Il s’est fait connaître en France avec la série Megg, Mogg & Owl publiée chez Misma, Simon Hanselmann est de retour avec un volumineux album coédité par Dupuis et Seuil qui nous permet de retrouver ses principaux personnages et un reflet peu flatteur de notre monde en ces temps de pandémie. Miroir, mon beau miroir, sommes-nous aussi abjects ?
Ne vous fiez pas à la couverture colorée et à la galerie de personnages animaliers, on est loin de la série de livres pour enfants des années 70 baptisée Meg and Mog à laquelle Simon Hanselmann fait tout de même ici un clin d’œil. Oui, très loin, Megg, Mogg & Owl n’a absolument rien d’un conte pour la jeunesse, tout d’un divertissement pour adultes avertis et consentants.
Et il vaut mieux être averti. Et consentant. Tant l’auteur pousse parfois très très loin les limites du bon goût. Pas une page sans défonce, sans fornication, sans défécation, sans grossièretés langagières. Zone de crise fait dans le trash absolu histoire de nous mettre le nez bien profond dans nos zones sombres.
Et ça marche. À la très grande surprise de l’auteur lui-même, Zone de crise a reçu l’Eisner Award de la meilleure bande dessinée en ligne et connu un énorme succès de l’autre côté de l’Atlantique. « La première grande œuvre sur la pandémie! », titrait le New York Times, « Le traitement outrancièrement graphique que 2020 méritait« , pouvait-on lire dans Forbes, bref du déjanté acclamé par les plus sérieux organes de presse et adoubé par les plus grands auteurs américains que sont Chris Ware, Art Spiegleman, Charles Burns ou encore Daniel Clowes, comme tiennent à nous le signifier les éditeurs.
Et que raconte Zone de crise ? La pandémie, le confinement, la vie masquée, les pétages de plomb, les théories complotistes, les tests, l’arrivée des vaccins… tout ça tout ça et bien plus encore puisque l’auteur comme à son habitude y capture la vie de la société américaine et plus largement occidentale autour de ces personnages singuliers et fortement cash, Megg la sorcière qui trouve refuge dans les jeux vidéo, Moog le chat camé qui enchaine les vidéos complotistes sur YouTube, Olw le hibou qui se découvre une compétence de chef ou encore Werewolf Jones, le chien qui profite du confinement pour se lancer dans le porno anal.
« Les gens dans le monde étaient tous coincés dans leurs piaules… », explique Hanselmann en postface, « en quête désespérée de distraction face à la situation cauchemardesque dans laquelle nous nous retrouvions tous ensemble simultanément. J’étais en bonne posture pour déverser du divertissement gratis et facilement accessible pour la populace. J’avais quelques bonnes années derrière moi et mon loyer était payé pour l’année. J’ai donc décidé d’œuvrer avec abnégation à devenir « le poète du peuple ».
Prépublié sous forme d’un feuilleton en ligne dans une version légèrement différente du 13 mars au 22 décembre 2020, Crisis Zone, Zone de crise pour le titre en français, est publié de ce côté-ci de l’Atlantique en un gros volume de près de 300 pages avec épilogue inédit et commentaires de l’auteur, le tout coédité par Seuil et plus étrangement la maison Dupuis qui n’a jamais, de mémoire, été aussi loin dans le déjanté trash.
Un album parfois déconcertant, voire dérangeant, souvent étrange, mais qui n’a qu’un objectif : nous divertir en prenant le risque de nous choquer et nous faire oublier un peu cette p… de pandémie.
Eric Guillaud
Zone de crise, de Simon Hanselmann. Dupuis / Seuil. 25€