18 Déc

INTERVIEW. Ramona, histoire d’une rencontre amoureuse intense mais éphémère signée Naïs Quin chez Vraoum

C’est un lieu improbable, niché au bout du bout du monde. Un enchevêtrement de collines pour horizon, une terre aride et une caravane, enfin ce qu’il en reste, celle de Paul, celle de son père surtout qui a dû s’absenter quelques mois pour le travail. Paul est resté seul, vraiment seul, jusqu’au moment où surgit Ramona…

Capture d’écran 2017-12-18 à 13.56.04

Quelques boîtes de conserves pour repas, des avions de papier et un Rubik’s Cube pour distraction, un père parti faire la saison ailleurs…. On ne peut pas dire que les vacances de Paul prennent une orientation très folichonne. Mais soudain débarque Ramona, une brune de caractère sortie de nulle part. Ramona et Paul vont partager quelques instants, quelques jours, découvrir l’amour, combattre ensemble la solitude et tenter de soigner leurs blessures respectives…

Ramona est le premier roman graphique d’une jeune auteure nantaise qui a toujours voulu faire de la BD. Elle sort de l’école Pivaut à Nantes et nous raconte comment ce qui n’était à l’origine qu’un projet de diplôme est devenu un album publié aux éditions Vraoum…

Quel a été le déclic pour l’écriture de ce premier roman graphique?

Naïs. Ça date de quand j’étais étudiante, plus précisément d’un exercice où j’ai commencé à dessiner un garçon roux maigrichon et tout ramassé dans des décors de campagne un peu désolée, avec une fille brune un peu étrange sur certains plans. Ensuite ça s’est déroulé assez naturellement jusqu’à devenir l’histoire de Ramona.

© Vraoum / Quin

© Vraoum / Quin

Peux tu nous expliquer en deux trois mots l’histoire ?

NaÏs. On suit Paul, un garçon timide et solitaire, qui passe l’été au beau milieu d’une campagne désertique. Un beau jour débarque Ramona, une fille exubérante et charmante mais qui reste très énigmatique. Sans trop que Paul en apprenne plus sur elle, les deux adolescents tombent amoureux, alors qu’en parallèle Ramona commence à se conduire de façon de plus en plus étrange et malsaine.

D’où vient Ramona ? Où va Romona ? On aimerait bien en savoir un peu plus sur cette gamine. Tout est un peu trouble. Qu’est-ce que tu peux en dire de plus ?

Naïs. Rien ! Plus sérieusement, je préfère laisser les lecteurs sur les éléments que j’ai disséminés dans la BD. Que ça soit en tant que public ou auteure, j’aime qu’une histoire laisse de la place au lecteur pour y apporter ses interprétations, et plus largement qu’il puisse remplir les zones de flou avec un peu de lui-même, et qu’ainsi chacun s’approprie l’histoire de façon personnelle. On est forcément plus touché par quelque chose quand on y a apporté du sien, à mon avis.

Je pense que ça serait un peu casser l’expérience de lecteur que d’invalider par la suite ce qu’il aurait naturellement compris (ou non) par lui-même.

D’ailleurs je n’ai pas forcément moi-même de réponses, j’ai mis dans la BD ce que je voulais raconter, et comme ce que je voulais raconter restait par essence évasif ça ne m’a pas semblé très intéressant à creuser.

© Vraoum / Quin

© Vraoum / Quin

Après ce premier album, tu te sens plutôt dessinatrice, plutôt scénariste ou plutôt les deux ?

Naïs. Disons auteure, puisque j’ai géré tous les éléments de la BD. Je trouve que tout ça fonctionne de façon très imbriquée quand on est à la fois scénariste et dessinateur sur une histoire.

Personnellement, c’est vraiment l’histoire et la narration qui m’intéressent et me préoccupent en priorité, et je mets le dessin au service de ça. En général, je peux avancer assez loin dans ma tête sur une histoire sans avoir encore fait le moindre dessin.

© Vraoum / Quin

© Vraoum / Quin

Quelles sont tes influences en général et peut-être plus précisément tes références pour cet album ?

Naïs. En ce qui concerne la bande dessinée, même si je ne cherche pas à m’inspirer volontairement d’autres oeuvres, j’ai été particulièrement marquée par Inio Asano (Bonne nuit Punpun étant sans conteste ma bande dessinée préferée, qui m’a beaucoup touchée en terme de ressenti et de narration), et Cyril Pedrosa (Pour Portugal et Trois Ombres, c’est ici en particulier son dessin que j’admire beaucoup).

Cela étant dit, je pense être beaucoup plus influencée par le cinéma que par la bande dessinée pour ce qui est de la narration et des influences en général. Pour Ramona, je pense pouvoir citer Morse, Submarine ou encore Restless. Quant aux décors, certains passages de Kill Bill 2 ont dû pas mal m’influencer.

Est-ce que tu as une idée de bande son pour ton album ?

Naïs. J’avais utilisé Hood de Perfume Genius pour un sorte de mini trailer en BD que j’avais réalisé à l’école, qui est un morceau que j’adore et qui colle pas mal à l’esprit de l’histoire.

Je m’étais aussi amusée à trouver des thèmes musicaux spécifiques aux personnages, et je m’étais arrêtée sur Youth knows no pain de Lykke Li pour Ramona et Awake my soul de Mumford and Sons pour Paul. D’ailleurs je pense que ce dernier groupe pourrait globalement être une bonne bande son pour la BD.

Comment te situes-tu dans le milieu de la BD nantaise ?

Naïs. Je ne pense pas en être à un stade où j’ai réellement une place quelconque dans le milieu.

En tout cas, entre les anciens camarades d’école et les rencontres ultérieures que ça implique, l’immense majorité de mes amis se compose d’autres jeunes auteurs/dessinateurs nantais, qui sont très talentueux en plus d’être des personnes merveilleuses !

Ça va ressembler à quoi le proche avenir de Naïs ? Quels sont tes projets ?

Naïs. J’ai été contactée par un scénariste il y a quelques mois, et nous essayons de proposer un projet BD, dont je ne peux pas encore trop parler.

Si cela se concrétise, comme je serai cette fois uniquement dessinatrice, je commencerai sans doute à réfléchir à un prochain projet personnel.

Merci Naïs

Propos recueillis par Eric Guillaud le 15 décembre 2017

Ramona, de Naïs Quin. Éditions Vraoum. 20€

© Vraoum / Quin

© Vraoum / Quin

16 Déc

Chroniques de Noël. Une année pour méditer, dessiner ou travailler. 3 BD, 3 approches de la vie…

Une-annee-pour-mediter-365-pensees-illustreesAïe ! Noël approche à la vitesse de la lumière et vous séchez affreusement question cadeaux? Alors voici rien que pour vous une sélection de BD qui feront à coup sûr de l’effet au pied du sapin

L’année 2018 sera celle du changement. En tout cas,  l’auteur anglais – et bouddhiste – Mike Medaglia nous a concocté pour cela un livre, petit par le format mais grand par l’ambition, réunissant 365 pensées illustrées, autant d’invitations à la méditation et à la pleine conscience.

Un jour, une pensée, celle du 4 janvier est signée de la romancière britannique George Eliot, de quoi se mettre de bonne humeur le matin…

« Il n’est jamais trop tard pour devenir ce que tu aurais pu être »

George Eliot, Anne Frank, Groucho Marx, Oscar Wilde, Vincent Van Gogh, Mère Teresa, Jack Kerouac, Gabriel Garcia Marquez ou encore Mark Twain, Mike Medaglia est allé chercher ses pensées auprès des écrivains mais aussi des philosophes, des personnalités religieuses, artistiques, politiques ou autres.2b5be04b172c195ad4ba6091a8492418

« Une bonne citation peut changer un point de vue, ne serait-ce qu’une seconde. Elle peut donner de l’espoir, inspirer le changement, faire rire et rappeler la richesse de la vie », nous explique Mike Medaglia en introduction. De quoi méditer ! Une année pour méditer, Mike Medaglia, Delcourt, 19,99€

Pendant que les uns méditent, les autres passent leurs nuits à dessiner, c’est le cas de l’auteure américaine Leslie Stein qui a pris comme résolution à la veille de l’année 2016 de dessiner une page de bande dessinée chaque jour ou plus précisément chaque nuit. Leslie est alors barmaid dans un bar de nuit. Sur un coin du comptoir, elle pose sa feuille et griffonne nuit après nuit son quotidien, ses pensées intimes, ses souvenirs d’enfance, ses doutes, ses interrogations, ses espoirs et vient de les réunir dans ce roman graphique.Unknown

Dans un style pâte de mouche, Elle nous embarque dans sa vie avec pas mal d’humour et beaucoup de folie. Toutes mes nuits sans dormir, Leslie Stein, Decourt, 25,50€

Le travail, c’est la santé ? Pas si sûr. En tout cas, Vaïnui de Castelbajac a pris le parti d’en rire avec une série d’illustrations et de gags affreusement drôles. Et ça, ça fait plutôt du bien par où ça passe. C’est tour à tour absurde, odieux, misogyne, ça sent le burn out à toutes les pages, on y parle de fusion d’entreprise dans un club échangiste, de promotion canapé, de productivité, de brainstorming au LSD, d’employé du mois, de harcèlement, d’ateliers de méditation, de tri sélectif au service RH… on rit, on grince des dents, on hurle et on retourne au boulot un peu soulagé ! Au taf, Vaïnui de Castelbajac, Delcourt, 16,95€

Eric Guillaud

13 Déc

Le retour de Théodore Poussin dans le journal Spirou

Vous le reconnaissez ? Oui c’est bien lui, Théodore Poussin, le héros ou plus exactement l’anti-héros imaginé par Frank Le Gall en 1984, disparu des écrans radars depuis 2005, et finalement de retour aujourd’hui même dans le journal Spirou spécial Noël pour une toute nouvelle aventure…

IMG_1566Une chose est sûre, il nous aura affreusement manqué notre Théodore.  Oui je dis notre parce qu’il n’appartient plus vraiment à son créateur, Frank Le Gall, mais à ses fans, ses nombreux fans dont je suis.

Il faut dire que Théodore Poussin n’est pas un héros au sens strict du terme. C’est un gars ordinaire plongé dans une aventure extraordinaire. Il est né anti-héros, il le restera le temps de ses 12 aventures. Un anti-héros magnifique de la trempe d’un Corto Maltese. De ce dernier, il a d’ailleurs hérité le goût du large, l’envie de voyages.

Tout commence en 1928 à Dunkerque. Théodore est alors commis aux écritures à la Compagnie des chargeurs maritimes. Un travail de bureau sans horizon. Jusqu’au jour où il se décide à embarquer pour l’Indochine à la recherche d’un oncle disparu : le capitaine Steene. C’est le début d’une longue, très longue quête du côté de Haiphong, Singapour, Macassar, Bornéo ou encore Java. Aventure, exotisme, mystère… La série de Frank Le Gall est l’une des plus belles créations des années 80-90 et l’une des plus belles du Neuvième art tout simplement.

Eric Guillaud

Plus près de toi : une histoire d’amour en pleine guerre signée Jean-Claude Fournier et Kris

UnknownDes soldats noirs en Bretagne. L’affaire peut paraître aujourd’hui absolument banale, elle l’est nettement moins dans les années 40. Surtout quand ces fameux soldats sont des prisonniers de guerre venus aider aux travaux des champs. Fournier et Kris mettent en images une réalité de la seconde guerre mondiale, une réalité à priori moins tragique, moins sanglante, que celle des combats ou des camps de concentration, mais ne vous y fiez pas, l’horreur n’est jamais très loin et peut surgir à tout moment…

C’est à Landennec, précisément, que Jean-Claude Fournier et Kris ont planté leur chevalet pour nous peindre cette belle histoire d’amour qui se déroule pendant la deuxième guerre mondiale. Car oui, Plus près de toi raconte bien une histoire d’amour entre un de ces prisonniers noirs, Addi, et une jeune institutrice blanche, Jeanne.

Tout commence au Sénégal, lorsque la France entre en guerre contre l’Allemagne. Addi ne rêve que d’une chose, devenir prêtre. Il est sur le point d’être ordonné lorsque cette foutue guerre éclate. Son père, un ancien combattant de la Grande guerre lui ordonne de s’engager pour l’honneur de la famille, pour l’honneur de la patrie. Il revêt l’uniforme et part pour la France où il est rapidement fait prisonnier.

C’est la débâcle, les Allemands ne s’embarrassent pas des prisonniers noirs, ils en fusillent beaucoup. Addi, lui, échappe à la mort mais se retrouve dans un camp de prisonniers en Bretagne. Il y fait froid, il faut construire les baraquements pour s’abriter, se contenter d’une soupe à peine plus épaisse qu’un verre de cidre mais les femmes sont jolies. Le mari de Jeanne est mort à la guerre, du moins le croit-elle, et son coeur est libre. Addi tombe amoureux. Entre l’amour, la guerre et la religion, la vie d’Addi est complètement bouleversée tandis que le monde sombre dans l’horreur absolue…

Pour la première fois, les deux auteurs bretons aux parcours si différents mais identiquement imprégnés de la culture bretonne se retrouvent autour d’une bande dessinée, Kris au scénario, Fournier au dessin. L’histoire à première vue légère d’un tirailleur sénégalais tombant amoureux d’une belle bretonne se révèle plus complexe et plus profonde que ça. La guerre ressurgit régulièrement dans les pages de l’album avec une violence insoutenable et un déchaînement d’actes racistes. Le livre nous interroge aussi, bien évidemment, sur la place de ces soldats venus d’horizons lointains dans notre mémoire collective. Première partie d’un diptyque, Plus près de toi est une fiction inscrite dans un contexte bien réel, une histoire comme il a pu en exister quantité à l’époque, dans une Bretagne qui avait effectivement accueilli de très nombreux prisonniers de guerre.

Kris a dédié ce livre « à tous les soldats ayant combattu pour la France sans en avoir pour autant la nationalité pleine et entière« , et notamment aux tirailleurs africains du Bataillon de marche n°5 de la 1ère Division de la France Libre dont son arrière-grand-père , Henri Hennebaut, était le capitaine.

Eric Guillaud

Plus près de toi, de Fournier et Kris. Éditions Dupuis. 14,50€

Capture d’écran 2017-12-11 à 22.33.45

07 Déc

Quand Marion Montaigne nous glisse dans la combi de Thomas Pesquet : les coulisses d’une mission spatiale en BD

9782205076394-couvIl a marqué le grand public avec ses photos et ses tweets envoyés depuis la station spatiale internationale entre novembre 2016 et juin 2017, Thomas Pesquet est aujourd’hui le personnage central d’une bande dessinée de Marion Montaigne. Vous avez toujours rêvé de devenir astronaute ? Voilà ce qui vous attend…

Et c’est chaud ! Autant vous le dire tout de suite, on ne devient pas astronaute en jouant  à Super Mario Galaxy 2 ou en lisant les aventures de Buck Danny. Ça peut déclencher des vocations, certes, mais ce n’est pas suffisant.

Pour nous montrer la face cachée de ce monde obscur, Marion Montaigne a pris sa plus belle lampe torche, son humour, sa plume et ses pinceaux, et remonté le temps, direction les années 80. Thomas Pesquet n’est alors qu’un petit morveux avec deux grosses dents à la manière de Bugs Bunny mais en plus écartées, qui lui servent de frein moteur dans sa fusée en carton. Bon, en tout cas, c’est comme ça qu’elle l’imagine.

© Dargaud / Montaigne

© Dargaud / Montaigne

Et de nous raconter avec l’humour qu’on lui connaît et la vulgarisation scientifique dont elle s’est fait une spécialité le Thomas Pesquet enfant, adolescent, étudiant puis candidat à un concours de recrutement d’astronaute lancé par l’Agence Spatiale Européenne.

Exercice : « On dicte une liste de chiffres entre 3 et 10. Le candidat ne sait pas quand la liste va s’arrêter. Elle peut durer entre 30 secondes et 3 minutes. Mais quand elle stoppe… Il doit donner le maximum de chiffres retenus et dans l’ordre inverse de ce qu’il a entendu. »

Oui, je vous l’accorde, c’est terrible ! Et ce n’est rien à côté de ce qui l’attend, un déluge d’examens médicaux dans tous les genres et tous les sens, depuis le test d’effort jusqu’à la coloscopie, en passant par l’analyse de sang, la myélographie, l’angiographie, l’examen des selles… « et enfin enterrement de votre dignité ».

© Dargaud / Montaigne

© Dargaud / Montaigne

Tout ça dans l’infime espoir d’être l’élu. 8413 candidats au départ, 1000 sont sélectionnés pour les épreuves, 1 seul sera à l’arrivée, les probabilités d’y arriver sont faibles, très faibles, mais… Thomas Pesquet y parvient.

« Vous allez vous entrainer des années comme des chacals sans savoir quand vous serez affectés. Ni trop pourquoi ».

L’entrainement, la mission, le retour sur Terre, ce qui s’est vu ou pas dans les médias, l’extraordinaire comme le quotidien, l’essentiel comme l’anecdotique, Marion Montaigne nous fait vivre l’aventure de l’intérieur, au plus près de Thomas Pesquet, avec un humour dévastateur et en même temps une écriture et une mise en images des plus subtiles. Dans la combi de Thomas Pesquet est un docu-fiction absolument captivant qui confirme l’immense talent de la créatrice du blog Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même)

Eric Guillaud

Dans la combi de Thomas Pesquet, de Marion Montaigne. Editions Dargaud. 22,50€

Marion Montaigne en dédicace le Jeudi 7 décembre au Planétarium de Nantes, le 10 décembre à librairie Mollat à Bordeaux, le 13 décembre à la librairie Bulle en tête à Paris, le 16 décembre à la librairie Momie de lyon, le 20 décembre, à Bd fugue café à Toulouse, le 21 décembre à la cité de l’espace de Toulouse, le 12 janvier à la librairie BD Flash à Rambouillet, le 13 Janvierà la médiathèque Jules Verne à Vandœuvre-lès-Nancy, du 25 au 28 janvier au Festival d’Angoulême…

03 Déc

Il s’appelait Ptirou : Yves Sente et Laurent Verron nous embarquent pour un voyage aux origines du personnage Spirou

9782800170695-couv-M800x1600Il y a le Spirou des mythiques aventures de Spirou et Fantasio. Il y a aussi depuis quelques années, une trentaine quand même, le Petit Spirou qui a sacrément dépoussiéré la bande dessinée jeunesse à ses débuts. Il y a enfin le Spirou de…, des aventures hors série animées par des auteurs d’horizons divers mais réunis par une passion commune pour le personnage et l’univers…

Après Schwartz, Yann, Frank, Zidrou, Bravo, Le Gall ou encore Trondheim, c’est au tour d’Yves Sente au scénario et Laurent Verron au dessin de proposer leur propre vision de Spirou avec une histoire qui se déroule à la fin des années 20, bien avant la création du fameux journal qui allait porter son nom. Rien de plus nomal puisqu’au delà de la fiction imaginée par les deux auteurs, très ancrée dans le difficile quotidien de l’époque, c’est bien de la naissance du personnage dont il est ici question.

Et qui mieux que L’oncle Paul, qui fit les beaux jours du journal Spirou dans les années 50 (Les Belles histoires de l’oncle Paul), pour raconter cette histoire ?

« Puisque j’avais décidé de triturer l’univers du journal Spirou… », explique Yves Sente, « autant y aller à fond ! J’ai donc convoqué l’oncle Paul et décidé de lui faire raconter « sa plus belle histoire » : celle de la naissance de Spirou ».

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

Nous sommes le 24 décembre 1959, toute une famille se prépare à célébrer Noël lorsque le fameux oncle débarque, entraîne les enfants de la maison dans le salon et entreprend de leur raconter l’histoire de Ptirou, un gamin à la tignasse ébouriffée et rousse, orphelin et débrouillard qui força la chance, une trentaine d’années auparavant, pour se faire embaucher comme mousse sur un paquebot transatlantique.

Avec un nom pareil, un costume comme le sien, aucun doute, Ptirou ressemble beaucoup à notre Spirou de papier. Il suffit seulement d’une rencontre avec le dessinateur Robert Velter pour que le mousse devienne le personnage mythique que tout le monde connaît aujourd’hui, une rencontre qui se réalise dans ce récit telle qu’elle a pu se réaliser dans la vraie vie lorsque le dessinateur faisait office de steward sur les paquebots transatlantiques dans les années 20. Robert Velter, dit Rob-Vel, était impressionné par les mousses et leur costume rouge. Il les griffonnait déjà dans ses carnets.

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

Mais c’est un accident grave tuant l’un d’entre-eux sur le paquebot Île-de-France qui l’affecta énormément et qui – sûrement – décida Rob-Bel à s’inspirer de leur image pour donner naissance à Spirou en 1938, à la demande express de l’éditeur Paul Dupuis alors à la recherche d’un héros pour son nouveau journal.

Yves Sente et Laurent Verron ont imaginé autour de cette rencontre et de cette naissance de Spirou un récit d’aventure mais pas que. Il s’appelait Ptirou est avant tout une histoire qui se déroule à l’ombre des luxueux paquebots, dans le vrai monde, celui du travail et souvent de la misère.

« Ptirou est une histoire tragique, sans gags, avec les deux pieds dans le vrai monde… », raconte Laurent Verron, « Je voulais donc pratiquer un dessin avec de la matière, plus réaliste que d’habitude, qui ne fasse pas trop propre ».

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

La crise de 29 n’est pas loin et partout la misère et le chômage gagnent du terrain. Le bateau sur lequel navigue Ptirou est d’ailleurs sujet à des sabotages de la part de militants syndicalistes mécontents d’un projet de plan social comme on dirait aujourd’hui. 250 personnes doivent être virés de la compagnie maritime pour satisfaire les actionnaires.

« Le récit se déroulant à la fin des années 1920… », confie Yves Sente, « il était logique d’évoquer les conflits sociaux et les fractures grandissantes dans la société d’avant-guerre. J’ai donc évoqué dans mon scénario le conflit entre actionnaires et ouvriers de la compagnie maritime, mais aussi le conflit entre « ceux du pont » et « ceux de la cale ». Des thématiques qui parleront forcément aux lecteurs de notre époque, où la classe moyenne tend à disparaître entre une minorité d’ultra-riches d’un côté et des gens qui peinent à joindre les deux bouts, de l’autre côté ».

Une très belle aventure transatlantique qui nous permet de prendre le large et en même temps de découvrir les origines d’un des plus grands héros de la bande dessinée franco-belge. Un récit tragique, certes, mais dans lequel l’action côtoie en permanence l’émotion, l’imaginaire caresse le réel. Le trait de Laurent Verron vieilli, sali, pour l’occasion, est un pur régal et le personnage de Ptirou un Spirou en puissance qu’on a envie de revoir !

Eric Guillaud

Il s’appelait Ptirou, Le Spirou de… Sente et Verron. Éditions Dupuis. 16,50€

© Dupuis / Sente & Verron

© Dupuis / Sente & Verron

01 Déc

Les damnés de la Commune : Raphaël Meyssan raconte l’histoire du communard Lavalette à travers d’authentiques gravures de l’époque

Les-Damnes-de-la-Commune-01C’est un boulot de titan, un boulot de dingue. Un boulot de dingue mais un résultat saisissant, impressionnant ! Dans Les Damnées de la Commune, Raphaël Meyssan raconte l’histoire d’un communard dont on a oublié jusqu’à l’existence dans une BD exclusivement réalisée avec des gravures de l’époque…

Tout est parti, nous explique l’auteur-narrateur dans les premières pages de l’album, d’une étrange découverte à la bibliothèque historique de Paris. Dans un livre ancien, une adresse, 6 rue Lesage, la sienne précisément. Et un nom, Charles Lavalette, sergent du 159e bataillon pendant le siège de Paris, promu commandant par la Commune, un gars qui semble avoir compté à époque mais qu’on a complètement oublié, comme tant d’autres, aujourd’hui.

« Il y a avait dans mon immeuble, dans mon quartier si éloigné du centre de la cité, une histoire. Une toute petite histoire, effacée par le temps. Celle d’un homme inconnu enfouie dans une histoire méconnue : la Commune de Paris de 1871 ».

Piqué par la curiosité, Raphaël Meyssan plonge dans les archives papier, consulte des journaux, des centaines de journaux, et des gravures. Pendant des mois, des années, il cherche, trie, engrange, jusqu’à se demander quoi en faire ?

« Je suis parti à sa recherche comme on part en voyage. J’ai bourlingué dans le temps , parcouru les rues pour retrouver sa trace, arpenté des livres pour rattraper sa vie. Au milieu des archives, j’ai cherché son histoire « 

Son histoire, il l’a raconte finalement en BD mais d’une façon peu orthodoxe. Il faut préciser que Raphaël Meyssan ne sait absolument pas dessiner. Alors, son regard, son pinceau, son trait, il les trouvera dans les gravures de l’époque qu’il scanne, avant de recadrer, grossir, retourner, mettre en cases et ajouter le texte, exactement comme dans une bande dessinée classique.

Et il nous raconte ainsi l’histoire de cet homme, Lavalette, mais aussi et surtout l’histoire de la Commune, la République assiégée, l’insurrection du 31 octobre, le siège de Paris, la faim, le froid, la mort, le lait coupé à l’eau ou au plâtre, les animaux du zoo du Jardin des plantes qu’on abat pour avoir un peu de viande, Gustave Flourens, Auguste Blanqui, Jules Ferry….

C’est un travail extraordinaire que Raphaël Meyssan a réalisé ici. Il ne sait pas dessiner, comme il le reconnaît très librement, mais il sait manifestement raconter une histoire. Il aurait pu le faire avec les dessins d’un autre, il a préféré le faire avec des gravures authentiques de l’époque. Ce qui donne un caractère incroyable à l’album et permet une immersion totale du lecteur dans le décor de ces années troubles. un récit solidement bâti, un texte éloquent, une démarche singulière… Un album qui restera gravé dans nos mémoires.

Eric Guillaud

Les damnés de la Commune, de Raphaël Meyssan. Éditions Delcourt. 23,95€

 © Delcourt / Meyssan

© Delcourt / Meyssan

29 Nov

Persepolis : nouvelle réédition en monovolume du récit autobiographique de Marjane Satrapi

3603Paru initialement en quatre volumes entre 2000 et 2004, le récit de Marjane Satrapi a bénéficié dès 2007 d’une réédition en intégrale, pardon en monovolume comme on préfère dire à L’Association. Il y a donc tout juste 10 ans. L’occasion aujourd’hui pour l’éditeur de célébrer la chose avec une nouvelle intégrale, pardon un nouveau monovolume, et quelques légers changements…

Rien de fondamentalement différent bien évidemment, l’histoire reste identique dans son intégralité mais l’éditeur et l’auteure ont voulu se faire plaisir – en tout cas on le sent comme ça – avec un objectif commun : offrir aux lecteurs un bel objet. Et c’est réussi, la nouvelle couverture tout d’abord est sublime, les profils de Marjane enfant et ado-adulte sur fond rouge sont une très belle idée, tout autant que le format relié et cartonné. Et comme tout est dans le détail, on apprécie aussi les nouvelles pages de garde dessinées pour l’occasion par Marjane Satrapi.

Outre ces deux ou trois points, je vous le disais, rien n’a changé. Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire de Persepolis considérée depuis des années comme une référence dans le milieu de la bande dessinée et notamment dans le milieu de la BD autobiographique documentaire, il s’agit du récit d’une orientale en exil, Marjane donc, née iranienne en 1970, exilée en France en 1994. Entre les deux, Persepolis raconte la vie quotidienne d’une enfant, d’une ado et finalement d’une jeune femme issue d’une famille progressiste dans un pays qui va connaître en quelques années la révolution islamique et la guerre contre l’Irak.

 © L'Association - Satrapi

© L’Association – Satrapi

Port du foulard obligatoire, fermeture des écoles bilingues, interdiction de tout signe occidental, jean, bijoux ou badge de Michael Jackson, la vie prend des tournures que sa famille ne peut que réprouver. Marjane qui rêvait enfant de devenir prophète va s’éveiller au monde et à la politique dans ce contexte-là. Après une première période passé en Autriche où elle se familiarise avec la culture occidentale, Marjane finit par quitter son pays en 1994 pour la France avec en tête les mots définitifs de sa mère : « Cette fois, tu pars pour toujours. Tu es une femme libre. L’Iran d’aujourd’hui n’est pas pour toi. Je t’interdis de revenir! ».

La force du récit de Marjane Satrapi est de nous embarquer dans son histoire sur 350 pages, de partager avec nous ses espoirs, ses craintes, ses états d’âme, ses amours aussi, sans jamais nous perdre, sans jamais nous ennuyer. Le ton est résolument moderne, direct, drôle, tendre, émouvant, le graphisme en noir et blanc, dans un style simplifié, apporte une note universelle à l’ouvrage qui permet à chacun de s’y retrouver.

Adapté en film d’animation pour le cinéma en 2007, Persepolis a été sélectionné dans quantité de festivals et primé plus d’une dizaine de fois, notamment au festival de Cannes où il a reçu le Prix du Jury. Le livre, lui, a reçu l’Alph-art coup de coeur à Angoulême en 2001, l’Alph-art du scénario toujours à Angoulême en 2002, le Prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage… Vous cherchez une valeur sûre pour Noël ? Elle est là !

Eric Guillaud

Persepolis, de Marjane Satrapi. Editions L’Association. 36€

 © L'Association - Satrapi

© L’Association – Satrapi

27 Nov

Justice League : après le film , une anthologie de 400 pages pour tout connaître (ou presque) sur la bande de copains de Batman et Superman

justice-league-anthologieLe manque de notoriété de la ‘Justice League’ en France n’est pas un hasard, tout comme le fait que son adaptation cinématographique (en salles depuis le 15 Novembre) qui n’est que le xième avatar de toute la série de portage ciné d’aventures de super-héros qui envahit désormais plusieurs fois par an depuis une décennie tous nos contrats, et ce alors que le public est proche de la saturation comme le prouvent quelques beaux récents gadins au box-office (Wonder-Woman). Un regroupement plutôt factice et trop hétéroclite pour vraiment convaincre d’héros de divers horizons cherchant clairement à faire de l’ombre aux ‘Avengers’ mais sans jamais y arriver. D’ailleurs, dans la longue intro de cette compilation de douze récits emblématiques de la série publiés initialement entre 1960 et 2017, on ne cherche même pas à cacher que le but initial de ce ‘crossover’ (aventure voyant plusieurs héros de séries différentes se croiser) était d’utiliser les poids lourds de la maison DC, Superman et Batman, pour attirer le chaland et lui faire découvrir ainsi au passage d’autres héros, disons, mineurs (plus grand monde ne se souvient de John Johns le Martien ou d’Extensiman si ?) qui n’avaient pas percé jusqu’à maintenant.

Pendant vingt-cinq ans, on a donc l’impression que la ‘Justice League’ était comme une sorte de vitrine promotionnelle un peu balourde où, d’ailleurs, l’homme chauve-souris et le natif de Krypton faisaient des apparitions de plus en plus épisodiques. Les patrons de DC semblent le reconnaître eux-mêmes car sur les douze épisodes de cette anthologie, seulement quatre datent d’avant 1992 (soit trente ans après sa création !) et ont clairement été inclus avant tout pour raisons, on va dire, historiques comme Starro, Le Conquérant parce que ce fut le tout premier ou Une Ligue Divisée parce qu’il permet de faire rencontrer la ‘vieille’ ligue et la ‘nouvelle’.

 © Justice League, DC Comics/Urban Comics

© Justice League, DC Comics/Urban Comics

En fait, comme beaucoup d’autres, la ‘Justice League’ devra attendre les années 90 et l’entrée dans l’âge adulte des comics pour prendre, enfin, une tournure plus consistante. Les personnages prennent plus d’épaisseur et ne passent plus leur temps à bastonner à tout va alors que des thématiques plus ‘sérieuses’ (la quête d’identité, qu’est-on prêt à faire pour sauver le monde). Hier, Aujourd’hui, Demain (2006) se permet même, sous couvert de se lancer dans une sorte de résumé de leur histoire commune, de gros sous-entendu sur un éventuel triangle amoureux entre Batman, Superman et Wonder-Woman.

Comme les autres volumes de la série ‘DC Anthologie’, cette sélection très subjective reste quand même une excellente séance de rattrapage, même si les téléspectateurs qui n’ont découvert la ‘Justice League’ avec le film risquent d’être un chouia perdus, le tout restant quand même truffé de références plus ou moins cachées qui parleront avant tout aux fins connaisseurs de super-pouvoirs en tout genre. Cerise sur la gâteau quand même : cette couverture sublime, comme toujours dans le cas des DC Anthologies, signée Alex Ross.

Olivier Badin

DC Anthologie : Justice League, DC Comics/Urban Comics, 25€

26 Nov

Le coin des mangas. Sous le ciel de Tokyo, 12 ans, Masked Noise et Dream Team

9782344025246-GVoilà déjà le dixième volet de ce qui devait être au départ qu’une histoire courte. L’auteure, Nao Maita, n’en revient pas elle-même remerciant en dernière page ses lecteurs et surtout ses lectrices auquelles s’adresse ce manga des éditions Glénat. Une bouille toute ronde, des yeux écarquillés, des couettes, Hanabi Ayase, 12 ans, a su conquérir le coeur des filles avec des histoires qui tentent d’apporter des réponses aux questions qu’on peut se poser à cet âge-là autour des relations amoureuses et plus largement de la vie. Dans cet épisode, le mariage de sa prof fait réfléchir Hanabi sur son propre avenirMasked-Noise d’autant qu’elle n’a pour l’instant pas de buts précis contrairement à ses camarades… (12 Ans tome 10, shōjo, Glénat, 6,90€)

Bienvenue dans le monde – parfois impitoyable – de la musique avec ce manga de Ryoko Fukuyama, auteure dont on avait déjà pu apprécier le style graphique racé dans les séries Monochome Animals, 12 volumes parus chez Glénat, et Nosatsu Junkie, 12 volumes également chez Panini Comics. Masked Noise parle beaucoup de musique, de concerts, de mélodies mais offre aussi une intrigue amoureuse autour de trois personnages, les garçons Momo et Yusu, et la jeune adolescente qui rêve de devenir chanteuse, Nino. Dans ce huitième épisode, Yusu et Nino ont rendez-vous avec un duo à la réputation grimpante pour leur écrire dream-team-manga-volume-45-simple-293433une chanson… (Masked Noise tome 8, shōjo, Glénat, 6,90€)

Changement de style graphique, changement d’univers et changement de cible pour ce manga signé Takeshi Hinata dont voici le double volume 45/46 sur 48 prévus. On entre ici dans le monde du basket ball avec des personnages attachants qui se donnent à fond dans leur sport. Après deux matchs d’absence, on retrouve Momoharu sur le terrain. Galvanisée par l’entrainement de choc qu’elle a suivi auprès de Jonan, l’équipe semble fin prête à affronter Myoin…(Dream Team tome 45 et 46, shōnen, Glénat, 10,75€)

On termine avec le premier volet de Sous le ciel de Tokyo de Seiho Takizawa. Ce manga s’adresse aux jeunes adultes. Il raconte le quotidien d’un couple sousLeCielDeTokyoT1pendant la seconde guerre mondiale. En 1943, le capitaine Shirakawa, pilote de chasse, rentre enfin au pays après avoir combattu un peu partout dans le monde, notamment dans le ciel birman. Il est désormais affecté à la division des essais aériens de l’armée impériales à proximité de sa maison et de sa femme. Bien que soulagé de s’éloigner des zones de combat à un moment où le Japon perd en capacités face aux Américains, Shirakawa a peur, après tant d’années, de se retrouver comme un étranger chez lui… Un trait délicat, une histoire qui devrait passionner les amateurs de récits de guerre, on attend le deuxième épisode avec impatience. (Sous le ciel de Tokyo tome 1, seinen, Delcourt Tonkam, 7,99€)

Eric Guillaud