13 Fév

Lucky Luke, Tif et Tondu, 421, Bastos et Zakousky… Le temps des intégrales

Qui a dit que le neuvième art n’avait pas de mémoire et prêtait guère attention à son patrimoine ? C’était sans compter sur les intégrales qui permettent aux éditeurs de prolonger la vie de leurs héros et aux lecteurs de (re)découvrir les racines de la bande dessinée contemporaine. La preuve encore avec ces quatre intégrales essentielles récemment parues…

On commence avec une intégrale qui ne tire pas plus vite que son ombre, bien au contraire. Les amoureux du cow-boy solitaire auront du attendre pratiquement quatre ans pour tenir entre leurs mains ce quatrième volet qui concerne la période 1956-1957, période ô combien importante puisqu’elle marque l’arrivée de René Goscinny au scénario, lequel mettra en place d’un second niveau de lecture plus adulte, et l’apparition de quatre personnages mythiques, Joe, Jack, William et Averell, les frères Dalton. Au sommaire : Alerte aux pieds-bleus, Lucky Luke contre Joss Jamon, Les Cousin Dalton, le tout accompagné d’une introduction réalisée par les spécialistes en la matière Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, autant dire du costaud. (Lucky Luke – Nouvelle intégrale tome 4, de Morris et Goscinny. Dupuis. 25,95€)

Changement de style, changement de décor, changement d’époque, Bastos et Zakousky se déroule au début du XXe siècle en Russie et raconte l’histoire de Bastos, cambrioleur parisien parti se réfugier à Moscou où il est pris pour un espion et traqué par la police secrète du Tsar Nicolas II. La série Bastos et Zakousky a été publiée dans les années 80. Six tomes en tout et pour tout, réunis dans cette très belle intégrale qui privilégie le noir et blanc pour une meilleure contemplation du trait de Pierre Tranchant. On regrettera simplement l’absence d’une introduction, de quelques mots, de quelques illustrations, pour resituer le contexte de création de la série. (Bastos et Zakousky, intégrale noir et blanc, de Corteggiani et Tranchand. Glénat. 29€)

On reste dans les années 80 avec ce deuxième volet de l’intégrale consacrée à l’agent 007, pardon l’agent 421, un héros un peu oublié de Maltaite et Desberg mais qui a marqué son époque avec des aventures d’abord gentiment parodiques puis liées à une réalité plus sombre. Le dessin lui-même gagne en réalisme au fil des histoires. L’intégrale réunit les titres Suicides, Dans l’empire du milieu, Scotch Malaria et Les Enfants de la porte, le tout judicieusement accompagné d’une introduction signée Didier Pasamonik réunissant illustrations, photographies, couvertures…  (421, intégrale tome 2/3, de Desberg et Maltaite. Dupuis. 24,95€)

Un chevelu et un chauve ! Ce duo mythique créé par Fernand Dineur en 1938 dans les pages du journal Spirou comptabilise plus d’une quarantaine d’aventures publiées en albums jusqu’en 1997 avant de connaître une renaissance il y a peu sous les pinceaux de Blutch et la plume de son frère Robber. Aucun doute, la série Tif et Tondu fait partie du patrimoine des éditions Dupuis. Celles-ci lui ont d’ailleurs consacrée hier une première intégrale de treize volumes au classement thématique, elles lui consacrent aujourd’hui une nouvelle intégrale au classement chronologique. Ce cinquième volet tout juste sorti reprend quatre aventures, les dernières signées par le scénariste Rosy, créateur du fameux méchant M. Choc : Le réveil de Toar, Le Grand combat, La Matière verte et Tif rebondit. C’est Maurice Tillieux qui prit la relève aux côtés de Will pour une dizaine d’années. Un dossier très complet d’une quarantaine de pages accompagne les récits. (Tif et Tondu, nouvelle intégrale tome 5, de Will et Rosy. Dupuis. 36€)

Eric Guillaud

12 Fév

The Department of Truth : la vérité est vraiment ailleurs

« Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende ! » Non, John Wayne ne parlait pas des fake news lorsqu’il balança cette célèbre maxime dans le western L’Homme Qui Tua Liberty Valance mais elle sonne encore plus vraie soixante ans plus tard. Et elle est au cœur de The Department Of Truth, angoissante plongée dans un monde où personne n’est vraiment qui il est censé être…

The Department Of Truth frappe d’entrée avec son style graphique très 90’s et très marqué par Dave McKean, avec ses multiples gros plans, ses patchworks de peinture et dessin et ses décadrages. Une approche visuelle d’abord assez désarmante avec ses découpages parfois baroques et désordonnés mais qui, au final, se révèle taillée sur mesure au propos. Qu’est-ce que la vérité ? La vôtre ? La mienne ? La réalité des faits ? Des croyances ? Autre chose ? Et surtout QUI détient la vérité ? Ou tout cela n’est-il qu’un prétexte pour dénoncer les complots en en inventant un autre ?

© Urban comics / Tynion IV & Simmonds

Cole Turner est un agent du FBI. Pas exactement une tête brûlée, plutôt un nerd dont le travail est de surveiller les groupes conspirationnistes pullulant sur le net. Â la sortie d’un congrès de platistes (vous savez, ces gens persuadés qu’on nous ment depuis toujours et que la Terre est plate et non pas ronde), il est recruté par une mystérieuse agence gouvernementale appelé ‘departement of truth’ (‘le département de la vérité’) censé en sous-marin combattre toutes ces contre-vérités. Mais le fait-elle vraiment ? Ou se sert-elle de ses moyens pour, justement, imposer SA vérité ? Petit détail : l’agence est a priori dirigée par… Lee Harvey Oswald. Oui, l’homme accusé d’avoir assassiné le président Kennedy et officiellement tué par Jack Ruby sous l’œil des photographes et des caméras le 23 Novembre 1963. Confus ? Ce n’est que le début.

© Urban comics / Tynion IV & Simmonds

Voici une œuvre paranoïaque et qui n’a de cesse de brouiller les pistes. Plus on progresse et plus, à l’image de ce héros qui n’en est pas vraiment un, le lecteur est obligé de mettre en doute ce qu’il croit savoir. On répond souvent aux questions par d’autres questions et le discret ‘tome 1’ rajouté au sous-titre (‘Au Bord Du Monde’) n’est pas innocent. On a là affaire aux cinq premiers épisodes et on ne fait que gratter la surface. Vous voilà prévenus. Résultat, un récit dense, très dense même, tout en faux-semblant qu’il faut accepter pour mieux se laisser complètement porté, quitte à parfois à frôler le vertige à force de noirceur et de cynisme absolu.

Au-delà d’un thriller politique, une vraie réflexion sur la manipulation des masses et sur notre société. Par contre, la réponse offerte ici ne risque pas de plaire à tout le monde.

Olivier Badin

The Department Of Truth : Au Bord Du Monde, de James Tynion IV & Martin Simmonds. Urban comics. 15,65 euros.

08 Fév

Vacances d’hiver : dix BD jeunesse pour faire le plein d’évasion

De l’action de l’humour, du fantastique, du western, de l’aventure… dix albums à potasser pendant les vacances. Interro à la rentrée… 

On commence avec un jeune septuagénaire qui a gardé l’œil vif et le poil luisant, c’est le Marsupilami, une petite bébête jaune tachetée de noir avec une queue préhensile et une force herculéenne née sous le pinceau du génialissime André Franquin en 1952. Le Marsu pour les intimes est de retour dans un petit album au format à l’italienne bien sympathique réunissant une centaine de strips réalisés par Batem et Désert et destinés à l’origine à une publication dans la presse. Des histoires très courtes pour longues soirées d’hiver… (Houba Gags, de Franquin, Batem et Désert. Dupuis. 14,50€)

Encore plus vieux que le Marsu, Buck Danny a été créé par Georges Troisfontaines, Victor Hubinon et Jean-Michel Charlier en 1947 (75 ans tout rond) et poursuit ses aventures depuis bien longtemps sous d’autres signatures, preuve en est si besoin que les grands héros peuvent survivre à leurs créateurs. Une série mère de 58 albums à ce jour, une déclinaison en intégrales, une série parallèle baptisée Buck Danny Classic et tout récemment le premier volet d’un diptyque revenant sur ses origines, signé Yann pour le scénario et Giuseppe de Luca pour le – somptueux – dessin. Buck Danny avant Buck Danny, un flot de souvenirs pour nous éclairer sur ce personnage qui a fait rêver tant de générations de lecteurs. (Buck Danny – Origines tome 1/2, de Yann et Giuseppe de Luca. Dupuis. 14,95€)

Place aux jeunes héros avec Amanda Sparks qui vit sa première aventure aux éditions Auzou sur un scénario de Séverine Vidal et sous les pinceaux d’Auriane Bui. Dans un univers très très coloré, Enquête à Las Vegas raconte le déménagement de toute la famille d’Amanda pour cette grande ville du Nevada où sa mère a décroché un rôle dans un film, peut-être le rôle de sa vie. Comme tous les jeunes d’aujourd’hui et comme tous les héros de papier ou presque d’aujourd’hui, Amanda a la fibre écolo, pas comme cette ville tape-à-l’œil, véritable catastrophe écologique, oasis artificielle au milieu du désert. Mais pas le temps de s’y acclimater, le père d’Amanda est kidnappé… Amanda enquête ! Frais et amusant. (Amanda Sparks, Enquête à Las Vegas. Auzou. 11,95€)

Inutile de présenter Les Légendaires, la fameuse série de Patrick Sobral aux millions d’exemplaires vendus, aux multiples séries dérivées et adaptations tous azimuts. Voici aujourd’hui le premier volet d’une nouvelle série qui donne à d’autres auteurs de BD la possibilité de faire leur propre album des Légendaires autour des personnages secondaires de la saga. Première sur le coup, Louise Joor nous embarque dans l’univers du cirque avec Toopie et Enzym, une créature incroyable… (Les légendaires Stories tome 1, de Sobral et Joor. Delcourt. 10,95€)

Avec la série Les Contes des coeurs perdus qui compte désormais six albums, Loïc Clément explore les maux de l’enfance, ici l’anxiété à travers la vie d’un petit garçon comme les autres, Tristan Tenebrae. Enfin comme les autres, pas vraiment. Tristan est en fait un vampire millénaire à l’apparence d’un enfant de 8 ans. Avec un gros problème : chaque jour de sa vie n’est que stress, angoisse, inquiétude… Bref, Tristan se fait un sang d’encre. Vraiment. Son sang est noir. Et quand il est au fond du trou, alors ses dents poussent et lui vient une envie irrésistible de mordre. Jusqu’au jour où il rencontre Lucile… et passe de l’ombre à la lumière. (Mauvais sang, de Loïc Clément et Lionel Richerand. Delcourt.10,95€)

On connaissait Le Roi lion, voici Le Roi louve et non Le Roi loup, puisque cette histoire, signée Alibert et Lapière au scénario, Adrián au dessin, nous embarque pour un monde où les insectes géants ont remplacé la plupart des autres formes de vie, où les femmes ovipares ont définitivement soumis les hommes et où les loups, qui se sont civilisé, changent de sexe à chaque Lune avant d’opter pour l’un d’eux. Or, Petigré, l’un de ces loups ou l’une de ces louves, comme vous voulez, a décidé de rester une fille contre l’avis de son père, le roi, qui veut un garçon pour lui succéder… De l’heroic fantasy revu, corrigé et non dénué de questionnements autour de la parité, du genre et de quelques autres sujets très actuels. (Le Roi louve, d’Alibert, Lapière et Adrián. Dupuis. 14,50€)

Avec un nom pareil, on l’imaginerait plus volontiers flânant sur les quais de la Seine à Paris que chevauchant dans les plaines du Far West. C’est pourtant au beau milieu du Texas que cette héroïne nous embarque, avec l’objectif d’apporter de la culture, des livres, jusque dans les coins les plus reculés et les moins accueillants du pays. Enfin ça, c’est pour la vitrine parce que notre Isabelle Talbot, aka Molly West, derrière ses manières de bonne famille, est venue se venger. Un premier tome qui annonce une belle série dans le contexte d’un Sud raciste au sortir de la guerre de Sécession. (Molly West tome 1, de Philippe Charlot et Xavier Fourquemin. Vents d’Ouest. 14,50€)

Quatre albums, quatre histoires, commencez par un bout et continuez selon vos envies. U4 est l’adaptation en bande dessinée de la fameuse saga post-apocalyptique qui a fait un carton en roman avec plus de 350 000 exemplaires vendus. L’histoire ? Un virus baptisé U4 a décimé la population mondiale à l’exception des adolescents. Jules, Yannis, Stéphane et Koridwen sont quatre d’entre eux. Ils ne se connaissent pas mais tous sont des joueurs experts de « Warriors of Time » (WOT), un jeu en ligne, et tous ont reçu un étrange message les convoquant à un rendez-vous à Paris… (U4, de Renders, Lapière et Huelva. Dupuis. 14,50€ le volume)

Avec Les Âmes tigrées, treizième volet de la série fantastique Seuls, Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti signent une fin de cycle tonitruante pour Dodji, Leïla, Camille, Yvan et Terry. Série phénomène vendue à plus de 2 millions d’exemplaires et adaptée au cinéma, Seuls met en scène cinq enfants livrés à eux-mêmes dans un monde appartenant à la quatrième dimension et demie où ils ont dû apprendre à se débrouiller et se défendre seuls.  (Seuls tome 13, de Vehlmann et Gazzotti. Dupuis. 12,50€)

À 13 ans, Cosmo Cooreman est un adolescent normal. Tant mieux pour lui me direz-vous. Oui mais non ! Dans son monde, 13 ans est justement l’âge des mutations. Tandis que ses camarades développent une intelligence, un physique ou un pouvoir extraordinaires, lui reste affreusement normal. Ses professeurs se plaignent, ses parents s’inquiètent et finissent par le confier au gouvernement qui, dans le cadre du plan Nouvel Horizon, et grâce à des méthodes d’éducation très spéciales, doit lui permettre de développer un don. Mais Cosmo finit par s’en évader avec quelques amis et rejoindre l’île de Tulugary où vivent des humains refusant les mutations. Un bon récit SF en 3 tomes qui nous interroge sur la normalité. (Absolument normal tome 3, Tous différents, de Toussaint,  Martusciello et Pizzetti. Dupuis. 10,95€)

Eric Guillaud

04 Fév

Empire Falls Building : Bienvenue dans le monde vertical et étrange de Jean-Cristophe Deveney et Tommy Redolfi

Vous n’avez pas le vertige ? Alors rendez-vous tout en haut de l’Empire Falls Building pour une bien étrange histoire mitonnée par Jean-Christophe Deveney au scénario et Tommy Redolfi au dessin…

Indéniablement, il y a un petit quelque chose de l’univers de Schuiten et Peeters dans cet album, la thématique de l’architecture bien sûr, le côté univers parallèle aussi, l’atmosphère fantastique forcément.

Mais pour le reste, Empire Falls Building nous emmène haut, très haut même, pour une histoire singulière, envoutante, parfois même inquiétante, celle d’un jeune architecte, Edgard Whitman, engagé par un riche homme d’affaires, Kosmo Vassilian, avec pour mission d’achever la construction de son hôtel new-yorkais, l’Empire Falls Building.

Et il faut bien le dire, le jeune architecte en est le premier surpris… 

« Il est vrai qu’on ne voit pas immédiatement en quoi l’hôtel est inachevé », remarque-t-il.

De quoi s’interroger sur ce qu’il peut apporter et se persuader que sa place est ailleurs. Mais le propriétaire des lieux l’a choisi, lui et pas un autre. Et comme son majordome le dit : « il ne s’est jamais trompé sur personne ».

Dont acte ! Le jeune architecte se met au travail pour apporter sa pierre à l’édifice. Et la tâche ne va pas se révéler des plus faciles…

Le format vertical de l’album paru dans la collection Noctambule des éditions Soleil met tout de suite le lecteur en condition, Empire Falls Building est le genre de BD à nous faire prendre de la hauteur avec un récit en tout point réussi, sacrément bien ficelé du côté du scénario de Jean-Christophe Deveney, absolument magnifique du côté de la mise en images signée Tommy Redolfi, un trait racé et des ambiances intenses qui ne peuvent qu’embarquer le lecteur. Avec en bonus des calques narratifs qui impriment dans le décor les projets de l’architecte.

Eric Guillaud

Empire Falls Building, de Jean-Cristophe Deveney et Tommy Redolfi. Soleil. 24,90€

© Soleil / Deveney & Redolfi

01 Fév

Devoir de mémoire : dix albums pour replonger dans notre passé

Biopics, documentaires, fictions… Peu importe la forme, la mémoire du monde s’écrit aussi en bande dessinée. Dans cette sélection de dix titres récemment parus, les auteurs nous invitent à remonter les années, les siècles pour mieux comprendre notre présent.

On commence avec La Fiancée, ce récit de Gwenaëlle Abolivier et Eddy Vaccaro nous replonge dans la France occupée à travers l’histoire d’Odette Nilès. Née dans un milieu communiste, Odette refuse très tôt les injustices et s’engage contre le régime nazi. À quinze ans, elle participe aux manifestations, aux réunions clandestines, à la distribution de tracts. Elle se fait arrêtée, internée au camp de Choisel à Châteaubriant où elle fait la connaissance de Guy Môquet dont elle tombe amoureuse. La Fiancée raconte sa vie dans le camp, sa passion pour Guy Môquet jusqu’au fameux jour où 27 détenus dont ce dernier furent fusillés à Châteaubriant,16 autres à Nantes, 5 au Mont-Valérien, 48 prisonniers politiques au total connus sous le nom des 50 otages, en représailles à l’assassinat du lieutenant-colonel Karl Hotz, chef de la Kommandantur de Nantes. Une histoire d’amour et d’engagement vouée à être transmise de génération en génération ! (La Fiancée, un récit de Gwenaëlle Abolivier et Eddy Vaccaro. Soleil. 19,99€)

L’histoire comme un uppercut ! Ce récit de Pierre Ballester, Jean-Christophe Deveney, Michel Acaries et Sagar ne raconte pas seulement l’histoire des frères Acariès, Louis et Michel, dans le monde de la boxe, il raconte la guerre d’Algérie, les attentats, les assassinats, l’OAS, la peur, l’exode des pieds-noirs, le mal du pays, le regard et parfois la haine des métropolitains pour ces rapatriés d’Algérie et au final la revanche de ces deux gamins qui recevront les honneurs de la patrie reconnaissante, Louis sur le ring, Michel dans l’ombre de l’organisation. Des années 60 aux années 2000, d’Alger à Las Vegas, À bout de bras retrace une destinée extraordinaire dans un monde entre deux siècles ! (À bout de bras, la folle saga des frères Acariès. Delcourt. 23,95€)

Si Hitler est bel et bien mort en 1945, il aurait pu l’être quelques années auparavant pour le plus grand bien de l’humanité, en 1938 précisément lorsque le Suisse Maurice Bavaud tenta de l’assassiner à l’occasion d’une marche commémorative à Munich. Il n’y parvint pas, tenta sa chance de nouveau dans les jours qui suivirent, sans succès, avant de se faire arrêter, cuisiner par la Gestapo, guillotiner le 14 mai 1941. Il faudra presque 20 ans à sa famille pour réhabiliter sa mémoire et en faire un héros. C’est cette histoire incroyable mais vraie que raconte La Part de l’ombre à travers l’action d’un autre personnage, fictif celui-ci, Guntram Muller, journaliste pour le quotidien Berliner Zeitung, bien décidé à faire oublier son passé dans l’Abwehr, service de renseignement de l’état-major allemand. Un graphisme particulièrement racé, un scénario haletant, une histoire passionnante en deux tomes qui s’interroge, nous interroge, sur l’indispensable devoir de mémoire. (La part de l’ombre tome 2, Rendre justice, de Perna et Ruizge. Glénat. 14,50€)

De l’antiquité à nos jours, la série Vinifera s’est donnée pour mission de raconter l’histoire du vin en France et dans tous les pays viticoles. Après Les vins d’Orient, Les amphores de Pompéi, Le classement des vins de Bordeaux ou encore Le Vin des Papes, voici donc Les vignes de Charlemagne, un récit signé Corbeyran pour le scénario, Brice Goepfert pour le dessin, où il est question du rôle essentiel que joua Charlemagne dans l’histoire de la viticulture en légiférant sur la qualité des vins et en autorisant les vignerons à vendre eux-mêmes leur production. À déguster sans modération. (Vinifera, Les vignes de Charlemagne, de Corbeyran et Goepfert. Glénat. 14,95€)

Toujours chez Glénat mais dans la collection Ils ont fait l’histoire, Wyctor au scénario, Martinello au dessin et Dumézil en sa qualité d’historien proposent de découvrir la vie de Clovis, né vers 465, mort en 511, premier roi des Francs converti au christianisme. La collection compte aujourd’hui une trentaine de titres, autant de regards sur les grands personnages de notre histoire, de César à De Gaulle en passant par Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Jaurès ou encore Churchill. Comme dans chacun de ses livres, celui-ci propose un dossier documentaire de huit pages avec chronologie, carte et références bibliographiques. (Clovis, de Wyctor, Martinello et Dumézil. Glénat/Fayard. 14,95€)

Après Joséphine Baker, Olympe de Gouges et Kiki de Montparnasse, le tandem formé de Catel Muller et José-Louis Bocquet s’est penché ici sur la vie d’Alice Guy, une de ces « clandestines de l’histoire », comme les désignent les auteurs, à savoir ces femmes qui ont marqué leur époque mais n’ont pas été retenues dans la grande histoire. En ce sens, le parcours d’Alice Guy est exemplaire. Née en 1873, elle sera la première réalisatrice de l’histoire, dirigera près de 300 films en France, créera un studio aux États-Unis, fréquentera les plus grandes figures de l’époque, de Méliès à Chaplin en passant bien évidemment par les frères Lumière, Eiffel ou encore Keaton. Ce portrait nous retrace sa vie depuis son enfance jusqu’à son décès en 1968. Un récit en 320 pages complété par un dossier de 80 pages comprenant une chronologie, des notices biographiques, une filmographie et une bibliographie. (Alice Guy, de Catel et Bocquet. Casterman. 24,95€)

Il y a précisément 400 ans naissait Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le nom de Molière. Histoire de célébrer cet anniversaire et d’honorer une œuvre qui fait aujourd’hui encore référence, Vincent Delmas et Sergio Gerasi se sont lancé dans un biopic en trois actes sur le fameux dramaturge en se focalisant sur les douze dernières années de sa vie, peut-être les plus créatives, en tout cas les plus excitantes en ce qui concerne ses attaques contre le roi, les ecclésiastiques, la domination du sexe dit fort, l’institution du mariage… Le premier volet sorti en janvier débute au moment où Molière s’apprête à épouser Armande, la petite sœur de son ancienne maîtresse, Madeleine Béjart. Scandale dans sa vie privée, scandale sur la scène avec l’écriture de la pièce L’École des femmes que l’église aurait aimé voir interdite. Un récit dynamique merveilleusement servi par le trait expressif de Sergio Gerasi. (Molière tome 1, À l’école des femmes, de Delmas et Gerasi. Glénat. 14,50€)

Changement radical de décor et d’époque avec ce livre signé Jean-Pierre Pécau et Christophe Gibelin dans la collection Ailes de légende des éditions Delcourt. Comme son nom l’indique, Spitfire raconte l’histoire du mythique Supermarine Spitfire qui fut l’un des chasseurs monoplaces les plus utilisés par la RAF et les Alliés pendant la seconde guerre mondiale. Un scénario fluide, un graphisme séduisant, un bel album pour les amoureux du monde de l’aviation mais pas seulement. (Spitfire, de Pécau et Gibelin. Delcourt. 16,95€)

Sorti il y a presque six mois mais bien évidemment toujours disponible en librairie, L’enfer est vide, tous les démons sont ici raconte le procès de l’un des grands architectes de la solution finale, Adolf Eichmann, exfiltré vers l’Argentine au lendemain de la guerre, retrouvé et enlevé par des agents du Mossad devant son domicile à Buenos Aires en 1960, remis à la justice israélienne dans la foulée et finalement jugé. À travers le travail de trois journalistes qui assistent aux audiences, des personnages fictionnels, Malo Kerfriden et Marie Bardiaux-Vaïente s’intéressent à ce qui a été l’une des grandes questions du moment : une condamnation à mort d’Eichmann a-t-elle un sens face l’extermination de six millions de Juifs ? Plus qu’une BD pour la mémoire, L’enfer est vide, tous les démons sont ici nous invite à une réflexion plus générale sur la peine de mort. (L’enfer est vide, tous les démons sont ici, de Kerfriden et Bardiaux-Vaïente. Glénat. 19,50€)

On termine avec le deuxième volet d’Hitler est mort !, un récit de Jean-Christophe Brisard mis en images par Alberto Pagliaro revenant sur l’un des plus grands mystères du vingtième siècle : le suicide du Führer. Depuis plus de 70 ans, les théories du complot se suivent et se ressemblent. Est-il vraiment mort en 1945 ? A-t-il fui en Amérique du Sud ? Jean-Christophe Brisard, écrivain, journaliste et réalisateur de documentaires, a sérieusement enquêté sur l’affaire, touché du bout des doigts des restes d’Hitler, sorti un livre aux éditions Fayard avant d’en offrir aujourd’hui une adaptation en BD dans laquelle on découvre la guerre entre deux services soviétiques, le NKVD d’un côté et le Smerch de l’autre, pour récupérer et conserver le cadavre du Führer. Un récit parfaitement documenté et raconté qui peut mettre un terme à tous ces doutes savamment entretenus par certains… (Hitler est mort! tome 2, Mort aux espions, de Brisard et Pagliaro. Glénat. 14,95€)

Eric Guillaud

28 Jan

Franklin ou l’envers terrifiant du décor de la conquête des pôles

Ah oui, Jules Verne, Docteur Livingstone je présume, Les Voyages Extraordinaires tout ça. Oui, le XIXème siècle fut bien celui des grandes découvertes, une période dorée pour les aventuriers de tout poil et où la Terre a enfin dévoilé certains de ses plus beaux secrets. Mais pour un voyage triomphal, combien de désastres ? La tragédie de l’expédition Ross en est encore aujourd’hui hélas l’un des exemples les plus marquants. Franklin en est le récit en BD, glaçant dans tous les sens du terme.

Franklin, extrait de la couverture

Le 19 Mai 1845, les navires Erebus et Terror quittent les côtes anglaises. Leur but ? Tenter la première traversée du passe dite du Nord-Ouest, voie maritime fantasmée qui permettrait de traverser l’Arctique d’un bout à l’autre, le tout à bords de deux vaisseaux spécialement affrétés pour l’occasion, avec un véritable moteur de locomotive installé dans les cales, une coque renforcée en acier pour résister à la pression de la banquise et trois ans de vivres. Â la tête de l’expédition, le très expérimenté Sir John Franklin pour commander 128 officiers et marins.

Bref, a priori, tout était en ordre pour faire de cette mission une réussite. Sauf que pas un seul de ces hommes n’en reviendra vivant. Et pendant longtemps, personne ne saura vraiment su ni ce qui leur est arrivé ni où leurs corps étaient enfouis. L’épave de l’Erebus ne sera d’ailleurs finalement retrouvée qu’en 2014 par seulement onze mètres de fonds et celle du Terror deux ans plus tard, mais à 70 kms de là sans qu’on puisse expliquer ce phénomène. Seule certitude : pris par les glaces, les deux bateaux se sont visiblement retrouvés rapidement emprisonnés dans la banquise. Et après avoir épuisé leurs réserves de nourritures, les survivants ont dû se résoudre au cannibalisme avant de succomber à leur tour.

© Glénat / Durant

Le froid extrême, l’isolement, la perte progressive de sa propre humanité, les corps qui lâchent et finalement, la mort, inéducable. Tous ces éléments ne pouvaient qu’inspirer, aussi terrible l’histoire à raconter était-elle. En 2008, l’auteur fantastique Dan Simmons en tira le pavé Terreur où il fournit sa propre interprétation de ce qui s’est vraiment  passé dans la nuit arctique et dix ans plus tard, le réalisateur d’Alien Ridley Scott en coproduit l’adaptation en série télé.

C’est désormais au tour du dessinateur et scénariste Michel Durant de s’en emparer ici, mais en BD cette fois-ci. Contrairement aux Anglo-saxons, cet ex-collaborateur de Jodorowsky (entre autres) a choisi une approche très factuelle. Pas de monstres, pas de légendes prenant vie ou autres hallucinations. Non, juste des hommes si l’on peut dire partis la fleur au fusil et qui, petit-à-petit vont lutter mais aussi céder à la peur, à la folie, à la faim avant de commettre l’irréparable. Et de mourir, dans le froid arctique, loin de tout.

© Glénat / Durant

Franklin est un album sur la résilience mais aussi la fatalité. Le lecteur sait pourtant ce qui les attend, notamment grâce à un touffu appendice retraçant toute l’histoire, jusqu’à la découverte des épaves plus de cent cinquante ans plus tard. Mais difficile pourtant une fois plongé dans l’histoire d’en sortir, tant ces efforts en gros futiles pour échapper à la fatalité en deviennent fascinants. Difficile de croire, aussi, que tout ce qui est raconté a vraiment eu lieu…   

Durant a l’intelligence de laisser l’histoire, très forte, parler d’elle-même et n’a donc recours à aucun effet tapageur ni grandiloquence. Juste l’histoire d’hommes partis chercher la gloire et qui n’ont trouvé que la peur, la faim, la mort puis l’oubli.

Olivier Badin

Franklin de Michel Durant. Glénat. 15,50€.

© Glénat / Durant

27 Jan

Retour sur la réédition de l’une des premières adaptations (réussies) du prince albinos d’heroic fantasy, Elric

On a beaucoup parlé en Mai dernier de la sortie du quatrième et dernier volume de l’adaptation BD consacrée à la saga tragique du héros d’heroic fantasy phare de l’auteur anglais Michael Moorcock, Elric. Une véritable réussite, pilotée par deux scénaristes français et qui s’achevait en beauté avec l’adaptation de La Cité Qui Rêve, tout premier texte consacré au prince maudit Elric et publié à la base en 1961. Sauf que ce n’était pas la première adaptation. Et aujourd’hui, cette première tentative (re)fait opportunément surface.

Si l’on met de côté celle réalisée par Druillet en 1971 (non autorisée, elle n’a jamais été republiée) cette vraie-fausse ‘première’ adaptation a donc été publiée à l’origine en 1982. Elle est alors pilotée par Roy Thomas, véritable ‘star’ du monde des comics grâce aux deux décennies qu’il avait alors passé au sein de MARVEL en tant que responsable éditorial et scénariste. Parmi ses nombreux succès, on lui doit, notamment, Conan Le Barbare et au détour d’un épisode de 1977 resté célèbre parmi les fans, il s’était d’ailleurs amusé à imaginer le Cimmérien rencontrant, justement, un Elric coincé entre deux dimensions.

Elric reste un anti-héros à part, le dernier représentant d’une longue lignée de prince de Menilboné, peuple cruel et craint  jadis dominateur mais désormais en pleine décadence. Elric lui-même est un albinos à la santé fragile, l’obligeant à avoir recours à la magie et à des potions pour tenir son rang. Â la fois exalté et cynique, il est amoureux de sa cousine dont le frère Yrkoon rêve de lui subtiliser le trône. Jouet des dieux mais surtout d’Arioch, souverain du chaos, il voit sa destinée liée à Stormbringer, une épée magique consciente qui se nourrit de l’âme des êtres dont elle prend la vie. Ensemble, les deux vont provoquer la chute du royaume de Melniboné et la mort de la bien-aimée d’Elric, les condamnant à un exil éternel.

© Delcourt / Roy Thomas & P. Craig Russell

On l’a oublié mais c’est à partir des années 80 que ce héros maudit a enfin été consacré par la pop culture, notamment grâce à la scène rock (Hawkwind) ou heavy-metal (Cirith Ungol, Magnum) en enfin par la tribu jeu de rôle. Or le mouvement a été bien accompagné par la publication par MARVEL de cette première adaptation dont le premier volume fut discrètement traduit deux ans plus tard en France avant de disparaître des écrans radars depuis.

Alors avant d’apprécier l’objet, deux postulats s’imposent : primo, le tout s’adresse avant tout aux connaisseurs de la saga. Pas d’introduction des personnages, pas de retour en arrière, pas de mise en contexte ici, non on entre de plein pied dans l’aventure, à prendre ou à laisser. Et secundo, même si les noms de Thomas et de Moorcock sont tout en haut de l’affiche, la vraie star ici se nomme P. Craig Russell.

© Delcourt / Roy Thomas & P. Craig Russell

Dire que ce dessinateur américain, hélas peu connu en France, a un style flamboyant est un doux euphémisme. Ultra-coloré, presque psychédélique par moments et en même temps ouvertement influencé par certains grands peintres comme Klimt, le contraste avec le côté très cyberpunk et ultra-noir de la dernière version en date de ce récit tragique saute aux yeux, littéralement. Même constat en terme de ligne éditoriale : même si les deux versions sont très fidèles à l’œuvre originale, alors que celle réalisée par les Français ont fait d’Elric un être torturé en même temps très cruel et violent, quasi-cyberpunk sur le plan visuel, il devient ici une sorte d’héros wagnérien, balloté sur les eaux du destin et impuissant à changer le cours des choses.

Si sa brièveté (65 pages) et ce choix d’un format intermédiaire ne permettent forcément de profiter pleinement de l’expérience, on croise juste les doigts que DELCOURT sorte par la suite les quatre autres volumes, également sortis dans les années 80. Et ce malgré le relatif demi-succès en France des trois tomes préalablement sortis et consacrés à CORUM, une autre création d’heroic fantasy signée Michael Moorcock…

Olivier Badin

Elric – La Cité Qui Rêve de Roy Thomas et P. Craig Russell. Delcourt. 13,50 euros.

26 Jan

Victor Hubinon – Une Vie en dessins : un autre regard sur l’oeuvre du dessinateur de Buck Danny et de Barbe-Rouge

Buck danny, son personnage de prédilection, a beau être plus connu que lui, Victor Hubinon a pourtant réussi à se hisser au panthéon des grands dessinateurs de la bande dessinée franco-belge tendance réaliste. Son trait précis, ses planches aux compositions parfaites, ont embarqué des générations de lecteurs à bord des avions de l’US Air Force et déclenché nombre de vocations…

Et dire qu’à ses débuts, Victor Hubinon préférait le dessin d’humour ! Loudemer, Durdefeuille, Rik Junior, Blondin et Cirage… Victor Hubinon affûte ses crayons auprès de Jijé et de quelques autres grands de la BD avant de se lancer avec maestria dans le récit réaliste via L’Agonie du Bismarck en compagnie du scénariste de génie Jean-Michel Charlier. Les deux hommes ne se quitteront plus, enchaînant les aventures de Buck Danny et de Barbe-Rouge jusqu’à la mort du premier, en 1978.

Cet imposant ouvrage de plus de 300 pages paru aux éditions Champaka Brussels dans la collection Une Vie en dessins réunit quantité de photos, d »illustrations, couvertures, planches, cases agrandies, le tout accompagné de textes signés Daniel Couvreur sous la direction éditoriale d’Eric Werhoest.

Inutile de vous dire que les fans de la grande époque des éditions Dupuis et de la bande dessinée franco-belge réaliste y trouveront leur bonheur. C’est beau, c’est captivant… Un livre indispensable pour approcher au plus près le génie de l’artiste !

Eric Guillaud

Victor Hubinon, Une Vie en dessin, Champaka Brussels – Dupuis. 55€

© Champaka Brussels – Dupuis / Hubinon

25 Jan

Le Poids des héros : un récit autobiographique sensible de David Sala autour du souvenir et de la transmission

Raconter son enfance, raconter sa famille, c’est bien, encore faut-il avoir quelque chose à raconter et une façon de le raconter. Et sur ce point, David Sala coche toutes les cases, Le Poids des héros est une histoire personnelle qui touche l’universel avec les mots et les images qui vont bien…

Le grand-père de David est en fâcheuse posture. Les médecins de l’hôpital l’ont renvoyé chez lui sans espoir. Quelques mois et ce sera fini. Mais on ne survit pas à la guerre d’Espagne et à quatre ans d’enfermement au camp de Mauthausen sans développer un sacré caractère et une certaine détermination. De fait, le grand-père a décidé de ne pas mourir avant son bourreau, Franco, et il va y parvenir.

Parti, le grand-père n’en est pas moins présent. Présent à travers ce portrait accroché au mur de la maison, un tableau réalisé pendant sa captivité, présent par les souvenirs qu’il laisse forcément à chacun, présent enfin et surtout par son histoire, forte, faite d’engagements et de souffrances.

C’est à travers toi maintenant que mon histoire va survivre. Tu ne dois pas oublier mes souffrances

Dans cette France des années 80 qui tente de passer à autre chose, écoute Renaud, découvre les radios locales, le début du rap, lit Strange et regarde les premiers essais d’une télévision en relief, David reçoit ce passé en héritage, un passé parfois pesant, du poids des héros. Car oui, son grand-père était un héros. Son grand-père maternel comme son grand-père paternel d’ailleurs, lui aussi d’origine espagnole, lui aussi réfugié en France à la veille de la seconde guerre mondiale et lui aussi entré en résistance contre le nazisme.

David grandit, passe le cap de l’adolescence puis celui de l’âge adulte, assiste impuissant au divorce de ses parents, à la dépression de son père, entre à l’école Emile Cohl, survit grâce au RMI, devient auteur de bande dessinée, un parcours qui n’a rien d’un long fleuve tranquille mais qui n’a rien de comparable avec la vie de ses grands-parents.

Je vivais constamment sous la statue imposante de mes grands-parents. Et je ne cessais de me répéter : ton malheur n’est rien mon garçon.

Certes, David n’a pas connu la guerre, la peur, le froid, l’humiliation, l’exil, la torture, l’odeur de la mort, ni celle des corps empilés et des fours crématoires mais il porte tout ça en lui, comme des blessures que personne ne peut parvenir à soigner.

En cela, Le Poids des héros a peut-être valeur de catharsis, David Sala ouvrant grand son coeur pour nous raconter son parcours, explorer son enfance, son adolescence et plus tard sa vie de jeune-homme à l’ombre de ces figures tutélaires. Il y a beaucoup de tristesse, de mélancolie, dans ce récit, il y a aussi beaucoup d’amour et de fierté pour sa famille et notamment ses grands-parents. Transmettre leur histoire était pour lui presque un devoir, c’est aujourd’hui un devoir accompli.

Et pour raconter cette histoire, David Sala a rassemblé ses souvenirs et tenté de s’approcher au plus près de son ressenti de l’époque, y compris visuellement. D’où cette option graphique proche de la peinture avec un trait déformé et des couleurs flamboyantes qui viennent judicieusement atténuer le propos souvent grave du récit.

Après la trilogie Replay rééditée en intégrale en 2018 et l’adaptation du chef-d’oeuvre de Stefan Zweig, Joueur d’échecs en 2017, David Sala confirme ici un immense talent d’auteur complet. Pas encore un héros mais presque…

Eric Guillaud

Le Poids des héros, de David Sala. Éditions Casterman. 24€

© Casterman / Sala

 

20 Jan

Le magazine Spirou souffle les 70 bougies du Marsupilami

Soixante-dix ans et toujours aussi bondissant le Marsupilami ! De quoi lui dédier un numéro entier du journal Spirou disponible en kiosque le 26 janvier…

Vous le reconnaissez ? Mais oui bien sûr, il s’agit bien du Marsupilami, Marsu pour les intimes. Né sous la plume du génialissime André Franquin au début de l’année 1952, le personnage a survécu à son maître, traversé les aventures, les années, , changé de siècle, survécu aux changements de maisons d’édition, à l’invasion des super-héros, au covid pour aujourd’hui encore nous interpeller et nous étonner. Une véritable énigme à lui tout seul ce Marsu !

Histoire de fêter dignement ses 70 ans, le journal de Spirou en date du 26 janvier s’est mis aux couleurs du Marsu, auteurs et personnages habituels du journal s’appropriant le personnage avec une mention spéciale pour les quatre pages proposées par DAV. Magnifique !

Eric Guillaud

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