09 Sep

Tananarive ou l’aventure en héritage, un récit de Sylvain Vallée et Mark Eacersall

Le dessinateur Sylvain Vallée rêvait de prendre une année sabbatique, de s’éloigner un peu de la bande dessinée, jusqu’au jour où il reçoit le scénario de Mark Eacersall et en tombe raide dingue pour la simple et bonne raison qu’il mettait en scène deux vieillards. Bingo ! Tananarive est l’un des plus beaux albums de l’année. Une histoire à la fois intime et universelle, douce et dingue, dramatique et poétique…

Bon, on ne va pas vous faire languir sur le coup, vous obliger à lire cette chronique jusqu’à la dernière ligne, on vous le dit d’entrée, l’album de Sylvain Vallée et Mark Eacersall est un pur bonheur, un gros chef-d’oeuvre, le genre de bouquin qui vous fait aimer encore plus la bande dessinée. De la première à la dernière page, tout est un régal, les dialogues, les dessins, le découpage, le rythme, les couleurs et bien sûr l’histoire.

L’histoire justement, celle d’un notaire, Amédée, le chauve avec son imper et son faux air de Jérôme K Jérôme Bloche, vous savez le détective de Dodier, ici en version retraité. Cette ressemblance tombe bien parce que le notaire, enfin l’ex-notaire, se transforme dans le récit en détective. C’est pour ça qu’il a ressorti l’imper. Pour faire vrai. Et la petite Triumph cabriolet sport qui va bien. L’aventure avec un grand A ne se vit pas avec un monospace tout de même.

© Glénat /Vallée & Eacersall

Tout commence un soir chez Jo, son ami le plus proche. Sa maison est en face de la sienne. Tous les deux refont le monde à la façon du film Un Singe en hiver avec Gabin et Belmondo. Un verre à la main, Jo raconte sa vie d’aventurier, Diên Biên Phu, la Mer rouge, les pirates, les Guaranis… devant un Amédée conquis. Qui en redemande. Mais il est 11 heures, et il ne faut pas rater le sommeil de 11 heures lui dit Jo. La suite demain. Mais le lendemain, Jo meurt d’une crise cardiaque, laissant Amédée dans le plus grand désarroi. Prêt lui aussi à se laisser mourir.

Et puis non ! Amédée se ressaisit et décide de partir à la recherche des héritiers. Pas de testament, pas d’enfants connus. Amédée va devoir retrouver les traces de l’état civil de son ami, aller à Madagascar où il disait être né avant de voyager partout à travers le monde. Madagascar ? Non, finalement, ce sera Charleville. C’est marqué sur l’acte de décès, en toutes lettres : « Monsieur Joseph Gaston Seigneur, né à Charleville ». Celui qu’il croyait connaître par coeur avait ses petits et grands secrets. Et Amédée n’a pas fini d’en apprendre sur son ami…

© Glénat /Vallée & Eacersall

Magistral ! je vous le disais. Sylvain Vallée et Mark Eacersall mettent en scène une aventure humaine à la fois pleine de poésie, de sagesse et de drôlerie entre deux septuagénaires, le premier qui n’a pas franchement profité de la vie, pépère avant l’heure, et le second, qui l’a passée à travestir la réalité, fantasmer un destin d’aventurier au long cours Tananarive parle de l’amitié bien sûr, de la mort un peu, de la vie beaucoup, de ce qu’on en fait, de ce qu’on laisse en héritage. Un tourbillon d’émotions !

Eric Guillaud

Tananarive, de  Sylvain Vallée et Mark Eacersall. Glénat. 19,50€

07 Sep

La BD fait sa rentrée. Bob Morane est de retour en BD pour sauver le monde et ses fidèles lecteurs avec lui 

Alors que son créateur Henri Vernes vient de tirer sa révérence (à 102 ans !), « le vrai héros de tous les temps » Bob Morane, lui, revient en BD après une absence de cinq ans. Et ici, après une modernisation ratée, retour aux fondamentaux !

Il aura juste eu le temps d’écrire la préface. Quelques mois seulement son décès, l’ex-journaliste et prolifique auteur a donc pris sa plume pour passer le témoin en quelque sorte aux scénaristes Christophe Bec et Corbeyran et au dessinateur Paolo Grella et saluer en eux de « vrais lecteurs de Bob Morane ». Un petit texte imprimé en préambule de ce ‘reboot’ en quelque sorte de la série – un beau ‘1’ s’affiche sur la tranche – qui donne le ton, avec justesse.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que cette nouvelle aventure a lieu en 1952, le tout premier roman de Bob (à l’époque on disait plutôt ‘Robert’) Morane La Vallée Infernale ayant été publié par Marabout Junior en 1953. Tout comme le fait que style de Grella est ouvertement très proche de celui de William Vance, aux manettes entre 1968 et 1979, période à laquelle la série était au sommet de sa popularité.

© Soleil / Bec, Corbeyran, Grella et Gérard

L’objectif est ici clair : retrouver ce même mélange d’aventures exotiques, de pulps et de science-fiction, un peu rétro mais avec une noirceur supplémentaire assumé. Et histoire de bien enfoncer le clou, on a même convoqué pour l’occasion l’ennemi numéro un du héros, l’Ombre Jaune dont les traits ici plus proches que jamais de feu l’acteur Yul Brunner. Aux couleurs, Sébastien Gérard donne aux montagnes et aux forêts d’Indochine où l’action se déroule une teinte verdâtre et mystérieuse. Bref, c’est plutôt réussi.

Certes, après une longue introduction, il y a quelques raccourcis et la conclusion est, disons, un peu précipitée (manque de pagination ?), tout comme ce virage à 90° dans l’horreur cosmique en fin parcours pas très bien négocié. Mais Les 100 Démons de L’Ombre Jaune assume son côté série B à l’ancienne. Et au diable le réalisme ! Le plaisir que l’on a toujours tiré de ce type de héros comme Bob Morane ou Doc Savage sortant vainqueurs des pires vilenies est avant tout un plaisir de gamin et là, on est servi. Accessoirement, on sent aussi l’aventurier enfin de retour sur de bons rails après quelques errements et ça promet pour la suite, ta ta ta !

Olivier Badin

Les 100 Démons De L’Ombre Jaune, de Christophe Bec, Corbeyran, Paolo Grella et Sébastien Gérard. Soleil. 14,95€

© Soleil / Bec, Corbeyran, Grella et Gérard

05 Sep

Le retour de Corto Maltese : hérésie ou coup de génie ?

Ce n’est pas la première fois qu’un héros de papier survit à son créateur, ce n’est pas non plus la première fois que Corto Maltese repart à l’aventure depuis la disparition d’Hugo Pratt. Alors pourquoi tant d’amour et de haine autour de cet « album événement » sorti chez Casterman et signé Martin Quenehen et Bastien Vivès ?  Réponse ici…

Le secret a été bien gardé jusqu’au jour de sa sortie, le 1er septembre. Ou presque ! Les plus avertis des amateurs de bandes dessinées ont pu bénéficier de quelques fuites ici ou là. Mais rien qui ne pouvait atteindre le grand public, celui à qui s’adresse ce nouvel album.

Car Corto Maltese n’est pas n’importe quel héros de papier. C’est l’un des plus intemporels, des plus populaires, des plus appréciés et bien au-delà du seul petit monde du Neuvième art. Comme Lucky Luke, Spirou, Astérix, Blake et Mortimer, Blueberry ou encore Tif et Tondu, qui ont tous fait l’objet de reprises, Corto appartient aujourd’hui à notre imaginaire collectif et de fait à nous tous avec l’image qu’on s’est faite de lui, qu’on garde de lui.

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Lui donner une nouvelle vie, comme l’ont fait précédemment Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero et aujourd’hui Martin Quenehen et Bastien Vivès est assez casse-gueule. Forcément, quelque chose ne collera pas à cette image que nous avons du personnage, forcément, il n’y aura pas la même musique, la même poésie, le même coup de crayon.

Et c’est là à mon avis le coup de génie de Vivès et Quenehen, garder l’essence des aventures de Corto, l’ADN du personnage, mais s’éloigner totalement du graphisme de Pratt et de la période, le début du XXe siècle, dans laquelle se déroulent toutes ses aventures depuis La Ballade de la mer salée sorti en 1975 jusqu’à en 1992, et même sous les trois albums du tandem Canales / Pellejero. Océan noir se déroule en 2001 avec un Corto rajeuni, plutôt beau gosse, une allure actuelle avec tout de même ses légendaires rouflaquettes et sa boucle d’oreille.

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Vivès et Quenehen, ne sortent quand même pas de nulle part, le premier est l’auteur d’une vingtaine de one-shots et de plusieurs séries dont Lastman, le second, ancien producteur d’émissions à France Culture, romancier, est devenu scénariste de bande dessinée avec un autre album dessiné par Bastien Vivès, Quatorze juillet.

Alors bien sûr, ce parti pris graphique – Vivès a tout de même un trait singulier – et scénaristique ne peut effectivement pas plaire à tout le monde et bien évidemment les gardiens du temple sont montés au créneau et s’offusquent. Petit florilège :

« Arrêtez ce massacre », « Corto est mort avec Hugo Pratt », « Vous faites quoi la prochaine fois ! Corto contre Batman !? », « Le personnage de Corto est lié à son époque et ses références culturelles… Le mettre à notre époque c’est trahir tout ce qu’il est »…

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Bref, les griefs sont nombreux, les louanges le sont tout autant. Alors, le meilleur moyen d’aborder cet album est de bien garder à l’esprit que Vivès et Quenehen n’ont en rien l’ambition de remplacer Hugo Pratt. Ce n’est pas possible ! Ce qu’ils souhaitent, c’est offrir une autre perspective de l’oeuvre, une réinterprétation, et quelque part rendre hommage au génie de Pratt.

Et de ce côté-là, c’est réussi. Océan noir nous embarque dans une très belle aventure, où l’on retrouve tout le magnétisme, le romantisme du personnage avec un casting de premier choix, Rasputine bien sûr et des femmes, pas mal de femmes, qui mènent la danse comme souvent dans les aventures de Corto et trimbalent notre héros de Tokyo à Lima au Pérou à la recherche d’un trésor.

Pour répondre à la question de cette rubrique, l’album de Vivès et Quenehen n’est absolument pas une hérésie, plutôt un coup de génie, en tout cas un album qu’il faut impérativement avoir dans sa collection Corto Maltese. Inutile de vous précipiter, il y en aura pour tout le monde, l’objet serait tiré à plus de 100 000 exemplaires.

Eric Guillaud

Corto Maltese, Océan noir, de Vivès et Quenehen. Casterman. Disponible en deux versions, cartonné et en couleur à 35€, souple et en noir et blanc à 22€

01 Sep

La BD fait sa rentrée. Et si l’attentat du 11 septembre avait été évité…

Comme on pouvait légitimement s’y attendre, à l’approche du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre refleurissent au rayon BD les albums sur ce thème. Comme celui-ci, une très belle réédition en intégrale de trois albums initialement parus dans la collection Jour J en 2017…


« Happy 2005 » inscrit en lettres lumineuses sur les tours jumelles : l’image aurait pu faire le tour du monde, la Une des médias, elle ne fera que la couverture de ce récit signé Duval, Pécau, Blanchard et Kordey, une uchronie comme le sont tous les épisodes de cette série publiée par Delcourt et portant le nom générique de Jour J.  Publié initialement en trois volumes en 2017, le récit repose sur une interrogation : et si les attentats du 11 septembre avaient pu être évités ?

Et de fait, ils auraient pu être possiblement évités si on avait en l’occurrence écouté un homme, John Patrick O’Neil, agent puis directeur assistant du FBI, avant de devenir le chef de la sécurité du WTC en 2001, quelques jours avant les attentats qui lui coûteront la vie comme à des milliers d’autres hommes et femmes.

Une uchronie ? Non, jusqu’à ce point du récit, ce n’est que vérité et ironie. Lui, la sommité de l’antiterrorisme qui avait comme le rappelle le dossier placé en ouverture de l’album, découvert dans les années 90 à la fois l’existence d’Al-Qaïda, de son dirigeant Ben Laden et de l’opération Bojinka, laquelle prévoyait le détournement d’avions pour les précipiter sur des cibles civiles dont le WTC, meurt dans l’attentat le plus sidérant de notre époque, un attentat qui allait changer le cours de l’histoire.

Et si l’attentat n’avait pas eu lieu, et si O’Neil n’était pas mort le 11 septembre, et s’il avait gagné son combat contre le terrorisme. L’uchronie est là. 11 septembre raconte ce qui aurait pu se passer et ce qui nous aurait été épargné. Un récit qui a du peps embarqué par le dessin à fort caractère du Croate Igor Kordey.

Eric Guillaud 

Jour J, 11 septembre, par Duval, Pécau, Blanchard et Kordey. Delcourt. 19,95€

28 Août

La BD fait sa rentrée. Bons baisers de Limón, premier roman graphique du Costaricain Edo Brenes

S’il y a bien quelque chose d’universel, ce sont les histoires et les secrets de familles. Bons baisers de Limón se déroule au Costa Rica, il aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. L’album n’en reste pas moins une belle découverte et un voyage singulier…

Pour ceux qui ne le sauraient pas, comme moi quelques minutes avant d’écrire ces lignes, et de fait vous épargner une recherche sur Google, Limón, à la fois province et ville, se situe sur la côte caraïbe du Costa Rica.

L’auteur, Edo Brenes, en est originaire. Il vit aujourd’hui à Cambridge au Royaume Uni. Dans ce roman graphique, il met en scène un jeune homme prénommé Ramiro vivant en Angleterre et revenant sur ses terres avec l’idée d’écrire un livre sur les membres de sa famille qui ont vécu à Limón dans les années 40 à 50. Vous l’aurez compris, sans être présentée comme une autobiographie, Bons baisers de Limón est largement inspiré de sa vie.

Arrivé chez sa mère, il déniche quantité de photos dans une vieille malle du grand-père. Elles seront le point de départ de ses recherches et de ses rencontres…

Pour un premier roman graphique, Edo Brenes nous surprend vraiment par sa maîtrise de la narration et du graphisme. Personne ne sera étonné à la lecture de son livre qu’il adore Chris Ware. Il se dit aussi inspiré pour cet album par Giuseppe Tornatore (Cinema Paradiso) et Wong Kar-Wai (In the Mood for Love). Bref, que de bonnes influences pour un récit qui se savoure tranquillement, allongé sous un palmier ou non. Page après page, on se prend à aimer cette famille et à se prendre pour l’un des siens. Pas d’aventure avec un grand A ici, juste des tranches de vie ordinaires déroulées sur un mode tendrement nostalgique. On adore !

Eric Guillaud

Bons baisers de Limón, de Edo Brenes. Casterman. 23€ ( en librairie le 8 septembre )

© Casterman / Brenes

26 Août

La BD fait sa rentrée. Bettie Hunter ou quand la SF à la française sait habilement mélanger humour et space-opera

Début des aventures d’une chasseuse de primes pas comme les autres au XXVème siècle, très douée pour se fourrer dans de sacrés pétrins, dans le premier de deux tomes annoncés. Décalé et drôle.

Peut-être écrasée par la concurrence anglo-saxonne, la BD française ne s’aventure pas si souvent que ça sur le terrain casse-gueule du space opera. Et quand elle le fait, c’est souvent sur un ton très sérieux, voire assez mystique, comme on l’a vu récemment sur l’excellent Amen par exemple. Donc déjà, rien que le contrepied total pris par Bettie Hunter fait un bien fou, surtout qu’on ne tombe pas pour autant dans la gaudriole non plus.

Non, ici tout est coloré, pop et joyeusement foutraque, dans un style finalement plus proche du duo Tome & Janry lorsqu’il était en charge de Spirou dans les années 80 que celui d’un, mettons, Moebius. Et surtout, tout tient grâce à son personnage principal, la fameuse Bettie Hunter – jeu de mot sur ‘bounty hunter’ qui veut dire en anglais ‘chasseur de primes’ – chasseuse de primes donc, à la langue bien pendue mais aussi au background, disons, compliqué : élevée dans un orphelinat et surdiplômée, elle est éternellement flanquée d’un robot un peu perché comme elle. L’histoire se passant au XXVème siècle, les auteurs s’amusent d’ailleurs beaucoup à de temps en temps insérer une double pleine page où elle endosse alors une tenue universitaire pour nous faire une sorte de cours magistral sur telle ou telle créature extraterrestre…

© Glénat / ComixBuro – Ducoudray & Lechuga

Toujours à cours d’argent, elle accepte une mission a priori facile, retrouver la trace d’une jeune femme travaillant dans l’humanitaire. Sauf dès que le duo se rend à Minaria Prime sa dernière affectation, une lointaine planète où deux espèces se livrent une guerre sans merci sous l’œil torve des êtres humains, les ennuis commencent.

Leur éditeur parle d’une aventure survoltée et tapageuse dans la veine des Gardiens de la Galaxie de MARVEL. Mais on rajouterait bien aussi une pincée de Tank Girl, à qui Bettie a d’ailleurs en partie la coupe de cheveux mais aussi le sens de la répartie cinglante, et de Valérian pour le côté bariolé. Mais surtout, au-delà des dialogues très réussis et de l’interaction toujours très drôle du duo, il y a aussi sous-jacent un discours sur la tolérance et le racisme, où l’être humain n’a, pour une fois, pas le plus beau rôle. Bref, une vraie réussite, qui plus est animée par deux auteurs français qu’on a très envie de suivre avec assiduité.

Olivier Badin

Bettie Hunter, Tome 1 par Aurélien Ducoudray et Marc Lechuga. Glénat/Comixburo. 15,50 euros

© Glénat / ComixBuro – Ducoudray & Lechuga

25 Août

La BD fait sa rentrée. Meadowlark, le polar coup de poing de Greg Ruth et Ethan Hawke

Ce duo-là nous avait déjà subjugué en 2017 avec l’album Indeh qui revenait sur le destin tragique des Apaches. Il nous bluffe à nouveau avec ce polar chaud bouillant, une histoire de voyous mais aussi une histoire de famille et d’amour filial…

L’affiche trône comme un trophée juste au-dessus de son lit. Une fierté. SA fierté ! Et pour cause, elle annonce une rencontre au sommet entre Domingo « Ringo » Rojas et Jack « Meadowlark » Johnson, son père, un champion de boxe, un vrai fauve… à l’époque.

Aujourd’hui, Meadowlark a raccroché les gants et la hargne qui va avec. Il est devenu gardien de prison. Ça ne nourrit pas vraiment son homme. Ça fait d’ailleurs un bail qu’il n’a pas payé la pension alimentaire pour son fiston justement, Cooper de son prénom, qu’il voit de temps en temps quand tout va bien.

On ne peut pas dire que tout aille bien ce matin-là quand il déboule chez son ex. Non seulement, Cooper a piqué les roues de la Firebird qui sert désormais au beau-père qu’il déteste, mais il s’est fait virer de l’école.

« J’ai fait tomber un joint de mon sac pendant le cours de M. Pikett. Et ils en ont trouvé d’autres dans mon casier… Et de l’acide ».

© Robinson / Ruth & Hawke

Bon, pas de quoi l’emmener en prison me direz-vous, il va pourtant y faire un passage ce jour-là,  mais simplement pour accompagner son père au boulot. Au mauvais endroit, au mauvais moment, une émeute éclate dans un des blocs de la prison, des gardiens sont tués, des prisonniers s’évadent…

« Je dois mettre ces sauvages hors d’état de nuire », s’exclame Meadowlark. « Tu te prends pour qui ? Le shérif de Dodge City ? », lui rétorque Cooper.

Et voilà nos deux héros embarqués dans un mauvais roadtrip, une sale histoire qui révélera de sombres secrets et qui ne finira pas, bien évidemment, comme un conte de fées…

© Robinson / Ruth & Hawke

Décidément, la collaboration entre le dessinateur Greg Ruth et le réalisateur, acteur, écrivain et scénariste Ethan Hawke est des plus payantes. Après le magnifique Indeh publié en 2017 aux éditions Hachette Comics, ils nous offrent ici un thriller noir en même temps qu’un mélodrame familial. L’atmosphère est lourde, poisseuse, ça suinte à toutes les cases, un récit intense, un découpage efficace, un graphisme réaliste toujours aussi percutant, des dialogues qui vont à l’essentiel et des personnages à fort caractère, Meadowlark relève du genre génial et indispensable.

Eric Guillaud

Meadowlark, de Greg Ruth et Ethan Hawke. Robinson. 22€ 

23 Août

Prix René Goscinny du meilleur scénariste. Madeleine, résistante ou l’engagement permanent, une histoire de Bertail, Morvan et Riffaud

À l’image de la Der des Der, la seconde guerre mondiale a inspiré quantité de fictions, documentaires et biographies. En voici une nouvelle page avec la vie de Madeleine Riffaud, 96 ans, résistante jusqu’au bout de la vie, un fabuleux témoignage sur la liberté…

Sur le compte Facebook du dessinateur Dominique Bertail, on peut lire : « Notre album Madeleine, résistante, avec Madeleine Riffaud et Jean David Morvan, chez Aire Libre aux Éditions Dupuis, vient de sortir !!! Mélange d’émotion et de fierté. L’album est beau, bien imprimé, sur du beau papier et il sent bon ».

Et tout est vrai, aucunement exagéré, il est beau et il sent bon, il sent bon le travail bien fait, le travail de passionnés. Au scénario, Jean David Morvan (Sillage, 7 Secondes, Nomad…), au dessin Dominique Bertail (L’enfer des Pelgram, Ghost Money…), deux auteurs qu’on ne présente plus, accompagnés pour le coup d’une jeune autrice de bande dessinée, Riffaud, Madeleine de son prénom, 96 ans et une vie incroyable au service de la liberté.

© Dupuis – Bertail, Morvan & Rifffaud

Madeleine, résistante est le portrait de cette dernière, née en 1924, résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, combattante éternelle pour la décolonisation, l’oppression des peuples d’une manière générale, amie de Picasso et Hô Chi Minh, bref un personnage comme seules les grandes heures de l’histoire peut en fabriquer, une femme pleine de courage mais surtout d’humilité bien décidée à transmettre dans les pages de cet album son histoire et au-delà, un esprit, celui de l’engagement et de la Résistance.

« Ne jamais pleurer sur l’état de son pays ou sur son propre sort. Aucune cause n’est jamais perdue, sauf si on abandonne », écrit-elle en préface.

Prépublié sous la forme de trois cahiers « work in progress » entre juillet 2020 et juin 2021, aujourd’hui disponible en album, ce premier des trois volets annoncés allie la force du témoignage historique et le souffle de l’aventure avec un scénario taillé au cordeau et un trait fin et précis, des planches en bichromie d’une beauté exemplaire, et bien sûr une histoire passionnante. Le coup de coeur de la rentrée !

Eric Guillaud

Madeleine, résistante (tome 1), de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 23,50€

13 Août

Pages d’été. Comme une envie de mettre les voiles ?

Été capricieux, épidémie qui joue les prolongations, il y a des moments où on aimerait être ailleurs, embarquer pour l’aventure sous d’autres horizons. En attendant, voici déjà quatre albums qui vont vous permettre de lever l’ancre sans bouger le petit doigt…

Si je vous dis HMS Bounty, forcément ça vous cause. L’une des mutineries les plus célèbres de l’histoire maritime mondiale. Alors que le trois-mâts de la Royal Navy se trouve dans le Pacifique sud le 28 avril 1789, ses marins s’emparent du navire et abandonnent sur une chaloupe le capitaine Bligh ainsi qu’une vingtaine de marins qui lui sont restés loyaux. Bligh parvient à rejoindre l’Angleterre. Maintes fois porté à l’écran, adapté en roman ou en bande dessinée, cet épisode tragique est ici raconté sous un angle singulier, celui du capitaine Bligh visité par un journaliste du Times désireux d’enquêter sur l’affaire. Tous deux doivent embarquer sur l’un des bateaux de la flotte de Spithead mais là encore une mutinerie les en empêche, la mutinerie de la Nore. Les marins réclament de meilleures conditions de travail et une revalorisation de leur solde. Les représailles sont sanglantes. Un très bon scénario basé sur le personnage bien réel du capitaine Bligh et de magnifiques planches réalisées en couleurs directes. (Capitaine Bligh, de Fabrice le Hénanff. Robinson. 14,95€)

Publié en octobre 2020 aux éditions Glénat, le premier volet de ce dytique nous raconte la vie de l’un des pirates les plus célèbres des océans, Edward Teach, plus connu sous le nom de Barbe Noire, Blackbeard en anglais. Quand je vous aurais dit que l’auteur Jean-Yves Delitte est peintre officiel de la Marine, membre titulaire de l’Académie des Arts & Sciences de la mer, qu’il a réalisé précédemment les aventures de Black Crow, relaté l’histoire du Belem, de la frégate Hermione ou encore, on y revient, la mutinerie de la Bounty, vous aurez compris qu’on n’a pas affaire là à un marin d’eau douce. Black Beard, dont le deuxième volet est annoncé pour octobre prochain est du genre essentiel pour tous les amoureux de la mer et de la marine. (Black Beard tome 1, de Jean-Yves Delitte. Glénat. 13,90€)

Cette nouvelle série, dont le premier tome est sorti en mars, n’offre pas à proprement parler un récit d’aventure maritime. O’Sullivan est plus exactement l’histoire d’un écrivain venu s’isoler sur la terre de ses ancêtres quelque part en Irlande pour écrire son nouveau livre. Il se remémore l’histoire de Mary-Maë, embarquée en mai 1847 sur le Janet Johnson avec l’idée de fuir la famine. Direction le Nouveau Monde, le Canada en l’occurrence, mais avant de pouvoir commencer une nouvelle vie, la jeune femme va devoir supporter les conditions de vie effroyables à bord du bateau, échapper au tiphus et survivre au centre d’observation pour les nouveaux migrants où le nombre de morts dépasse celui des vivants. O’Sullivan est l’histoire d’une femme du 19e siècle qui rêve d’un monde meilleur pour son enfant et est prête à tout pour y arriver, à commencer par braver les océans. Bon scénario, bon dessin, bon premier volet. (O’Sullivan,de Rodolphe etMarc-Renier. Delcourt. 14,95€)

Retour sur un mystère, la disparition des navires de l’expédition de La Pérouse. Nous sommes en 1788. Après un périple de deux années à travers le Pacifique, les frégates L’Astrobale et La Boussole atteignent l’Australie en janvier 1788 d’où La Pérouse envoie une lettre annonçant son retour en France pour le mois de décembre. Mais l’expédition ne donne plus de nouvelles à partir de ce moment-là. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. 40 ans plus tard, le commandant Peter Dillon se fait remettre par un indigène de l’île de Tikopia une garde d’épée ayant visiblement appartenu à un officier de marine européen. C’est le début d’une longue enquête qui lui permettra au final de ramener en Europe divers objets et de lever un coin du voile sur la disparition des navires. Avec son trait simplifié et racé, Boris Beuzelin nous raconte avec brio l’une des plus grandes énigmes de l’histoire maritime. (Peter Dillon, de Boris Beuzelin. Glénat – Treize Étrange, 17,50€)

Eric Guillaud

05 Août

Pages d’été. Sinaï, voyage en pays inconnu avec Lelio Bonaccorso et Fabio Brucini

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Le Sinaï. Bien sûr, tout le monde en a entendu parler. Mais de là à pouvoir le situer sur une carte, à en connaître l’histoire, l’économie ou même la culture, il y a un monde.

Et pourtant, cette fraction de terre égyptienne bordée par la Méditerranée au nord, la mer Rouge au sud, le canal de Suez à l’ouest, Israël et la bande de Gaza à l’est, mérite largement le détour pour ses paysages, mais aussi et surtout pour les hommes et les femmes qui y vivent.

Lelio Bonaccorso, à qui l’on doit précédemment les documentaires Chez nous… paroles de réfugiés et À bord de l’Aquarius, tous deux réalisés en compagnie de Marco Rizzo, s’associe ici à Fabio Brucini pour un récit qui oscille entre le documentaire et le carnet de voyage. L’idée est née de la rencontre entre les deux hommes. Le premier est dessinateur de BD, le second, plongeur professionnel, installé depuis le début des années 90 à Sharm El-Sheikh, dans la péninsule égyptienne. Lelio Bonaccorso découvre le Sinaï en 2012.

« Ce qui me frappa le plus… », écrit-il en préface, « fut le sentiment de familiarité que j’éprouvais dans ce lieu. Étaient-ce les lointaines influences des dominations arabes de ma Sicile ? ».

© Futuropolis / Bonaccorso & Brucini

Il y retourne en 2016 avec Fabio Brucini qui connait déjà très bien la région. Ensemble, ils partent à la rencontre de ceux qui y sont nés, les Bédouins comme on les appelle en France, les Bedu comme ils se définissent eux-mêmes, et de ceux qui s’y sont installés, égyptiens ou italiens.

C’est précisément ce voyage que retrace l’album. Au fil des pages et des rencontres, les auteurs partagent avec nous leur enthousiasme pour la richesse incroyable de cette terre et de ses habitants, abordant tour à tour les traditions locales, la religion, la place des femmes, le rituel du thé, la médecine traditionnelle, le bonheur, cette hospitalité et cette sagesse hors du commun… Un regard forcément très instructif et pour le moins captivant complété par un dossier pédagogique d’une dizaine de pages. Un beau voyage !

Eric Guillaud

Sinaï – la terre qu’illumine la lune, de Lelio Bonaccorso et Fabio Brucini. Futuropolis. 24€

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