sans rappeler le travail d’Emmanuel Guibert (La guerre d’Alan). Passionnant !

Eric Guilaud

Là où se termine la terre, de Désirée et Alain Frappier. Éditions Steinkis. 20€

© Steinkis / Désirée & Alain Frappier

© Steinkis / Désirée & Alain Frappier