26 Fév

Flic & fun : Pluttark et Jorge Bernstein inventent les super-anti-héros policiers

flic_funEn découvrant cet album de Pluttark et Bernstein trônant en bonne place sur ma pile d’albums à chroniquer, ma fille de 13 ans me jette un œil inquiet et me lance : « Mais ? On a le droit de rire de la police ? ». Je lui réponds : « Euh oui, enfin je crois, on se moque bien des hommes politiques, des infirmières, des employés de bureau, des geeks, des croque-morts, des vieux, des jeunes… alors pourquoi pas des policiers ? Ils font partie de notre vie. Et puis, on est en démocratie non ? ».

Bon, il faut bien l’avouer, les deux héros de cet album – enfin si on peut appeler ça des héros – sont des crétins de première qui font injure à la profession. À toutes professions. D’ailleurs, ils ont longtemps hésité entre un job d’animateurs de parcs d’attraction et le métier d’éleveur de bovins avant de finalement tenter le concours de la police et d’être reçus. Un sacré coup de bol pour eux, pas vraiment pour nous!

Chemise bleue réglementaire sur les épaules, casquette noire estampillée « police » sur la tête, voilà notre duo de choc lâché dans la nature, avec pour mission de sauver la veuve et l’orphelin, de protéger les gentils des méchants et autres petites tâches annexes. Mais nos deux idiots, l’un s’appelle Roland, l’autre n’a pas dénié décliner son identité, vont accumuler les erreurs judiciaires, les actes de tortures à coup de variétés françaises, passant d’une lâcheté extrême à un zèle excessif en fonction des risques encourus, d’une bêtise incommensurable à une stupidité abyssale en moins de temps qu’il faut pour le dire, sans jamais un espoir d’éclaircie, une lueur d’intelligence même infinitésimale.

Alors bien sûr, tout ça c’est pour rire. Et on rit de bon cœur en espérant tout de même ne jamais avoir à croiser ces deux gus dans la vraie vie. Quant aux auteurs ? Depuis la sortie de l’album, le Nantais Pluttark et le Rennais Bernstein seraient dit-on en prison pour moquerie aggravée, recel de fous rires et détournement de bonne humeur. Ils ont ce qu’ils méritent !

Eric Guillaud

Flic & fun, de Pluttark et Bernstein. Éditions Fluide Glacial. 10,95€

© Fluide Glacial / Pluttark et Bernstein

© Fluide Glacial / Pluttark et Bernstein

23 Fév

La Déconfiture : un diptyque magistral en deux volumes signée Pascal Rabaté

Capture d’écran 2018-02-24 à 11.15.31

Si il y a un album qu’on attendait avec une certaine impatience voire une fébrilité certaine, c’est bien celui-ci. Le deuxième volet de La Déconfiture de Pascal Rabaté vient de rejoindre les rayons de nos librairies préférées. Et très franchement, sa lecture a de quoi nous faire oublier en quelques minutes les 18 mois d’attente…

Le génie se cache parfois dans les détails. Avec Pascal Rabaté, il s’affiche dès la couverture. Un décor identique pour les deux tomes, celui d’une France en pleine déconfiture, fuyant ou tentant de fuir avec enfants et matelas l’avancée des troupes nazies. Mêmes carcasses de voitures abandonnées, mêmes cadavres de chevaux sur la route. Mais une différence tout de même, comme un avant et un après : le ciel bleu et l’atmosphère printanière du premier volet exprimant l’espoir d’une victoire rapide sur les Allemands, le ciel rouge du deuxième qui annonce les années difficiles. Et comme un fil rouge entre les deux, le personnage central du diptyque, Amédée Videgrain, montant au front sur le premier tome, nonchalant, la veste sur l’épaule, repartant du front sur le deuxième, encadré par des soldats allemands, prisonnier comme ses camarades après une défaite pour le moins éclair et pas franchement glorieuse de l’armée française. Fini de rire !

Neuf mois de guerre et je n’aurai pas tiré un seul coup de feu

C’est sur ce constat, ce regret presque, exprimé par un des milliers de soldats français faits prisonniers dès les premières heures du conflit que se refermait le premier volet de La Déconfiture. Après la drôle de guerre, c’était la drôle de défaite, les fusils, chars et autres armes de notre fière armée sabotés afin qu’ils ne tombent pas entre de mauvaises mains, la fin des illusions, le début des années noirs.

© Futuropolis / Rabaté

© Futuropolis / Rabaté

Pendant la guerre, tous les hommes sont gris. C’est ce qui se dégage de La Déconfiture. Pas franchement des lâches, pas vraiment des héros, des gars ordinaires qui préfèreraient être au milieu des leurs plutôt qu’entre les mains des boches. « Je suis juste un petit comptable », dit un prisonnier. « Je ne sais même pas si ma gosse a eu son certificat d’études », s’inquiète un autre. « il n’y a pas de métro à Vierzon et c’est pas plus mal », lance un troisième. Les pensées sont ailleurs !

On n’est pas près de reboire du pinard

Anti-héros parmi les anti-héros, Amédée Videgrain se retrouve dans la colonne de prisonniers, supportant tout, la pluie, la chaleur, le manque de nourriture et de sommeil, la violence aussi des Allemands notamment envers les noirs, insultés, violentés, humiliés, non pas parce qu’ils sont des ennemis mais parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau. Un d’entre-eux est exécuté sans sommation. Pour Amédée Videgrain, qui partage des idées plus humanistes, la scène est insupportable. Mais c’est la guerre et lui aussi apprend à enfouir ses convictions…

© Futuropolis / Rabaté

© Futuropolis / Rabaté

On pourrait le croire cynique mais le regard posé par Pascal Rabaté est en fait plein de compassion pour tous ces hommes qui sont allés à la mort mal préparés physiquement et psychologiquement, déroutés de se retrouver aussi loin de chez eux, de leurs petites habitudes, de leurs proches. De la compassion mais aussi pas mal d’interrogations avec un épisode de la deuxième guerre mondiale, période troublée s’il en est, qui entre en résonance avec la nôtre, dira l’auteur. Une oeuvre magistrale aux dialogues savoureux, à la narration d’une très grande fluidité et au trait léger, épuré et élégant !

Eric Guillaud

La Déconfiture (tome 2), de Pascal Rabaté. Editions Futuropolis. 20€

19 Fév

Le coin des mangas. L’Académie musicale Alice, Fruits basket, Passionate Lullaby et bloody Secret

fruitBaskectPerfectT1Quand c’est fini, ça recommence ! Fruits Basket, la série à très grand succès de Natsuki Takaya initialement publiée en 23 volumes chez Delcourt de 2003 à 2007, est de retour dans une version collector de 12 doubles volumes. Quoi de neuf me direz-vous ? Bien évidement, l’histoire est strictement identique, celle de la jeune Tohru Honda, une orpheline de 16 ans qui vit secrètement dans une tente pour rester libre et se retrouve un beau jour face à la famille Soma, famille maudite dont les membres se transforment dans certaines circonstances en l’un des animaux du zodiaque chinois. Ça fait désordre ! Pour le reste, l’impression a été retravaillée à partir des originaux et chaque volume offre des illustrations et bonus inédits. Les deux premiers volumes de cette « perfect édition » sont sortis simultanément accompagnant ainsi fruitBasketAnotherT1le premier volume de Fruits Basket Another, à la fois spin-off et début de la fin de la série culte avec les personnages de la série initiale et leur descendance. Un des grands mangas shojo publiés en France. (Fruits Basket tomes 1 et 2 et Fruits Basket Another tome 1, de Natsuki Takaya. Delcourt Tonkam,12,50 et 7,99€ le volume)

On reste dans le shojo manga avec la sortie là-aussi simultanée des deux premiers volumes de Passionate Lullaby, la nouvelle série de Kana Nanajima après Ne me repousse pas et Dangerous Love. Kogure Maki, la jeune pasionnate-lullaby-1-soleilhéroïne de ce manga a 16 ans et fréquente la première année du lycée. Sa passion ? Les shojo justement et leur héros masculins « plus beaux et gentils » à l’en croire que les garçons en chair et en os. Jusqu’au jour où elle rencontre un vrai garçon, Hiiro, et en tombe amoureuse… comme dans les meilleurs mangas. Mais Kogure va apprendre que l’amour en vrai est parfois plus douloureux que dans ses lectures… (Passionate Lullaby tomes 1 et 2, de Nanajima. Soleil Manga. 9782344025918-G6,99€ le volume)

Vous avez aimé L’Académie Alice avec ses élèves dotés de pouvoirs spéciaux ? Alors vous aimerez L’Académie Musicale Alice. Prévue en trois tomes, alors que L’Académie Alice publiée entre 2007 et 2014 en compte 31, L’Académie Musicale Alice reprend l’univers de la série initiale en le plongeant dans celui de toutes ces comédies musicales qu’adore l’auteure Tachibana Higuchi. L’héroïne Hikari Andô, dépourvue de pouvoirs spéciaux parvient à intégrer cette fameuse école nationale de musique. Elle espère retrouver ainsi son frère Tsubasa enlevé à sa famille et incorporé d’office dans l’Académie. (L’Académie Musicale Alice tome 1, de Tachibana Higuchi. Glénat. 6,90€)

bloodySecretT1Vous avez vu ces petites dents pointues qui dépassent ? Yura serait-il un vampire ? C’est en tout ce que croit fermement Anko, une camarade de classe, qui a par ailleurs remarqué que le jeune garçon fuit en permanence le soleil et vit comme au ralenti. Et ce teint blafard ? Aucun doute pour Anko, c’est un vampire. Et elle a raison. À 10% raison. Car oui Yura a bien 10% de sang vampirique dans les veines. Et quand celui-ci apprend que le groupe sanguin d’Anko est d’une très grande rareté, son intérêt pour elle augmente subitement. Entre Anko et Yura, l’amour n’est plus très loin… Une première série en deux volumes signée Mutsumi Yoshida. (Bloody Secret tomes 1 et 2, de Mutsumi Yoshida. Soleil Manga. 6,99€ le volume)

Eric Guillaud

16 Fév

La Petite souriante : Quand le Belge Zidrou et le Nantais Springer signent un thriller à vous filer la chair d’autruche !

Capture d’écran 2018-02-10 à 17.25.49 Si vous êtes plutôt du genre à aimer les belles histoires d’amour, alors passez votre chemin, La Petite Souriante n’a rien à voir avec une histoire d’amour, encore moins avec une histoire d’amour qui finit bien, ici tout commence et finit de la même façon, par un bain de sang.

Josep Pla, dit Pep ou encore Pepino ne supporte plus sa femme. Sa décision est prise, il va la tuer. À grands coups de masse. Et jeter son corps au fond d’un puits au milieu de nulle part. Un plan machiavélique aussitôt imaginé, aussitôt réalisé !

Le temps de faire disparaître les traces de sang dans son pick-up et sur ses fringues et voilà note homme de retour au bercail. Une affaire rudement menée. Ça tombe bien, son élevage d’autruches le réclame. Oui mais voilà, en rentrant chez lui, Pep tombe nez à nez avec… sa femme, aussi vivante et détestable qu’avant. Un cauchemar !

Devra-t-il tout recommencer pour enfin s’en débarrasser et vivre l’amour qu’il mérite avec sa belle-fille, oui sa belle-fille, la fille de sa femme, enfin de son ex-femme, avec qui il a imaginé ce plan ? Réponse dans ce récit bâti comme un court métrage autour d’une idée scénaristique très forte. Après Le Beau voyage et L’Indivision, le tandem Zidrou – Springer nous offre un thriller qui fait froid dans le dos, trash et gore à souhait. Les planches de Benoît Springer, mises en couleurs par la talentueuse Séverine Lambour, ont tout pour maintenir le lecteur dans un cauchemar éveillé, on s’y croirait pour de vrai, attention aux éclaboussures !

Eric Guillaud

La Petite souriante, de Zidrou et Springer. Éditions Dupuis. 14,50€

© Dupuis / Zidrou & Springer

© Dupuis / Zidrou & Springer

14 Fév

Baddawi – une enfance palestinienne par Leila Abdelrazaq

STEINKIS_BADDAWI_COUV2.inddLes bandes dessinées évoquant la Palestine ne manquent pas. Nous le constations ici-même il y a encore quelques jours avec la sortie de l’album Vivre en terre occupée de José Pablo Garcia aux éditions La Boîte à bulles. Mais quand José Pablo Garcia ou Joe Sacco pour ne citer qu’eux offrent un regard extérieur sur la question, Leila Abdelrazaq apporte de son côté un témoignage de l’intérieur. Leila Abdelrazaq est américaine. Son livre Baddawi raconte l’enfance palestinienne de son père Ahmad…

Leila Abdelrazaq est née aux États-Unis mais elle n’a pas oublié, elle ne peut oublier, l’histoire de son père. Cependant, la bande dessinée Baddawi ne raconte pas sa seule histoire. Elle parle d’Handala, nous dit l’auteure en préambule. Handala est un personnage culte dans la culture arabe, une icône de la résistance palestinienne.

Leila explique : « Elle parle de mes cousins, de mes tantes et de mes oncles. De ceux qui ont été déplacés à de multiples reprises, contraints de quitter d’abord la Palestine, puis des pays comme le Koweït et la Syrie. Elle parle de cinq millions de personnes nées avec une vie marquée par l’exil et la persécution, privées de leur patrie pour une durée indéterminée ».

Et de raconter la jeunesse de son père dans un camp de réfugiés situé au nord du Liban, le camp Baddawi. Il y est né, y a vécu ses premières joies, ses premières peines, ses premières peurs, tenté d’oublier la guerre avec ses copains d’école et ses parents qui faisaient tout leur possible pour rester loin de la politique et ne pas s’attirer la foudre du gouvernement libanais. Mais la guerre, forcément les rattrapa et obligea la famille à déménager sur Beyrouth. Puis ce fut aussi la guerre à Beyrouth. Et le départ d’Ahmad pour les États-Unis…

La guerre, l’exil, le déracinement, la vie malgré tout… Baddawi nous parle d’une enfance de réfugié parmi d’autres avec beaucoup de sincérité, d’humanité et une touche de subjectivité, comme le souligne l’éditeur dans un avant-propos. Mais qui pourrait être complètement objectif au milieu de tant de violences et de douleurs ? Un témoignage forcément utile.

Eric Guillaud

Baddawi – Une enfance palestinienne, de Leila Abdelrazaq. Éditions Steinkis.18€

© Steinkis / Leila Abdelrazaq

© Steinkis / Leila Abdelrazaq

13 Fév

La Tomate : un récit d’anticipation signé Anne-Laure Reboul et Régis Penet

Capture d’écran 2018-02-11 à 16.13.17 Et si dans un proche avenir, nous ne disposions plus de la liberté élémentaire qui est de choisir ce que nous mangeons ? Et si le simple fait de faire pousser soi-même des tomates pouvait être considéré comme un crime d’état ? C’est ce qu’imagine La Tomate, un récit d’anticipation glaçant signé Régis Penet et Anne-Laure Reboul aux éditions Glénat…

L’héroïne de ce one-shot s’appelle Anne Bréjinski. Rien de prime abord d’une dangereuse terroriste, rien non plus d’une criminelle ou même d’une délinquante, plutôt une employée du genre irréprochable, accomplissant son travail au sein du service d’épuration d’objets avec sérieux et enthousiasme. Une employée modèle en somme jusqu’au jour où la jeune femme tombe sur un paquet de graines de tomates. À l’instar des livres, des œuvres d’art et « autres résidus » d’une époque révolue, Anna aurait dû détruire ces graines. Mais pour la première fois de sa carrière, la jeune femme ne peut s’y résoudre, allant même jusqu’à les planter dans un petit récipient, y ajouter un peu d’eau et enclencher un processus formellement interdit, considéré comme une menace pour la survie de la communauté. De quoi se retrouver vite fait bien fait devant un tribunal…

Avec La Tomate, Anne-Laure Reboul et Régis Penet imaginent une société futuriste totalement aseptisée et aux mains de puissantes multinationales, une vie sans art, sans amour, sans terre, sans magie, sans fruit et légumes, où l’eau est devenue le bien le plus précieux et l’homme une machine à surveiller que son voisin ne dévie pas, un monde qui a définitivement vendu son âme. Effrayant !

Eric Guillaud

La Tomate, de Anne-Laure Reboul et Régis Penet. Éditions Glénat. 19,50€

© Glénat / Reboul & Penet

© Glénat / Reboul & Penet

12 Fév

Insulaires – petites histoires de Groix : un recueil tout carré tout mignon signé Prosperi Buri

9782365353175La Bretagne est un pays de légendes, on le sait, on les connaît pour certaines. Mais là où nous emmène l’auteur Prosperi Buri avec cet album paru aux éditions Warum, les histoires qu’on y raconte on encore plus la saveur de l’océan et du mystère. C’est l’île de Groix, un petit bout de terre au large de Lorient…

C’est un gros caillou jeté dans la mer, un gros caillou où se bousculent aujourd’hui les touristes, du moins à la belle saison. Mais hier, Groix était une île de pêcheurs, et même un haut lieu de la pêche au thon pendant une cinquantaine d’années, un endroit où la vie était peut-être un peu plus rude qu’ailleurs. Pendant que les hommes embarquaient pour de longues campagnes de pêche, sans pouvoir remettre les pieds chez eux durant des mois, les femmes ramassaient les crustacés, faisaient sécher les bouses de vache sur le pignon des maisons pour en faire du combustible et s’occupaient des jeunes enfants qui parfois disparaissaient à la faveur d’une intervention mystérieuse.

Le Korrigez, c’est le nom de cette intervention mystérieuse que Prosperi Buri définit comme une sirène mangeuse d’enfants. Elle permettait aux femmes de se débarrasser d’une progéniture non désirée à une époque où l’avortement était interdit. Un petit tour en bord de mer, le bébé dans le couffin et hop… Quand la nature ne peut plus rien faire, les légendes prennent le relais !

C’est par cette légende justement que s’ouvre l’ouvrage de Prosperi Buri avant d’enchaîner sur une série de petites histoires qui proviennent des lectures de l’auteur, lui-même groisillon, et des anecdotes qu’on a pu lui rapporter. On y parle en vrac de la Compagnie des Indes, des Naufrageurs, du Docteur Galleux, de l’abbé Uzel, d’envahisseurs, des vieux qui sont restés sur l’île, des jeunes qui en sont partis, des touristes qui vont et viennent…Un livre de caractère pour les amoureux de la Bretagne, des atmosphères insulaires et des petites histoires savoureuses…

Eric Guillaud

Insulaires – Petites histoires de Groix, de Prosperi Buri. Editions Warum. 15€

11 Fév

Mickey Maltese : quand deux figures emblématiques de la bande dessinée mondiale fusionnent !

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D’un côté, Mickey, poids lourd de l’imaginaire américain, de l’autre Corto Maltese, figure incontournable de la bande dessinée européenne. Deux univers différents, à priori incompatibles, pourtant réunis aujourd’hui sur une même couverture grâce à une adaptation étonnante signée Cavazzano, Enna et Zemolin aux éditions Glénat…

Un catamaran en plein Pacifique, au loin un naufragé attaché sur un radeau… Ces quelques indications suffisent à vous dire que vous avez déjà lu ça quelque part ? Effectivement, c’est en tout point le début de La Ballade de la mer salée, la première aventure de Corto Maltese imaginée dans les années 60 par l’immense Hugo Pratt.

Mais n’y voyez pas là un affreux plagiat ou une banale parodie, il ne s’agit même pas d’un hommage précise l’éditeur, non La Ballade de la souris salée est une relecture de l’aventure maltesienne, une adaptation dans l’univers de Mickey. Une adaptation assez fidèle sur le plan de l’histoire avec en lieu et place des personnages imaginés par Hugo Pratt, ceux de Disney, Mickey en Corto, Pat Hibulaire en Raspoutine ou encore Minnie en Bouche Dorée.

Côté graphisme, rien à redire, Giorgio Cavazzano travaille depuis des lustres pour Disney, tout d’abord comme encreur pour Romano Scarpa, puis en animant ses propres histoires de Donald ou Mickey. Un très bel album au dos toilé rouge et au format qui laisse toute la place au dessin. De quoi s’offrir une belle ballade !

Eric Guillaud

Mickey Maltese, La Ballade de la souris salée, de Cavazzano, Zemolin et Enna. Éditions Glénat. 17€

© Glénat / Enna, Cavazzano & Zemolin

© Glénat / Enna, Cavazzano & Zemolin

 

10 Fév

Courtney Crumrin : les aventures de l’adolescente apprentie sorcière rééditées en intégrale

CouvCCInew-1Désormais, dès qu’on cite les mots ‘enfants’, ‘sorcellerie’ et ‘fantastique merveilleux’, les gens pensent automatiquement Harry Potter, comme si le héros de JK Rowling représentait sans voie de recours l’alpha et l’oméga de ce désormais genre littéraire à part entière. Autant dire que Ted Naifeh (qui signe ici le dessin et le scénario) marchait sur un terrain sacrément miné en créant en 2002 pour une petite boîte indé US le personnage de Courtney Crumrin…

Voici l’histoire d’une petite pré-ado ronchonne avec une barrette en forme de chauve-souris et des parents quasi-invisibles qui semblent limite ignorer son existence et de son emménagement chez son grand-oncle. Un être taciturne qui se révèle être un sorcier qui va petit-à-petit l’initier aux arts interdits. Alors d’accord, ce pitch a priori assez classique pourrait laisser croire que le tout est avant tout à destination d’ados boutonneux qui croient qu’un t-shirt de Marilyn Manson et une paire de Doc Martin font de toi un « gothique ». Sauf que cette série qui a finalement accouché de six albums et quelques spin-offs va bien plus loin que ça.

D’abord grâce au trait de Naifeh, qui rappelle parfois celui du grand Mike Mignola la créateur de ‘Hellboy’ avec lequel il partage un goût certain pour le clair-obscur et une imagerie jouant justement à fonds sur le flou qu’il peut parfois exister entre imagerie enfantine et cauchemar adulte. Si chez lui les enfants ont des têtes, et bien, d’enfants, les monstres sont vraiment effrayants et semblent tout droit sortis d’un film d’horreur.

Mais c’est surtout au niveau du scénario qu’il se détache car comme son héroïne, le lecteur bascule constamment entre le monde dit ‘réel’ et celui caché qui vit une fois le soleil couché. Un monde qui fait, aussi, beaucoup pensé à l’univers de Tim Burton et où les gobelins se promènent en liberté dans la forêt, les enfants kidnappés la nuit à l’insu de leurs parents (et remplacés par des changelings) avant d’être vendus à la criée et où l’homme moderne n’a pas du tout sa place. Un bestiaire hétéroclite mais jamais gnangnan plein de références à la littérature fantastique populaire mais où Courtney Crumrin trône, grande gueule attachante qui ne se laisse jamais vraiment désarçonner. Et puis d’ailleurs, dans ce monde où rien n’est vraiment ce que l’on croit qu’il est, les ‘grandes personnes’ comme on dit sont bien souvent plus cruelles et plus effrayantes que ces monstres pas toujours assoiffés de sang mais avec leur morale et leurs règles bien à eux.

Si la première traduction française était en noir et blanc, cette nouvelle intégrale en trois tomes (avec deux histoires par livre) sort cette fois-ci en couleurs mais adaptées, c’est-à-dire tirant souvent sur le bleu foncé ou le violet et ne trahissant jamais l’ambiance crépusculaire et mystérieuse qui s’en dégage. C’est surtout une belle séance de rattrapage pour cette BD qui n’est pas vraiment à destination des enfants, ni de ceux qui ont peur des choses qui se cachent sous leur lit, vous savez celles qui attendent que vous vous endormiez pour vous manger…

Olivier Badin

Courtney Crumrin de Ted Naifeh, trois tomes, Akileos. 19 euros

© Akileos / Courtney Crumrin de Ted Naifeh

© Akileos / Courtney Crumrin de Ted Naifeh

Collection Aire Libre : 30 ans au service de l’imaginaire

C’est bien évidemment une époque que les moins de 20 ans ne peuvent connaître. Une époque pourtant essentielle, un tournant dans l’histoire du neuvième art, une révolution aux éditions Dupuis. En 1988, naissait la collection Aire Libre, 30 ans de bonheurs graphiques salués par une exposition à Angoulême cette année…

© éric guillaud - exposition 30 ans d'Aire Libre à Angoulême (janvier 2018)

© éric guillaud – exposition 30 ans d’Aire Libre à Angoulême (janvier 2018)

Sur une proposition de Jean Van Hamme qui venait de prendre la direction générale des éditions Dupuis, elle aurait pu s’appeler Air Libre, elle s’appellera finalement  Aire Libre après l’intervention de Philippe Vandooren. Une lettre de différence mais une lettre essentielle, avec cette nouvelle collection, la bande dessinée allait pouvoir explorer de nouveaux territoires. On ne parle pas encore de romans graphiques mais ça y ressemble bougrement, une bande dessinée qui touche autant à la fiction qu’au documentaire, à l’autofiction qu’à l’autobiographie, au drame qu’à la comédie, des one-shots essentiellement, quelques courtes séries aussi.

Le premier album portant la griffe Aire Libre fut un album de Cosey auquel le festival international de la bande dessinée vient le consacrer une très belle exposition. Le Voyage en Italie, publié en 1988 en deux volumes, réédité ultérieurement en monovolume, donne le ton d’une bande dessinée qui s’adresse en priorité aux adultes, une bande dessinée qui ouvre assurément en 30 ans et quelque 200 albums de nouveaux horizons graphiques et narratifs.

Avec Orchidea (1990), Saïgon-Hanoï (1992), Joyeux Noël, May! (1995), ou encore Le Bouddha d’Azur (2005), Cosey s’affirme comme l’un des piliers de la collection mais il ne sera pas le seul bien évidemment. Très vite le rejoignent Tome et Berthet pour le bouleversant Sur la route de Selma, Blain et son Réducteur de vitesse, Lax et Blier avec Amère patrie, Emmanuel Guibert avec Le Photographe, ou encore Cabanes, Davodeau, David B, Nicolas de Crécy, Jean-Claude Denis, Gibrat, Hermann… sans oublier en ce début d’année 2018 Yves Sente et Steve Cuzor avec cette histoire de guerre pas comme les autres, Cinq Branches de coton noir, qui a enthousiasmé le public et la presse dans un même élan et vient confirmer la collection Aire Libre dans son rôle de révélateur de talents pour les 30 prochaines années.

Eric Guillaud