On ne voit que ça. Son ventre. Enorme ! Susie devrait accoucher dans un mois tout au plus. En attendant, elle aimerait bien que son mari, Jack, reste à ses côtés, participe aux séances de préparation à l’accouchement. Elle se sent seule. Très seule. Jack, lui, ne s’est jamais senti aussi bien au fond de l’eau qu’aujourd’hui. Il est soudeur sous-marin. Une façon peut-être de retarder l’échéance, de fuir encore un peu ses responsabilités. Une façon aussi de replonger dans son passé, d’aller chercher au plus profond de l’eau et de lui-même une culpabilité enfouie. Jusqu’au jour où Jack est remonté inconscient à la surface. On pense immédiatement à un accident de décompression. Mais non. C’est bientôt Halloween, la date anniversaire de la mort de son père…
Souvenez-vous, Jeff Lemire nous avait littéralement subjugué avec son récit Essex County paru en 2010, récit qui racontait la vie d’un gamin de 10 ans orphelin vivant chez son oncle dans une ferme perdue quelque part dans l’Ontario, au Canada. Avec Jack Joseph, soudeur sous-marin, l’auteur poursuit son exploration de l’âme humaine, peut-être encore plus profondément, intensément, mettant en scène un homme incapable de regarder devant lui, rongé par le souvenir d’un père absent, alcoolique, qui trouvera la mort dans des eaux – et des circonstances – troubles.
Jeff Lemire est inspiré par des gens comme José Munoz, Hugo Pratt, Alex Toth, Joe Kubert ou Dave McKean pour la BD, David Lynch, Stanley Kubrick, Wim Wenders, pour le cinéma. Un trait brut proche de l’esquisse, une atmosphère intime et sombre, une charge émotionnelle forte… incontestablement, Jeff Lemire est l’un des plus grands auteurs canadiens actuels ! EGuillaud
Jack Joseph, soudeur sous-marin, de Jeff Lemire. Editions Delcourt. 26 euros
Dessinateur des Aventures de Sarkozix, le Nantais Bruno Bazile revient avec un album qui fleure bon l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge, une biographie dessinée et romancée de l’auteur Maurice Tillieux. Rencontre…
La fin d’un règne… et la fin d’une série ! Exit Nicolas Sarkozy, au placard les aventures de Sarkozix. La série parodique publiée chez Delcourt entre 2010 et 2012 s’arrête avec le changement de Président mais Bruno Bazile, son dessinateur, ne baisse pas les pinceaux et s’attaque d’emblée aux aventures d’un nouveau personnage, tout aussi réel, tout aussi passionnant, une figure, que dis-je une légende du Neuvième art que les plus de 20 ans, ou plus sûrement 40, connaissent forcément. Son nom : Maurice Tillieux. M’sieur Maurice et la dauphine jaune est une biographie (très) romancée du génial créateur des aventures de Gil Jourdan publiées dans le journal Spirou entre 1956 et 1979. Inspiré par le quotidien et souvent par son propre quotidien, Maurice Tillieux glissa ses héros dans les décors de quelques sites remarquables de France et d’ailleurs comme le passage de Gois en Vendée, le port de Saint-Nazaire ou le pont transbordeur de Rochefort.
Entre nostalgie et modernité, M’sieur Maurice et la dauphine jaune nous fait découvrir en une suite d’histoires courtes comment ce quotidien, ces sites remarquables mais aussi les quartiers populaires ont pu influencer Maurice Tillieux.
Pourquoi une biographie dessinée de Maurice Tillieux ?
Bruno Bazile. Parce que je trouvais, quand j’étais jeune lecteur de la série, une proximité (géographique) entre les aventures de Gil Jourdan et des lieux de vacances que je fréquentais moi-même. Etant devenu auteur BD, adulte, et fréquentant ces lieux familiers, la logique dans laquelle s’était plongé Tillieux pour imaginer ses histoires me paraissait évidente, naturelle. C’est ce que j’ai voulu raconter.
Expatriées par Sandrine Aragon, Béatrice Cante, Isabelle Charpentier, Sandrine Halpin & Nathalie Mercier - Mon Petit Editeur
Elles sont cinq, ont en commun d’être femmes, françaises vivant à Londres et surtout d’aimer écrire. Elles se sont choisies, comme double d’auto-fiction littéraire, les prénoms de Sofia, Véronique, Hélène, Adèle et Juliette. Ne cherchez pas d’illustrations dans ce recueil de nouvelles ; il n’y pas de dessins, juste des mots ou plutôt des images nées de leur écriture, autant de bulles de souvenirs échappées de leurs voyages « intranquilles » autour du globe. Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un livre dont il est question sur ce blog consacré au 9e art : Expatriées publié chez Mon Petit Editeur.
L’intention, comme le murmure Sofia (Isabelle Charpentier) : « Ce serait un merveilleux souvenir, une oeuvre utile à toutes les femmes voyageuses, intranquilles, roseaux ballottés par les vents, mais toujours aussi fortes et résistantes au gré des expatriations. »
Sa prose suit les contours et le velours de la poésie du pays que son mari a choisi. L’Empire du Milieu, la Chine avec tous les fantasmes et les désirs qu’elle suscite. Au fil des mots de ce premier récit qui amorce l’ouvrage, sa vie solitaire dans l’une des mégalopoles les plus peuplées au monde se fait jour. La solitude est en effet l’autre point cardinal de toutes ces femmes au déracinement voulu ou subi.
Cette solitude est souvent liée à la perte d’un statut social, celui que leur donnait jusqu’à leur départ de France leur métier, qu’elles ont du abandonner en quittant l’hexagone pour suivre leur conjoint dans son nouveau poste. Un constat qui s’impose brutalement à Véronique (Sandrine Aragon), docteur en Lettres Modernes, lorsque sa banque résume ainsi sa situation : Housewife with no income, une femme au foyer sans revenu !!!
Avec un style proche de celui de Katherine Pancol (Les Yeux jaunes des Crocodiles), Véronique reprend alors l’idée qui l’avait animée à Lille : créer un atelier d’écriture. « Toutes ces femmes françaises doivent bien avoir des histoires étonnantes à raconter. Accoucheuse d’histoires, quel beau projet ! »
Out of the blue - c Christophe Lehénaff
Ce nouveau projet de vie, c’est Hélène (Béatrice Cante) qui en parle le mieux. Au travers du récit de son quotidien dans la capitale ultra moderne d’un pays désertique, le Qatar, elle traduit avec une grande sensibilité l’envers du décor du développement de nos pays riches. Similaire et pourtant si différente de l’expatriation, l’immigration est ici décrite avec justesse à travers deux portraits de femmes : celui d’une Ethiopienne, réduite en esclave moderne au sein d’une riche famille quatarie ; et celui d’une mère philippine, obligée de laisser derrière elle ses enfants pour trouver un travail à Doha et d’envoyer l’argent à sa famille pour les nourrir.
Après un divorce, Adèle (Sandrine Halpin) a quitté seule la France et c’est à Londres qu’elle a choisi de construire sa famille. Comme elle le revendique, sa nouvelle emprunte davantage à la fiction, un récit haut en couleur et en aventures bien racontées.
L’histoire de Juliette (Nathalie Mercier), en quête d’enfant, clôt le recueil, en passant par la capitale des Pays Bas et la Roumanie, pour s’achever, comme chacune des cinq autres nouvelles, par la découverte salvatrice de l’atelier d’écriture.
Se souvenant des écrivains qu’elle invitait dans sa librairie française à Doha, Hélène déclare qu’elle a « toujours été curieuse de ces gens là, essayant de comprendre ce qui fait qu’un beau jour on passe de la lecture à l’écriture. »
Au final, ce recueil est une invitation réussie à franchir le pas de l’écriture ou c’est selon, une échappée belle pour découvrir une autre vie … Et pour vous, messieurs qui êtes à l’origine de ses vies d’expatriation, savoir reconnaitre ce qui se joue quand vous choisissez de partir avec famille et bagages vers une nouvelle aventure, sur une terra incognita …
La Fille par Christophe Blain & Barbara Carlotti - Gallimard
La Fille, c’est une grande brindille aux cheveux rouges. Sa moto, c’est une anglaise des années 60, pétaradante et rutilante. Un bolide à son image. L’homme qu’elle a dans la peau est un cowboy minuscule, mais un vrai, avec Stetson, santiags et belles moustaches. Ce livre-disque est dessiné et mis en musique par un attelage inhabituel : l’auteur à succès de B.D, Christophe Blain (Quai d’Orsay, Isaac, Gus) et une chanteuse à la voix envoutante, Barbara Carlotti (L’amour, l’argent, le vent). Le résultat : un conte érotique à réserver aux oreilles et aux regards avertis, pour un plaisir inédit entre Comics et Pop Music.
Un jour que la Fille chevauche sa moto dans la Sierra Nevada, elle rencontre une horde de motardes, dont le sport favori est de casser du cow-boy. Christophe Blain, qui nous avait réjoui avecQuai d’Orsayet Gus, un autre cowboy, rend ici un hommage revendiqué à l’illustrateur belge Guy Pellaert. Pravda la Survireuse, est aussi une motocycliste, une icône sexy des sixties & seventies, de laquelle l’héroïne de Blain pourrait bien être la fille.
« Pour écrire ce conte, je suis parti d’une histoire de huit pages que j’avais faite pour le magazine Pilote, en hommage à Pravda la Survireuse de Guy Peellaert et Pascal Thomas. L’hommage s’est transformé en un récit plus personnel. J’ai travaillé et retravaillé, attentif aux remarques de Barbara, qui pointait sans concession les passages qui ne fonctionnaient pas, ou qui m’encourageait lorsque je trouvais une bonne direction. »
La Fille par Christophe Blain & Barbara Carlotti - Gallimard
« Nous avons construit le conte en flux tendu, j’apportais le texte, Barbara m’enregistrait en train de le lire à haute voix, puis elle réenregistrait le texte. Elle commençait à y ajouter les chansons, je lui montrais des planches, ça lui donnait de nouvelles idées de musique. Je lui ai infligé des heures d’écoute de bruits de motos, Barbara a mis l’histoire en son, elle a réuni, enregistré la plupart des bruitages. Nous voulions une vraie bande-son de film. »
La Fille par Christophe Blain & Barbara Carlotti - Gallimard
La Fille par Christophe Blain & Barbara Carlotti - Gallimard
Avec la reprise de Hey Cowboy de Lee Hazlewood et celle de Blanche Neige de Brigitte Fontaine, la playlist qui accompagne le récit multiplient des références très larges. Et impossible de ne pas penser à l’univers de Russ Meyer et son célèbre Faster, Pussycat ! Kill ! Kill, dans le mâle imaginaire.
Des influences revendiquées par Barbara Carlotti : « Au final, c’est un mélange hybride qui nous ressemble et qui doit d’une certaine manière être notre interprétation de l’histoire. Ce qui fait l’homogénéité, c’est qu’on a finalement utilisé beaucoup de synthétiseurs, tout en gardant un côté acoustique, et que nous avons voulu y mettre de l’énergie et du sexe, car il ne faut pas oublier que c’est un conte érotique. »
La Fille par Christophe Blain & Barbara Carlotti - Gallimard
Dans ce conte érotique, le cowboy ne mesure que quelques centimètres. Il grandit au fur et à mesure qu’il fait l’amour avec La Fille. Sur la moto avec elle, il est à la meilleure place qui soit, lové dans la boucle de sa ceinture, les yeux grands ouverts face à l’immensité de l’ouest américain, du désert californien. Une des passions d’enfance de Christophe Blain, qui se vivait tour à tour comme un outlaw, un cowboy, un shérif. C’est ce goût pour l’Ouest fantasmé, qui a donné naissance à sa belle série Gus et aujourd’hui à ce livre-disque.
« C’est une autre de mes passions enfantines. J’adore qu’on me raconte des histoires. Qu’on me les lise. D’ailleurs, c’est un des sujets de ce conte. Le Cow-boy, le personnage principal masculin, fait lire un livre à la Fille, le personnage principal féminin. Les acteurs jouent presque comme les doubleurs d’un film américain des années 60. Si on vous fait écouter, en blind test, la bande-son doublée en français d’un film hollywoodien, même si les dialogues sont banals, qu’ils ne disent rien de l’action, ni du lieu, vous savez immédiatement que vous êtes en Amérique, qu’il s’agit bien d’un film, et vous pourrez vite dire s’il a été tourné dans les années 50, 60, 70 ou 80. Vous sentez le souffle de l’aventure, vous êtes dans une Amérique rêvée, fantasmée, fausse et vraie, plus grande qu’elle-même. C’est un paradis perdu. »
La Fille par Christophe Blain & Barbara Carlotti - Gallimard
Au final, cet objet peut se dévorer de trois façons :
– classique, celle que je préfère, le livre seul
– le livre plus le CD comme un enfant qui attend la petite clochette pour tourner la page suivante de l’album, un peu trop lourd et redondant à mon goût
– sur la route, le CD seul comme une histoire avec de vrais chansons à l’intérieur
Petit mais costaud le nouvel ouvrage des éditions Dupuis fêtant les 75 ans de Spirou ! Sur 480 pages, Franquin et les fanzines réunit une vingtaine d’entretiens, l’intégralité selon l’éditeur, que Franquin, l’un des plus grands noms de la bande dessinée franco-belge, figure emblématique du journal Spirou, accorda aux fanzines de 1971 à 1993. 22 ans de passion, de colères, de joies, de partage avec les fans retranscrits dans les pages de Schtroumpf, Esquisse, Antirouille, Sapristi, A l’Aise, Champagne ! ou encore Auracan, des noms qui parleront à certains. Et parmi cette vingtaine d’entretiens, celui réalisé par Guilhem et Christophe Bec en 1990 et qui resta dans les tiroirs pendant plus de vingt ans avant d’être publié sur un blog et finalement dans ce recueil. Guilhem se souvient de ce moment : « J’ai le souvenir d’un grand enfant plein de passion, d’une immense gentillesse et d’une simplicité incroyable. J’ai eu le privilège de lui montrer des pages que j’avais dessinées et apportées avec moi : il s’enflammait sur tel détail ou telle idée, j’étais très impressionné! Je ne sais pas combien de temps a duré l’interview, j’étais sur une autre planète, ne réalisant pas encore ce qui m’arrivait… Bref, je garde le souvenir d’un très grand monsieur – dans tous les sens du terme – passionné, très simple… et très bavard ! ».
Plus qu’une simple compilation d’entretiens, Franquin et les fanzines pose un regard bienveillant sur une période charnière pour la bande dessinée, période qui la vit entrer dans le monde adulte grâce notamment à ces publications souvent restées confidentielles. Un concentré de passion et d’informations sur un géant du Neuvième art ! EGuillaud
Franquin et les fanzines. Editions Dupuis. 28 euros
Mais qu’a donc fait ce fameux M’sieur Maurice pour mériter un album de BD à son nom ? Si les plus âgés d’entre vous comprendront dès les premières pages, les plus jeunes auront peut-être besoin de quelques éclaircissements. Car M’sieur Maurice n’est pas un personnage de papier ordinaire. Dans la vraie vie, l’homme s’appelait Maurice Tillieux et exerçait le métier d’auteur de bande dessinée, oui oui, un auteur prolifique et influent qui imprima sa marque au Neuvième art dans les années d’après-guerre et plus particulièrement au journal Spirou pour lequel il créa les célèbres aventures de Gil Jourdan. C’est d’ailleurs à celles-ci que fait référence la couverture et principalement à celles-ci que nous ramènent les 46 pages de cet album.
Dans une série d’histoires courtes, Bruno Bazile, auteur par ailleurs des aventures humoristiques de Sarkozix, nous raconte en effet comment le quotidien de l’auteur et notamment ses voyages à travers la France, depuis Marseille jusqu’à Saint-Nazaire, en passant par lîle de Noirmoutier ou la Normandie, ont pu influencer son travail et donner naissance à l’un des personnages les plus emblématiques du journal Spirou. Moins épique et surtout moins polémique que le récit des aventures de Jijé, Franquin et Morris aux Etats-Unis (Gringos Locos), M’Sieur Maurice et la dauphine jaune est présenté comme une biographie (très) romancée de Maurice Tillieux. Les amoureux de la série policière s’amuseront des nombreuses anecdotes, des clins d’oeil et des « seconds rôles » qui traversent l’album comme will ou François Walthéry. Toute une époque ! EGuillaud
M’Sieur Maurice et la dauphine jaune, de Bazile. Editions Treize Etrange. 13,90 euros
L’Etranger de Camus par Jacques Ferrandez ou quand la BD retourne aux sources de la littérature avec brio. L’auteur, pied noir, connu pour ses Carnets d’Orient, Alger la Noireet son goût pour les adaptations d’œuvres littéraires. Pagnol, Benacquista, Pennac se sont déjà retrouvés transformés sous ses crayons, ou encore Camus, déjà, avec L’hôte (une nouvelle tirée de L’Exil et le Royaume) Un auteur pour lequel son sens du découpage et la beauté de ses aquarelles font merveilles.
« L’Étranger, c’est l’histoire d’un homme condamné à mort pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère. » aimait à répéterAlbert Camus.
En cette année de célébration du centenaire de la naissance du prix Nobel 1957, Jacques Ferrandez s’attaque à nouveau à un de ses textes, certainement l’un des plus connus à travers le monde : L’Etranger. Et c’est loin d’être un hasard, puisque Ferrandez connait intimement Camus.
« Beaucoup de choses, et depuis longtemps en effet, me lient à Camus. Il me semble que j’ai grandi avec. Je suis né dans le quartier populaire de Belcourt, à Alger, et mes grands parents avaient un petit magasin de chaussures au 96 rue de Lyon. Albert Camus a passé toute son enfance et son adolescence au 93, en face. Ma grand-mère paternelle et sa mère étaient de la même génération. D’origine espagnole toutes deux, elles se connaissaient en tant que voisines. »
L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard
« Le trajet entre Belcourt et le Lycée Bugeaud, à l’autre bout d’Alger, que Camus raconte dans son livre Le premier Homme, mon père, qui a fréquenté le même lycée venant du même quartier, me l’avait raconté presque avec les mêmes mots. Son appartenance à l’Algérie, son déchirement au moment de la guerre d’Indépendance, tout cela me touche beaucoup. »
« Camus m’a beaucoup inspiré tout au long de mes Carnets d’Orient et, avant d’adapter L’Hôte, je lui avait déjà rendu hommage sous forme d’exergue dans mes précédents albums. Dans La Guerre fantôme, j’ai même mis en scène la séquence où Camus lance à Alger son appel à la trêve civile, en janvier 1956 …»
« Aujourd’hui, maman est morte. … ou peut-être hier, je ne sais pas … »
Difficulté première : comment faire avec le long monologue de Meursault, le personnage central de L’Etranger ? Jacques Ferrandez choisit de faire dialoguer son personnage avec les autres protagonistes, mais tout en revendiquant de ne pas avoir pris un seul mot qui n’appartienne à Camus.
La seconde difficulté a été de donner un visage à un héros de la littérature dont la célébrité dépasse le cadre géographique de la France.
L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard
« Impossible de ne pas reprendre le célèbre incipit du roman : “Aujourd’hui, Maman est morte.” Mais je ne savais pas comment l’installer dans le récit. Je ne souhaitais pas garder de voix off : c’est de la bande dessinée, il faut dialoguer les situations pour les rendre vivantes. J’ai donc dû trouver une astuce. Albert Camus m’a fourni la solution : son héros s’assoupit dans le bus, quelques pages plus loin. J’ai profité de cette situation pour opérer un retour en arrière dialogué, et conserver ensuite cette forme de narration. J’ai choisi de faire de Meursault un homme jeune. Pour moi, L’Etranger est un roman sur la jeunesse, il pointe un refus du mensonge et des règles de la société. J’ai pensé à James Dean ou Gérard Philipe pour créer mon héros. Comme je dessine l’intrigue au fur et à mesure, mon trait évolue : au début, je cherche mes personnages, je peine à les rendre ressemblants d’une case à l’autre. Cela va finalement bien à Meursault, qui est si difficilement cernable… » (propos recueillis par Télérama)
Ses aquarelles lumineuses restituent élégamment des paysages écrasés de chaleur, où se déroule un drame sourd : l’indéchiffrable Meursault a tué un homme, et va être condamné à mort. Mais le jury est-il plus sensible à cet assassinat, ou à l’indifférence affichée de l’accusé lors de l’enterrement de sa mère ?
L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard
Cette intention de mettre en scène « l’absurde » est parfaitement retransmise par l’adaptation. Surtout, elle n’étouffe jamais le texte et laisse l’œuvre de Camus respirer. Tout les questions que se posent cet étranger à soi et au monde sont là : l’amour, Dieu, la famille, la morale, celles-là même sur lesquelles sont fondées nos sociétés.
L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard
Le soleil d’Algérie, les plages de Tipaza, les rues d’Alger, la lumière aveuglante avant le drame d’une noirceur insondable. Tout est là dans chacune des planches de Ferrandez, la chaleur étouffante, l’atmosphère et les décors chers à Camus.
Jacques Ferrandez - Photo (c) Isabelle Franciosa
« Je me suis amusé à faire des clins d’œil : le procureur ressemble fort à Jean-Jacques Brochier, un intellectuel parisien dans la mouvance de Jean-Paul Sartre, qui avait qualifié Albert Camus de « philosophe pour classe de terminale ». Et j’ai fait à Céleste – le patron du restaurant où Meursault a ses habitudes – la tête de William Faulkner, pour lequel Camus avait beaucoup d’admiration. Un peu plus loin, j’ai transformé Sartre en journaliste agressif venu de Paris… Une façon de venger Camus, en quelque sorte ! » (propos recueilli par Télérama)
Bref Jacques Ferrandez confirme son statut majeur dans le monde du 9ème art. Cette bande dessinée est une des plus grandes réussites en la matière, une adaptation qui donne envie de relire l’œuvre de Camus et plus…
Il est d’origine nantaise mais vit à Los Angeles. Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant son univers graphique a fait le tour du monde. A quelques jours de la sortie en salles du deuxième volet du film « Moi, moche et méchant », rencontre avec un de ses artisans, le très discret Eric Guillon !
L’histoire est connue. Jusqu’à ce qu’un jeune geek prétentieux dérobe la pyramide de Gizeh, Gru était connu et reconnu comme étant le plus grand super-méchant de l’humanité ! Humilié, ridiculisé, ringardisé, Gru relève la tête et saisit l’occasion pour ressortir de ses cartons un rêve de jeunesse : voler la Lune ! Plus fort que la pyramide, plus fort que tout, Gru et son armée d’assistants, les célèbres Minions, n’ont plus qu’à se mettre au travail et récupérer ce fameux titre de méchant…
Sorti en 2010, le film d’animation « Moi moche et méchant » a rencontré un succès mondial, pour ne pas dire interplanétaire… Ses 540 millions de dollars de recettes le hissent de fait à la dixième place des films d’animation les plus lucratifs de l’histoire aux Etats-Unis. Et rien qu’en France, ce sont près de 3 millions de bambins accompagnés de leurs parents qui l’ont vu et parfois revu…
Et l’histoire continue ! Le 26 juin, le deuxième volet de ce beau bébé des studios Universal sera à l’affiche des salles obscures françaises avec un Gru rangé des voitures ou presque, heureux en tout cas de jouer les papas poule, jusqu’au moment où une organisation ultra-secrète vient frapper à sa porte et lui proposer de lutter contre le mal. Gru luttant contre le mal ? Voyez la bande annonce, vous allez tout de suite comprendre…
Parmi les noms inscrits au générique apparaît celui d’un Nantais d’origine, mais oui, Eric Guillon, directeur artistique, qui malgré une quantité astronomique de travail et un aller-retour Los Angeles Paris encore dans les jambes, a gentiment accepté de répondre à nos questions.
Vendredi 7 juin, 20h00 à Nantes, 11h00 à Los Angeles, c’est l’heure de notre rendrez-vous via Skype, l’image et le son en un clic, c’est la magie d’internet. Allez, on se connecte. Bonjour Eric, bonjour Eric, un petit réglage de l’enregistrement côté français, un décrochage rapide des dernières recherches graphiques qui tapissent le mur côté américain et c’est parti… Je crois savoir que vous travaillez sur plusieurs nouveaux projets. Pouvons-nous en savoir un peu plus ? Eric Guillon. Effectivement, je travaille sur trois nouveaux films mais je ne peux absolument pas en parler, ni donner le titre, ni le sujet. Secret défense !
Tout de même, on entend parler de-ci de-là d’un film consacré aux Minions pour 2014. E.G. Il y a effectivement celui-ci qui est bien avancé. Les deux autres sont deux sujets totalement originaux mais je ne peux pas en dire plus…
Il n’ont pas vraiment le profil ni les artères des jeunes cowboys fringants qu’on a l’habitude de voir dans les rôles principaux des bons vieux westerns. Ford, Jill, Wood, Moos, Wang et Hank ont certes fait partie de la bande des Jersey Cowpunchers mais c’était il y a 15 ans. Autant dire une autre vie. Depuis, chacun s’est habitué à ne plus voir l’autre et à se contenter de petits boulots plus ou moins honnêtes pour survivre. Jusqu’au jour où Hank, le leader, réunit l’équipe pour une étrange chasse au trésor dans les montagnes…
Publié initialement en deux volumes, en 2008 et 2010, ce western n’a de vieillerie que les personnages principaux et le titre (junk signifie viellerie, bric à brac…). Pour le reste, Brüno et Nicolas Pothier signent un western tout à fait moderne tant sur le plan graphique, avec ce trait stylisé et reconnaissable entre tous, que sur le plan scénaristique et narratif. Nicolas Pothier, par ailleurs scénariste de l’excellente série Ratafia également publiée chez Treize Etrange, parvient à nous tenir en haleine tout au long des quelques 110 pages que compte l’album. Enfin, il serait totalement injuste de ne pas signaler le travail de la coloriste Laurence Croix qui nous offre là de somptueuses atmosphères notamment dans les montagnes enneigées. Un western qui doit autant à Sergio Leone qu’à John Ford. Indispensable ! EGuillaud
Junk, de Pothier et Brüno. Editions Treize Etrange. 20 euros
Prenez quelques représentants de la fine fleur du Neuvième art, disons Alfred, Guillaume Bianco, Julien Neel, Pedrosa, Tebo, Lewis Trondheim et Yoann. Enfermez les dans un appartement parisien, agitez le tout pendant quelques mois et vous obtiendrez suffisamment de gags pour lancer une nouvelle série chez Dupuis. L’atelier Mastodonte, c’est son nom, met en scène la vie quotidienne d’un atelier d’auteurs de bande dessinée. Si l’atelier est virtuel (je vous rassure, les auteurs n’ont pas été enfermés façon Loft Story), les planches sont quant à elles bien réelles et ont été publiées dans le magazine Spirou à partir de l’été 2011. Six auteurs, six styles différents mais une seule ambition : l’autodérision. Et le résultat est tout à fait désopilant !
Publié au format à l’italienne avec une couverture de Bilal, oui oui absolument, L’atelier Mastodonte est un incontournable de l’été. C’est frais comme une bonne bière à consommer avec modération, drôle comme du Trondheim, fin comme une vieille blague scatologique de Tebo, intelligent comme du Pedrosa, bref c’est la BD qu’il vous faut pour reposer votre petite tête bien pleine cet été ! EGuillaud