18 Nov

De Chaplin à Charlot, la vie d’une étoile du cinéma racontée par le Nantais Bruno Bazile et le Belge Bernard Swysen

Tout le monde connaît Charlot. Mais qui connaît vraiment son créateur ? Avec Bernard Swysen au scénario, le Nantais Bruno Bazile vient de retracer sa vie dans une BD parue chez Dupuis. Nous l’avons croisé à l’exposition Chaplin du Musée d’arts de Nantes. Interview et déambulation…

@ F3 – Eric Guillaud

La suite ici

17 Sep

Chroniques de la Vigne – Conversation avec mon Grand-Père par Fred Bernard – Glénat

Chroniques de la Vigne par Fred Bernard – Glénat

Conversation avec Fred Bernard autour d’un verre de Bourgogne, du Savigny rouge, lors d’une séance de dédicace – dégustation à Issy- les-Moulineaux et plus tard, au téléphone. Son dernier album Chroniques de la Vigne est une pure réussite : la faconde de son grand-père y est gouleyante à souhait. Un grand cru !

–       Vous êtes en train de travailler sur une aquarelle ?

–       C’est un magazine qui me demande une planche qui parle à la fois de l’actualité du monde et de la mienne. Donc j’ai rajouté une planche au livre. C’est une des choses que j’aurais pu mettre et que je n’avais pas intégrée. Les vendanges commencent le 20 septembre cette année et cela ne va pas être formidable. Déjà il y a eu la grêle à la fin de l’été ; et puis le temps froid sans soleil de l’arrière saison. A Savigny, il ne reste que 30% de raisins et à Pommard ce n’est que 20%. C’est ce que je dessine pour Mondomix. Un bonus qui aurait pu être dans le livre.

–       Vous dites souvent que, cet album, vous souhaitiez le faire depuis plusieurs années, mais que votre grand-père n’était pas d’accord. Avez vous le sentiment que le livre est différent aujourd’hui, 15 ans après ce qu’il aurait pu être à l’époque où vous l’aviez imaginé ?

–       Ah oui, j’ai bien fait de ne pas le faire avant ! Premièrement parce que j’ai mûri un peu, on va dire … Je pense que je n’aurais pas axé le récit de cette façon là. Les anecdotes auraient été les mêmes, mais je n’aurais pas traité cela comme ça, ni graphiquement, ni même au niveau du ton en fait.

Fred Bernard en dédicace

Fred Bernard en dédicace

–       Je sens une grande liberté dans le ton, dans la narration et dans les dessins.

–       Oui c’est exactement cela. En le faisant aujourd’hui j’ai une espèce de lâcher-prise qui a donné ce que cela a donné. Je n’aurais pas été dans ce lâcher-prise là, il y a dix ans. A l’époque, je voulais le faire encore avec mon grand-père, à 4 mains et je n’avais pas cette vision là. Depuis j’ai fait plein d’autres albums pour lesquels je me suis appliqué à développer des dialogues très écrits et là c’est un phrasé quotidien en fait.

–       C’est vrai que j’entends vraiment la voix de votre grand-père. J’ai le sentiment que si je le rencontrais, je le reconnaitrais tout de suite et je serais en sympathie immédiate.

–       De toute façon, ce sont ses mots et ses formules. J’ai osé mettre tout à plat exactement comme cela peut se raconter dans une vigne ou dans un dîner. Les copains vignerons, que j’ai eus au téléphone depuis qu’ils ont lu mon album, cela les a même surpris, parce qu’ils connaissent le reste de mon travail : « Ah il raconte ça, oh la la … Ah! Il raconte ça comme cela !!!! Il a mis ça aussi ? » Et puis ils m’ont dit : « Ah ! Mais non, mais c’est bien ! » En fait, cela ne se prend pas au sérieux, alors que souvent le vin apparaît comme une chose très sérieuse, que ce soit pour les gens qui le font que pour les gens qui traitent du sujet. C’est quelque chose qui a beaucoup de cachet, cela fait partie de notre patrimoine qui est à préserver, c’est qualitatif … Donc très souvent c’est trop sérieux. Et  moi je voulais prendre ça par le petit bout de la lorgnette. C’est aussi ce que fait mon grand-père, c’est à dire virer tout le snobisme autour du vin, qui le met en rogne, et mettre plutôt en avant tous les plaisirs que cela apporte.

–       Comment avez vous recueilli toutes ses histoires ?

–       On bascule vite dans l’intime dans une cave. La plupart des anecdotes, je les ai reçues en cave et pas dans la rue. Un peu comme dans le livre ou le film Malevil avec Jacques Villeret : ils sont tous en train d’embouteiller ou de goûter du vin alors qu’il y a la fin du monde dehors ! Toutes proportions gardées, le monde extérieur n’existe plus vraiment dans une cave, le temps peut se prolonger et les confessions intimes sont alors possibles.

Chroniques de la Vigne , Fred Bernard – Glénat

–       Vous faites référence à un film. Est-ce que d’autres films ou des livres comme celui d’Etienne Davodeau Les Ignorants, ont pu vous inspirer ou bien vous libérer ?

–       Avec Etienne, déjà ce qui est super quand je l’ai lu, je me suis dit c’est formidable, il a déjà tout expliqué. Alors dans ma tête, j’ai pu évacuer tout ce qui était technique dans le vin. Par exemple la fermentation malolactique, il explique tout très bien, donc ça c’est fait. Son ton est léger, il est badin aussi, ce que j’ai beaucoup apprécié aussi. Moi je n’ai pas lu tout ce qui s’est fait sur le vin évidemment, ni en BD, ni ailleurs. Mais ce que j’ai lu, cela débroussaillait le sujet ; et puis de toute façon, comme dit toujours mon grand-père, tout a été dit et redit ; c’est pour ça qu’il ne voulait pas s’y coltiner avec moi ;alors moi je me suis attaché à des choses que dans la plupart des cas je n’ai jamais entendues ailleurs que dans mon village par des gens que je connais. Soit parce que ce sont des choses qui ne se disent pas, soit parce qu’on a le sentiment que cela n’intéresse pas les gens, et à tort bien souvent. Je ne suis pas rassuré depuis très longtemps, à dire vrai. Le livre est sorti il y a une semaine et aujourd’hui je peux affirmer : non cela n’intéresse pas que les gens du cru. En le faisant je me posais la question. Mais j’étais super motivé parce que je le faisais à la fois pour mon grand-père et les gens qui sont dedans. C’est intime mais c’est assez universel en fin de compte. Tout ce qui tourne autour du vin, et ce sont les plaisirs de la vie en général qui sont traités, avec beaucoup de recul du point de vue de mon grand-père qui a 90 ans. Il a l’art de s’amuser des choses et un recul que moi je n’ai pas … pas encore.

–       Cela semble venir si nous suivons votre création depuis les livres jeunesse jusqu’à vos derniers romans graphiques ?

–       J’apprends beaucoup de lui, et je l’écoute attentivement. Il m’amuse et il me fait rire. Tout ce qu’il dit me fait rire. Ma grand-mère n’est plus là, mais jusqu’à la fin de ses jours, elle a ri à la moindre de ses blagues, qu’elle a entendues mille fois. A chaque fois cela m’épatait parce qu’à chaque fois il les tourne autrement.

–       Et pour vous cela fonctionne de la même façon ?

–       Oui, et moi je l’ai toujours fait parler le plus possible. Sur moi il ne pose pas beaucoup de questions.

Chroniques de la Vigne, Fred Bernard – Glénat

–       Votre grand-père connaît-il vos albums ?

–       Oui, il les a lus parce qu’il lit de la bande dessinée depuis longtemps. J’ai retrouvé ses vieux Félix le Chat des années 30 ; a grand-mère lisait Bécassine et lui d’autres livres comme Quick & Flupke d’Hergé. Mes parents n’en ont pas lu, ou très peu, mais cela a sauté une génération ! Mes grands-parents en lisaient. Oui, il a donc lu les miennes … au moins les miennes. Je me souviens, une fois, je lui avais offert les Petits Ruisseaux de Pascal Rabaté. Je me suis dit : « ça passe ou ça casse ». Et bien cela ne lui a pas plu. Une BD sur le quatrième âge et ce qui arrive aux protagonistes cela me plaisait bien, mais pas à lui. Il est prude, trop prude. Il parle beaucoup, mais en fait il est très pudique.

–       Comme beaucoup de bourguignons peut-être ?

–       Oui, ce sont des coquillages bivalves, durs à ouvrir. Mais une fois qu’ils sont ouverts, c’est super ! Moi, dans le village de Savigny-lès-Beaune, je vois par hasard des gens qui me disent :  » J’habite là depuis 5 ans, j’ai un peu du mal à rencontrer des gens ». Cela ne m’étonne pas. Moi déjà en étant parti c’est un peu cuit, je ne suis plus vraiment du village. Je suis un peu le Parisien. En revanche, pour moi c’est chez moi là bas.

Fred Bernard et ses Chroniques de la Vigne

Fred Bernard et ses Chroniques de la Vigne

–       Pour revenir aux dessins, vous êtes conscient de votre évolution graphique pour cet album-là ?

–       Ce n’est effectivement pas du tout dans la lignée des précédents. J’avais déjà fait un album couleur, il y a deux ans, qui se passait aussi en Bourgogne en grande partie, et qui s’intitulait Ursula cers l’amour et au-delà. J’avais donc déjà utilisé la couleur mais je voulais véritablement traiter cela de façon enfantine. J’avais fait des dessins aux crayons de couleur et un peu d’aquarelle aussi. Un peu moins jeté mais plus brut.

–       A l’image de l’héroïne ?

–       Oui, et pour contre balancer le propos, qui n’était pas rigolo du tout en revanche ! Là pour cet album, vu que j’ai beaucoup fait de croquis de voyages, mais finalement assez peu dans mon secteur, puisque par définition je suis devant presque tous les jours, et là j’ai eu envie de le faire. L’éditeur connaissait mes carnets de voyages, et là je lui ai dit : « C’est un voyage chez moi, c’est une ballade avec mon grand-père. Je vais le traiter comme ça : jetés et aquarelles. » Et j’ai donc essayé de faire couler cela comme les dialogues, de façon très légère, comme si cela n’allait pas devenir un livre. En fait, sans me mettre de pression. Les seuls moments où je travaille comme cela c’est en voyage, c’est que pour moi. Et ici, c’est comme si c’était pour moi et les amis. Là, je me suis autorisé à ne pas dessiner tous les détails et à être plus impressionniste. Il y a dix ans, je n’aurais pas osé faire cela.

–       Vous qui revendiquez de ne vous attaquer qu’à des sujets qui vous passionnent, quel est votre prochain projet ?

–       Je travaille sur une biographie de Charles Nungesser, le pilote qui a disparu avec François Coli sur « L’oiseau blanc » en essayant de traverser l’Atlantique, deux semaines avant Charles Lindbergh. Je ne vais pas le dessiner, j’écris le scénario. C’est une commande de  Casterman, et je me suis dit : « Ah ouais !!! » (rires pétillants d’enfant). J’adore le sujet, et en plus la fin est mystérieuse ; la vie de ce type, je la connaissais très peu, seulement dans les grandes lignes. C’était un beau taré, il était génialement fou et casse-cou.

 

Cet album a été déjà salué par les bourguignons et les vignerons : Prix du Clos Vougeot 2013. Ce qui n’est pas une mince affaire pour un livre qui parle en dilettante du monde du vin.

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Le site de Fred Bernard

Les premières planches : Glénat

La BO à se mettre entre les oreilles pour prolonger le plaisir de cette BD :

Pigalle – Le Bar Tabac de la Rue des Martyrs (le chanteur François Hadji-Lazaro est devenu ami avec son grand-père)

Le point de vue le presse spécialisée : BDgest FranceInter France3Bourgogne

30 Jan

Esteban t4 de Matthieu Bonhomme – Dupuis

Le Grand Paris de la BD n° 9  – Spécial Angoulême 2013 – France 3

Rencontre avec Matthieu Bonhomme, un dessinateur parisien, primé en 2003 pour son Age de Raison, il reçoit l’Alph-Art du meilleur premier album.

Esteban - Prisonniers du bout du monde (T4) - Bonhomme / Dupuis

Il a publié le tome 4 d’Esteban, une très bonne série à succès, qui raconte les aventures d’un jeune indien devenu baleinier au Cap Horn. Cet album fait partie de la sélection Jeunesse d’Angoulême 2013. Matthieu Bonhomme était aussi l’invité d’honneur du Salon du Livre jeunesse de Montreuil 2012. Avec son compère Lewis Trondheim, un autre habitué d’Angoulême et de Montreuil, il a publié un étonnant album sur les archétypes du western, une bd à l’humour décalé, un régal pour les amateurs du grand ouest. Interview dans son atelier du 10e ardt et sur les quais du canal Saint-Martin, en plein travail sur les nouvelles planches du tome 5 d’«Esteban».

Matthieu Bonhomme - Dupuis

Là on est dans un décor typiquement parisien avec des immeubles, un métro et le canal Saint-Martin. Qu’est ce qui fait que ce n’est pas une source d’inspiration pour vous ?

C’est très étrange effectivement. Je suis un parisien de naissance, mes parents sont parisiens, mes arrières grands parents sont parisiens. Je pense que je suis venu à la Bd par un désir d’évasion. Ce n’est pas comme si j’avais délaissé mon environnement mais pour moi Paris n’a pas l’exotisme qu’il pourrait y avoir éventuellement dans une histoire d’aventure.

Et donc votre inspiration vous la puisez où si ce n’est pas dans le quotidien ?

C’est dans mes rêveries, dans mon imaginaire, dans mes lectures, dans la consultation de livres de photos et de film, des choses comme ça.

Vous avez quand même réalisé un album sur Paris et dans un décor urbain, Omnivisibilis. Pourquoi ce choix ?

Ce livre cela a été vraiment un défi qui m’a été proposé par le scénariste Lewis Trondheim. Il m’a dit on va changer tes habitudes. Effectivement comme j’avais l’habitude de ne rien faire à Paris, d’un seul coup, c’est devenu un des arguments de la différence je dirais. J’ai beaucoup dessiné Paris dans ce livre là. Il y a plein de choses qui étaient différentes de mes habitudes aussi : le format, le nombre de page, la façon de raconter. Cela a été l’occasion de m’exercer à de nouvelles choses.

Vous y avez pris plaisir ou c’était juste une parenthèse ?

Une parenthèse c’est vrai, mais j’y ai pris beaucoup de plaisir. J’ai constaté qu’effectivement c’était très pratique d’avoir toute la documentation en bas de chez moi. Effectivement cela faisait une différence par rapport à mes autres projets.

Texas Cowboys - Bonhomme-Trondheim / Dupuis

Matthieu Bonhomme, votre dernier album c’est Texas Cowboys . Vous même, vous êtes plutôt pied tendre ou vrai cowboy ?

Moi je suis un pied tendre mais je suis passionné des cowboys. Un vrai pied tendre.

Cela n’aide pas pour dessiner un vrai album de cowboys ?

C’est-à-dire que moi j’aurais aimé être un cowboy évidemment. Je vais chercher mon inspiration dans les films, dans les photos, dans la documentation que je peux trouver sur des images de l’ouest.

Mais aussi chez des maitres de la Bande dessinée comme Jean Giraud ou d’autres ?

Oui bien sur, je suis venu à la bande dessinée parce que j’ai découvert Blueberry, Lucky Luke. C’est vraiment le western qui m’a amené à la bande dessinée. Aujourd’hui faire cet album sur les cowboys, c’est comme un retour à mes inspirations premières.

Mais vous avez aussi d’autres maitres qui sont plus surprenants comme Peyo, l’auteur des Schtroumpfs ?

Oui c’est-à-dire qu’évidemment je me suis nourri de plusieurs sources d’inspiration. Il y a vraiment évidemment Jean Giraud avant tout, mais il y a également Peyo pour sa simplicité. Je trouve que dans chaque auteur qui m’a vraiment marqué, il y avait toujours des petits trucs à récupérer dans leur savoir faire. Cela m’a beaucoup aidé pour avancer dans le métier.

Esteban & Matthieu Bonhomme - France Télévisions

Certains de vos admirateurs disent que vous êtes la synthèse entre la ligne claire franco-belge et la nouvelle bande dessinée. Qu’est ce que vous en pensez ?

Je ne suis pas le seul dans ce cas là, mais c’est vrai j’ai grandi en me nourrissant de toute la Bd franco-belge et puis j’ai continué mon apprentissage et ma culture de la bande dessinée, étant jeune adulte, et en lisant beaucoup ce qui se faisait dans ma génération. Donc tout cela est entré en moi, et j’ai du en faire une synthèse plus ou moins consciente.

Qu’est que l’on peut trouver dans votre carnet que vous emportez partout ?

Dans mes carnets, on trouve un petit peu tout. Il n’y a pas que des dessins. Je suis dessinateur mais aussi scénariste. En fait c’est aussi un compagnon de route. Il y a énormément de textes, par exemple il y des pages comme ça remplies de textes qui sont mes idées. Au quotidien je flâne souvent et dès que j’ai une idée qui m’arrive pour écrire un scénario, à ce moment là je la note pour qu’elle ne s’envole pas. Et puis à la fin, ça c’est ma matière première pour l’écriture.

Esteban - Prisonniers du Bout du Monde - Bohomme / Dupuis

Est-ce que vous pensez à vos lecteurs quand vous écrivez un scénario, quand vous dessinez ?

Oui je pense beaucoup aux lecteurs, mais je sais aussi que pour fournir aux lecteurs l’évasion, dont il a besoin, il faut que moi déjà je m’évade. Et donc je suis en permanence avec mes personnages dans un coin de ma tête à me demander ce qui se passe, ce qui se pourrait se passer, ce qui serait bien qui se passe, ce que l’on aurait envie de voir dans cette histoire.

Est-ce que vous pensez différemment à un lecteur enfant ou un lecteur adulte ?

Moi je ne fais pas cette distinction là. Je fais une BD tout public, donc j’ai vraiment l’impression d’écrire pour moi, mais autant pour moi que pour mon fils, pour ma femme, pour mon frère et pour des gens d’âges différents. Je suis un peu dans la tradition, je dirais, de Tintin. J’essaie de faire des histoires qui me ressemble, où il y aura une importance donnée à l’émotion des personnages et partir à l’aventure avec eux, de les accompagner dans leur émotions et dans tout ce qui va les révéler.

Matthieu Bonhomme dans son atelier - France Télévisions

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La BO à se mettre entre les oreilles pour prolonger le plaisir de cette BD :

Twisted Nerve de Bernard Herrmann

Le reportage de France télévisions : Culturebox

Pour découvrir les premières planches de l’album : Esteban – Editions Dupuis

Le point de vue de la presse spécialisée :

BDgest ActuaBD

29 Nov

Les Ignorants d’Etienne Davodeau – Futuropolis

Le Grand Paris de la BD n° 7

Couverture Les Ignorants - DR Futuropolis

Rencontre inhabituelle dans un théâtre parisien. Richard et Etienne vivent dans le même village de la campagne angevine. Le premier est vigneron, le second auteur de bandes dessinées. Tous les deux sont au début ignorants ou presque du métier de l’autre. Cet album est le fruit d’une rencontre qui donne lieu à une initiation croisée. A l’origine d’un double plaisir pour le lecteur qui, au travers des deux personnages, tour à tour candides et spécialistes, découvre toute la richesse de leur art respectif.

Richard Leroy (à gauche) avec Etienne Davodeau (à droite) DR Futuropolis

L’auteur, Etienne Davodeau, s’est fait connaître avec des polars dessinés, puis des récits à hauteur d’homme et de femme, comme Lulu femme nue. Il n’est pas le premier à repousser les limites de la bande dessinée classique franco-belge. Cabu avait par exemple dessiné des ses reportages pour Charlie Hebdo, il ya plus de 30 ans. Mais avec ses chroniques du réel, comme Rural et Les Mauvaises Gens, Etienne Davodeau a montré toute la force de son récit en s’impliquant à la première personne et se mettant en scène dans ses planches. Trois niveaux de narration se superposent : ce que ses personnages disent, ce que le personnage dessinateur dit et ce que l’auteur raconte en voix off, sans oublier la mise en abyme où le dessinateur présente ses planches à ses personnages pour vérifier avec eux qu’il ne leur fait pas dire de bêtises.

Les Ignorants - DR Futuropolis

Les Ignorants s’inscrit dans cette lignée. C’est l’histoire de sa rencontre avec son voisin vigneron Richard Leroy, qui a donné cet album publié en 2011. Mais ici, Etienne Davodeau n’est plus le chroniqueur, observateur du monde des agriculteurs ou de celui des ouvriers. Il devient un protagoniste à part entière. Cela lui permet de mettre en scène de manière vivante son univers d’auteur de BD et de proposer au lecteur un parcours condensé et historique de la BD contemporaine.

Ce qui lui permet aussi de mettre en scène le monde de la viticulture dite bio, celui de Résistants face à une économie productiviste dominante.

Le projet n’est pas que sociologique ou didactique : il retrace aussi la naissance d’une amitié, le lecteur découvre deux hommes, deux individualités. Une amitié qui s’est prolongée bien au delà du projet d’écriture, qui les conduit à aller ensemble à la rencontre de leur public.

Pour aller plus loin, les éditions Futuropolis ont donc proposé aux deux compères de traverser la page. Cela a eu lieu dans un théâtre parisien, le théâtre des Mathurins, le mercredi  21 novembre 2012. Ce qui frappe et trouble de prime abord, c’est la justesse du dessin d’Etienne Davodeau. Dans le réel, « Son vigneron », dès qu’il se met à parler, est bien tel qu’il l’a représenté, lui et sa façon de travailler sa vigne avec passion.

Richard Leroy, ce vosgien a fait des études de sciences économiques et n’a aucun vigneron dans sa famille. Il ne vient même pas d’une région viticole. Avant il travaillait dans la banque, un monde économique qu’il a quitté pour un nouveau projet de vie. Il est allé vers le vin par passion. Il s’est installé dans la vallée du Layon, à Rablay-sur-Layon au milieu des années 1990, avec l’achat de sa première parcelle sur le lieu-dit les Noëls de Montbenault, complétée quelques années plus tard par une seconde parcelle, le Clos des Rouliers.

Dès le début, le choix de Richard Leroy s’est porté vers l’agriculture biologique et la biodynamie. Ce sont, selon lui, les seules pratiques à même de ne pas polluer la Terre et de ne pas dénaturer le terroir. Car ce à quoi aspire ce viticulteur exigeant, c’est de « travailler la vigne le plus simplement possible car le vin n’est rien d’autre que du raisin fermenté« . Tout ce qui éloigne de cette réalité, les produits phytosanitaires, les levures, la chaptalisation, le soufre en trop grande quantité est à proscrire pour lui.

Les Ignorants - DR Futuropolis

Quand le projet est né, Richard Leroy n’a pris que dix secondes pour accepter, s’inquiétant juste du risque de massacre de ses précieux ceps de Chenin Blanc, s’il confie pour la première fois un sécateur à un dessinateur. Car le principe de cette BD reportage est là : pour raconter son histoire, Etienne Davodeau a passé un an à suivre le travail de la vigne, s’initiant ainsi à la fabrication du vin naturel, avec en parallèle pour le vigneron la découverte de toutes les étapes de fabrication d’une bande dessinée. Comme il dit, « c’est un livre non pas sur les gens mais avec les gens, à leur hauteur. L’idée, c’est de quitter son atelier, pour se confronter au réel et raconter des histoires de façon subjective. » Cette idée lui est venue comme il le dessine dans les premières pages, quand Richard Leroy est venu dans son atelier « lui poser des questions tellement imbéciles » qu’il s’est dit : « Toi, tu m’intéresses ! »

Les Ignorants - DR Futuropolis

Des bandes dessinées, le vigneron n’en avait pratiquement jamais lu ; mais comme il dit, un rien provocateur : « Rural et Mauvaises Gens ce n’étaient pas des BD car c’était bon. » Et aujourd’hui après en avoir lu des dizaines, d’auteurs très différents, il confirme que Moebius cela ne lui parle toujours pas (ne manquez pas les planches sur leur visite à l’exposition de la Fondation Cartier). « Il y a des gens qui font des pages colorées, qui sont bien gentils. Je n’ai pas de temps pour ça. Ton bouquin, Etienne, est bien parce qu’il ne raconte rien. Il est en symbiose avec le type de vignerons que nous avons rencontrés. »

Au fil de la discussion, chacun confirme ce qui se devine au fil des pages, chacun a appris sur son propre métier : « Quand on doit amener quelqu’un dans son propre univers, on doit se poser des questions que l’on ne se posait plus. » En résulte un récit sincère qui est confirmé par les plus critiques, ceux qui partagent le savoir faire du vin bio et de la biodynamie, « c’est super cette BD, tu as vraiment parlé de nous ».

Un superbe récit en Noir et Blanc sur un beau papier ivoire, que Richard Leroy aurait préféré lire en couleurs pour retrouver toutes celles de son vignoble et de sa terre. Mais le choix d’Etienne Davodeau, c’est celui « d’un dessin pour lire, pas pour admirer. Le noir et blanc convient bien pour cela. En fait c’est l’ambiance du travail de la vigne qui est important. Peut-être cela permet au lecteur de mettre les couleurs lui-même, de laisser place à son imagination, sa part du travail. »

Les Ignorants - DR Futuropolis

Une rencontre qui se conclut par une mise en garde de la part du vigneron qui a « accepté ce projet car il vendait déjà très bien son vin et que là, cela ne lui rapporte que des em… » Tous les jours, l’album en main, des lecteurs téléphonent ou passent le voir pour en acheter, mais « toute la production est déjà vendue. Alors peut être dans trois ou cinq ans, ce sera possible. » Mais avec un point positif dont il n’est pas peu fier, ce livre fait aimer le vin pour ce qu’il est et non pas son étiquette. Il suscite aussi tout une série de vocations pour une nouvelle génération qui comme lui, souhaite acheter quelques hectares de vignes et devenir vigneron à sa façon.

Un livre qui donne envie de découvrir le vin naturel et bio-dynamique à celles ou ceux qui en boivent peu ou pas, un livre à déguster en toutes saisons.

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La BO à se mettre entre les oreilles pour prolonger le plaisir de cette BD :

I heard it through the Grapevine de Marvin Gaye

Pour découvrir les premières planches de l’album : Editions Futuropolis