Le réalisateur Sam Raimi est-il soluble dans le désormais tentaculaire et parfois écrasant univers MARVEL ? Aujourd’hui sort la nouvelle adaptation cinématographique des aventures du héros le plus mystique de la « Maison des Idées ». Premières impressions…
Non, le réalisateur culte de la trilogie Evil Dead n’est pas un débutant dans l’univers MARVEL. Au contraire, aux côtés de Bryan Singer et de son X-men, il a même contribué à lancer le mouvement des films de super-héros il y a pile-poil vingt ans avec la toute première adaptation ciné de Spider-Man. Sauf qu’après deux autres suites et pas mal de démêlés avec la production, il avait laissé le gouvernail à d’autres pour voguer vers de nouvelles aventures, sans deviner que le monstre de Frankenstein qu’il avait contribué à créer allait devenir par la suite le mammouth qu’il est devenu aujourd’hui.
Son retour dans le giron familial si l’on peut dire était donc sur le papier un excellent ‘coup’. Au moment où malgré le carton monumental de Spider-Man : No Way Home (avec plus de sept millions d’entrées rien qu’en France) on sent un public à deux doigts de la saturation, récupérer ainsi un réalisateur-auteur à la patte respectée et ayant déjà fricoté avec les super-héros a rassuré les fans. Surtout lorsque fut annoncé que le berceau sur lequel il allait se pencher était celui de Doctor Strange.
De tous les héros MARVEL, le docteur en arts mystiques Stephen Strange a toujours été le plus psychédélique. Ancien chirurgien devenu magicien, c’est avec lui et grâce à ses nombreux voyages astraux ou dans d’autres dimensions que son co-créateur le grand Steve Ditko avait pu se lâcher complètement, jouant aussi bien avec les formes que les couleurs délirantes et novatrices à une époque (les années 60) où un certain conservatisme régnait encore pas mal dans le monde des comics. Sous la plume de Gene Colan une décennie plus tard, le personnage a ensuite surfé avec succès sur la popularité du style occulte ou horrifique suscité par des films comme L’Exorciste ou Damien La Malédiction pour devenir encore plus trippant.
Avec d’un côté l’expertise reconnue de Sam Raimi en matière de films de genre et de l’autre les possibilités désormais quasi-infinies offertes par les effets spéciaux, MARVEL est semble-t-il prêt à faire un pari, allant même pour la première fois jusqu’à promettre un film d’horreur cosmique lovecraftien. Sous-entendu : plus pour les adultes que pour les enfants. On allait voir ce que l’on allait voir !
Au final, le résultat est mitigé. Les fans des comics en auront pour leur argent et pourront repérer toutes les références laissées ci et là exprès pour eux. Ce n’est pas pour rien que le film démarre par une bataille dans les rues de New York contre Shuma-Gorath, créature tentaculaire à œil unique crée par le scénariste Steve Englehart en 1972. On rassure aussi les cinéphiles : oui, on reconnaît le style Raimi d’entrée, avec de nombreux clins d’œil (comme le cameo de son acteur fétiche Bruce Campbell) d’ailleurs un chouïa trop appuyés à l’appui. Seul lui pouvait d’ailleurs s’amuser à transformer ainsi l’un des nombreux alter-ego du Doctor Strange issue d’une dimension parallèle en zombie grimaçant au visage à moitié rongé. Ou encore ‘tuer’ avec panache et un plaisir quasi-sadique certains super-héros (non, pas de spoiler, promis !). Surtout, il le fait avec de vraies idées de cinéma dedans, avec des mouvements de caméras audacieux et décadrages subtils. Lorsque Strange et sa jeune acolyte America tombent à travers plusieurs dimensions, séquence aussi merveilleuse que cruellement courte, on touche même du doigt le merveilleux. On apprécie également que la figure désormais imposée d’un second humour parfois un peu envahissant des autres productions ait été gentiment prié de rester dans son coin sans broncher. Oui, Sam Raimi est bien là. Le problème est qu’il n’est pas tout seul.
Car ces moments, franchement assez jouissifs, doivent hélas trop souvent cohabiter avec des figures imposées qui avaient déjà un peu plombées les autres adaptations. Sans trop de surprise, malgré ses promesses, MARVEL n’a une nouvelle fois pas pu s’empêcher de fourrer son nez partout et d’imposer sa morale, érigeant par exemple la famille en parangon de vertu absolu, empêchant ainsi le film de devenir totalement l’objet déviant et transgressif qu’il aurait pu et dû être. Surtout que ce long-métrage pour une fois assez condensé (‘seulement’ deux heures) embrasse à fonds l’idée des multivers déjà abordé dans la série Wandavion et No Way Home, concept vertigineux d’un nombre infini de mondes parallèles aux différences parfois infinitésimales avec le nôtre. Quitte à parfois perdre un peu le téléspectateur.
Après, même un Sam Raimi obligé de faire des concessions et de se fondre dans un moule reste un grand réalisateur, même si moins corrosif qu’il y a trente ans. Et aux côtés de Hugh Jackman dans le rôle de Wolverine ou de Robert Downey Jr dans celui d’Iron Man, Benedict Cumberbatch est l’une des merveilles incarnations d’un personnage MARVEL, avec ce qu’il faut de classe et de flegme. Même si Doctor Strange In The Multiverse Of Madness n’est pas totalement le coup de tonnerre annoncé, de toutes les productions Marvelesques récentes, elle est l’une de celles où la personnalité à la fois de son héros et de son réalisateur ont le plus réussit à s’imposer… Mais le grand film de super-héros d’auteur dans l’univers MARVEL (Christopher Nolan a lui, déjà, coché la case DC COMICS avec The Dark Knight) reste encore à faire.
Olivier Badin
Doctor Strange In The Multiverse Of Madness de Sam Raimi. En salles depuis le mercredi 4 Mai 2022.