14 Oct

Joker vs The Mask : un sacré petit jeu de massacre

The Mask, un vrai-faux méchant drôle que pour les enfants ? Vous allez pouvoir réviser vos classiques, grâce à la réédition de cette double rencontre explosive… Attention, ça défouraille sec !

Pour le grand public, le personnage de The Mask restera éternellement associé à Jim Carrey et à sa prestation hystérique dans l’adaptation cinématographique en 1994 du même nom. Sauf que comme l’a rappelé récemment l’excellente anthologie parue chez Delirium et rassemblant ses toutes premières escapades, The Mask est avant tout une bande dessinée complètement délirante profitant à fonds de son postulat de départ – un masque aux origines mystérieuses confère à celui qui le porte des pouvoirs quasi-infinis tout en pervertissant subtilement sa personnalité – pour mieux partir dans des délires dignes d’un cartoon sous acide.

Or vu la personnalité du Joker – a-t-on besoin de vous rappeler que ‘joker’ peut être traduit par ‘bouffon’ ? – les deux étaient forcément faits pour se rencontrer un jour. Et c’est finalement arrivé dans ce crossover– The Mask est chez Dark Horse alors que le Joker est bien sûr l’une des têtes de gondole de DC Comics – datant du début des années 2000.

Oui, Batman apparaît sur la couverture (il faut bien attirer le chaland ma bonne dame) mais pour être franc, il fait ici limite de la figuration, histoire de mettre l’accent sur le combat entre les deux méchants. Combat intérieur si l’on peut dire car toute l’intrigue tourne autour d’un Joker trouvant par hasard ce masque ancien lors d’un casse improvisé du musée de Gotham avant de l’endosser pour devenir une espèce de mélange des deux.

© DC Comics – Dark Horse – Urban Comics / collectif

Autre potentiel malentendu : oui, le graphisme emprunte clairement aux séries animées contemporaines mettant en scène ses différents personnages et destinés, à la base, aux enfants. Sauf qu’ici ce ne sont pas vraiment nos bambinos qui sont visés mais plutôt leurs grands frères, vu comment tout ce petit monde tournant à 200 à l’heure redouble d’ingéniosité pour s’égosiller dans tous les sens.

Le résultat est assez réjouissant. Déjà, c’est franchement assez drôle, à condition d’aimer l’humour assez acide lancé à toute berzingue. Et puis il y a cette façon si particulière qu’a The Mask de se mettre constamment en scène, de changer de forme et de costumes ou de multiplier les clins d’œil aux lecteurs auxquels il semble constamment s’adresser directement, nous rappelant donc que le grand public a sûrement oublié combien ce anti-héros n’était pas si mignonnet et politiquement correct que ça.

© DC Comics – Dark Horse – Urban Comics / collectif

C’est d’ailleurs encore plus flagrant dans le bonus pas si anodin que cela rajouté en seconde partie, cet autre crossover autant si ce n’est encore plus explosif avec Lobo, le bad boy chasseur de primes intergalactique si populaire dans les années 90 mais aujourd’hui hélas un peu oublié. Ici, vous pouvez oublier le style plus enfantin de la rencontre avec le Joker et surtout, lâchez les chiens ! Les scénaristes assument complètement leur parti-pris de rapidement se débarrasser de toute intrigue alambiquée avec un point de départ des plus basiques : payé par un consortium d’aliens baveux, le flingueur à gros cigares débarque sur Terre pour envoyer à la casse The Mask. Voilà, c’est tout. S’ensuit baston sur baston à coups de délires visuels et gore adorant foutre ses doigts purulents dans son nez en disant des gros mots. Un véritable feu d’artifice où Tex Avery croise Evil Dead et LA pépite de ce volume plus subversif qu’il n’y paraît…

Olivier Badin

Joker vs The Mask de Henry Gilroy, John Arcudi, Alan grant, Ramon F. Bachs et Douge Mahnke. DC Comics/Dark Horse/Urban Comics. 23 euros

13 Oct

Extension du domaine de la loose : le ticket gagnant de Pascal Valty

Ne cherchez pas un rapport quelconque avec le livre de Houellebecq, il n’y en a pas si ce n’est une partie du titre et peut-être un certain regard sur la France, celle qui ne gagne pas mais s’échine à ne pas trop perdre. Et c’est déjà pas mal…

Pour ceux qui ont moins de cinq ans, même s’ils doivent être logiquement peu nombreux à lire ces lignes, et ceux qui ont plus de 120 ans et n’auraient pas eu anglais première langue à l’école, une petite explication linguistique est peut-être nécessaire. La loose se caractérise par le manque de chance. Par extension, un looser est un malchanceux, un perdant.

Antoine n’est pas un looser à proprement parler, ou alors un looser volontaire, un gars qui ne rêve pas de se faire remarquer, d’avoir du succès, de briller dans les soirées mondaines. Non, son truc à lui, c’est qu’on lui foute la paix, qu’on l’oublie.

Il a pourtant un nom pas franchement minable notre Antoine. Doisneau, oui Doisneau comme le photographe. Et un job qui fait chouette sur une carte de visite : enseignant dans une école de design. Oui mais voilà, Antoine n’est pas le genre de gars brillant à faire émerger des idées neuves. Ou alors sur un malentendu.

Malgré tout, Antoine se retrouve un beau jour à la tête d’un partenariat de premier plan avec une grosse société chinoise. De quoi le laisser sur le flanc, lui qui ne fait que fuir les responsabilités avec une certaine réussite de ce côté-là. Et ce n’est rien par rapport à ce qui l’attend…

Bienvenue dans le monde de la France qui ne gagne pas, qui n’a pas de Rolex à 50 ans et qui n’en veut pas. Un bon petit bouquin rafraichissant signé par un auteur qui n’a à priori rien d’un looser et qui a le souci du travail soigné !

Eric Guillaud

Extension du domaine de la loose, de Pascal Valty. Editions La Valtynière. 15,90€ (disponible le 20 octobre)

10 Oct

FIBD. Fauve Prix de la série 2022 : Spirou L’Espoir malgré tout d’Émile Bravo

Spirou est de retour pour le troisième et avant-dernier volet d’une saga unanimement saluée par la presse et plébiscitée par le public, une fiction à haute valeur de témoignage sur les heures les plus sombres de notre histoire contemporaine…

Il a beau être de papier, le célèbre héros au costume de groom né en 1938 sous les crayons de Rob-Vel a vraiment connu la guerre, laissant en transparaître les prémices dans ses aventures de l’époque, avant d’être mis au repos par la censure en septembre 1943 et de finalement réapparaître plus vaillant que jamais à la Libération. Oui, Spirou a traversé la seconde guerre mondiale, comme Fantasio d’ailleurs, personnage créé en 1942.

Le fait de le retrouver, de les retrouver, au coeur de ces années noires pour un récit fleuve signé Émile Bravo n’a donc rien d’un illogisme. Grâce à un travail de documentation acharné et à la reconstitution d’un contexte au plus juste, l’auteur donne à cette fiction la force d’un témoignage sur ce que fût cette période, les privations de liberté, la peur, la faim, la haine, la mort…

© Dupuis / Bravo

C’est ce que souhaitait l’auteur en démarrant cette quadrilogie, plonger Spirou, personnage simple auquel tout le monde peut s’identifier, dans le quotidien atroce de la guerre, de l’occupation, de la shoah, et le transmettre aux jeunes générations pour qu’elles n’ignorent pas le monde d’hier et comprennent le monde d’aujourd’hui.

Mission remplie, ce troisième volet débute dans un train qui roule en direction d’Auschwitz. À son bord, beaucoup de femmes, enfants et vieillards, tous juifs, et Spirou venu sauver Suzanne et P’tit Louis… Un épisode encore plus sombre que les précédents, plus personnel aussi reconnaît l’auteur, magnifiquement mis en images et en couleurs. Et toujours très instructif.

Eric Guillaud

L’Espoir malgré tout, troisième partie, d’Émile Bravo. Editions Dupuis. 17,50€

09 Oct

Le bluffant Dernier souffle de Thierry Martin en version papier

Parce qu’il avait envie de sortir de sa zone de confort, l’auteur Thierry Martin se lance un beau jour d’été un défi : improviser au jour le jour une histoire en publiant quotidiennement un dessin sur son compte Instagram. Avec à l’arrivée un western bien noir dont voici la version papier…

« Envie de lâcher prise, de sortir de ma zone de confort, un désir d’improvisation scénaristique et d’énergie graphique avec comme défi celui de publier un dessin par jour sur mon compte Instagram ». Voilà comment est né ce projet baptisé Dernier souffle, un projet né sur les réseaux sociaux, à raison d’une case par jour du 4 août 2018 au 15 mars 2019, avant d’être finalement proposé en version papier dès 2019 aux éditions Black & White et aujourd’hui aux éditions Soleil.

Un format à l’italienne sous fourreau, une vignette par page, 222 pages… L’objet est séduisant mais pas que, Thierry Martin au-delà du défi qu’il s’était donné et qu’il a admirablement remporté, signe ici un western très sombre, une histoire de vengeance qui finit forcément dans le sang. Pas une parole, juste des dessins qui expriment toute la brutalité, la sauvagerie de l’histoire.

C’est sombre et violent mais absolument brillant graphiquement, Thierry Martin dont on a déjà pu mesurer le talent à travers ses ouvrages Roman de Renart (Delcourt), Nam-bok (Futuropolis) ou encore Myrmidon (Éditions de la Gouttière) s’échappe ici de ses habitudes pour notre plus grand bonheur. 

Eric Guillaud

Dernier souffle de Thierry Martin. Éditions Soleil. 26€

07 Oct

Visa Transit volume 3 : la fin d’une aventure, le début des souvenirs

Et voilà ! Le périple de Nicolas de Crécy et de son cousin Guy s’achève comme prévu en Turquie, du côté d’Antalya sur la côte méditerranéenne. Un troisième volet qui à l’instar des deux premiers, nous parle certes de voyage mais aussi de mémoire…

Une Visa Club en fin de vie, un coffre rempli de livres, des petits rideaux pour l’intimité et un radar 2000 en guise de GPS, on retrouve Nicolas de Crécy et son cousin Guy dans leur conquête de l’Est, un peu comme un remake de la croisière Citroën, mais avec la mémoire pour carburant.

Toute cette histoire a commencé au fond d’un jardin en région parisienne en 1986, le jardin d’un oncle où rouille doucement une Citroën Visa Club en fin de vie. Une épave. Plutôt que de l’emmener à la casse, Nicolas de Crécy et son cousin décident de la mettre à l’épreuve. Ils changent les bougies, l’essuie-glace, les feux arrière, les câbles de freins et direction l’est, le plus loin possible, la Turquie en ligne de mire, Istanbul au moins, Ankara peut-être et au-delà si affinités.

Et ils y parviennent en Turquie, à Istanbul d’abord qu’ils fuient très rapidement, à Ankara ensuite où Guy retrouve pour quelques heures sa douce et tendre venue rejoindre ses parents expatriés et logés dans un des quartiers chics de la capitale.

Mais l’aventure ne pouvait se terminer dans « une sorte d’enclave française » avec tout le confort nécessaire. En dignes aventuriers, Nicolas et Guy reprennent la route pour aller encore plus loin. Ce sera finalement Antalya leur dernier point de chute, encore quelques centaines de kilomètres, quelques heures de conduite, quelques nuits « pourries » à dormir dehors directement sur le sol ou recroquevillés dans le Visa, et quelques souvenirs qui reviennent à l’esprit de Nicolas comme cette maladie qui lui a été diagnostiquée à 22 ans, une spondylarthrite ankylosante, un nom à dormir debout, une pathologie qui ne se guérit pas mais se soigne. « Je n’avais pas d’autre choix que de m’y habituer ».

Peu adepte des récits réalistes et encore moins des autofictions, Nicolas de Crécy nous offre pourtant ici un récit passionnant de bout en bout en parvenant comme il le dit lui-même à rendre assez fidèlement « ces petits morceaux de vie vieux de 35 ans ». Mais ce récit n’est pas un récit de voyage comme les autres. Pas ou peu de rencontres, pas de visites de monuments, Nicolas et Guy refusent jusqu’au bout de jouer les touristes moyens même s’ils ne résistent pas à un petit plongeon dans la mer à la fin de leur périple.

À travers cette épopée motorisée, l’auteur nous amène à réfléchir sur la problématique de la mémoire, ces instants qu’on imprime à vie, les autres qu’on oublie plus ou moins vite. Il en profite aussi pour nous raconter son enfance, sa jeunesse, un voyage au coeur du passé et de ce qu’il en reste avec une touche de poésie amenée par les multiples apparitions du poète Henri Michaux.

Eric Guillaud 

Visa Transit tome 3, de Nicolas de Crécy. Gallimard. 23€

© Gallimard – Nicolas de Crécy

Près de Cholet au May-sur-Èvre : 14e édition du festival de la BD engagée les 9 et 10 octobre

Aventure, humour, polar, documentaire, biopic… le champ des possibles en bande dessinée est quasiment infini, le festival du May-sur-Èvre a décidé lui de s’intéresser à la seule BD engagée depuis bientôt 15 ans. Au menu : deux jours de rencontres, dédicaces, débats, spectacles et expositions.

Extrait de l’affiche 2021 – © Morvandiau

La suite ici

05 Oct

Le coin des mangas : One Piece, Lucja, L’école emportée, Terrarium, L’Île aux escaliers, Shadows House, 100 Jours avant ta mort, Réimp’…

On en parle beaucoup en ce moment avec la sortie du tome 99 en version simple et collector, c’était le 15 septembre dernier, on en parlera encore beaucoup d’ici la fin de l’année avec la sortie du tome 100 annoncé pour le 8 décembre, la série du Japonais Eiichiro Oda continue son ascension dans le top One du manga le plus lu et le plus connu sur la planète Terre et peut-être au-delà. Plusieurs centaines de millions d’exemplaires vendus à travers le monde, un univers unique, un mélange d’aventure, de fantastique et d’humour, et un héros baptisé Lufy qui rêve de devenir le roi des pirates (One Piece, 99 tomes parus, de Eiichiro Oda. Glénat. 6,90€)

Étonnant manga que celui-ci, Lucja, c’est son nom, c’est aussi le nom de l’héroïne, se déroule en Pologne, oui oui, au XVe siècle dans un univers qui relève à la fois du médiéval et du steampunk, où se côtoient chevaliers en armure et automobiles, châteaux forts et machines à vapeur, folklore populaire et costumes traditionnels slaves. Sur cette terre de chevaliers, d’acier et de vapeur, la jeune Lucja combat pour le titre de roi-chevalier à la force de ses poings d’acier mus par la puissance… de la vapeur bien sûr. (Lucja, tome 1, de Coji Inada. Vega Dupuis. 8€)

Changement de décor et d’univers avec L’École emportée du mangaka  Kazuo Umezz. Considéré comme son chef d’oeuvre, il est ici proposé dans une nouvelle édition en six tomes, deux sont d’ores et déjà disponibles. L’histoire : la disparition brutale d’une école primaire et de tous ses occupants mystérieusement projetés dans un monde désertique. Plus de maisons, plus de routes, plus personnes, plus une trace de l’ancien monde. Sidérés, choqués, les adultes se sont tous suicidés laissant les enfants à leur triste sort. Tous suicidés sauf un, le professeur Wakahara qui s’est donné pour objectif d’éliminer chaque enfant… Pour ceux qui aiment les récits d’horreur. (L’Ecole emportée, tome 1, de Kazuo Umezz. Glénat. 10,75€)

Le jeune Nanakusa habite une île de 2000 habitants coupée du reste du monde et traversée par un escalier, immense. Tous les matins, il doit l’emprunter pour rejoindre l’école. Mais l’escalier continue encore plus loin, encore plus haut. On dit qu’il mène à la maison d’une sorcière que personne n’a jamais vue. de quoi donner des envies de fuite à certains. Mais pour quitter l’île, les candidats à l’exil doivent d’abord trouver ce qu’ils ont perdu en arrivant ici-même. Une belle énigme à résoudre. En attendant, Nanakusa, lui, n’a pas vraiment envie de partir, surtout depuis l’arrivée de la belle Yû Manabe…  (L’ïle aux escaliers, tome 1, de Yutaka Kono et Ai Uzuki. Delcourt/Tonkam. 7,99€)

Manga repéré par les libraires français lors d’un voyage au Japon organisé à l’occasion des 50 ans de la maison d’édition, Terrarium est un petit bijou graphique et poétique qui nous embarque dans un monde en ruine, dévasté par la guerre, où déambule un tandem bien étrange, Chico, technologue d’investigation, et son petit frère Pino. Tous les deux explorent ce monde ou du moins ce qu’il en reste, une succession de colonies délabrées où les robots poursuivent inlassablement leurs tâches, ici soigner des êtres humains réduits à l’état de squelettes depuis longtemps, là distribuer du courrier à des destinataires qui ne sont plus en état de lire quoi que ce soit. L’auteur, Yuna Hirasawa, expliquait en post-face du premier volet paru en juin répondre ici à certaines des interrogations qu’il avait à l’adolescence. Qu’est-ce qu’être humain ? Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que je suis ? Tout un programme. (Terrarium, 2 tomes parus, de Yuna Hirasawa. Glénat. 7,60€)

Vous rêvez de devenir mangaka comme à peu près le quart de la population planétaire ? Alors, cette nouvelle série baptisée Réimp’ et dont le premier volet vient tout juste de sortir est faite pour vous. Non seulement, il s’agit d’un manga dans la forme mais il parle du manga dans le fond avec une héroïne, Kokoro Kurosawa, judoka obligée de changer de métier à la suite d’une blessure, prête à tout pour se faire embaucher dans une maison d’édition. Libraires, graphistes, éditeurs, commerciaux, mangaka… C’est tout un univers qu’elle découvre et nous fait découvrir par la même occasion. En bonus, un entretien avec Quentin Gratpanche, responsable commercial pour les éditions Glénat. Il explique les différences entre la France et le Japon en matière d’édition et de commercialisation des mangas. Judicieux !(Réimp’!, tome 1, de Naoko Mazda. Glénat. 7,60€)

Une atmosphère victorienne gothique sophistiquée et un graphisme de caractère qui se démarque de la production classique, Shadows House du duo So-ma-to, Nori au scénario et Hisshi au dessin, s’affirme dès le départ comme une série à part. Et côté histoire, c’est la même chose, So-ma-to nous ouvre les portes du manoir de la famille Shadow avec une petite particularité : ses membres n’ont pas de visages et pallient cet état de fait en employant des poupées vivantes chargées de les servir et d’interpréter leurs émotions. Emilico est la poupée vivante de la jeune Kate Shadow. Tout juste arrivée à son service, elle doit apprendre à répondre à ses envies et à refléter sa personnalité. En attendant, elle frotte la suie que le vidage de sa jeune maîtresse laisse un peu partout dans la chambre… Faut-il mieux être que paraître ? Shadows House est un petit bijou de mystère et de douce réflexion. Le tome 6 vient de paraître… (Shadows House, 6 tomes parus, de So-ma-to. Glénat. 7,60€)

On termine avec le 4e volet de 100 Jours avant ta mort. Taro a un pouvoir : celui de visualiser un décompte sur tous les êtres vivants à qui il reste moins de 100 jours à vivre. Et c’est justement le nombre de jours qui s’affiche devant Umi son amie d’enfance à qui il vient de déclarer sa flamme. Un macabre compte à rebours qu’ils vont ensemble tenter de stopper. Comment augmenter l’espérance de vie de sa bien aimée ? Tout simplement en lui faisant battre son coeur… Mignon !  (100 jours avant ta mort, 4 tomes parus, de Migihara. Glénat. 7,60€)

Eric Guillaud

04 Oct

Ces prisonniers qui ont dit non à l’Amérique raciste et qui en ont payé le prix fort

Il y a cinquante ans tout juste, lassés de leurs conditions de détention inhumaines, les prisonniers de la prison d’Attica sur la côte est américaine se sont mutinés. Une révolte réprimée dans le sang racontée ici d’une façon presque documentaire…

Il faut remettre les choses dans leur contexte. En 1971, aux États-Unis, le Summer Of Love n’est déjà plus qu’un lointain souvenir, Richard Nixon est au pouvoir, le pays est encore embourbé dans la guerre du Vietnam et le racisme au pouvoir dans de nombreux endroits, particulièrement dans le sud. C’est pour toutes ces raisons que l’histoire de la révolte de la prison d’Attica dans l’état de New York est aussi symbolique.

Sur 2300 détenus, 1600 sont noirs. Mais tous vivent dans des conditions exécrables, sous la coupe de gardiens brutaux et ouvertement racistes. Un volcan prêt à exploser, ce qui finit par arriver le 9 Septembre. Suite à des rumeurs de torture sur des prisonniers, une révolte éclate et quarante-deux gardiens et employés sont alors pris en otage. Les demandes des mutins ? Ne plus être traités comme des bêtes, avoir accès à des soins dignes (ils n’avaient droit alors qu’à une douche par semaine !) ou à l’éducation etc. Ils réussissent même à s’autogérer, sans violence. Malgré tout, le gouverneur de l’état, qui vise à se présenter à l’élection présidentielle, donne l’autorisation à l’armée de donner l’assaut au bout de quatre jours de négociation.

Le bilan est terrible : trente-neuf morts, dont vingt-neuf prisonniers. Sur le coup, la police prétend que tous ont été victimes des rebelles mais l’enquête confirmera, bien plus tard, que tous ou presque sont en fait morts sous les balles des militaires. Le scandale est énorme, mettant la prison au cœur du débat publique, suscitant des manifestations à travers le pays et inspirant de nombreux artistes, du saxophoniste Archie Shepp (l’album Attica Blues) à John Lennon (‘Attica State’) tout en devenant un symbole pour les militants pour les droits civiques.

© Panini Comics / Reinmuth & Améziane

C’est cette histoire, sous la forme d’un roman graphique très documenté et centré sur le personnage de Frank ‘Big Black’ Smith qui est racontée ici. Sans fioriture, à la limite de l’austérité car centré sur de longs dialogues en gros plans mais d’une dureté assez étonnante car terriblement réelle.

Le récit est essentiellement raconté du point de vue de Smith, prisonnier à Attica en charge de la sécurité au sein des mutins et dont le calme impérial est à l’exact opposé de son physique de colosse dont il a tiré son pseudonyme. Le tout commence par la fin en quelque sorte avant de remonter le temps d’une façon quasi-documentaire, crue et franchement violente. Les mauvais traitements, les insultes ou encore le cynisme absolu des autorités… Rien n’est épargné au lecteur.

Même les choix de couleurs – une sorte de noir et blanc jauni où surgit parfois le rouge lorsque la violence explose – semblent souligner à leur façon le côté oppressant et désespéré de la situation. Difficile d’ailleurs de ne pas faire un parallèle entre ce qui s’est passé sous Nixon et, quasiment cinq décennies plus tard, la résurgence de la haine raciale sous l’administration Trump. Avant tout une leçon d’histoire qu’une bande dessinée mais une leçon coup de poing, pas si lointaine de nous que ça.    

Olivier Badin

Big Black – Stand At Attica de Jared Reinmuth & Améziane, Archaia/Boom Studios/ Panini Comics. 19,95 euros.

02 Oct

Kill Annie Wong, La Falaise, Debout les morts, Bangalore, René.e : la belle rentrée des éditions Sarbacane en cinq albums

Chez Sarbacane, on prend le temps de faire des livres, on prend le temps de les penser, de les fabriquer, de les peaufiner. On aime les histoires, on aime aussi l’objet. La rentrée 2021 ? Plus d’une vingtaine de livres entre août et septembre, parmi lesquels sept bandes dessinées. En voici cinq qui ont attiré notre regard et titillé notre imaginaire…

On commence avec René.e aux bois dormants, un magnifique album de 272 pages signé Elene Usdin, artiste française qui a débuté comme peintre pour le cinéma et illustratrice de presse et de livres jeunesse. René.e est son premier roman graphique. Il s’en dégage une atmosphère très particulière, un univers très coloré, très créatif où le quotidien le plus sombre côtoie le surnaturel le plus débridé. Aux origines du récit, ce qu’on appelle au Canada la rafle des années 60 : l’enlèvement de milliers d’enfants autochtones à leur communauté d’origine pour les faire adopter par des familles des classes moyennes blanches. 

René est l’un d’eux. Il a dix ans, a été adopté, habite au dixième étage d’un immeuble dans une grande ville. Il ne ressemble pas à sa mère, les enfants de son âge le rejettent. Ils disent qu’il a été acheté. Alors, René se laisse happé par les rêves. En pyjama, il part à la recherche de sa peluche Sucre Doux qui s’est enfui. Les rêves l’entraînent dans un univers peuplé d’étranges créatures au contact de qui il se métamorphose lui-même, devenant tour à tour fille, chatte ou arbre. Et peu à peu, page après page, rencontre après rencontre, la déambulation de René révèle le drame qu’il a vécu. Un voyage entre mythe et réalité. (René.e aux bois dormants, d’elene Usdin. 29,50€)

Il s’appelle Enzo, comme le héros du Grand bleu, sauf que lui ne fait pas dans la plongée en apnée. Non, son truc, c’est plutôt le dézingage. Enzo est tueur à gages, il fait son boulot avec sang-froid, efficacité et en musique s’il vous plait. Toujours le même morceau, toujours la même voix d’une mystérieuse chanteuse. Et il est connu pour ça dans toute la mégalopole coréenne de Chogsu Siti. Mais son dernier contrat ne va pas se passer comme prévu.

Contacté par le chef de la police locale, Enzo est chargé de déstabiliser Mon-Sik, une espèce de mafieux qui souhaite se présenter à la mairie. Et pour le déstabiliser, rien de mieux que de s’en prendre à sa petite amie, une cantatrice célèbre du nom d’Annie Wong. Rien de bien sorcier pour Enzo sauf qu’au moment de passer à l’acte, il comprend que la voix qui passe en boucle dans sa tête, c’est celle de cette femme… Un thriller brillant et original, emmené par le superbe trait de Gaël Henry, auteur par ailleurs de Jacques Damour ou Tropique de la violence également aux éditions Sarbacane (Kill Annie Wong, de Meralli, Henry et Bona. 24€)

Vous avez aimé Bangalore en noir et blanc ? Alors vous adorerez Bangalore en couleurs. Et si vous ne connaissiez pas Bangalore, alors c’est le moment de le découvrir. L’album de Simon Lamouret sorti en 2017 chez Warum rejoint les éditions Sarbacane avec une splendide réédition en couleurs. Tout y est, le trait précis de l’auteur, les planches aux mille détails, l’humour dans toutes le cases ou presque et l’âme de cette mégalopole de près de 9 millions d’habitants, oui tout y est, la couleur en plus.

Mais que raconte Bangalore ? L’album ne raconte pas un voyage mais une suite d’anecdotes de la vie quotidienne. Des saynètes en une ou deux pages décrivent la ville et les gens qui la font, la circulation de folie, les chargements improbables qui font vaciller motos et vélos, l‘urbanisation anarchique, les multiples petits métiers de la rue, la vie nocturne, les mariages arrangés ou encore la misère des ouvriers de chantiers. Et Simon Lamouret connaît bine tout ça puisqu’il y a habité pendant trois ans.

« J’ai arpenté cette ville et ai posé mon regard sur les interactions qui se déroulent dans la rue. Devant le spectacle des passants anonymes, de ces acteurs des trottoirs, j’ai tenté de décoder une part de l’âme indienne, sans chercher à démontrer, en regardant et en écoutant, pour retranscrire, de la façon la plus juste, ce que j’ai cru percevoir de ce peuple ».

Un somptueux album grand format avec un dos toilé rose du plus bel effet. (Bangalore, de Simon Lamouret, couleurs de Meriem Wakrim. 28€)

Attention, petit chef d’oeuvre ! Pourquoi petit me direz-vous ? Tout simplement parce qu’il s’agit ici du premier roman graphique de l’autrice et qu’on n’aurait plus suffisamment de qualificatifs pour les suivants. Laissons donc « grand chef d’oeuvre » disponible pour le prochain. La Falaise, c’est son nom, nous embarque dans le monde de l’enfance, un monde pas toujours synonyme d’innocence. D’ailleurs, Astrid et Charlotte, Charlie pour la façade, se sont jurées de quitter ce monde avant leurs 13 ans. Comment ? En sautant du haut d’une falaise. Elles n’ont pourtant pas grand-chose en commun, pas grand-chose à partager, même à l’école elles ne s’approchent pas l’une de l’autre, mais elles se retrouvent sur ce point-là : envie d’en finir, envie de sauter le pas… et « après moi le déluge ».

Manon Debaye aborde la question de l’adolescence, de l’amitié, du harcèlement et du suicide avec beaucoup de finesse dans le trait et dans le propos. Page après page, le scénario d’une limpidité exemplaire nous absorbe littéralement pour nous emmener vers la fin et nous ramener à notre propre adolescence. Un album à la fois très beau dans la forme et très cruel dans le fond, à l’image de la vie parfois. (La Falaise, de Manon Debaye. 25€)

Il nous avait ébloui avec Le Rêve de Météor Slim paru aux éditions Sarbacane en 2017 et plus récemment avec Le Peintre hors-la-loi chez Casterman, Frantz Duchazeau revient nous titiller l’imaginaire avec Debout les morts, une fantaisie purement macabre qui nous embarque pour le Mexique en compagnie d’Emiliano Zapata, non pas le fameux révolutionnaire mais son fils, qui lui aussi rêve de son heure de gloire. Jusqu’au jour où les morts de la Révolution se lèvent et marchent, prêts à en découdre avec ceux qui les ont mis dans le trou. C’est la fête des morts, la fête de Los Muertos, et ça va saigner. Fuego ! (Debout les morts, de Frantz Duchazeau. 24€)

Eric Guillaud

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