Une banlieue triste, des adolescents – au mieux – incompris par leurs parents et qui s’ennuient, une entreprise opaque cachant manifestement des choses, des rumeurs parlant de monstres aperçus ici et là… Le pitch d’un film fantastique des années 80 ou d’un épisode de la série Stranger Things, ce qui revient au même ? En partie. Sauf qu’Immonde ! (oui, avec un point d’exclamation) va beaucoup plus loin que ça…
Il y a d’abord cet univers graphique, faussement simplifié mais qui permet au final d’exprimer beaucoup de choses. Puis cette colorimétrie particulière, dominée par des couleurs verdâtres, rosâtres ou encore violette maladives. Mais surtout il y a un double sous-texte, à la fois écologique et sociétale.
Morterre est l’une de ces innombrables petites villes industrielles tristes et paumées au milieu de nulle part, où le seul véritable employeur est une énorme entreprise d’extraction de minerais radioactifs, Agemma, dont on ne sait pas grand-chose mais sur laquelle on n’ose rien dire, tant son emprise sur la région est grande. Tout juste arrivée de Paris après le décès de sa mère, la jeune Nour, dix-sept ans, devient amie avec Jonas et Camille, deux élèves un peu à part du lycée local, victimes de brimades perpétuelles de leurs autres camarades et fanas de films d’horreur. Après une série de disparitions inexpliquées, les trois adolescents décident de découvrir ce qui se passe vraiment derrière les murs de l’Agemma…
Ici, si les monstres (spoiler : il y en a) ont un côté à la fois maladif et en même temps presque poétique, ce qui intéresse l’auteure Elizabeth Holleville, ce sont ses personnages principaux. Et surtout comment ils vivent cette douloureuse période de transition qu’est l’adolescence, avec toutes les questions qui vont avec, notamment sexuelles. Ne pas savoir qui nous sommes vraiment, quelle est sa place, y a t-il autre chose à attendre de la vie que cette vie rangée dans une petite ville ennuyeuse… Autant de questions abordées ici avec pas mal de finesse, sans pour autant être ni didactique ni moralisateur. Et avec donc l’Agemma en guise de croque-mitaine, sorte d’hydre phagocytant tout et auquel nos trois héros veulent à tout prix échapper, comme une métaphore de ce que leur réserve, peut-être, la vie adulte à laquelle ils veulent absolument échapper.
Un roman graphique de genre comme on dit, au titre sans équivoque et qui, pourtant, reste profondément… Humain.
Olivier Badin
Immonde!, d’Elizabeth Holleville. Glénat. 22,50 euros