03 Déc

Il s’appelait Ptirou : Yves Sente et Laurent Verron nous embarquent pour un voyage aux origines du personnage Spirou

9782800170695-couv-M800x1600Il y a le Spirou des mythiques aventures de Spirou et Fantasio. Il y a aussi depuis quelques années, une trentaine quand même, le Petit Spirou qui a sacrément dépoussiéré la bande dessinée jeunesse à ses débuts. Il y a enfin le Spirou de…, des aventures hors série animées par des auteurs d’horizons divers mais réunis par une passion commune pour le personnage et l’univers…

Après Schwartz, Yann, Frank, Zidrou, Bravo, Le Gall ou encore Trondheim, c’est au tour d’Yves Sente au scénario et Laurent Verron au dessin de proposer leur propre vision de Spirou avec une histoire qui se déroule à la fin des années 20, bien avant la création du fameux journal qui allait porter son nom. Rien de plus nomal puisqu’au delà de la fiction imaginée par les deux auteurs, très ancrée dans le difficile quotidien de l’époque, c’est bien de la naissance du personnage dont il est ici question.

Et qui mieux que L’oncle Paul, qui fit les beaux jours du journal Spirou dans les années 50 (Les Belles histoires de l’oncle Paul), pour raconter cette histoire ?

« Puisque j’avais décidé de triturer l’univers du journal Spirou… », explique Yves Sente, « autant y aller à fond ! J’ai donc convoqué l’oncle Paul et décidé de lui faire raconter « sa plus belle histoire » : celle de la naissance de Spirou ».

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

Nous sommes le 24 décembre 1959, toute une famille se prépare à célébrer Noël lorsque le fameux oncle débarque, entraîne les enfants de la maison dans le salon et entreprend de leur raconter l’histoire de Ptirou, un gamin à la tignasse ébouriffée et rousse, orphelin et débrouillard qui força la chance, une trentaine d’années auparavant, pour se faire embaucher comme mousse sur un paquebot transatlantique.

Avec un nom pareil, un costume comme le sien, aucun doute, Ptirou ressemble beaucoup à notre Spirou de papier. Il suffit seulement d’une rencontre avec le dessinateur Robert Velter pour que le mousse devienne le personnage mythique que tout le monde connaît aujourd’hui, une rencontre qui se réalise dans ce récit telle qu’elle a pu se réaliser dans la vraie vie lorsque le dessinateur faisait office de steward sur les paquebots transatlantiques dans les années 20. Robert Velter, dit Rob-Vel, était impressionné par les mousses et leur costume rouge. Il les griffonnait déjà dans ses carnets.

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

Mais c’est un accident grave tuant l’un d’entre-eux sur le paquebot Île-de-France qui l’affecta énormément et qui – sûrement – décida Rob-Bel à s’inspirer de leur image pour donner naissance à Spirou en 1938, à la demande express de l’éditeur Paul Dupuis alors à la recherche d’un héros pour son nouveau journal.

Yves Sente et Laurent Verron ont imaginé autour de cette rencontre et de cette naissance de Spirou un récit d’aventure mais pas que. Il s’appelait Ptirou est avant tout une histoire qui se déroule à l’ombre des luxueux paquebots, dans le vrai monde, celui du travail et souvent de la misère.

« Ptirou est une histoire tragique, sans gags, avec les deux pieds dans le vrai monde… », raconte Laurent Verron, « Je voulais donc pratiquer un dessin avec de la matière, plus réaliste que d’habitude, qui ne fasse pas trop propre ».

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

La crise de 29 n’est pas loin et partout la misère et le chômage gagnent du terrain. Le bateau sur lequel navigue Ptirou est d’ailleurs sujet à des sabotages de la part de militants syndicalistes mécontents d’un projet de plan social comme on dirait aujourd’hui. 250 personnes doivent être virés de la compagnie maritime pour satisfaire les actionnaires.

« Le récit se déroulant à la fin des années 1920… », confie Yves Sente, « il était logique d’évoquer les conflits sociaux et les fractures grandissantes dans la société d’avant-guerre. J’ai donc évoqué dans mon scénario le conflit entre actionnaires et ouvriers de la compagnie maritime, mais aussi le conflit entre « ceux du pont » et « ceux de la cale ». Des thématiques qui parleront forcément aux lecteurs de notre époque, où la classe moyenne tend à disparaître entre une minorité d’ultra-riches d’un côté et des gens qui peinent à joindre les deux bouts, de l’autre côté ».

Une très belle aventure transatlantique qui nous permet de prendre le large et en même temps de découvrir les origines d’un des plus grands héros de la bande dessinée franco-belge. Un récit tragique, certes, mais dans lequel l’action côtoie en permanence l’émotion, l’imaginaire caresse le réel. Le trait de Laurent Verron vieilli, sali, pour l’occasion, est un pur régal et le personnage de Ptirou un Spirou en puissance qu’on a envie de revoir !

Eric Guillaud

Il s’appelait Ptirou, Le Spirou de… Sente et Verron. Éditions Dupuis. 16,50€

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

01 Déc

Les damnés de la Commune : Raphaël Meyssan raconte l’histoire du communard Lavalette à travers d’authentiques gravures de l’époque

Les-Damnes-de-la-Commune-01C’est un boulot de titan, un boulot de dingue. Un boulot de dingue mais un résultat saisissant, impressionnant ! Dans Les Damnées de la Commune, Raphaël Meyssan raconte l’histoire d’un communard dont on a oublié jusqu’à l’existence dans une BD exclusivement réalisée avec des gravures de l’époque…

Tout est parti, nous explique l’auteur-narrateur dans les premières pages de l’album, d’une étrange découverte à la bibliothèque historique de Paris. Dans un livre ancien, une adresse, 6 rue Lesage, la sienne précisément. Et un nom, Charles Lavalette, sergent du 159e bataillon pendant le siège de Paris, promu commandant par la Commune, un gars qui semble avoir compté à époque mais qu’on a complètement oublié, comme tant d’autres, aujourd’hui.

« Il y a avait dans mon immeuble, dans mon quartier si éloigné du centre de la cité, une histoire. Une toute petite histoire, effacée par le temps. Celle d’un homme inconnu enfouie dans une histoire méconnue : la Commune de Paris de 1871 ».

Piqué par la curiosité, Raphaël Meyssan plonge dans les archives papier, consulte des journaux, des centaines de journaux, et des gravures. Pendant des mois, des années, il cherche, trie, engrange, jusqu’à se demander quoi en faire ?

« Je suis parti à sa recherche comme on part en voyage. J’ai bourlingué dans le temps , parcouru les rues pour retrouver sa trace, arpenté des livres pour rattraper sa vie. Au milieu des archives, j’ai cherché son histoire « 

Son histoire, il l’a raconte finalement en BD mais d’une façon peu orthodoxe. Il faut préciser que Raphaël Meyssan ne sait absolument pas dessiner. Alors, son regard, son pinceau, son trait, il les trouvera dans les gravures de l’époque qu’il scanne, avant de recadrer, grossir, retourner, mettre en cases et ajouter le texte, exactement comme dans une bande dessinée classique.

Et il nous raconte ainsi l’histoire de cet homme, Lavalette, mais aussi et surtout l’histoire de la Commune, la République assiégée, l’insurrection du 31 octobre, le siège de Paris, la faim, le froid, la mort, le lait coupé à l’eau ou au plâtre, les animaux du zoo du Jardin des plantes qu’on abat pour avoir un peu de viande, Gustave Flourens, Auguste Blanqui, Jules Ferry….

C’est un travail extraordinaire que Raphaël Meyssan a réalisé ici. Il ne sait pas dessiner, comme il le reconnaît très librement, mais il sait manifestement raconter une histoire. Il aurait pu le faire avec les dessins d’un autre, il a préféré le faire avec des gravures authentiques de l’époque. Ce qui donne un caractère incroyable à l’album et permet une immersion totale du lecteur dans le décor de ces années troubles. un récit solidement bâti, un texte éloquent, une démarche singulière… Un album qui restera gravé dans nos mémoires.

Eric Guillaud

Les damnés de la Commune, de Raphaël Meyssan. Éditions Delcourt. 23,95€

 © Delcourt / Meyssan

© Delcourt / Meyssan

29 Nov

Persepolis : nouvelle réédition en monovolume du récit autobiographique de Marjane Satrapi

3603Paru initialement en quatre volumes entre 2000 et 2004, le récit de Marjane Satrapi a bénéficié dès 2007 d’une réédition en intégrale, pardon en monovolume comme on préfère dire à L’Association. Il y a donc tout juste 10 ans. L’occasion aujourd’hui pour l’éditeur de célébrer la chose avec une nouvelle intégrale, pardon un nouveau monovolume, et quelques légers changements…

Rien de fondamentalement différent bien évidemment, l’histoire reste identique dans son intégralité mais l’éditeur et l’auteure ont voulu se faire plaisir – en tout cas on le sent comme ça – avec un objectif commun : offrir aux lecteurs un bel objet. Et c’est réussi, la nouvelle couverture tout d’abord est sublime, les profils de Marjane enfant et ado-adulte sur fond rouge sont une très belle idée, tout autant que le format relié et cartonné. Et comme tout est dans le détail, on apprécie aussi les nouvelles pages de garde dessinées pour l’occasion par Marjane Satrapi.

Outre ces deux ou trois points, je vous le disais, rien n’a changé. Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire de Persepolis considérée depuis des années comme une référence dans le milieu de la bande dessinée et notamment dans le milieu de la BD autobiographique documentaire, il s’agit du récit d’une orientale en exil, Marjane donc, née iranienne en 1970, exilée en France en 1994. Entre les deux, Persepolis raconte la vie quotidienne d’une enfant, d’une ado et finalement d’une jeune femme issue d’une famille progressiste dans un pays qui va connaître en quelques années la révolution islamique et la guerre contre l’Irak.

 © L'Association - Satrapi

© L’Association – Satrapi

Port du foulard obligatoire, fermeture des écoles bilingues, interdiction de tout signe occidental, jean, bijoux ou badge de Michael Jackson, la vie prend des tournures que sa famille ne peut que réprouver. Marjane qui rêvait enfant de devenir prophète va s’éveiller au monde et à la politique dans ce contexte-là. Après une première période passé en Autriche où elle se familiarise avec la culture occidentale, Marjane finit par quitter son pays en 1994 pour la France avec en tête les mots définitifs de sa mère : « Cette fois, tu pars pour toujours. Tu es une femme libre. L’Iran d’aujourd’hui n’est pas pour toi. Je t’interdis de revenir! ».

La force du récit de Marjane Satrapi est de nous embarquer dans son histoire sur 350 pages, de partager avec nous ses espoirs, ses craintes, ses états d’âme, ses amours aussi, sans jamais nous perdre, sans jamais nous ennuyer. Le ton est résolument moderne, direct, drôle, tendre, émouvant, le graphisme en noir et blanc, dans un style simplifié, apporte une note universelle à l’ouvrage qui permet à chacun de s’y retrouver.

Adapté en film d’animation pour le cinéma en 2007, Persepolis a été sélectionné dans quantité de festivals et primé plus d’une dizaine de fois, notamment au festival de Cannes où il a reçu le Prix du Jury. Le livre, lui, a reçu l’Alph-art coup de coeur à Angoulême en 2001, l’Alph-art du scénario toujours à Angoulême en 2002, le Prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage… Vous cherchez une valeur sûre pour Noël ? Elle est là !

Eric Guillaud

Persepolis, de Marjane Satrapi. Editions L’Association. 36€

 © L'Association - Satrapi

© L’Association – Satrapi

27 Nov

Justice League : après le film , une anthologie de 400 pages pour tout connaître (ou presque) sur la bande de copains de Batman et Superman

justice-league-anthologieLe manque de notoriété de la ‘Justice League’ en France n’est pas un hasard, tout comme le fait que son adaptation cinématographique (en salles depuis le 15 Novembre) qui n’est que le xième avatar de toute la série de portage ciné d’aventures de super-héros qui envahit désormais plusieurs fois par an depuis une décennie tous nos contrats, et ce alors que le public est proche de la saturation comme le prouvent quelques beaux récents gadins au box-office (Wonder-Woman). Un regroupement plutôt factice et trop hétéroclite pour vraiment convaincre d’héros de divers horizons cherchant clairement à faire de l’ombre aux ‘Avengers’ mais sans jamais y arriver. D’ailleurs, dans la longue intro de cette compilation de douze récits emblématiques de la série publiés initialement entre 1960 et 2017, on ne cherche même pas à cacher que le but initial de ce ‘crossover’ (aventure voyant plusieurs héros de séries différentes se croiser) était d’utiliser les poids lourds de la maison DC, Superman et Batman, pour attirer le chaland et lui faire découvrir ainsi au passage d’autres héros, disons, mineurs (plus grand monde ne se souvient de John Johns le Martien ou d’Extensiman si ?) qui n’avaient pas percé jusqu’à maintenant.

Pendant vingt-cinq ans, on a donc l’impression que la ‘Justice League’ était comme une sorte de vitrine promotionnelle un peu balourde où, d’ailleurs, l’homme chauve-souris et le natif de Krypton faisaient des apparitions de plus en plus épisodiques. Les patrons de DC semblent le reconnaître eux-mêmes car sur les douze épisodes de cette anthologie, seulement quatre datent d’avant 1992 (soit trente ans après sa création !) et ont clairement été inclus avant tout pour raisons, on va dire, historiques comme Starro, Le Conquérant parce que ce fut le tout premier ou Une Ligue Divisée parce qu’il permet de faire rencontrer la ‘vieille’ ligue et la ‘nouvelle’.

 © Justice League, DC Comics/Urban Comics

© Justice League, DC Comics/Urban Comics

En fait, comme beaucoup d’autres, la ‘Justice League’ devra attendre les années 90 et l’entrée dans l’âge adulte des comics pour prendre, enfin, une tournure plus consistante. Les personnages prennent plus d’épaisseur et ne passent plus leur temps à bastonner à tout va alors que des thématiques plus ‘sérieuses’ (la quête d’identité, qu’est-on prêt à faire pour sauver le monde). Hier, Aujourd’hui, Demain (2006) se permet même, sous couvert de se lancer dans une sorte de résumé de leur histoire commune, de gros sous-entendu sur un éventuel triangle amoureux entre Batman, Superman et Wonder-Woman.

Comme les autres volumes de la série ‘DC Anthologie’, cette sélection très subjective reste quand même une excellente séance de rattrapage, même si les téléspectateurs qui n’ont découvert la ‘Justice League’ avec le film risquent d’être un chouia perdus, le tout restant quand même truffé de références plus ou moins cachées qui parleront avant tout aux fins connaisseurs de super-pouvoirs en tout genre. Cerise sur la gâteau quand même : cette couverture sublime, comme toujours dans le cas des DC Anthologies, signée Alex Ross.

Olivier Badin

DC Anthologie : Justice League, DC Comics/Urban Comics, 25€

26 Nov

Le coin des mangas. Sous le ciel de Tokyo, 12 ans, Masked Noise et Dream Team

9782344025246-GVoilà déjà le dixième volet de ce qui devait être au départ qu’une histoire courte. L’auteure, Nao Maita, n’en revient pas elle-même remerciant en dernière page ses lecteurs et surtout ses lectrices auquelles s’adresse ce manga des éditions Glénat. Une bouille toute ronde, des yeux écarquillés, des couettes, Hanabi Ayase, 12 ans, a su conquérir le coeur des filles avec des histoires qui tentent d’apporter des réponses aux questions qu’on peut se poser à cet âge-là autour des relations amoureuses et plus largement de la vie. Dans cet épisode, le mariage de sa prof fait réfléchir Hanabi sur son propre avenirMasked-Noise d’autant qu’elle n’a pour l’instant pas de buts précis contrairement à ses camarades… (12 Ans tome 10, shōjo, Glénat, 6,90€)

Bienvenue dans le monde – parfois impitoyable – de la musique avec ce manga de Ryoko Fukuyama, auteure dont on avait déjà pu apprécier le style graphique racé dans les séries Monochome Animals, 12 volumes parus chez Glénat, et Nosatsu Junkie, 12 volumes également chez Panini Comics. Masked Noise parle beaucoup de musique, de concerts, de mélodies mais offre aussi une intrigue amoureuse autour de trois personnages, les garçons Momo et Yusu, et la jeune adolescente qui rêve de devenir chanteuse, Nino. Dans ce huitième épisode, Yusu et Nino ont rendez-vous avec un duo à la réputation grimpante pour leur écrire dream-team-manga-volume-45-simple-293433une chanson… (Masked Noise tome 8, shōjo, Glénat, 6,90€)

Changement de style graphique, changement d’univers et changement de cible pour ce manga signé Takeshi Hinata dont voici le double volume 45/46 sur 48 prévus. On entre ici dans le monde du basket ball avec des personnages attachants qui se donnent à fond dans leur sport. Après deux matchs d’absence, on retrouve Momoharu sur le terrain. Galvanisée par l’entrainement de choc qu’elle a suivi auprès de Jonan, l’équipe semble fin prête à affronter Myoin…(Dream Team tome 45 et 46, shōnen, Glénat, 10,75€)

On termine avec le premier volet de Sous le ciel de Tokyo de Seiho Takizawa. Ce manga s’adresse aux jeunes adultes. Il raconte le quotidien d’un couple sousLeCielDeTokyoT1pendant la seconde guerre mondiale. En 1943, le capitaine Shirakawa, pilote de chasse, rentre enfin au pays après avoir combattu un peu partout dans le monde, notamment dans le ciel birman. Il est désormais affecté à la division des essais aériens de l’armée impériales à proximité de sa maison et de sa femme. Bien que soulagé de s’éloigner des zones de combat à un moment où le Japon perd en capacités face aux Américains, Shirakawa a peur, après tant d’années, de se retrouver comme un étranger chez lui… Un trait délicat, une histoire qui devrait passionner les amateurs de récits de guerre, on attend le deuxième épisode avec impatience. (Sous le ciel de Tokyo tome 1, seinen, Delcourt Tonkam, 7,99€)

Eric Guillaud

Hip Hop Family Tree ou l’histoire du rap américain sous la plume et les pinceaux du génial Ed Piskor

HipHop3-couv-HDL’affaire n’était pas gagnée d’avance mais la saga Hip Hop Family Tree a trouvé une large résonance de ce côté-ci de l’Atlantique dès la publication du premier volet dont je vous avais parlé ici. À tel point que la série a été sélectionnée à Angoulême en 2017, l’imposant du coup comme une référence auprès des amoureux du rap comme auprès des amoureux du neuvième art. Pour peu que vous soyez fans des deux en même temps, c’est tout bon !

Avant d’être sélectionnée sur les terres charentaises, la saga avait été auréolée d’un prestigieux Eisner Award aux Etats-Unis en 2015 dans la catégorie de la meilleure série inspirée de la réalité. Voilà pour les prix, de quoi vous rassurer si vous doutiez encore du sérieux de l’affaire. Pour le reste, Hip Hop Family Tree raconte ni plus ni moins l’épopée du hip hop, depuis ses débuts dans les années 70 autour des soirées de Dj Kool Herc dans un South Bronx en ruine. DJ Kool, c’est le gars qui a inventé la technique du « Merry-go-Round » (jouer avec deux disques identiques sur deux platines différentes). Ce qui va profondément changer la face du monde, tout au moins du monde de la musique.

Avec un bon tempo, un album tous les six mois, les éditions Papa Guédé nous livrent cette saga en français, le troisième volet consacré aux années 1983 et 1984 vient de sortir, à point pour Noël.

Le rap gagne du terrain, nous dit en ouverture de ce troisième opus Ed Piskor, la preuve « ces punks de Beastie Boys décident de s’y mettre et, après avoir vu le Rock Steady Crew au Roxy, ils en adoptent l’attitude en s’inventant des surnoms qu’ils impriment sur leurs t-shirts Carvel Ice Cream ».

Les Beastie Boys mais aussi Afrika Bambaataa, Jazzy Jay, Run DMC, le label anglais Jive Records, les films Wild Style et Style Wars, Chucky D, Ice-T, Fat Boys, Blondie, oui Blondie, dont le morceau de rap Rapture fut longtemps le seul clip de rap diffusé à la télévision… tous ceux qui comptent à l’époque et vont permettre au rap d’investir peu à peu les maisons de disques, les médias, de gagner toute la planète et tous les esprits, sont réunis dans ce nouvel album, le troisième des six qui seraient prévus par l’auteur.

Plus qu’une bande dessinée, Ed Piskor écrit, mine de rien, une encyclopédie en images de la culture hip hop, avec une touche vintage dans le graphisme et la présentation générale qui nous ramène plus encore au siècle passé. Une saga incontournable pour tous ceux qui sont dans le mouv’ et les autres.

Eric Guillaud

Hip Hop Family Tree, d’Ed Piskor. Éditions Papa Guédé. 26€

 © Papa Guédé / Ed Piskor

© Papa Guédé / Ed Piskor

25 Nov

Emma G. Wildford : une histoire de caractère signée Zidrou et Edith

emmaGWildfordEmma G. Wildford jette du noir sur le blanc, c’est sa façon à elle de dire qu’elle écrit. Des poèmes. Dans sa famille, on la prend au mieux pour une rêveuse, au pire pour une écervelée. Elle fait preuve en tout cas d’un sacré caractère et de beaucoup d’obstination…

Beaucoup d’obstination à garder la fraîcheur de sa jeunesse quand sa sœur et son affreux mari ne parlent plus de que de sujets graves et ennuyeux. Chose inhabituelle en Essex où se joue ce récit d’Edith et Zidrou, Il fait très chaud, c’est la canicule, depuis des semaines. Alors pourquoi s’embarrasser de vêtements ? Emma se déshabille. Nue, elle plonge dans la fontaine. Elle est comme ça Emma. Un peu de légèreté dans un monde brutal. Et elle en sait quelque chose Emma. Depuis 14 mois maintenant, son fiancé Roald, parti en expédition du côté de la Laponie, n’a pas donné signe de vie. Sauf cette lettre qu’il lui a envoyée, une lettre à n’ouvrir que si et seulement si il lui arrivait malheur.

Emma ne peut s’y résoudre. Elle n’ouvrira pas l’enveloppe mais décide contre l’avis de tous de partir à sa recherche. Direction la Suède puis la Laponie où la quête de son amoureux va prendre une tournure inattendue.

Avec son trait délicat et aérien et ses récits toujours humains et sensibles, Edith nous a habitué à l’excellence. Ce nouvel album n’y déroge pas, l’histoire signée Zidrou est tout simplement exquise, le dessin de toute beauté et l’objet en lui-même un petit bijou ultra-léché, avec couverture en trois volets aimantés, pages de garde aux motifs élégants et pour finir plusieurs éléments qui, glissés entre les pages du livre (photo, ticket d’embarquement et lettre), finissent par nous happer totalement. Magnifique !

Eric Guillaud

Emma G. Wilford, de Zidrou et Edith. Editions Soleil. 19,99€

 © Soleil / Zidrou & Edith

© Soleil / Zidrou & Edith

21 Nov

Marsupilami, Game Over, Louca, Kid Paddle, Frigiel et Fluffy, Game of Crowns, Buck Danny, Les Tuniques bleues… les héros jeunesse prêts pour Noël

Ils sont dans les starting blocks nos héros, prêts à dégainer leur plus beau sourire pour appâter le chaland venu arpenter les allées de nos librairies préférées. L’occasion de faire le point sur quelques nouveautés incontournables…

IMG_1431

On commence avec le Marsupilami, un personnage légendaire créé par André Franquin en 1952. On peut le croiser régulièrement dans les aventures de Spirou et Fantasio avant qu’il devienne à son tour le héros d’une série bien à lui en 1987 et une vedette du cinéma en 2012 grâce au film Sur la piste du Marsupilami réalisé par Alain Chabat. Le revoici en BD dans un recueil paru aux éditions Dupuis. Dix-huit auteurs y ont participé, de Bertolucci à Cossu, en passant par Reynès, Munuera ou encore Lapuss, dix-huit auteurs 9782800173535-couv-M800x1600je disais, autant de styles graphiques et de visions de la bestiole. Une belle initiative qui se développera sur deux volumes. (Marsupilami histoires courtes tome 1, Dupuis, 19€)

On continue avec une nouvelle série mettant en scène des héros aux formes cubiques dans un décor de pixels, bienvenue dans l’univers Minecraft autour des aventures de deux stars de YouTube Frigiel et Fluffy. Frigiel est un personnage de jeu mais c’est aussi l’un des joueurs les plus connus de la communauté française Minecraft, il co-scénarise d’ailleurs ces premières aventures sur papier avec Jean-Christophe Derrien. Si le dessin et les histoires ne vous causent pas, c’est que vous êtes trop vieux. Les enfants, eux, adorent cet univers qui associe aventure, humour et fantasy. (Frigiel & Fluffy tome 1, Soleil, 10,95€)frigielEtFluffyT1

L’apparition de Louca dans les pages du journal Spirou en 2012 puis en album en janvier 2013 avait fait sensation au point de prédire assez facilement une belle carrière à ce personnage et à son auteur, Bruno Dequier, transfuge du monde de l’animation, qui réalisait là un premier album BD remarquablement fin, drôle, très drôle même et graphiquement enlevé. Et Louca est toujours là, mieux, il revient avec un cinquième album, en à peine cinq ans. L’histoire ? Celle d’un ado paresseux, mauvais élève, menteur et maladroit avec les filles – rien d’un super héros en somme – qui voit sa vie changer grâce à Nathan, un fantôme qui lui veut du bien. (Louca tome 5, Dupuis, 10,95€)

9782800167893-couv-M800x1600Eux ne sont pas des perdreaux de l’année, pas même de la décennie, bientôt 50 ans d’activité pour Les Tuniques Bleues, 61 albums au compteur et toujours le même plaisir de retrouver le dessin minutieux de Lambil et les scénarii inspirés de Cauvin. Cette fois, les deux compères ont décidé de nous raconter une histoire vraie, celle de Sarah Emma Edmonds qui, déguisée en homme sous le pseudonyme de Franklin Flint Thompson, a servi l’Armée de l’Union et notamment infiltré les troupes ennemies. Une série qui appartient déjà à la légende ! (Les Tuniques bleues, tome 61, Dupuis, 10,95€)

D’un côté Kid Paddle, 24 ans d’existence, 15 tomes parus, 7 millions d’albums vendus, de l’autre Game Over, spin-off de Kid Paddle, 13 ans d’âge, 16 tomes au compteur, plus d’1,5 million d’exemplaires vendus, et au centre un auteur belge, heureux, enfin on peut le penser, Midam, devenu en quelques années un 501 KID PADDLE T15[BD].inddpilier de la bande dessinée humoristique franco-belge. Et ce pilier termine l’année en beauté en ajoutant une nouvelle pierre à chaque édifice sans essoufflement, sans fatigue, les doigts dans le nez. (Game Over 16 et Kid Paddle 15, de Midam, Glénat. 10,95€ chaque)

Attention, Game of crowns offre une avalanche de gags plus loufoques que crétins. Ce n’est pas moi qui le dit mais l’éditeur lui-même. Et c’est vrai que cette nouvelle série publiée chez Casterman a tout du complètement foldingue, du radicalement déjanté, du foncièrement barré. Avec une histoire tout de même, la guerre entre sept clans qui règnent sur sept royaumes, et un titre qui pourrait bien vous rappeler quelque chose. (Game of crowns tome 1, Casterman, 9,95€)

9782800171036-couv-M800x1600On termine avec un vieux monsieur qui arrive aujourd’hui précisément dans sa 70e année de carrière dans l’aéronautique, oui oui, et pourtant toujours frais et dispo pour se mettre au service des gentils, je veux parler du célèbre Buck Danny. Le personnage créé par Victor Hubinon au dessin et Jean-Michel Charlier au scénario est de retour pour le deuxième et dernier volet d’une aventure vieille de quasi vingt années, Les Oiseaux noirs, écrite partiellement par Jean-MIchel Charlier avant qu’il décède, dessinée en partie par Bergèse, reprise par Buendia et Zumbiehl au scénario et Le Bras au dessin dans un esprit « à la manière de » que les inconditionnels du personnage apprécieront. (Les Oiseaux noirs tome 2, Dupuis. 12,95€)

Eric Guillaud

19 Nov

Mirages : une exceptionnelle biographie en images de Will réalisée par Vincent Odin pour les éditions Daniel Maghen

9782356740533Les éditions Daniel Maghen nous ont habitué depuis une bonne dizaine d’années à la production de très beaux livres, qu’il s’agisse de bandes dessinées originales ou de biographies en images. En voici justement une nouvelle consacrée à l’immense dessinateur et scénariste belge Willy Maltaite, alias Will…

Bien sûr, pour la plupart des amateurs de bandes dessinées, Will est avant tout associé aux personnages Tif et Tondu dont il anima les aventures de 1949 à 1991 aux côtés de plusieurs scénaristes dont Fernand Dineur le créateur, Maurice Rosy, Maurice Tillieux ou encore Stephen Desberg. Mais Will, c’est aussi le dessinateur d‘Isabelle entre 1968 et 1995 et l’auteur de trois one shot plus adultes qu’il écrivit sur la fin de sa carrière, Le Jardin des désirs, La 27e lettre et L’Appel de l’enfer, trois albums réédités en intégrale sous le titre de Trilogie avec Dames.

Et c’est là que le talent de Will a peut-être été le plus incroyable, dans son approche de la gent féminine. D’abord avec l’héroïne Isabelle lancée à une époque où les premiers rôles féminins étaient rares, avec cette Trilogie avec Dames, puis avec ces peintures, ces croquis, à l’érotisme subtil.

« Les femmes sont des créatures trop belles pour être traitées en noir et blanc… Je rêvais de les mettre en couleurs, de les parer de mille feux puis de les entraîner dans mon jardin nocturne… », écrivait Will au moment de la parution du Jardin des désirs.

Cette Biographie en images de plus de 400 pages nous montre tout le génie de cet homme à commencer bien sûr par ces dessins de femmes. « Will a retardé autant qu’il a pu le moment de faire de la bande dessinée… », écrit Vincent Odin au début de l’ouvrage, « ce qu’il voulait, c’était peindre des femmes, jolies de préférence ». Et cette biographie comme il précise ensuite s’ouvre et se ferme sur des portraits de femmes. Mais on y trouve aussi, bien évidemment, des illustrations de couverture, des recherches graphiques, des planches de Tif et Tondu ou Isabelle, des contes illustrés, des peintures…

Un livre exceptionnel qui arrive à point pour Noël. Une exposition de dessins originaux de l’auteur est en outre proposée aux Parisiens du 24 novembre au 16 décembre à la galerie Maghen. En librairie le 23 novembre.

Eric Guillaud

Mirages, Biographie en images de Will. Éditions Daniel Maghen. 59€

18 Nov

Bug : entre chaos planétaire et effondrement numérique, la fin de l’humanité selon Enki Bilal

Capture d’écran 2017-11-16 à 20.48.38Tout a disparu, tous les réseaux sociaux, tous les disques durs du plus gros serveur à la plus petite clé USB, toutes les données, toutes les archives, toute la mémoire du monde, nous sommes en présence d’un Bug Numérique Généralisé. Conséquence directe et immédiate, l’humanité est dans la merde!

« L’humanité est dans la merde et on imagine mal à quel point », déclare un protagoniste de ce récit signé Enki Bilal. Et c’est vrai qu’on a du mal à imaginer les conséquences d’une fin brutale du règne numérique. On a réussi à s’en passer pendant des siècles, des millénaires, serions nous capables de nous en passer aujourd’hui et encore plus demain ? Pas sûr du tout.

Et si on a du mal à imaginer ce monde replongé dans l’obscurité, Enki Bilal, lui, l’imagine très bien dans ce récit incroyable, un thriller d’anticipation qui nous embarque en 2041. 24 ans nous séparent, le numérique a fini par s’imposer partout dans notre quotidien. Plus une vie ne passe à côté. Il enseigne, il soigne, il nourrit, il cultive, il transporte, il garde en mémoire… et puis c’est le bug, le black-out, le chaos. Ascenseurs bloqués, automobiles à l’arrêt, banques attaquées, bijouteries pillées, aéronefs en perdition, le monde est paralysé, pire, il est amnésique.

Dans ce chaos, un homme, le cosmonaute Kameron Obb, unique survivant d’une mission sur Mars, revient sur Terre avec un alien en lui, un espèce de bug extraterrestre qui s’est posé sur ses cervicales. Et surtout, l’homme souffre d’une hypermnésie singulière, comme si toutes les données numériques, toute la mémoire du monde avaient migré dans son cerveau. C’est Internet à lui tout seul !

Et c’est là que le récit de science fiction tourne au thriller car, bien sûr, cet homme devient l’objet de toutes les convoitises. Et il n’y a pas que sa femme et sa fille qui attendent son retour avec impatience…

Ça va peut-être vous sembler étrange, tant Enki Bilal est connu et reconnu comme l’un artistes majeurs du neuvième art et au-delà, mais je ne fais pas partie de ses inconditionnels en terme d’univers, surtout dans ces productions les plus récentes. Mais cette fois, j’ai mordu à l’hameçon de la plus belle façon, dès la première page de l’album, quasiment dès la couverture. L’auteur de Partie de chasse, des Phalanges de l’ordre noir ou de La trilogie Nikopol pose à travers ce récit un regard plus accessible et malgré tout très affûté sur ce monde, notre monde, capable de confier toute sa mémoire à des machines. Car c’est bien là le thème central de ce récit, la mémoire, avec tout ce qu’elle a d’essentiel pour la bonne marche de l’humanité. Un album incontournable !

Eric Guillaud

Bug, de Bilal. Éditions Casterman standard 18€, édition luxe 30€

 © Casterman / Bilal

© Casterman / Bilal