30 Jan

Le PTSD de Guillaume Singelin ressort dans une édition anniversaire au format réduit

Il a rencontré un beau petit succès et raflé pas mal de prix en 2023 et 2024 avec son album Frontier sorti aux éditions Rue de Sèvres, Guillaume Singelin est de retour en 2025 avec une réédition de PTSD initialement sorti en 2019 chez Ankama…

On n’a pas tous les jours 20 ans, les éditions Ankama ont en tout cas décidé de marquer le coup avec la réédition de dix titres en petit format et à prix réduit. Parmi eux, on retrouve PTSD du talentueux Guillaume Singelin, celui-là même qui a signé en 2023 l’un des plus beaux récits SF de l’année, Frontier, largement plébiscité par le public et récompensé par le milieu de la bande dessinée.

Alors oui, le format réduit pourra en frustrer certains tant les planches de Singelin regorgent de détails et méritent une meilleure exposition mais à 11 euros, soit pratiquement la moitié du prix de l’édition originale, cette version offre une belle occasion à ceux qui ont aimé Frontier d’explorer un peu plus l’univers de l’auteur.

Et L’histoire ? PTSD signifie Post Traumatic Stress Disorder ou stress post-traumatique dans la langue d’Obélix. Bandeau noir sur l’oeil droit, cheveux roses, la protagoniste principale du récit, Jun, en est atteinte depuis son retour de la guerre et tente de survivre tant bien que mal dans un monde hyper-violent où les anciens combattants ne sont pas franchement les bienvenus. Pourtant, malgré la brutalité ambiante, il subsiste encore quelques éclats d’humanité…

Eric Guillaud 

P.T.S.D., de Guillaume Singelin. Ankama. 11€

© Ankama / Singelin

Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2025 : 10 bonnes raisons d’y aller

C’est LE rendez-vous de la bande dessinée en France et plus largement en Europe, un festival unique en son genre qui se tient cette année du 30 janvier au 2 février et où se côtoient des dizaines de milliers de passionnés et de professionnels. Dédicaces, expos, concerts de dessins, rencontres, conférences, projections… le programme est gargantuesque. Que faire ? Que voir ? Comme chaque année, on vous donne quelques bonnes raisons d’y aller faire un tour. Mais il y en a beaucoup d’autres…

© Eric Guillaud / Le stand Dupuis Angoulême 2023

 1 – La ville d’Angoulême et le farci charentais

On ne le répétera jamais assez, le cadre d’une manifestation comme celle-ci est important. La ville d’Angoulême s’y prête bien, ni trop grande, ni trop petite, de vastes places pour dresser chaque année les fameuses bulles du festival, mais aussi des petites placettes qui ont conservé le charme d’antan, des restos sympas pour se restaurer, une vieille ville avec des ruelles tortueuses, une gare, des hôtels… et une atmosphère paisible, du moins en temps normal. Parce que, bien sûr au moment du festival, ça se bouscule un peu beaucoup énormément. Reste que la ville est belle, levez les yeux, admirez l’architecture, profitez-en pour visiter les monuments et manger du melon charentais. Bon ok, ce n’est pas vraiment la saison. Par contre, le farci charentais… Peut-être une piste pour un partenariat futur !

2. Une ville entièrement dédiée au neuvième art

Casterman, Glénat, Delcourt, Les Requins Marteaux, L’Employé du Moi, Dupuis, çà et là, Futuropolis, Artrabile, Cornélius, Rouquemoute, Ici Même… les plus grands éditeurs, les plus petits aussi, seront présents pour accueillir le public sur des stands répartis sur plusieurs espaces, Le Monde des Bulles au Champ de Mars pour les éditeurs plutôt mainstream, Le Nouveau monde près de l’Hôtel de ville pour les indépendants, Manga City près de la gare pour les mangas, la Place du 9ᵉ Art près des Halles pour la para-BD.

Stands d’éditeurs, expositions, musée de la BD, animations… C’est toute la ville qui est aux couleurs de la BD. Pour vous y retrouver, munissez-vous d’un plan disponible à l’accueil du festival ou sur son site internet ou en pdf ici : 2025-plan-programme

3. Un espace dédié au manga

Une bande dessinée sur deux vendues en France est un manga. Impossible donc de passer à côté de l’espace qui lui est consacré du côté de la gare. Manga City réunit l’ensemble des éditeurs de mangas dans un décor japonisant et dispose de sa propre scène accueillant projections et rencontres.

© Eric Guillaud / L’entrée de l’espace Mangas Angoulême 2023

4. Du soleil venu d’Espagne

Les habitués le savent, Angoulême à la fin du mois de janvier, ce n’est pas chaud chaud ni même sec sec. Mais, cette année, un peu de soleil et de chaleur pourraient bien nous venir d’Espagne, le pays est en effet l’invité d’honneur du festival. Une centaine d’auteurs devrait traverser les Pyrénées pour venir nous prouver, si besoin est encore, la bonne dynamique de la bande dessinée espagnole. Au programme : des expositions, des rencontres, un pavillon dédié en centre-ville…

5. Des héros en pagaille et même un super-héros…

Et pas des moindres puisqu’il s’agit de Superman, LE super-héros par excellence, imaginé par Jerry Siegel et Joe Shuster en 1938, devenu depuis bien longtemps maintenant une icône culturelle mondiale ou presque, est l’objet d’une exposition qui reviendra sur les différentes étapes de son existence. (Vaisseau Moebius)

6. Huit expositions officielles

Au-delà de celle consacrée à Superman, le festival propose comme chaque année une dizaine d’expositions officielles affirmant le caractère international de l’événement avec notamment une immersion dans l’univers du Japonais Makoto Yukimura et de sa série culte, Vinland Saga (Alpha Médiathèque), ou dans celui de la Britannique Posy Simmonds (Musée de la Ville d’Angoulême) ou encore dans celui de la Française Julie Birmant, Prix Goscinny 2024 pour son album Dali paru chez Dargaud. Toutes les expos ici

© Eric Guillaud – Stand Le Lombard 2024

7. Des dédicaces mais aussi…

Le FIBD, c’est aussi un concours de la BD scolaire réputé, une vente aux enchères de planches et d’illustrations originales, des rencontres, des masterclass, des tables rondes, des conférences qui donnent la parole aux auteurs, aux éditeurs, aux spécialistes, une soirée électro le 31 janvier, des concerts dessinés…

8. Une compétition officielle

Le palmarès officiel du Festival international de la bande dessinée récompense des livres publiés en langue française, quel que soit leur pays d’origine, et diffusés dans les librairies des pays francophones entre début décembre et fin novembre de l’année suivante. 

Les lauréats des Fauves d’Angoulême composant le palmarès officiel du Festival sont dévoilés sur la scène du Théâtre d’Angoulême lors de la cérémonie des Fauves, samedi 1ᵉʳ février à 19 h. Soirée très très très attendue et courue par le tout neuvième art, il est bien évidemment très difficile de décrocher une place. Mais qui sait ? 

9. France Télévisions aime la BD

Pour la sixième année consécutive, France Télévisions décernera le Fauve d’Angoulême – Prix du public. Huit albums ont été présélectionnés par un comité de journalistes et de spécialistes de la littérature de France Télévisions, le lauréat sera choisi par un jury de neuf lecteurs samedi 1ᵉʳ février…

Dans la sélection cette année, huit petites pépites qui reflètent la richesse du 9ᵉ art…

Pour en savoir plus sur la sélection, c’est ici

10. Du In et du Off

Dans la lignée du Spin Off, le Future Off est le pendant underground du festival d’Angoulême. Il réunit la microédition et l’autoédition, un véritable laboratoire de recherche tous azimuts… Ici, les auteurs peuvent expérimenter en toute liberté et chercher à décloisonner la bande dessinée, à en repousser les limites en la confrontant aux techniques, aux nouvelles technologies et aux autres expressions artistiques. Le Off a sa propre programmation, un salon aux Ateliers Magelis, des expos, des concerts…. Toutes les infos ici

Plus d’infos sur le festival ici

29 Jan

Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême : douze mois, douze BD, coup de rétro sur l’année 2024

C’est parti pour la ruée des amoureux du neuvième art vers Angoulême où se tient la 52e édition du Festival International de la Bande Dessinée du 30 janvier au 2 février. Histoire de se mettre en jambes, nous vous proposons une sélection de douze albums essentiels, douze coups de cœur publiés au fil de l’année 2024…

JANVIER / Les Derniers jours de Robert Johnson, de Frantz Duchazeau. Sarbacane. 26€

Frantz Duchazeau a déjà chanté le blues avec Le Rêve de Meteor Slimparu en 2008 aux éditions Sarbacane, il récidive avec Les Derniers jours de Robert Johnson, une autre histoire, un autre destin de musicien, aussi dramatique que bouleversant dans l’Amérique des années 30…

Avec Le Rêve de Meteor Slim, l’auteur Frantz Duchazeau abordait pour la première fois l’univers des musiques populaires américaines, en l’occurrence le blues, à travers le destin tragique d’Edward Ray Cochran alias Meteor Slim. À ce personnage de fiction, l’auteur faisait croiser la route d’un autre bluesman, bien réel cette fois, Robert Jonhson. 

Quinze ans plus tard, toujours aux éditions Sarbacane, Frantz Duchazeau nous entraîne dans les pas et les notes de ce fameux Robert Johnson, une vie là aussi marquée par la passion, la discrimination et l’alcoolisme, dans l’Amérique de la grande dépression.

Frantz Duchazeau, un passionné de blues ? Il l’est devenu avec le temps mais reconnaît qu’il n’y connaissait rien avant l’écriture du Rêve de Meteor Slim comme il le confiait à nos confrères d’ActuaBD en 2011.

Sweet Home Chicago, Travelling Riverside Blues, Love in Vain, Malted Milk, Come on in My Kitchen… Autant de standards du blues repris au fil du temps par les plus grands groupes de rock, de Led Zeppelin aux Rolling Stones, en passant par les Blues Brothers, des standards qui résonnent à la lecture de cet incroyable album dont la couverture bleue est à elle-seul un hommage au genre.

Avec ce trait charbonneux qu’on lui connait maintenant et qui colle parfaitement au contexte, Frantz Duchazeau nous raconte l’histoire d’une pure légende du blues, ses derniers jours mais aussi, par une succession de flashbacks, sa jeunesse, son apprentissage de la guitare, son errance sur les routes à la recherche de cachets, d’auditions et de gloire. C’est aussi une peinture de l’Amérique ségrégationniste des années 20 et 30 avec son lot de violences et de massacres contre la population noire. C’est enfin le récit universel d’un homme qui cherche à dépasser son destin, échapper à sa condition, par son art. L’année 2024 commence à merveille !

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FÉVRIER / Le combat d’Henry Fleming, de Steve Cuzor. Dupuis. 26€

Après la guerre d’indépendance des États-Unis et la Seconde Guerre mondiale, Steve Cuzor nous entraîne sur un autre champ de bataille, celui de la guerre de Sécession, avec l’adaptation d’un grand classique de la littérature de guerre américaine, The Red badge of courage de Stephen Crane…

L’auteur nous avait déjà bluffés avec Cinq Branches de coton noir sorti il y a maintenant cinq ans et réalisé avec Yves Sente au scénario, il récidive seul cette fois avec ce western d’un nouveau genre, un récit qui met en lumière les pensées du protagoniste et nous interroge au plus profond de nous même. En cela, Le Combat d’Henry Fleming est un récit universel mais aussi un éclairage différent sur une guerre que l’on connaît finalement assez peu et qui a laissé une plaie ouverte dans la société américaine.

Graphiquement, on retrouve avec un immense plaisir le trait réaliste et dynamique de l’auteur associé à un découpage fluide et à une mise en couleurs minimaliste en monochromie, déjà expérimentée dans Cinq branches de coton noir, de quoi juste faire ressortir le magnifique travail d’encrage réalisé par l’auteur.

À l’instar de son album précédent, Le combat d’Henry Fleming existe en trois versions, une classique à 26€, une édition spéciale au tirage limité à 1499 exemplaires avec frontispice inédit imprimé sur papier d’art numéroté et signé à 39€, et une édition de luxe en noir et blanc au tirage limité à 1515 exemplaires à 45€. Dans tous les cas, un album indispensable !

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MARS / La Vengeance, de David Wautier. Anspach. 19,50€

Si la vengeance est un thème récurrent dans le western, il s’accommode formidablement à toutes les sauces, comme ici à travers le prisme de la famille. Avec cette question : le désir de vengeance, aussi naturel soit-il, peut-il être plus fort que tout, plus fort que l’amour de ses enfants ?

Ah mais oui, un bon petit western de derrière les fagots ! En voilà une bonne idée. Non pas que le genre se fasse rare en bande dessinée, bien au contraire, il a toujours été et est encore aujourd’hui plébiscité par nombre d’auteurs et de lecteurs, mais il permet finalement d’aborder pas mal de thématiques contemporaines, comme l’écologie, les droits de la femme ou encore les droits des opprimés, le tout sous couvert d’une fiction et d’action.

Alors oui, la thématique de la vengeance est récurrente, dans le western et ailleurs, mais elle permet ici à l’auteur d’en détailler le mécanisme dans un pays et à une époque où la loi se faisait à coup de colt calibre 36 et non de 49.3.

Qui dit récurrent dit rabattu ! Oui, en cela, on peut dire que l’album de David Wautier n’a pas grand-chose d’original. À ceci près que le vengeur de service, un certain Richard Hatton, désireux de voir mourir les « ordures » qui ont tué sa femme, a embarqué dans l’aventure ses enfants, Anna et Tom, qui n’aspirent dans leur cas qu’à une chose, rentrer chez eux et retrouver ce père qu’ils aimaient tant…

Un autre grand classique dans les westerns est bien évidemment la nature ! Avec un style graphique qu’il a développé sur des carnets de voyage, vif et proche du croquis, relevé d’une touche d’aquarelle, David Wautier nous offre une sacrée chevauchée entre montagnes enneigées et déserts rocailleux. Et rien que pour ça, ça vaut le détour !

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AVRIL / Journal d’une bataille, de Cyril Pedrosa. Dupuis. 45€

Les Equinoxes, Portugal, L’Âge d’or… Cyril Pédrosa nous illumine de son talent depuis 25 ans maintenant, d’abord comme dessinateur et coloriste, puis comme auteur complet, cherchant à chaque fois à nous surprendre à travers une exploration narrative et graphique incessante. Il nous revient ici avec un ouvrage qui relève plus du livre d’art que de la bande dessinée. Comme son titre le sous-entend, Journal d’une bataille est un journal intime mais aussi le résultat d’une expérience artistique menée entre juin 2022 et décembre 2023.

Durant 18 mois, l’auteur a accepté de quitter sa zone de confort, si tant est qu’il en ait eu une, pour se jeter dans le vide, coucher sur des grands rouleaux de papier blanc des dessins improvisés illustrant une bataille intérieure et dialoguant avec des textes. Le résultat a donné lieu à une exposition à Saint-Gatien du 26 avril au 29 juin et à ce livre paru aux éditions Dupuis. Un voyage au pays des émotions.

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MAI / L’Être nécessaire, Habemus Bastard (tome 1), de Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann. Dargaud. 19,99€ 

Lucien n’a pas vraiment la foi, ne connaît pas un mot de latin, n’a jamais dit la messe et pense que la religion est un business comme un autre. Alors pourquoi se retrouve-t-il parachuté à la tête d’une église dans le Jura ? Certainement pas pour sauver les âmes…

Il faut bien le reconnaître, pour aller à Saint-Claude de son libre arbitre, il faut soit être collectionneur de pipes, soit avoir une foi à toutes épreuves. Pour Lucien qui vient tout juste de poser les pieds sur le quai de la gare sous une pluie battante, la raison est tout autre. Car même s’il porte une soutane et se fait appeler Père-Philippe, notre homme espère surtout se trouver une planque pour quelque temps…

Et quoi de mieux qu’une église pour cela ? La paroisse de Notre-Dame-de-L’Assomption a justement besoin d’un curé. Et tant pis s’il n’a jamais officié de sa vie, tant pis si sa religion à lui est celle du flingue, tant pis s’il n’a pas fait vœu de pauvreté et encore moins de chasteté. Se faire oublier tout en profitant de quelques avantages en nature, voilà son programme, son sacerdoce…

Sylvain Vallée nous avait bluffé avec Tananarive paru en 2021 sur un scénario de Mark Eacersall (Glénat), il récidive ici avec l’adaptation de cette histoire inédite du romancier Jacky Schwartzmann, un polar en deux tomes qui a tout de la comédie ou l’inverse. Le scénario, est un modèle du genre, les dialogues sont percutants, le décor urbain (Saint-Claude) inhabituel en BD, le graphisme semi-réaliste époustouflant, les couleurs d’Elvire de Cock remarquables, et notre personnage de Lucien qui porte aussi bien la soutane que des tee-shirts du Hellfest et de Black Sabbath est absolument diabolique.

Bref, on se laisse totalement embarquer dans cette histoire qui rappellera à certains la série Soda lancée par Philippe Tome et Luc Warnant il y a une quarantaine d’années maintenant. Sauf que le costume de curé cachait un flic et non un truand comme ici.

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JUIN / Hey Djo!, de Marzena Sowa et Geoffrey Delinte. Gallimard. 22€

Hey Djo!, un titre qui vous met immédiatement en tête pour au moins le temps de la lecture le standard rock repris par Jimi Hendrix, les Byrds ou encore Johnny Hallyday. Mais rien à voir, Marzena Sowa, autrice par ailleurs de la très belle série Marzi, et Geoffrey Delinte racontent ici l’histoire d’un petit garçon, Djo, et de son père dont le métier de routier l’amène à être souvent absent du foyer. Ils ne se connaissent pas, ou mal, jusqu’au jour où ils sont amenés à partager la cabine du camion.

Djo découvre alors la vie de routier – et nous aussi par la même occasion – avec les moments de solitude, les rencontres sur le bord de la route, la légendaire solidarité entre gens du métier, le sentiment de liberté, mais aussi la peur des braqueurs de camions. Djo! est un album pétri d’humanité et d’humour autour d’un métier rarement représenté dans la bande dessinée contemporaine, c’est aussi un récit intimiste à portée universelle qui explore les relations père-fils. Magnifique !

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JUILLET / Et travailler et vivre, Les Reflets du monde, de Fabien Toulmé. Delcourt. 25,95€

Quelle est la place du travail aujourd’hui dans notre vie ? Partant de cette interrogation que chacun de nous s’est légitimement posée un jour ou l’autre, Fabien Toulmé attrape son sac à dos, enfile ses baskets et repend la direction de l’aéroport le plus proche pour un nouveau voyage, cette fois au cœur du monde du travail. Avec au menu trois étapes, les États-Unis, la Corée du Sud et les Comores, trois pays, trois cultures, trois approches différentes du travail et à l’arrivée un reportage passionnant qui entend dépasser l’approche strictement didactique grâce au recueil de témoignages de gens ordinaires et à l’éclairage d’une sociologue spécialiste du travail, Dominique Méda.

Entre la grande démission américaine, quarante millions de travailleurs auraient tout plaqué pour vivre une nouvelle vie depuis 2020, le surtravail coréen qui tue régulièrement, et une expérimentation comorienne qui tente de faire coexister l’environnement, l’humain et la rentabilité, Fabien Toulmé nous propose une belle base de réflexion sur le monde du travail et la valeur que nous lui accordons. Avec Ce n’est pas toi que j’attendais, L’Odyssée d’Hakimou encore En lutte, Fabien Toulmé s’installe doucement mais surement comme l’un des auteurs majeurs de ces dernières années avec des thèmes forts, un désir renouvelé de raconter l’humain et toujours avec ce graphisme singulier qu’il rapproche lui-même du synthétisme.

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AOÛT / Walicho, de Sole Otero. ça et là. 28€

Lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2023 pour l’album Naphtaline, une épopée familiale au ton et à l’esthétisme résolument modernes, l’autrice argentine Sole Otero est de retour avec Walicho, diable ou Satan en espagnol, une œuvre inattendue et singulière composée de neuf histoires situées à des périodes différentes, depuis l’époque de la colonisation de l’Argentine jusqu’à nos jours, mais se déroulant toujours au même endroit, Buenos Aires, et en la présence, parfois latente, de trois mystérieux personnages, trois sœurs dotées de pouvoirs magiques qui traversent les siècles sans prendre de rides…

Graphisme, narration, mise en page, couleurs… chacune de ces histoires est l’occasion pour Sole Otero d’explorer avec talent et audace les possibilités du medium bande dessinée, d’offrir des instantanés de l’histoire de l’Argentine mâtinés de sorcellerie et de glisser des thématiques contemporaines notamment autour de la condition féminine, dénonçant ici les violences faites aux femmes et leur diabolisation, encourageant là leur émancipation au sein du couple et la lutte pour disposer librement de leur corps. Une œuvre dense aux ambiances sombres et mystérieuses qui révèle plus que jamais une autrice talentueuse. L’album vient d’ailleurs de remporter le prix Prima Bula décerné par le festival Formula Bula à Paris !

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SEPTEMBRE / L’Héritage fossile, de Philippe Valette. Delcourt. 34,95€

Changement radical de style et changement non moins radical de genre, après l’humour un brin déjanté et cartoonesque, Philippe Valette a décidé de nous propulser dans le cosmos avec un récit de science-fiction tout simplement remarquable…

Philippe Valette. En trois albums seulement, ce nom s’est imposé à nous comme un gage d’humour. Mais fini de rire, après le diptyque Georges Clooney suivi du pavé Jean Doux et le mystère de la disquette molle, Fauve Polar SNCF 2018, l’auteur publie ce mois-ci un récit SF beaucoup plus sérieux dans le ton et cinématographique dans la forme, un album qui fera certainement date. Son nom ? L’Héritage fossile. Son thème ? Les limites de la civilisation face à l’immensité du cosmos.

Et le résultat est absolument bluffant, le scénario limpide nous prend par la main du début à la fin, les dialogues sont percutants, le découpage ultra-efficace et le graphisme, inspiré des techniques employées dans les films d’animation, absolument saisissant.

Alors, me direz-vous, et l’histoire ? L’histoire s’inscrit dans la continuité d’une science-fiction dite classique tendance « conquête de l’espace » avec un équipage parti pour l’infini ou presque, objectif Geminæ, une planète éloignée de la Terre de quelque 19 999 années, oui vous avez bien lu, mais une planète aux conditions de vie idéales pour y établir une colonie humaine et donc perpétuer la civilisation.

Pour effectuer ce voyage, les membres de l’équipage emmenés par le milliardaire philanthrope Reiz Iger sont placés en biostase, une sorte d’hibernation stoppant le vieillissement, avec un réveil programmé tous les 25 ans histoire d’effectuer quelques travaux de maintenance sur le vaisseau baptisé Héritage. Bien évidemment, sinon il n’y aurait pas d’histoire, tout ne se passe pas comme prévu. Le contact avec la Terre est subitement rompu et tous développent au premier millénaire de voyage un mal étrange qui ronge leurs corps. Entre la survie de la civilisation et leur propre survie, les astronautes vont devoir faire un choix douloureux…

Philippe Valette, qui dit s’interroger énormément sur l’avenir du monde et se refuser à faire de la « science-fiction gratuite », développe ici toute une réflexion sur la place de notre civilisation dans l’univers et sur notre place à nous, en tant qu’individus et simples mortels. Mais l’aventure n’est pas oubliée pour autant et ce récit en vase clos dans le vaisseau Héritage développe son lot de péripéties et de tragédies. On y sent bien évidemment l’influence de certains chefs-d’œuvre de la SF tels que 2001, l’odyssée de l’espace, Philippe Valette reconnaissant pour sa part l’influence de L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam, des romans Spin de Robert Charles Wilson et Silo de Hugh Howey mais aussi l’influence de scientifiques comme l’astrophysicien Aurélien Barreau.

Un récit puissant, un scénario maitrisé, une mise en images ultra-léchée, des décors fabuleux, une lecture plaisir et un bel objet au format carré. Tout est là. Immense coup de cœur !

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OCTOBRE / Perpétuité, Jérôme K. Jérôme Bloche tome 29, de Dodier. Dupuis. 13,50€

C’est le détective privé le plus lunaire du neuvième art, le plus sympathique aussi, Jérôme K. Jérôme Bloche est de retour pour une vingt-neuvième aventure qui commence par une panne de solex et la disparition d’un doudou, avant de prendre une tournure moins ordinaire…

Il a fait un temps figure de héros nouvelle génération, il est aujourd’hui considéré comme l’un des piliers du journal Spirou et des éditions Dupuis à l’image d’un Gaston, d’une Natacha ou de Tuniques Bleues. Et malgré tout, Jérôme K. Jérôme Bloche n’a pas pris une ride, le secret d’une vie de détective au grand air et au grand cœur ! 

Pas de courses-poursuites tonitruantes, pas de gros calibres, pas de grosses Chevrolet, pas d’héroïnes au supers-pouvoirs, non les aventures de Jérôme sont toujours proches de nous, jamais loin de nos préoccupations, dans tous les cas à portée de Solex, son moyen de transport préféré, même si, pour les besoins du scénario, il a dû cette fois troquer son fameux Solex pour une authentique Motobécane.

Bref, Jérôme K. Jérôme Bloche est un être de papier délicieusement attachant, humain, sensible, peut-être un peu lunaire, un détective privé qui n’aime pas les intrigues mais adore les résoudre. Et justement, ça tombe bien, un doudou a disparu ! Oui, un doudou, une peluche en somme, qui appartient à la jeune Yasmina. Mais le plus troublant dans l’affaire, c’est que son oncle a, lui aussi, étrangement disparu. Et au même endroit : une grande maison bourgeoise. Du boulot pour notre détective !

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NOVEMBRE / Du rififi à Ménilmontant, de Tardi et Malet. Casterman. 25€

Nestor Burma ne croit pas au Père-Noël, même s’il en croise à tous les coins de rue. Et ça tombe plutôt bien car cette affaire-là n’a rien d’un cadeau.

Décembre 1957, Paris. Nicole Manchol, des industries pharmaceutiques Manchol & Biscorne, débarque dans le bureau de notre détective privé, sort un pistolet, déclare avoir tué son mari et se tire une balle dans la bouche. De quoi redécorer le sapin de Noël et le papier peint ! De quoi aussi agiter la flicaille du 36 et envoyer notre Nestor Burma enquêter à travers tout Paris, jusqu’à débarquer dans un sombre laboratoire d’expérimentation animale…  

Plus de quarante ans après Brouillard au Pont de Tolbiac, sa première adaptation d’un roman de Léo Malet, Jacques Tardi retrouve le cultissime Nestor Burma dans une histoire qu’il signe entièrement, scénario et dessin. Fidèle à son style, l’auteur nous plonge dans un Paris typique des années 1950, et plus précisément ici dans le XXe arrondissement, avec ses décors authentiques et ses personnages aux gueules d’atmosphère.

Une série culte portée par l’un des plus grands auteurs du neuvième art, un livre incontournable qui séduira tous les amateurs de polars et de films noirs ! 

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DÉCEMBRE/ 1629 ou l’effroyable histoire des naufragés de Jakarta, de Dorison et Montaigne. Glénat. 35€

Avec son grand format, ses 240 pages au total et ses somptueuses couvertures à l’ancienne, le dyptique 1629 ou l’effroyable histoire des naufragés de Jakarta ne peut que titiller la rétine de tout amateur de bande dessinée.

Et pas seulement la rétine ! Le contenu est à l’image du contenant, grandiose ! Le scénariste Xavier Dorison, déjà largement connu et reconnu dans le monde du neuvième art (Goldorak, Le Château des animaux, Le Troisième testament…), et le dessinateur Thimothée Montaigne signent un grand récit d’aventure à la fois fascinant et terrifiant ! Inspirée d’une histoire vraie, l’intrigue débute dans le huis clos du Jakarta, un navire de 40 pieds affrété par la compagnie Voc pour un voyage depuis les Pays-Bas vers l’Indonésie, plus précisément Java.

À son bord, 300 matelots, criminels, déserteurs et mercenaires, mais aussi des passagers, quelques enfants, trente femmes et surtout, dans les cales, une belle cargaison d’or et de diamants destinée au négoce. De quoi rendre ce voyage furieusement explosif. Maladie, mutinerie, naufrage, crimes… Xavier Dorison et Thimothée Montaigne nous embarquent pour un voyage sans retour, où chaque planche explore la profonde noirceur de l’âme humaine dans des illustrations d’une exceptionnelle composition, sombres et violentes à souhait.

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Eric Guillaud

22 Jan

Islander, L’Arpenteur, UCC Dolorès, Avaler la Lune, 2050 et Eternum : six BD SF pour aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs

Le froid, la pluie, le retour de Trump, le dérèglement climatique, les guerres… on peut légitimement avoir envie d’être ailleurs, dans un autre monde, peut-être quelque part dans le futur ou dans l’espace. Mais rien ne dit que ce soit beaucoup mieux ! La preuve avec cette sélection de bandes dessinées de science-fiction.

On commence avec le nouveau projet de Corentin Rouge au dessin et Caryl Férey au scénario, un récit d’anticipation qui comptera à terme trois volumes et près de 450 pages. Islander est son nom et la crise migratoire, sa toile de fond, une crise migratoire qui touche cette fois les Européens chassés de chez deux par une série de catastrophes dues au réchauffement climatique. L’histoire commence dans le port du Havre où des milliers de réfugiés s’entassent avec l’espoir de gagner une terre d’asile.

Mais face à ce nouveau flux migratoire, le Royaume-Uni a choisi de fermer ses frontières, l’Écosse accueille encore quelques groupes triés sur le volet et l’Islande se déchire sur le sort des migrants. C’est pourtant bien dans ce pays que vont débarquer le personnage principal de ce récit, Liam, un loup solitaire prêt à tout pour fuir le continent européen, et Zizek, un scientifique porteur d’une information qui pourrait sauver l’humanité. Encore faut-il qu’il soit écouté !

Un scénario en béton, une imposante galerie de personnages, des dialogues incisifs, un trait réaliste minutieux, des décors et notamment des paysages enneigés magnifiques, des scènes d’actions spectaculaires… L’Exil, premier volet de cette trilogie, est un récit de sang et de glace qui nous projette dans un monde futur où nous risquons bien d’être les nouveaux migrants ! De quoi calmer les discours de haine entendus ici et là ? À suivre… (L’exil, Islander tome 1/3, de Corentin Rouge et Caryl Férey. Glénat. 25€)

La couverture annonce la couleur, la couleur et la teneur : un monde en fin de course baigné dans une lumière à dominante jaune et orange. Et dans ce monde-là, Géo, éboueur de l’espace, échoué là à la suite d’une panne de son vaisseau-benne, erre au milieu des vestiges d’une société disparue. La Terre n’est plus qu’une immense décharge et l’humanité a trouvé refuge sur une planète artificielle en forme de méduse, les plus fortunés habitant la cloche, le dôme, les autres étant relégués dans les tentacules, vastes salles des machines fait d’une multitude d’ascenseurs, de tunnels et de passerelles. Seul sur la Terre, Géo tombe sur un exemplaire de La Tempête de Shakespeare, un livre qui pourrait bien le guider dans cet environnement hostile…

Artiste protéiforme, illustrateur, designer, auteur de comics expérimentaux, le Néerlandais Viktor Hachmang nous invite ici à une immersion vertigineuse dans un univers où l’humanité a finalement détruit son propre foyer. Un imaginaire profondément personnel, un style graphique nourri par les plus belles années du magazine Metal Hurlant et une palette de couleurs audacieuse font de la lecture de L’Arpenteur une véritable expérience graphique et scénaristique. (L’Arpenteur, de Viktor Hachmang. Casterman. 20€)

Si Didier Tarquin est le dessinateur de l’une des séries phares de l’heroic fantasy en BD, Lanfeust de Troy, il peut aussi se faire auteur complet sur une aventure de SF dont le sixième volet vient de paraître. U.C.C. Dolores, tel est son nom, a tout du western intergalactique et peut-être déjà tout d’un classique du genre. « Quand on parle de western en bande dessinée… », expliquait l’auteur à la parution du premier volet, « il y a une oeuvre qui vient immédiatement à l’esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J’avais envie de retrouver ça, de faire quelques chose de très classique – de néo-classique, disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c’était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part ».  Inutile de vous dire que le résultat est graphiquement sublime. Quant à l’histoire, celle d’une orpheline élevée dans un couvent qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un croiseur de guerre baptisé U.C.C. Dolores, on ne peut être que conquis. Dans ce sixième volet qui est aussi le début d’un nouveau cycle, Didier Tarquin et Lyse Tarquin aux couleurs nous embarquent pour un monde à l’agonie, exploité, surexploité, prêt à rendre l’âme… (Les Yeux du sans-peur, U.C.C. Dolores tome 6, de Didier Tarquin et Lyse Tarquin. Glénat. 15,95€)

On fait un bond dans le temps pour se retrouver 500 ans après le grand effondrement. La planète Terre n’est plus qu’un immense champ de ruines rongées par des pluies acides. La faute à qui ? La faute aux hommes bien sûr qui ont précipité la fin de l’humanité en s’entêtant pendant des années dans un projet de folie : installer un générateur d’énergie propre sur la Lune pour alimenter les infrastructures terriennes destinées à dépolluer l’atmosphère et les océans. Et ce générateur d’énergie propre n’est ni plus moins qu’une forêt. Une immense forêt…

Ce premier volet d’une trilogie dont on devrait voir le bout en 2026 selon l’éditeur, donc, avec un peu de chance, avant le grand effondrement prévisible de l’humanité, joue habilement sur les contrastes. Le dessin, à la fois imaginatif, moderne et très coloré, adoucit un récit apocalyptique d’une grande noirceur, même si quelques spécimens sont encore là pour témoigner et tenter de changer la fin de l’histoire. À méditer ! (L’Ascenseur, Avaler la Lune tome 1, de Castel, Cousin et Jarry. Casterman. 20€)

De quoi sera fait demain ? Les livres continueront-ils d’être écrits par des êtres humains ? Les intelligences artificielles n’auront-elles pas remplacé les éditeurs et même les boulangers ? Et qui seront les premiers colons interplanétaires de l’humanité ? Toutes ces questions – et bien d’autres encore – sont explorées dans les pages de cet ouvrage collectif qui réunit une belle brochette d’auteurs tels que Jean-Christophe Chauzy, Christian de Metter, Aurélien Ducoudray, Guillaume Dorison ou encore Jean-Michel Ponzio.

Avec des styles graphiques variés, chaque auteur imagine en quelques pages un avenir proche et plausible, marqué par les innovations et les thématiques qui, déjà, bousculent et interrogent notre présent, qu’il s’agisse des intelligences artificielles, du pouvoir des réseaux sociaux et des influenceurs, du réchauffement climatique ou du retour de l’exploration spatiale. C’est souvent effrayant, mais après tout, notre quotidien ne l’est-il pas déjà ? (2050, collectif. Philéas. 19,90€)

Initialement paru en trois volumes entre 2015 et 2017, tout juste réédité en intégrale, le récit SF de Christophe Bec et Jaouen Salaün nous embarque pour 2297. La galaxie n’a alors plus de secret pour l’homme qui en a colonisé la plus grande partie, mais certains phénomènes restent encore largement inexpliqués.

Il y a d’abord ce mystérieux rayon cosmique apparu soudainement dans une galaxie voisine, un rayon gigantesque qui semble traverser le cosmos. Et puis la découverte d’un sarcophage sur une planète minière quelque part au milieu de la Voie lactée, un sarcophage qui interroge. Et qui inquiète ! Depuis sa découverte, tout contact avec la Terre a été rompu. Une équipe est envoyée sur place. Elle y découvre un véritable carnage, des corps dispersés un peu partout dans la base, tués par balles, par armes blanches, tous porteurs de traces de morsures, comme si quelqu’un s’était adonné au cannibalisme. Le sarcophage est rapatrié sur Terre afin de percer son mystère…

Il y a du Alien et du Outland dans l’air, mais pas seulement, l’album Eternum est la somme des nombreuses influences des deux auteurs mais il est aussi le résultat de l’imaginaire sans bornes de Christophe Bec, auteur d’une douzaine de one-shots et d’une trentaine de séries parmi lesquelles Carthago, Bunker, Sanctuaire ou encore Zéro absolu. Un dessin hyper efficace, de l’action à toutes les pages, un zeste de sexe, le tout parsemé de mysticisme, Eternum offre une lecture divertissante et en filigrane une réflexion sur l’humanité, ses origines, son devenir… (Eternum Intégrale, de Bec et Jaouen. Casterman. 29€)

Eric Guillaud

18 Jan

Nouveauté 2025. L’Enfantôme de Jim Bishop : quand les rêves d’enfants affrontent la pression des adultes

Après Lettres perdues et Mon ami Pierrot, Jim Bishop clôt sa trilogie sur l’adolescence et le passage à l’âge adulte avec L’Enfantôme, un récit aussi étonnant que son titre, dans lequel il est question de famille, d’amitié, de harcèlement, de pression sociale, de rêves de gosses, de folie douce… et de fantômes.

« Tu es moche, tu es nul, tu n’es qu’un gros bouton, tu ne ressembles à rien et personne ne t’aime ». Voilà, c’est dit, le jeune garçon dont vous pouvez admirer le visage et l’acné juvénile en couverture de l’album ne se supporte plus. De quoi pulvériser tous les miroirs de la planète. Mais s’il n’y avait que ça. Le boutonneux, comme on l’a surnommé à l’école, est convoqué par le conseiller d’orientation avec Mims, une autre élève. Tous les deux sont sommés de se reprendre en main, de remonter leurs notes. Sinon ? Sinon, leurs parents se chargeront de les tuer. Oui, c’est assez radical !

Pris au piège, le « boutonneux » et Mims n’ont pas le choix. La pression sur leurs épaules est énorme et leurs parents deviennent de plus en plus menaçants, voire monstrueusement menaçants. Malgré tout, entre le « boutonneux » et Mims nait une belle histoire d’amitié. Ensemble, ils partagent leur passion pour le manga mais aussi leurs craintes face au monde des adultes qu’on tente de leur vendre. De là à se rêver fantômes, libres comme l’air, il n’y a qu’un drap…

Quel plaisir de retrouver la plume et le pinceau de Jim Bishop ! Tous ceux qui ont lu Lettres perdues et Mon ami Pierrot reconnaitront ici le style graphique miyazakiesque de l’auteur, même s’il dit s’être détaché de cette référence pour son nouvel album. Les influences du maître de l’animation japonaise sont peut-être digérées mais coulent encore abondamment dans ses veines et ses pinceaux. Côté histoire, Jim Bishop poursuit son exploration de l’adolescence et du passage à l’âge adulte en nous invitant à réfléchir sur les ravages de la pression scolaire et du conformisme sur les rêves et aspirations de nos jeunes années.

Eric Guillaud

L’Enfantôme, de Jim Bishop. Glénat. 22,50€

© Glénat / Bishop

13 Jan

La Veuve : un western au féminin de Glen Chapron dans les Rocheuses canadiennes

Après L’Attentat avec Loïc Dauvillier et Une Histoire corse avec Dodo, le Breton Glen Chapron retrouve ses pinceaux pour adapter La Veuve,  le premier rroman de Gil Adamson, une chevauchée haletante à travers les Rocheuses canadiennes en compagnie d’une jeune-femme en quête de liberté…

D’abord, il y a la nature, puissante, sauvage, hostile. Nous sommes au cœur des Rocheuses canadiennes, loin de toute trace de civilisation. Vient ensuite une jeune femme, visiblement effrayée et épuisée, courant à travers bois et herbes folles. Et derrière elle, à ses trousses, deux hommes armés et un chien menaçant.

Cette femme s’appelle Tower, ou Mary Boulton, allez savoir, tout dépend des moments et des rencontres. Quant aux deux hommes à ses trousses, ce sont les frères de son mari. Son feu-mari pour être tout à fait exact. Elle l’a tué ! Et ne le regrette aucunement. Dans sa fuite éperdue, la jeune femme croise William Moreland, un ermite et un voleur, qui va la soigner, la faire rire et l’écouter. Mary a énormément de choses à raconter, sa vie, son mari qui collectionnait les maîtresses et les dettes et, pour finir, son geste violent mais tellement libérateur.

On la croit un moment amoureuse de William, prête à partager sa vie dans les montagnes, mais finit par reprendre sa liberté, fait de nouvelles rencontres, se dévoile un peu plus…

Si la vengeance, thème pour le mois récurrent dans le western, constitue le fil rouge du récit, Glen Chapron y trouve surtout un prétexte pour nous raconter une histoire d’émancipation féminine dans un univers très masculin et violent. N’ayant pas lu le roman, je m’abstiendrai de juger le travail d’adaptation. Cependant, le récit présenté ici nous tient parfaitement en haleine grâce à une héroïne attachante qui dévoile son histoire au fil des pages, grâce aussi à un découpage dynamique et surtout grâce à ce trait jeté, épais, ces atmosphères sombres qui exploitent avec justesse le clair-obscur et donnent une intensité remarquable au récit.

Eric Guillaud

La Veuve, de Glen Chapron d’après l’œuvre de Gil Adamson. Glénat. 25€ (en librairie le 15 janvier)

© Glénat / Chapron & Adamson

09 Jan

Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2025 : les huit albums sélectionnés en un clic !

Pour la sixième année consécutive, France Télévisions s’associe au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême pour décerner le Fauve d’Angoulême – Prix du public. Huit albums ont été présélectionnés. Le lauréat sera connu le samedi 1er février. En attendant, que racontent-ils, qui sont leurs auteurs et autrices ? Réponse ici et maintenant…

On se demande parfois comment certains albums peuvent nous échapper. Le manque de temps, d’argent, de curiosité, une pochette qui ne capte pas l’attention, sans oublier la surproduction qui finit par tout noyer. Oui, les raisons sont multiples, mais heureusement, le hasard fait parfois bien les choses. La présence de Ballades dans la sélection officielle du prochain Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême nous permet au final de (re)découvrir une véritable pépite, un conte médiéval aussi drôle qu’original.

Et quand je dis drôle, je devrais dire complètement délirante, déjantée, tant le scénario, le dessin, d’une élasticité à toutes épreuves, les dialogues, un mélange de vieux français et de mots inventés, les couleurs, écarlates, les personnages, tous plus délicieux les uns que les autres, les situations, burlesques à souhait, et les clins d’œil malicieux aux contes traditionnels font corps pour nous offrir un petit ovni éditorial.

Mais derrière cette apparente légèreté, Ballades nous parle aussi, entre les lignes et entre les cases, de notre monde et de notre époque, du féminisme, de la démocratie, de l’émancipation des femmes et des peuples… Bref, pour un premier album, l’autrice Camille Potte frappe fort, très fort. Une belle découverte, un bonheur absolu ! (Ballades, de Camille Potte. Éditions Atrabile. 22€)

C’est une histoire comme on en voit malheureusement beaucoup, une histoire de relation toxique qui aurait pu mal finir mais s’est arrêtée à temps. Carole Lobel en témoigne aujourd’hui à sa manière dans une bande dessinée baptisée En Territoire ennemi. Les mots sont forts mais justes tant cette expérience aurait pu être un voyage sans retour.

Fille d’une militante chrétienne anti-avortement, Carole rencontre Stéphane, étudiant aux Beaux-Arts, d’extrême gauche, fumeur de joints. Elle en tombe éperdument amoureuse. Pourtant, très vite, elle perçoit un malaise dans leur relation, notamment dans leur relation intime. Bien qu’elle ne souhaite pas d’enfants, elle finit par en avoir deux.

De son côté, Stéphane, sans emploi, s’isole progressivement de la vie sociale, sombre dans la paranoïa, le complotisme, la misogynie, adopte les idéologies d’extrême droite, apprend l’hymne officiel des SA et du Parti national-socialiste des travailleurs allemands et devient violent avec ses propres enfants qu’il souhaite « endurcir » !

Face à cette spirale destructrice, Carole décide de le quitter mais des années de vie commune ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Et ses enfants vont le lui rappeler…

Réalisé au stylo-bille quatre couleurs avec un graphisme très actuel, En Territoire ennemi n’est pas un témoignage de plus, c’est un témoignage essentiel qui décrit comment naissent les relations toxiques et peut-être comment les repérer pour s’en extraire au plus vite.  En Territoire ennemi est la première bande dessinée de Carole Lobel. Un livre à mettre entre toutes les mains ! (En Territoire ennemi, de Carole Lobel. L’Association. 26€)

Connaissez-vous le syndrome d’Hikikomori ? Apparu au Japon dans les années 1990, ce phénomène qui se caractérise par un isolement social extrême concernerait un million de personnes dans ce pays et, depuis la pandémie de Covid, toucherait un nombre croissant de Français, en

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particulier des hommes. Ce sujet est au coeur de cette bande dessinée de Jérôme Dubois !

Le protagoniste, reclus chez lui depuis des mois, vit au milieu des déchets qu’il ne se résout plus à sortir. Ses journées se résument à attendre des livraisons de repas. Jusqu’au jour où il s’effondre, victime d’un malaise fatal ! Quelques temps plus tard, une équipe de nettoyage investit son appartement pour le débarrasser. Mais, même une fois vidé et parfaitement lessivé, l’âme de l’ancien locataire continue de hanter les lieux…

Jérôme Dubois propose ici, comme dans chacun de ses albums, une expérience à la fois visuelle et narrative, invitant à une profonde réflexion existentielle. On se souvient notamment de Citéville et Cinéville, deux œuvres indissociables sélectionnées au Festival d’Angoulême en 2021. Ces récits nous interrogeaient sur la place de la ville et donc de l’humain dans notre monde futur. Avec cette nouvelle histoire, l’auteur explore le syndrome d’Hikikomori pour nous questionner sur la mémoire que les lieux peuvent conserver de leurs habitants. Un sentiment d’étrangeté se dégage de cet album, accentué par l’alternance entre le noir et blanc et les couleurs vives de certaines cases. (Immatériel, de Jérôme Dubois. Cornélius. 34,50€)

« Personne n’est condamné à souffrir en silence » : c’est par ces quelques mots que l’autrice belge Alix Garin conclut son album et c’est précisément pour cette raison qu’elle a décidé de l’écrire.

Pendant des années, Alix Garin a souffert d’un trouble sexuel méconnu : le vaginisme. Du jour au lendemain, elle ne pouvait plus supporter la pénétration. Des douleurs insoutenables et une libido réduite à néant qu’elle cache à son compagnon. Seule, elle affronte pendant des mois ses questionnements, ses doutes et sa souffrance.

Jusqu’au jour où elle trouve enfin le courage d’en parler. S’ensuivent des années d’errances thérapeutiques, à courir les cabinets des psychologues, sexologues, gynécologues, psychothérapeutes, et autres kinésithérapeutes. Toujours en quête de réponses !

À la peur de fragiliser son couple s’ajoute la honte. La honte de ne pas être comme tout le monde, de ne pas répondre aux injonctions d’une société qui érige la sexualité, le désir et le plaisir en normes absolues de la vie amoureuse…

Avec courage et sincérité, Alix Garin livre un témoignage profondément intime, sans tabous, utilisant les métaphores pour évoquer le désir, la douleur, les injonctions, le cheminement thérapeutique. Un récit essentiel, sensible, libérateur tant pour l’autrice que pour les lecteurs et les lectrices (Impénétrable, d’Alix Garin. Le Lombard. 29,90€)

Que vous ne connaissiez pas Will McPhail n’a rien d’étonnant. L’homme, un Anglais, signe ici son tout premier roman graphique. Il est surtout connu et reconnu jusqu’ici pour ses dessins de presse publiés dans le magazine américain The New Yorker.

Au-Dedans est donc un premier bouquin. Et quel bouquin ! Dès les premières pages, son style graphique, son trait réaliste très précis, ses personnages aux yeux écarquillés, ses cases épurées, ce découpage des planches adapté au récit… tout est réuni pour frapper notre esprit et nous charmer définitivement.

Et les quelque 270 pages qui alternent noir et blanc et couleurs sont du même niveau. Impossible de lâcher la lecture en cours, on est littéralement happé, happé par la forme bien sûr mais aussi par le fond.

Mais que peut bien raconter Au-Dedans ? Une aventure intérieure ou plus précisément une aventure vers l’intérieur. La petite porte sur la couverture… vous la voyez ? Elle donne accès à cet intérieur.

Avec une question qui revient tout au long de l’ouvrage : comment connecter les différents intérieurs ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

Nick est un jeune artiste, illustrateur pour quelques feuilles de choux genre L’Hebdo de la Carpe. Oui, ça existe ! Pas d’enfants, pas de maison, pas de bijoux, pas de super recette de famille à léguer, juste une mère à qui il rend visite régulièrement, une sœur qui ne mène pas le même genre de vie et depuis peu une amoureuse, une oncologue, rencontrée dans un des nombreux cafés branchés qu’il fréquente pour occuper sa vie, remplir son quotidien et tenter de s’interconnecter avec les autres.

Sans grand succès, il faut avouer ! Uniquement des interactions superficielles, regrette-t-il. Jusqu’au jour où il parvient à dire une poignée de mots qui comptent à son plombier venu réparer une fuite à son domicile.

« C’était quoi ça ? Non, mais c’était quoi ? Ça partait comme une conversation habituelle et puis… puis il s’est passé quoi ? »

Une connexion ! La première mais pas la dernière. Nick a compris que pour rejoindre l’espace intérieur des autres, il devait avant tout ouvrir le sien…

Né dans le Lancashire au Nord-Ouest de l’Angleterre, région où on ne dévoile pas plus qu’ailleurs ses sentiments, Will McPhail a malgré tout toujours été fasciné par la mécanique des mots et les différentes directions que peut prendre une simple conversation. Son sens aiguisé de l’observation, son humour, son regard sur la vie et nos contemporains ont fait le reste. Au-Dedans est l’un des plus beaux livres de l’année. Assurément ! (Au-Dedans, de Will McPhail. 404 Graphic. 26,50€)

« Dans la vie, il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires. On a tous notre rôle à jouer ». Tout est là, dans ces quelques mots prononcés par une des protagonistes de l’album.

Dans Les Météores, il n’y a effectivement pas de héros, encore moins de super-héros, mais des gens très ordinaires qui ont une vie très ordinaire. Comme ce bon Flyod qui prend chaque jour le bus de 5h46 trimbalant son énorme carcasse et ses pertes de mémoire, ses « blancs » comme il les appelle avec un brin de poésie. Ou comme Hollie, une jeune assistante de vie qui élève seule son fils et s’auto-persuade d’aimer son job même quand il s’agit d’essuyer les fesses d’un vieillard. Ou encore Don qui est tombé amoureux d’une vendeuse d’Ikea (rebaptisé ici Aeki), où une bonne partie de l’histoire se déroule. Il y a aussi Gary, Charlie, Sammy, Elijah… tous occupés à vivre ou plus surement à survivre, sans éclats ni passions.

Et même lorsqu’une météorite a la fâcheuse intention de vouloir passer un peu trop près de la planète et d’anéantir toute forme de vie, tous continuent leur chemin, sans héroïsme ni panique, résignés comme s’ils ne faisaient eux-mêmes que passer.

Avec Les Météores, Deveney et Redolfi passent de la verticalité de leur précédent album, Empire Falls Building (2021, Éditions Soleil) – qui explorait la construction mystérieuse d’un gratte-ciel new-yorkais – à une horizontalité marquée, renforcée par un format à l’italienne. Ce choix offre une lecture apaisée, presque cinématographique, parfaite pour cette narration où le temps semble suspendu.

Avec un trait léger, des ambiances hivernales, une luminosité basse, une game de couleurs réduite, les auteurs nous attrapent par les yeux pour nous embarquer dans cette histoire qui n’a pas vraiment de début, pas vraiment de fin, déroulant avec poésie des fragments de vies qui laissent entrevoir toute la fragilité de l’humanité. Un récit Intimiste et tellement universel ! (Les Météores – Histoires de ceux qui ne font que passer, de Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi. Delcourt. 34,95€)

Et si les tableaux avaient des yeux, que percevraient-ils ? La beauté de l’art ou la laideur du monde ? Dans cet album signé Luz, il semble que la deuxième option s’impose. Luz, dessinateur de presse dont le nom restera à jamais associé à Charlie Hebdo, mais aussi auteur de bandes dessinées (Catharsis, Hollywood menteur, Vernon Subutex, Testoterror…), utilise cette astuce narrative pour retracer les années sombres de notre histoire, en particulier la montée du nazisme, la spoliation et la déportation des Juifs.

Le tableau en question, bien que relativement peu connu, est réel : il s’agit de Deux filles nues, une œuvre du peintre expressionniste allemand Otto Mueller. Les événements qu’il illustre, eux aussi, sont bien évidemment réels et profondément tragiques. Spoliée par les nazis, cette œuvre a été présentée en 1937 à Munich dans le cadre de l’exposition consacrée à « l’art dégénéré ». Elle a ensuite été vendue à un collectionneur pour financer l’effort de guerre allemand, avant d’être restituée à la famille d’origine en 1999. Ce tableau est un survivant, un rescapé, tout comme Luz, qui, depuis le 7 janvier 2015, porte en lui la mémoire de l’attentat contre Charlie Hebdo.

Réussissant l’exploit de ne pas montrer le tableau avant la toute fin du récit et à nous donner ses yeux imaginaires sans pour autant nuir au dynamisme de l’ensemble, Luz signe ici un un ouvrage d’une rare intensité, singulier dans sa forme, puissant dans son contenu, invitant chacun de nous à une réflexion sur l’art, la liberté, la censure, l’extrêmisme, le beau et le laid, la vie et la mort. L’album a d’ores et déjà reçu le Grand Prix de la critique de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD), ainsi que le Prix Wolinski de la BD du Point en 2024. (Deux filles nues, de Luz. Albin Michel. 24,90€)

Dementia 21 est le premier manga à concourir dans la cadre du  le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions depuis la création de ce prix en 2020. Il faut admettre que la préférence du jury professtionnel est plus souvent portée sur des one-shots signés par de jeunes auteurs et en langue française. Cela dit, rien n’empêche les coups de coeur et les entorses aux habitudes, deux de nos lauréates sont ainsi d’origine étrangère, Sole Otero en 2023 et Beatriz Lema en 2024.

Dementia 21, comme son titre peut le laisser imaginer, est le récit assez dément, assez étrange, assez effrayant, d’un artiste japonais, Shintaro Kago, qui s’est fait connaître dans le manga ero guro (un mélange d’érotisme, d’horreur et de grotesque). Il y raconte l’histoire de Yukie Sakai, une jeune aide à domicile qui adore son travail auprès des personnes âgées, qui fait tout son possible pour répondre à leurs attentes, avec l’ambition de devenir LA meilleure aide soignante du secteur. Mais chacune de ses interventions auprès des personnages âgées se ternine de façon totalement surréaliste, hallucinante, abracadabrantesque et violente. Avec en filigrane, de nombreuses interrogations sur la place des séniors dans notre société… (Dementia  21, tome 2, de Shintaro Kago. Huber Editions. 23€)

Eric Guillaud

06 Jan

Cinq BD feel-good pour commencer l’année en douceur

Conflits armés, attentats, catastrophes naturelles… Quand le monde devient fou, une petite douceur de temps en temps ne peut pas faire de mal. En voici cinq d’un coup, cinq albums, autant d’histoires, qui devraient apaiser l’âme et le corps…

On commence avec un récit des plus moelleux. Il s’appelle Pillow Man et, comme son nom l’indique, raconte l’histoire d’un homme-oreiller. La belle vie ? Pas tout à fait ! Jean, ancien chauffeur routier au chômage depuis trois ans, a été contraint d’accepter le job. Contraint, mais aussi largement séduit par les avantages : un bon salaire, un statut cadre, une mutuelle au top, des tickets restaurant, une carte de transport, des costumes sur mesure… et un métier qui s’exerce allongé. Allongé certes, mais pas au repos ! Être un homme-oreiller, ça ne s’improvise pas. Il faut entretenir son embonpoint pour satisfaire les clients et surtout les clientes en toutes circonstances et le plus chastement possible. Jean est un homme-oreiller, pas un prostitué. Et cela lui convient plutôt bien jusqu’au jour où sa dulcinée, qui le croyait agent de sécurité chez LVMH, découvre la véritable nature de son travail…

Sorti en septembre dernier, cet album offre une véritable bouffée d’air frais tant sur le plan du scénario que du graphisme, avec un personnage qui nous ressemble, un super héros du quotidien qui tente de se dépatouiller entre sa vie professionnelle et sa vie de couple. Pillow Man est une comédie pas si légère. Entre les lignes, entre les cases, Stéphane Grodet et Théo Calmejane se penchent sur le monde du travail et la solitude. (Pillow Man, de Stéphane Grodet et Théo Calmejane. Glénat. 26€)

Il y a des bandes dessinées qui rendent heureux et d’autres qui rendent carrément amoureux. C’est du moins ce que suggèrent les éditions Casterman qui en ont fait un véritable argument de vente pour Toi & Moi, un récit signé Pacco. À défaut de rendre réellement amoureux, cette BD-là donne effectivement envie de partager les moments de vie, de bonheur de complicité, de rigolade, d’amour et de chamaillerie, que l’auteur vit avec sa dulcinée, l’autrice Margaux Motin, et accepte de dévoiler ici dans une centaine de saynètes. C’est léger, tendre et universel. (Toi & Moi, de Pacco. Casterman. 14,95€)

Margaux Motin, justement. Révélée au grand public en 2008 grâce à son blog, l’illustratrice et autrice de BD connaît une ascension fulgurante dans le monde du neuvième art. Aujourd’hui, elle compte plus de 400 000 abonnés sur Instagram, 290 000 sur Facebook, et ses albums s’écoulent à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Autant dire que son univers touche un large public, notamment féminin.

Son créneau ? La vie tout simplement ! Avec une bonne dose d’autodérision et une lucidité à toutes épreuves, un graphisme contemporain, une narration fluide, une ambiance très colorée et un ton résolument léger, l’autrice raconte son quotidien de mère célibataire.

Dans cette intégrale qui réunit les deux volumes du Printemps suivant, parus en 2020 et 2022, Margaux emménage avec son amoureux (Pacco) et redécouvre les joies de la vie en couple, avec ses avantages, ses inconvénients, ses limites, les inévitables compromis, les disputes, les réconciliations et les courses chez Ikea et Jardiland… Un récit à la fois drôle et touchant ! (Le Printemps suivant – édition intégrale, de Margaux Motin. Casterman. 30€)

Restons dans le même univers avec cette fois Pénélope Bagieu. L’autrice a retrouvé les vitrines de nos librairies préférées en septembre dernier avec une intégrale des aventures de Joséphine. Cette héroïne attachante ou attachiante, c’est selon, est apparue en 2008 dans un premier album (2 autres suivront) avant de se retrouver dans les salles obscures à l’affiche de deux films réalisés en 2013 et en 2016, avec Marilou Berry dans le rôle titre.

Joséphine, trentaine et célibataire, incarne avec humour et justesse la femme contemporaine, libre mais en recherche permanente de l’amour. Ses aventures, présentées sous forme de saynètes d’une à deux pages, regorgent de situations burlesques, de maladresses, de petits mensonges et de grands moments de solitude. Drôles et attendrissantes, ces tranches de vie ne manquent pas de faire sourire et d’offrir une belle dose de légèreté, parfaite pour éloigner la morosité. (Joséphine Intégrale, de Pénélope Bagieu. Delcourt. 23,95€)

Après le succès de Peau d’Homme réalisé sur un scénario d’Hubert, 200 000 exemplaires vendus et des récompenses en pagaille, Zanzim reprend la plume et le pinceau pour nous concocter en auteur complet un petit bijou qui nous interroge sur la notion de grand homme.

Le protagoniste de l’histoire se nomme Stanislas. Il a un air de Charles Denner, mesure un mètre cinquante-sept et demi, est complexé, timide mais amoureux des femmes et surtout fétichiste des pieds, de leurs pieds. Ça tombe bien, Stanislas travaille dans un magasin de chaussures où il peut en tâter à loisir. Jusqu’au jour où une paire de chaussures magiques auxquelles il confie son regret de ne pas être un grand homme le réduisent à la taille d’une souris. Échappant de justesse à quelques prédateurs d’appartement, Stanislas trouve refuge dans le cocon intime d’une de ses collègues dont il devient le jouet sexuel. Mais c’est auprès de Fleur, une jeune femme dont il tombe amoureux, qu’il prendra finalement de la hauteur…

Tendre, drôle, un brin magique, Grand Petit homme est une gourmandise graphique et scénaristique, un récit qui ne peut que nous inciter à devenir de grands hommes par l’amour, le respect, l’abnégation et le courage. (Grand Petit homme, de Zanzim. Glénat. 25€)

Eric Guillaud

01 Jan

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Alison, La Route, Souffler sur le feu

Quarante-quatre albums composent la sélection officielle du 52ᵉ Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se déroulera du 30 janvier au 2 février 2025. Un chiffre modeste au regard de la production foisonnante de l’année, mais largement représentatif de la richesse, de l’audace graphique, de l’inventivité narrative et de la diversité des scénarios. En voici un aperçu…

La couverture et le titre de ce roman graphique annoncent clairement l’intention de l’autrice Lizzy Stewart : nous plonger dans le monde de l’art à travers l’histoire d’une jeune femme qui a forgé son identité à coups de pinceau.

Tout commence du côté de Bridport, dans le Dorset. Alison Porter n’a que 17 ans lorsqu’elle tombe amoureuse d’Andrew. Ils se marient, lui décroche un emploi à la mairie, elle se consacre à la couture pour une école du coin. Une existence simple et sans éclats !

« J’avais l’impression de ressembler à une bonne épouse victorienne, ou pire encore, à ma mère »

Sa vie prend un tournant radical lorsqu’elle croise la route de Patrick Kerr, un peintre renommé. Fascinée par son talent et séduite par son charisme, Alison quitte son mari et le suit à Londres. Longtemps, elle vit dans son ombre avant de trouver sa propre lumière et de s’imposer comme l’une des plus grandes femmes artistes du Royaume-Uni.

Avec une grande sensibilité, un trait de crayon tout en finesse, des planches en nuances de gris et des ambiances empreintes d’une force tranquille, Lizzy Stewart raconte ici la quête d’émancipation d’une femme prise dans une relation toxique.

« Patrick Kerr a été mon maître, puis mon amant, ensuite mon ennemi, un ami et, finalement, plus qu’un souvenir »

Lizzy Stewart raconte aussi le difficile chemin d’une femme aux origines provinciales modestes dans un monde artistique largement dominé par les hommes. « J’étais larguée dans un monde où chacun miroitait d’expérience et d’éloquence, j’avais l’impression de faire tache », fait-elle dire à son héroïne.

De la « bonne épouse victorienne » à l’artiste émancipée, Alison à coups de pinceau nous offre le portrait d’une vie de femme dans l’Angleterre de la deuxième moitié du XXe siècle, sans jamais tomber dans le manifeste féministe pur et dur. Tout est ici affaire de subtilité, une histoire finalement assez universelle pour intéresser un large public. (Alison, à coups de pinceau, de Lizzy Stewart. Helvetiq. 24€)

C’est sans l’ombre d’un doute l’une des bandes dessinées les plus emblématiques de l’année 2024 et bien au-delà, un de ces chef d’œuvres qui ponctuent régulièrement l’histoire du neuvième art et marquent durablement les esprits. Avec près de 200 000 exemplaires vendus à ce jour, 22 traductions, une avalanche d’éloges médiatiques, La Route n’a, a priori, plus vraiment besoin de publicité. Cependant, il aurait été impensable qu’il ne figure pas dans cette sélection officielle d’Angoulême.

Après le fabuleux Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, Manu Larcenet s’attaque ici à l’adaptation du best-seller de Cormac McCarthy, lauréat du Prix Pulitzer. Il y déploie un trait aussi noir et torturé que l’âme humaine, sublimé par des fonds aux nuances de gris qui renforcent l’impression de fin du monde. Au cœur du récit, un père et son fils errent sur la route en quête d’un rayon de soleil, d’un espoir de vie dans un monde post-apocalyptique où toute trace d’humanité a définitivement disparu sous une couche épaisse de cendres.

C’est beau, puissant et terrifiant. Manu Larcenet parvient à offrir une seconde vie graphique aux mots de McCarthy. Magistral ! (La Route, de Larcenet d’après le roman de Cormac McCarthy. Dargaud. 29,50€)

On le présente souvent comme le père de la bande dessinée de reportage. Et cela n’est pas entièrement faux ! Bien qu’il n’ait pas été le premier à explorer ce genre, il a largement contribué à en définir les contours et à en faire ce qu’il est aujourd’hui. L’Américain Joe Sacco est de retour cette année avec deux albums, Guerre à Gaza, véritable coup de gueule face à la situation au Proche-Orient, et Souffler sur le feu, qui nous embarque pour la Province indienne de l’Uttar Pradesh où des violents incidents ont opposé musulmans et hindous en 2013.

En adoptant les mêmes méthodes que dans ses précédents récits (Gorazde, Gaza 1956, Palestine, Payer la Terre…), Joe Sacco s’est rendu sur le terrain pour enquêter auprès des personnes concernées et tenter de saisir les enjeux de la situation. Son écriture, son trait, son regard, font aujourd’hui référence dans le milieu de la bande dessinée et au-delà. Souffler sur le feu est une nouvelle pierre à un édifice cherchant inlassablement à mieux comprendre le monde. Du grand Joe Sacco ! (Souffler sur le feu, de Sacco. Futuropolis. 22€).

Eric Guillaud

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Au-Dedans de Will McPhail aux éditions 404 Graphic

Certains livres nous transportent l’air de rien vers des territoires insoupçonnés. C’est le cas ici avec cet album de Will McPhail. Ne connaissant pas l’auteur, un simple avis de conseiller de vente dans une grande librairie et une couverture minimaliste auront suffi à éveiller ma curiosité. Et très franchement, je n’allais pas être déçu…

Que je ne connaisse pas Will McPhail n’a finalement rien d’étonnant. Après quelques recherches rapides sur internet, je comprends que l’homme, un Anglais, signe ici son tout premier roman graphique et qu’il est surtout connu et reconnu pour ses dessins de presse publiés dans le magazine américain The New Yorker. Que je ne lis pas !

Au-Dedans est donc un premier bouquin. Et quel bouquin ! Dès les premières pages, son style graphique, son trait réaliste très précis, ses personnages aux yeux écarquillés, ses cases épurées, ce découpage des planches adapté au récit… tout est réuni pour frapper notre esprit et nous charmer définitivement.

Et les quelque 270 pages qui alternent noir et blanc et couleurs sont du même niveau. Impossible de lâcher la lecture en cours, on est littéralement happé, happé par la forme bien sûr mais aussi par le fond.

Mais que peut bien raconter Au-Dedans ? Une aventure intérieure ou plus précisément une aventure vers l’intérieur. La petite porte sur la couverture… vous la voyez ? Elle donne accès à cet intérieur.

Avec une question qui revient tout au long de l’ouvrage : comment connecter les différents intérieurs ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

Nick est un jeune artiste, illustrateur pour quelques feuilles de choux genre L’Hebdo de la Carpe. Oui, ça existe ! Pas d’enfants, pas de maison, pas de bijoux, pas de super recette de famille à léguer, juste une mère à qui il rend visite régulièrement, une sœur qui ne mène pas le même genre de vie et depuis peu une amoureuse, une oncologue, rencontrée dans un des nombreux cafés branchés qu’il fréquente pour occuper sa vie, remplir son quotidien et tenter de s’interconnecter avec les autres.

Sans grand succès, il faut avouer ! Uniquement des interactions superficielles, regrette-t-il. Jusqu’au jour où il parvient à dire une poignée de mots qui comptent à son plombier venu réparer une fuite à son domicile.

« C’était quoi ça ? Non, mais c’était quoi ? Ça partait comme une conversation habituelle et puis… puis il s’est passé quoi ? »

Une connexion ! La première mais pas la dernière. Nick a compris que pour rejoindre l’espace intérieur des autres, il devait avant tout ouvrir le sien…

Né dans le Lancashire au Nord-Ouest de l’Angleterre, région où on ne dévoile pas plus qu’ailleurs ses sentiments, Will McPhail a malgré tout toujours été fasciné par la mécanique des mots et les différentes directions que peut prendre une simple conversation. Son sens aiguisé de l’observation, son humour, son regard sur la vie et nos contemporains ont fait le reste. Au-Dedans est l’un des plus beaux livres de l’année. Assurément !

Eric Guillaud

Au-Dedans, de Will McPhail. 404 Graphic. 26,50€

© 404 Graphic / McPhail