06 Fév

Cahiers Baudelaire d’Yslaire : suite et fin du work in progress

Attention collector ! Les éditions Dupuis viennent de sortir le troisième et dernier volet du work in progress d’un prochain album hommage à Charles Baudelaire signé Yslaire. De quoi nous faire amplement saliver en attendant sa publication dans trois petits mois…

Yslaire et Baudelaire, deux noms qui se marient rudement bien, deux noms connus et reconnus dans leurs arts respectifs à leurs époques respectives et qui se retrouvent associés sur la couverture d’un album de bande dessinée à paraître le 23 avril 2021, à l’occasion du bicentenaire de la naissance du poète.

Trois petits mois à trépigner mais les plus impatients peuvent d’ores et déjà avoir un avant-goût de la chose à travers trois magnifiques cahiers work in progress parus ces derniers mois aux éditions Dupuis. Le troisième vient tout juste de rejoindre les étagères de nos librairies préférées. Quarante huit pages ô combien sublimes, d’esquisses exquises, empreintes du fameux spleen baudelairien et guidées par la Vénus noire, Jeanne Duval, la mystérieuse muse de Baudelaire.

Dans un élan graphique bouillonnant, l’auteur de la mythique série Sambre y dépeint le poète maudit face à ses tourments, face à son génie aussi, un double plongeon au coeur de la création, la poésie et Les Fleurs du mal d’un côtéla bande dessinée et un album en travaux de l’autre.

Tirage limité à 2500 exemplaires, conception hyper soignée, un triptyque envoutant indispensable pour tous les amoureux de Baudelaire et/ou d’Yslaire.

Eric Guillaud

Cahiers Baudelaire, d’Ylslaire. Dupuis. 17,95€ le volume

Mademoiselle Baudelaire, album à paraître le 23 avril 2021

© Dupuis / Yslaire

04 Fév

Nouveauté 2021. Les amants d’Hérouvillle : une histoire un peu folle et complètement rock racontée par Yann le Quellec et Romain Ronzeau

On connaît tous plus ou moins la folle histoire du château d’Hérouville dans le Val d’Oise qui accueillit pour des enregistrements les plus grandes stars du rock dans les années 70. On connait finalement beaucoup moins l’histoire de ses hôtes, du compositeur Michel Magne et de sa femme Marie-Claude, les amants d’Hérouville. La voici…

La musique, ça les connaît et ça les titille. Yann le Quellec et Romain Ronzeau ont déjà collaboré autour d’un album sur l’air guitare, Love is in the air guitare, paru sous pavillon Delcourt en 2011 et aujourd’hui réédité.

Il n’est donc pas surprenant de les retrouver ici, réunis autour de cette histoire, un plongeon dans la mythologie rock avec l’un de ses lieux emblématiques, le château d’Hérouville.

Nous sommes dans les années 70, les studios d’enregistrement résidentiels, qui offrent le gite, le couvert et un supplément d’âme, ne sont pas monnaie courante à travers le monde. Celui-ci connaît très vite une notoriété internationale grâce à la détermination d’un homme, Michel Magne, grâce aussi à son sens de l’accueil et de la fête, grâce à sa générosité sans limite.

Le reste de la légende, ce sont les musiciens qui l’écrivent : Eddy Mitchell, David Bowie, Elton John, Bee Gees, Pink Floyd, Cat Stevens, T. Rex, Jethro Tull, Urah Heep… se succèdent entres ses murs pour enregistrer des albums aujourd’hui mythiques et donner des soirées à jamais gravées dans les annales comme ce fameux concert des Grateful Dead donné devant une centaine de convives dans les jardins du château en remplacement d’un concert que le groupe de rock américain devait donner à Auvers, annulé à cause de la météo.

Dans un bon format de plus de 250 pages, avec des planches colorées, dans un esprit tantôt pop, tantôt psyché, régulièrement agrémentées de photographies, de flash-backs sur la jeunesse et la carrière de Michel Magne, Les Amants d’Hérouville dépeint la folie du lieu et de ses habitants, des années de fête, de musique, d’énergie créative… un lieu de miracles.

Mais avant d’être l’histoire d’un lieu, aussi mythique soit-il, cet album raconte une histoire d’amour, de passion… entre un homme de quarante ans et une jeune femme de seize ans qu’il rencontre sur le bord d’une route de campagne, qu’il prend en autostop et finit par épouser en grande pompe.

Une histoire qui finit mal… forcément. Michel Magne était tout sauf un gestionnaire. Très vite, et malgré ses nombreuses musiques de films, le compositeur croule sous les dettes, les saisies et les regrets éternels. Tout vole en éclat, le studio, la musique, son bonheur… Michel Magne met fin à ses jours, un peu abandonné de tous…

Captivant sur le fond, attrayant par sa forme, Les amants d’Hérouville offre une belle histoire qui enthousiasmera les amoureux de la musique mais pas seulement. En bonus, un dossier réunissant postfaces de Costa-Gavras, Eddy Mitchell, Sempé et Bill Wyman (excusez du peu!), galerie de photos, reproductions d’oeuvres d’art signées Michel Magne, discographie complète et chronologie du château d’Hérouville entre gloire, abandon et renaissance.

Eric Guillaud

Les amants d’Hérouvillle, une histoire vraie, de Le Quellec et Ronzeau. Delcourt. 27,95€ (en librairie le 17 février)

© Delcourt / Le Quellec et Ronzeau

03 Fév

La série Mutafukaz se la joue western et on dit chapeau. Enfin plutôt Stetson !

À la tête de la série-phare de Label 619 et après une tentative de passage sur grand écran qui n’a hélas pas rencontré son public, les deux héros un peu foutraques de Mutafukaz reviennent sur leur côte ouest américaine adorée. Mais cette fois-ci cent trente-cinq ans en l’arrière, à l‘époque de la ruée vers l’or… et des aventures qui vont avec.

En plus de la culture hip-hop et de la société californienne, les deux créateurs de Mutafukaz n’ont jamais caché que l’une de leur grande source d’inspiration était ces fameux ‘buddy movies’ (littéralement, ‘films de potes’) qui ont fait le bonheur des vidéos clubs dans les années 80, vous savez ces paires souvent assorties de deux héros qui, a priori, n’ont rien en commun mais qui finissent quand même (toujours) par se trouver. Si vous ne voyez toujours, rematez vous pour la 67ème fois L’Arme Fatale ou 48 Heures et vous comprendrez…

Alors oui, le ressort dramatique entre Angelino l’éternel écorché vif à la recherche d’aventure et son acolyte gaffeur Vinz au visage de forme de crâne ultra-expressif a un goût de déjà-vu mais ça marche. En fait, cela marche même tellement bien qu’il peut être greffé sur n’importe quelle situation. Voire n’importe quelle époque… La preuve avec Mutafukaz 1886 dont le premier (sur cinq prévus, à un rythme mensuel) épisode sortira le 12 février. À la manœuvre, on retrouve encore une fois le scénariste Run, artiste multi-casquette (dessin, textes, business) à l’origine de Label 619, et cette fois-ci le dessinateur Hutt qu’on avait déjà repéré dans certaines aventures de Doggybags, la série ‘horrifique’ de Label 619.

© Label 619 – Run et Hutt

Cuisiné donc à la sauce ‘western’, Mutafukaz marche toujours aussi bien. Ce premier épisode fait pourtant bien attention à dévoiler juste ce qu’il faut pour allécher le chaland et le maintenir en haleine d’ici au prochain épisode : on y retrouve nos deux héros après qu’ils se soient improvisés chercheurs d’or. Après avoir (enfin) dégotté une petite pépite, le duo accompagné de leur âne décide d’aller dans la petite ville de Rias Rosas claquer leur pécule. Une séance de shopping et un duel dans la rue principale plus tard, ils croisent la route d’un étrange personnage qui s’intéresse de près à eux… 

Des références assumées au cinéma bis (notamment aux westerns spaghettis de Sergio Leone), une pincée de fantastique, un humour potache mais jamais vulgaire, des fausses pubs en forme de clin d’œil au récit… Tout ce qui fait la sève du Label 619 est présent, avec au dessin un vrai-faux nouveau venu qui se fond parfaitement dans le décor. C’est drôle, avec une vraie patte et ça joue à fonds la carte du périodique, jusqu’à son prix, très abordable. Bref c’est un peu comme si le film Cowboys Et Envahisseurs avait accordé ses violons avec un BO signée Snoop Dogg et ça donne juste envie de dévorer la suite, là tout de suite maintenant !

Olivier Badin

Mutafukaz 1886 – Chapter One de Run et Hutt. Label 619. 4,95€ (sortie le 12 février)

© Label 619 - Run et Hutt

© Label 619 – Run et Hutt

Brève de bulles. Love : quatre rééditions, un inédit et toujours le même souffle animal

À l’occasion de la sortie du cinquième tome de cette série animalière intitulée Love signée Bertolucci pour le scénario et Brrémaud pour le dessin, les éditions Vents d’Ouest ont réédité les quatre premiers volets parus initialement chez Ankama depuis 2011. L’occasion pour les amoureux de la faune de se délecter pleinement de ces histoires pas aussi love-love que pourrait le laisser penser le titre mais qui font partie de la vie sauvage. Après Le Lion, Les Dinosaures, Le Renard, Le Tigre, voici Le Molosse, une histoire muette de 88 pages qui nous embarque sur le continent australien au milieu des serpents, dingos, kangourous et autres ornithorynques locaux. Des récits entre documentaire et fiction. EG (Love, de Brrémaud et Bertolucci. Vents d’Ouest. 14,95€ le volume)

02 Fév

Quand Spider-Man dézinguait les (petites) bulles au quotidien

Outre-Atlantique, le format strips (BD sous forme de trois ou quatre cases maximum paraissant de façon quotidienne) était une énorme institution. Publié parfois simultanément dans une centaine de journaux à travers le pays, son lectorat se chiffrait en millions. Mieux : coincé en général dans les dernières pages entre le sport et la culture, il permettait surtout de toucher un public ultra-large, dont un bon nombre de gens qui, sinon, n’achetait jamais de BD. Le Tisseur ne pouvait laisser lui échapper toutes ses proies potentielles…

Alors bien sûr, lorsqu’on pense strips, on pense surtout à ces petites vignettes souvent humoristiques se savourant en trente secondes d’une traite, un genre à part entière qui permis à des séries stars telles que SNOOPY, CALVIN & HOBBES ou encore THE FAR SIDE de percer. Mais la tentation étant trop grande pour les éditeurs de comics de super-héros de ne pas s’y mettre non plus, surtout au moment ù les ventes de leurs sorties hebdomadaires ont commencé à sérieusement s’éroder. Et oui, quitte à reformater pour l’occasion certaines de leurs plus grosses stars…

MARVEL n’échappe bien sûr pas à la règle. Certes, ses éternels rivaux de DC les avaient déjà précédés trois décennies avant avec BATMAN et SUPERMAN sur un terrain déjà dominé par FLASH GORDON ou TARZAN mais pas grave, à la guerre comme à la guerre – surtout que la maison des idées met les petits plats dans les grands en convoquant ses héros les plus populaires du moment, dont CONAN, STAR WARS et donc SPIDER-MAN.

© Comics/Marvel / Stan Lee & John Romita Sr.

On en apprend d’ailleurs pas mal sur l’enjeu que tout cela représentait dans la très intéressante introduction de cette belle réédition, pour l’instant disponible en deux volumes couvrant la période allant de 1977 à 1981, avec un troisième a priori prévu. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le célèbre Stan Lee, qui avait pourtant délaissé le tisseur des années auparavant, s’est remis pour l’occasion à en écrire les scénarios, tout en faisant le forcing pour convaincre le grand dessinateur John Romita Sr de faire partie de l’aventure, malgré le rythme frénétique de travail que cela signifiait.

En France, la série fut parue pendant un temps dans Télé-Poche ( !) puis avait eu droit en 2007 à une première réédition aujourd’hui uniquement trouvable à prix d’or sur internet. Grâce à cette nouvelle version améliorée (notamment au niveau des couleurs et du contenu), on retrouve ici tout ce qui fait le charme, mais aussi le défaut majeur pour ses détracteurs, de ce format si atypique.

La contrainte principale ici, c’est bien sûr son rythme de parution. Avec quatre cases maximum (sauf le dimanche, où on avait alors droit à une pleine page), impossible de ne pas tomber dans un certain manichéisme. Il faut de l’action à tous les coins de rue, des ressorts dramatiques assez basiques et des histoires à la fois simples et en même temps permettant de nombreux rebondissements. En fait, le strip est un style en soit, alors on aime ou on n’aime pas, point.

© Comics/Marvel / Stan Lee & John Romita Sr.

Mais pour ceux qui aiment, c’est un régal. Déjà parce que le style très réaliste de Romita Sr est aussi très ancré dans cette période de la seconde moitié des années 70 et la ville de naissance de SPIDER-MAN, New York avec toutes les clins d’œil qui vont avec, plus en bonus un certain nombre de cameo de people de l’époque, répertoriés dans l’introduction. Ensuite, vu que cette série est totalement indépendante des séries dites ‘principales’ avec sa propre chronologie, Stan Lee s’est permis de rappeler plusieurs des grands méchants de l’écurie MARVEL – du DOCTEUR FATALIS (éternel rival des 4 FANTASTIQUES) en passant par le DOCTEUR OCTOPUS, le CAÏD ou KRAVEN LE CHASSEUR – histoire d’attirer le chaland. Un vrai casting quatre étoiles donc, allié à une restauration de haute volée avec papier épais et couverture couleur tout en respectant le format d’origine en horizontal…

En lançant en 2006 de superbes rééditions, publiées année par année, de la série SNOOPY, l’éditeur DARGAUD avait sans le savoir lancé de façon officieuse la réhabilitation du format strip en France. Un an après la sortie du premier volume des strips du BATMAN de Bob Kane chez URBAN COMICS (à quand le deuxième volume, tiens ?) et celui de STAR WARS chez DELCOURT, PANINI COMICS leur emboîte le pas et met la barre bien haute avec ces deux gros volumes (plus de 300 pages chacun) indispensables aussi bien pour les fans les plus mordus du Tisseur que pour les amateurs de ‘pop art’ populaire.

Olivier Badin

Amazing Spider-Man : Les Comic Strips 1977 – 1979 & 1979 – 1981 de Stan Lee et John Romita Sr. Panini Comics/Marvel. 39,95 euros.

21 Jan

Né à Nantes en 1923, le créateur des aventures de Michel Vaillant Jean Graton est décédé

C’était peut-être l’un des derniers géants de la bande dessinée franco-belge des années d’après-guerre. Avec Michel Vaillant, Jean Graton a contribué à faire de son art un art majeur. Il est décédé à Bruxelles à l’âge de 97 ans...

Jean Graton dans son studio au dernier étage de sa maison de l’avenue du Pérou à Bruxelles, vers 1990. © Ph. Graton / Jean Graton Foundation.

Combien de coureurs automobiles doivent leur vocation à Michel Vaillant ? Beaucoup. Depuis 1957, date de sa première apparition dans les pages du journal Tintin, le héros de Jean Graton a fait rêver plusieurs générations de lecteurs.

La suite ici…

20 Jan

Nouveauté 2021. Yellow Cab : Chabouté adapte le roman de Benoît Cohen et rend un bel hommage à la ville de New York

En 2014, Chabouté sortait Moby Dick et nous racontait la mer comme personne sans avoir mis une seule fois les pieds sur un bateau. En 2021, il publie Yellow Cab et signe un hommage incroyable à la ville qui ne dort jamais… sans y être allé un jour. On appelle ça le talent, paraît-il !

Ses buildings, ses rues, Central Park, sa statue de la Liberté, ses vendeurs de hot dogs… et ses taxis jaunes. Nul besoin d’être allé à New York pour que les images défilent dans notre tête à la moindre évocation de son nom.

Mais de là à la dessiner, la magnifier, comme le fait Chabouté, il y a un pas et forcément du talent. « Je n’ai jamais mis les pieds à New York, mais c’est une ville que je rêve, à travers ses clichés et les images de films ».

Et pour la mettre en images dans toute sa splendeur, verticale et horizontale, quoi de mieux qu’une histoire de chauffeur de taxi? Une histoire que l’on doit à Benoît Cohen, un réalisateur français parti chercher l’inspiration au volant d’un taxi new yorkais. Il aurait pu en tirer un film, il en fit un livre, Yellow Cab, aujourd’hui adapté en bande dessinée.

« New York est une ville tellement graphique que j’ai, dès la sortie de mon livre imaginé Yellow Cab en bande dessinée. Et j’ai tout de suite pensé au travail que Chabouté avait réalisé sur New York en association avec notre ami commun CharlÉlie Couture ».

Tout commence dans une école du Queens, Benoît doit y apprendre les rudiments, les comportements à adopter, Quelques heures de cours, un examen, pas mal de paperasseries et de tracasseries et voilà notre homme au volant de sa voiture, prêt à découvrir New York jusque dans ses bas-fonds, à transporter hommes, femmes, riches, pauvres, malades, fous, violents, amoureux, bizarres, suffisamment pour accumuler mille anecdotes, autant de témoignages, et trouver des pistes pour le film qu’il pensait alors réaliser.

À New York, les taxis sont jaunes mais les pages de Chabouté sont en noir et blanc. C’est sa marque de fabrique, son ADN. « Le noir et blanc sert les histoires que je raconte. C’est l’outil idéal pour mettre une ambiance en place, pour créer une atmosphère », nous confiait l’auteur lors d’une interview en 2014 autour du diptyque Moby Dick. Et c’est encore plus le cas ici, chacune de ses planches est un délice de détails qui font le New York que nous connaissons tous, que nous fantasmons tous, un délice de détails et un délice de gueules d’atmosphères qui défilent à l’arrière du taxi. Ma Gni Fi Que !

Eric Guillaud

Yellow Cab, de Chabouté. Vents d’Ouest. 22€

© Vents d’Ouest / Chabouté

Batman Mythology, La Batcave : la tanière d’un héros

Il faut les comprendre les pauvres gars de chez DC COMICS : même s’ils sont assis sur un incroyable catalogue, il faut toujours que quelque chose se passe autour de BATMAN. Toujours. Quitte à parfois dégainer des concepts un chouia tirés par les cheveux, histoire d’avoir une nouvelle excuse de sortir une nouvelle série qui, malgré tout, permet ici de retrouver quelques vieilles connaissances hautement recommandable.

Après, l’idée de cette mythologie – pardon, ‘mythology’ en VO cela fait mieux – tournant autour de six éléments symboliques de l’univers du Chevalier Noir n’est, sur le papier, pas si bête que ça. La mégapole de Gotham, pour ne citer que cet exemple, avec ses grands tours gothiques et son atmosphère étouffante est quasiment un personnage à part entière de cet univers par exemple. Par contre, on en est un peu moins sûr en ce qui concerne la Batcave, le repère souterrain du héros, niché sous son manoir et où il entasse son matériel, ses laboratoires de recherches ou encore sa salle de trophées.

Certes, drapé dans un halo de mystère, l’endroit prête à tous les fantasmes. Mais c’est selon nous surtout là en fait que BATMAN pioche ses multiples gadgets plus qu’autre chose. C’est en tous cas plutôt l’impression que l’on a après avoir lu ce tome un peu fourre-tout avec ses dix-huit histoires réparties en trois chapitres distincts (‘les origines’, ‘les trophées’ et ‘les contes’) et à la base publiées entre 1942… Et 2017. Oui, on est d’accord, c’est très large. Mais cette sélection à un premier avantage, elle permet de mesurer le chemin parcouru par la série. 

© Urban Comics/DC Comics

Après, elle n’est pas très équilibré et non plus : sur dix-huit histoires, douze – soit les deux tiers – datent de la période 1942-1957. Soit celle où l’homme chauve-souris est avant tout un milliardaire très politiquement correct et ingénieux dont tout un l’attirail sert avant tout à combattre la pègre, dans un pur esprit pulps assez naïf et en même temps assez délicieux. On retrouve d’ailleurs trois histoires dessinées par le grand Bob Kane (1915-1998), nom éternellement rattaché à BATMAN et dont le sens du cadrage et la dynamique déjà très pop en ont fait l’un des meilleurs dessinateurs de comics d’après-guerre. Gene Colan (1926-2011) est aussi de la partie, hélas par l’intermédiaire d’un seul épisode datant de 1982 mais dont les années passées à dessiner quantités de comics d’horreur (dont La Tombe De Dracula) se ressentent ici. Bref, pour le fan de comics à l’ancienne, on est en (très) bonne compagnie.   

© Urban Comics/DC Comics

Alors oui, la couverture est, disons le franchement, pas très seyante, le fil rouge attendu est parfois on ne peut plus ténu et les choix éditoriaux vont surtout plaire aux fans de la première période du Chevalier Noir. Mais cela permet malgré tout de retrouver en VF des épisodes pas réédités en France depuis parfois très longtemps et puis avec un casting pareil, difficile quand même de faire la fine bouche…

Olivier Badin

Batman Mythology – La Batcave. Urban Comics/DC Comics. 23 euros.

© Urban Comics/DC Comics

18 Jan

Prix BD Fnac France Inter 2022. Rencontre avec Xavier Coste, auteur de la magnifique adaptation de 1984 chez Sarbacane

Il en rêvait depuis son adolescence, c’est fait ! Xavier Coste vient de sortir aux éditions Sarbacane une adaptation en bande dessinée de 1984, le roman culte de George Orwell, le tout avec le soutien indéfectible de son éditeur, les éloges de la presse spécialisée et l’engouement affiché du public. Comment vit-il ce moment forcément intense lui qui, il y a presque 10 ans, à l’occasion de son premier livre, nous confiait déjà ici-même son amour pour la science-fiction ? Réponse ici et maintenant…

Je t’avais interviewé en 2012 autour de ton premier album, une biographie romancée du peintre autrichien Egon Schiele. C’était d’ailleurs ta toute première interview je crois. Aujourd’hui, tu fais la couverture d’un magazine de référence comme dBD avec 10 pages d’interview. C’est le début de la consécration ? En quoi ton regard sur la BD a-t-il pu changer après toutes ces années ?

Xavier Coste. C’était ma première interview et je m’en souviens très bien. Aujourd’hui ce qu’il m’arrive avec la sortie de 1984 est incroyable ! Dès la sortie l’accueil en librairie et en presse a vraiment dépassé mes attentes. On a lancé la réimpression au bout de quelques jours seulement. Je savoure ma chance d’avoir un livre qui fonctionne aussi bien, d’autant que ça n’a pas toujours été le cas. A titre de comparaison, même si certains de mes albums se sont fait remarquer, surtout le premier sur Egon Schiele, la réimpression n’avait été faite qu’au bout de trois ans, pour le même tirage au départ. Ici c’est trois jours !

Clairement il se passe quelque chose, et j’espère que ça me permettra d’avoir une visibilité supplémentaire sur mes prochains albums. Quand j’ai commencé il y a une dizaine d’années, je pense qu’il y avait de la place pour plus d’auteurs, et c’est devenu très compliqué pour la majorité d’en vivre correctement ou de faire remarquer son travail, quel qu’en soit la qualité. En cela mon regard a changé sur la bd.

Je vois régulièrement de très bons livres passer assez inaperçu.

De l’ébauche à la page finale © Sarbacane / Coste

Sept albums en neuf ans si je compte bien. C’est beaucoup surtout quand on sait qu’un livre comme Rimbaud l’indésirable fait plus de 100 pages ou 1984 plus de 200. Il faut être audacieux aujourd’hui pour se faire une place dans le milieu de la BD ?

Xavier Coste. C’est beaucoup d’années de travail, et j’essaie pour chaque projet d’aller au bout de ma démarche, et de ne pas me limiter en termes de pagination. C’est compliqué de se faire une place aujourd’hui, car les livres ont une durée de vie de plus en plus courte en rayon, à moins de se faire remarquer dès la sortie. Avec les années, j’ai vu à quel point ça s’accélérait et c’est une chose avec laquelle j’ai du mal, car un album représente souvent un ou deux ans de travail. D’une certaine manière je pense qu’il faut être audacieux en bd aujourd’hui, car c’est difficile pour tous les auteurs, et à mon avis il faut vraiment tenter ce que l’on a envie de faire et se faire confiance.

J’essaie d’être le plus sincère possible dans mon travail. Quand j’ai commencé à travailler sur ma version de 1984, en format carré, avec un pop-up, beaucoup de gens du milieu me freinaient et me disaient que c’était une erreur et que ça pourrait même rebuter les lecteurs. L’accueil qu’on reçoit montre au contraire qu’il y a une vraie attente pour des livres différents et c’est un très bon signal. On est très fiers avec Sarbacane d’avoir sorti le livre qu’on rêvait de faire, sans compromis. C’était un vrai pari, car faire un pop-up coûte extrêmement cher, et nous nous sommes compliqués la tâche en faisant un pop-up difficile à réaliser.

L’éditeur m’a permis de faire le livre tel que je l’imaginais, et m’a même aidé à aller plus loin, car le pop-up réservé à la première édition est son idée. Je n’aurais même pas osé en rêver !

De l’ébauche à la page finale © Sarbacane / Coste

Est-ce que ce n’était pas un peu effrayant tout de même de partir sur l’adaptation d’un roman comme 1984, une référence en SF, une référence tout court ?

Xavier Coste. Cela fait 15 ans que ce projet m’obsède. J’ai découvert le roman d’Orwell quand j’étais adolescent et dès la première lecture j’ai eu envie de l’adapter en bande dessinée. Ça a toujours été une évidence pour moi, j’avais beaucoup d’images en tête pour l’adapter. De ce fait, d’une certaine manière je ne me suis pas posé de questions au départ, et j’avais l’énergie et la fougue de la jeunesse, j’étais guidé par mon instinct.

Pour des questions de droits je n’ai pas pu réaliser ce projet jusqu’à maintenant, et pendant longtemps j’ai cru que je ne pourrais pas le concrétiser. Ça restait un projet lointain dans ma tête, dont j’avais une idée assez précise et que je finissais par idéaliser. Quand le moment est enfin venu de me mettre à travailler dessus, et que je me suis retrouvé face à une page blanche, ça a été comme un saut dans le vide.

C’était clair pour moi : il fallait que je fasse cet album comme si c’était le dernier. J’ai mis tout ce que je pouvais dedans.

Page de garde © Sarbacane / Coste

Avec la crise sanitaire, les restrictions de mouvement, les obligations de distanciations sociales, certains évoquent à tort et à travers le retour de Big Brother. Qu’en penses-tu ? Comment as-tu vécu, comment vis-tu encore ces moments anxiogènes ?

Xavier Coste. J’ai mal vécu cela, j’avais l’impression d’être devenu fou et de vivre dans ma bande dessinée ! J’ai passé presque 3 ans à faire cette adaptation de 1984, et j’étais en plein bouclage quand le premier confinement a eu lieu. Ce qui me plait dans mon travail d’auteur de bande dessinée c’est justement d’échapper à l’actualité, et de créer ou de dessiner un monde qui n’a rien à voir avec notre quotidien.

Ces restrictions de liberté m’ont posé beaucoup de questions, et j’ai trouvé les attestations de déplacement tellement ubuesques que j’ai souhaité en intégrer une en page de titre, tant c’est le genre de détails crédibles dans le monde de 1984. Je regrette par contre que 1984 soit aujourd’hui sur-cité, parfois pour de mauvaises raisons, et cela peut être réducteur.

Il ne faut pas oublier que si 1984 dépeint à la perfection un pouvoir totalitaire et son fonctionnement, c’est aussi une histoire d’amour.

Recherche pour le pop-up © Sarbacane / Coste

Comment se remet-on au travail après un tel projet ? Sur quoi planches-tu aujourd’hui ?

Xavier Coste. Difficilement ! Lire 1984 est un uppercut, et ne laisse pas le lecteur indemne. Pour dessiner un livre, j’ai ce besoin de me plonger entièrement dans l’ambiance, sinon le dessin sonne faux, et autant vous dire qu’ici c’était assez lourd. Une fois que le livre a été achevé j’ai fait une grosse pause, qui était nécessaire, et j’ai bien cru que je n’arriverais plus à faire d’album tant j’y avais mis toute mon énergie. Mais aujourd’hui l’envie est là, plus que jamais avec l’accueil que mon livre reçoit ! Je travaille sur deux nouveaux projets de bande dessinée très différents, toujours chez Sarbacane, dont l’un avec Martin Trystram au scénario. J’espère arriver à surprendre le lecteur en proposant encore une histoire et un sujet bien différents ! Je suis content de travailler avec un éditeur qui me fait autant confiance et me laisse une liberté totale.

Merci Xavier, propos recueillis par Eric Guillaud le 17 janvier 2021

À lire aussi la chronique de l’album ici et la très bonne interview du magazine dBD dans le numéro 149 de décembre janvier 2020 2021

1984, de Xavier Coste. Sarbacane. 35€

Nouveauté 2021. Chroniques de jeunesse de Guy Delisle : il y a une vie avant la bande dessinée

Alors oui forcément, à un  moment donné, tout auteur de bande dessinée qui se respecte fouille dans sa jeunesse ou celle de son héros le temps d’un album ou d’une série. À 54 ans, le Québécois Guy Delisle n’échappe pas à la règle, son nouvel album nous ramène 40 ans en arrière, Guy est alors lycéen et cherche un job pour l’été…

C’est bientôt l’été et Guy, 16 ans, cherche son premier job. Direction l’usine à papa, une usine à papier, où son tout premier entretien se déroule tant que bien mal avec un patron un peu blagueur ou franchement cynique qui lui balance:

« Vous savez qu’on ne vient pas ici pour jouer, ? Ce n’est pas un terrain de jeu »

De quoi achever l’entretien sur un cafouillage et laisser Guy ruminer des jours durant.

« J’espère bien, moi je suis venu ici pour travailler, pas pour jouer », se répète-t-il, seul dans sa chambre, comme pour s’en persuader.

Finalement, Guy est embauché. Et de nous faire découvrir la vie dans cette usine qui a des airs de buildings new-yorkais, le travail parfois harassant, les collègues un peu lourds, les jalousies des uns, les petites histoires des autres, bref la vie au travail dans toute sa splendeur.

Celui qui s’est fait connaître avec les carnets de voyage Shenzhen, Pyongyang à L’Association ou encore Chroniques birmanes et Chroniques de Jerusalem chez Delcourt signe ici un récit qui se dévore, où il est effectivement question de l’univers du travail mais également de ses rapports avec son père. Des chroniques de jeunesse qui en appellent d’autres ?

Eric Guillaud

Chroniques de jeunesse, de Guy Delisle. Delcourt. 15,50€ (en librairie le 27 janvier)

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