Dix sorties simultanées, dix personnages différents, dix couleurs… Simple opération marketing de la part de Marvel ? Sûrement. Mais pas que. Même si le lecteur y trouvera à boire et à manger, il y a quand même dans le lot quelques perles pas forcément très connues et surtout toute une brochette de jeunes auteurs et de jeunes scénaristes qui n’attendent qu’à être (re)découverts par le grand public.
Sous prétexte de célébrer le ‘printemps des comics’, la ‘Maison des Idées’ a donc dégainé simultanément dix volumes numérotés. Leur point commun ? Chacun est consacré à la réédition de mini-sagas dédiées à un personnage en particulier. Alors oui, on vous voit venir et le pire c’est qu’on est plutôt d’accord. Sur le papier, voici bien une énième opération de repackaging dont Marvel a le secret. Déjà, nous n’avons affaire ici qu’à des histoires déjà parues et toutes assez récemment en plus. Ensuite il y a ce choix de thématique, disons, un peu légère : un héros par couleur. Et puis parmi les dix dits héros, on passe allégrement de têtes d’affiche confirmées à des seconds couteaux ne méritant forcément autant d’honneur (oui, Hawkeye on pense surtout à toi !). Sauf que…
Il y a déjà, soyons lucides, l’aspect économique : à seulement six euros le volume avec une pagination assez conséquente allant de 120 à 184 pages, le rapport qualité/prix est imbattable.
Mais c’est une surtout une formidable carte de visite pour la ‘nouvelle génération’ (même si tous ne sont pas si jeunes que ça mais bon…) d’artistes, pas forcément très connus du grand public. Certes tout n’est pas parfait car certaines de ces histoires, à l’image de leur personnage central, manquent un peu de carrure. Mais prenez par exemple ‘Rex’, le volume consacré à Venom, ce symbiote d’abord ramené par erreur par Spiderman de l’espace qui a besoin d’un hôte pour survivre. Si le duo Donny Cates (scénario) et Ryan Stegman (dessins) fait d’abord bien attention à se raccrocher à la mythologie maison, c’est pour mieux très vite s’en détacher. Avec son trait réaliste et toujours dans le mouvement, Stegman fait, lui, pas mal penser à Todd MacFarlane le créateur de Spawn mais c’est avant tout la façon dont les deux auteurs se complètent qui donne toute son envergure à ce récit se terminant dans une débauche cosmique de couleurs. Une vraie claque, excessive par nature et très ambitieuse.
Plus subtil mais tout aussi talentueux, le dessinateur Tim Sales tient le pinceau dans deux des volumes de la série tournant autour de la même idée : revisiter certaines périodes clefs des héros en question. Dans le cas de Daredevil, il remonte carrément à l’origine même, ressortant pour l’occasion du placard son tout premier costume mâtiné de jaune, tel qu’il avait été initialement conçu par Bill Everett en 1964. Sauf que le style de Sales est au final plus proche de celui de Frank Miller (‘Sin City’) qui avait complètement relancé en série dans les années 80, notamment dans le choix des cadres. Mais malgré de subtils clins d’œil à certains de ses aînés (Gene Colan en tête), il apporte quand même avec lui un côté moins froid, plus humain, voire assez ironique. Des qualités que l’on retrouve aussi dans ‘Spiderman Bleu’ où il utilise le même artifice scénaristique (le héros s’adresse à son ancienne petite amie décédée) pour raconter cette fois-ci la rencontre du Tisseur avec Gwen Stacy, son premier grand amour et ce alors que le Vautour et Kraven le Chasseur rôdent. Une histoire dessinée à l’origine par le grand John Buscema mais qu’il réussit, pourtant, à complètement se réapproprier. On retrouve encore Donny Cates à la manœuvre derrière l’apocalyptique ‘Thanos Gagne’, série d’une noirceur assez rare et digne des écrits très ‘cosmiques’ de Jim Starlin dans les années 70. Soit un futur alternatif désespéré où le Titan Fou a éradiqué toute vie sur Terre, super-héros inclus, pour mieux se retrouver confronté… à lui-même.
Après, on le disait, tout n’est pas du même niveau. On a toujours par exemple toujours du mal à être en empathie avec la dernière version assez pleurnicharde (et féminisée) de Captain Marvel (‘La vie de Captain Marvel’). Et malgré les efforts du scénariste Mark Millar pour réinventer les Avengers sous le nom de Ultimates, près de dix ans après sa parution initiale le choix du dessinateur Bryan Hitch et de son style figé et désincarné ne passe toujours pas (‘Ultimates – super-héros’).
Même s’ils s’adressent plus aux néophytes ou aux lecteurs occasionnels, ces derniers auront donc plutôt intérêt à chercher les conseils d’un connaisseur, histoire faire une petite pré-sélection. Mais pour à peine plus que le prix d’une bière, voici quand même une sacrée chance de mettre la main sur quelques pépites et surtout donc de découvrir quelques belles gâchettes en devenir ou déjà confirmées de la grande maison Marvel.
Olivier Badin
Le Printemps des comics Marvel. Panini Comics. 5,99€ par Volume.