Quand Tyler Cross débarque à Miami, ce n’est pas en classe touristes mais plutôt en classe affaires, l’avion en moins. Le soleil, la plage, le farniente, il préfère laisser ça aux autres, ce qui l’intéresse pour l’instant, c’est l’argent, son argent, du moins celui que son avocat aurait dû lui garder durant sa détention. Pas de chance, l’avocat le croyant mort et enterré l’a placé dans un projet immobilier aussi véreux que lui…
Welcome to Miami brancarde une publicité aérienne ! Pas sûr que le message s’adresse à Tyler Cross. Partout où l’homme passe, des hommes et des femmes trépassent. Et visiblement ce n’est pas prêt de changer. Deux femmes tuées dans les dix premières pages de ce nouvel album, une troisième assommée. Un record depuis le début de la série. Mais pourquoi tant de haine ?
« Nous n’avons rien contre la gente féminine… », nous rassure Brüno si toutefois nous avions pu être inquiets, « le genre noir n’est pas tendre avec les femmes. On peut également s’amuser a compter les morts masculines, bien plus nombreuses dans l’album. De plus, le personnage central, est une femme, Shirley. L’histoire était plus intéressante de son point de vue, du coup, on a développé un chapitre entier autour de son point de vue ».
Qui est Tyler Cross ?
De lui, on ne sait rien ou presque si ce n’est bien sûr qu’il s’agit d’un criminel froid et calculateur. « Un personnage comme Tyler Cross se définit bien plus par ses actes et son style que par sa biographie… », nous expliquait Fabien Nury au moment de la sortie du premier tome, « Prenez le détective sans nom de Dashiell Hammett dans la « Moisson Rouge », ou son descendant westernien, incarné par Clint Eastwood : franchement, on s’en cogne de savoir s’ils ont eu une enfance heureuse ou non ! Ce serait même contre-productif, de le savoir : vous imaginez un criminel professionnel comme Tyler Cross vous raconter sa vie ? »
Un épisode sous le soleil de Miami…
« Miami s’est rapidement imposé… », explique Brüno, « Nous voulions un univers différent, plus urbain. Tandis que les deux précédents empruntaient beaucoup au western, de par leur intrigue et leur localisation, ce tome-ci est vraiment un pur polar, sans doute plus complexe ».
Exit l’ambiance pluvieuse et boueuse du deuxième épisode, exit l’univers du bagne dans lequel Tyler Cross était enfermé, direction la Floride. Notre criminel a besoin de changer d’air. Mais ne vous y trompez pas, le soleil, les belles filles, les plages de rêve, ce sera pour un autre jour, un autre album peut-être. La Floride de Fabien Nury et Brüno n’a rien d’un paradis. D’ailleurs, les auteurs le précisent dès la couverture, « En Floride, le crime paye ». Et il paye même grassement. La preuve avec tous ces promoteurs immobiliers véreux qui montent des projets tout aussi véreux pour loger les touristes, « des ploucs de Milwaukee ou de Détroit », dixit l’un d’entre-eux, Everett Loomis, « Toute l’année, ils ne rêvent que d’une chose : leurs deux semaines de congés, sous le soleil de Floride. L’Eden Blue est fait pour eux ».
L’Eden Blue, c’est le fameux projet immobilier dans lequel l’avocat Sid Kabikoff a investi l’argent de Tyler Cross. Et Everett Loomis, c’est le gus qui a encaissé l’oseille, le boss. Avec l’assurance de rendre l’argent un mois plus tard, bonus de 50% compris. Tyler Cross sait compter. 70 000 dollars + 50% = 105 000 dollars. De quoi calmer Tyler Cross un temps… mais pas longtemps. Car bien sûr, le coup se révèle foireux, de quoi faire ressortir les flingues de leurs étuis…
Un polar sombre et violent
Hors champs, plans subjectifs, voix off, scènes en clairs obscurs, cases en cinémascope, Tyler Cross est un polar qui doit autant au cinéma qu’à la littérature, autant à la bande dessinée qu’à la musique noire américaine, un polar violent, sombre, comme toujours où les emmerdes volent en escadrille et les cadavres se ramassent à la pelle. Quand il met son chapeau sur la tête le matin, Tyler Cross sait que les ennuis ne vont pas tarder.
ll y a du Tarantino dans Tyler Cross, du Tarantino mais aussi du Frank Miller, du Breccia, beaucoup de cinéma américain des années 50, beaucoup de littérature noire. Le scénario taillé au scalpel par Fabien Nury révèle toute sa puissance dans le découpage des planches et plus largement la mise en scène, tout à fait exceptionnelle.
Cette narration nerveuse, sans temps mort, est l’essence même de Tyler Cross
« Sur des albums comme Tyler Cross… », précise Brüno, « la mise en scène est vitale : cela prend plus de temps à mettre en place, mais c’est le domaine où l’on s’amuse le plus avec Fabien. Impossible de se permettre un flottement dans le récit, un coup de mou dans la façon de raconter. Cette narration nerveuse, sans temps mort, est l’essence même de Tyler Cross ».
Un graphisme singulier pour une histoire singulière
Pour la série Tyler Cross, Brüno a souhaité donner à son dessin un côté à la fois plus réaliste et plus expressionniste, se rapprochant ainsi d’auteurs comme Breccia et Munoz, Pratt ou Comes, sans renier pour autant ses influences plus classiques que sont Morris ou Hergé. A l’arrivée, son dessin offre une approche très stylisée du réel avec des planches absolument sublimes où les masses noires, les clairs-obscurs et les couleurs (de l’excellente Laurence Croix) rivalisent de justesse pour apporter à l’ensemble une atmosphère noire incomparable.
« Un jour, Tyler Cross paiera pour ses crimes », était-il inscrit sur la couverture du premier album. Ce jour-là, visiblement, n’est pas arrivé.
« Tant que nous prenons du plaisir a confronter Tyler à de nouveaux univers, il n’y a pas de raison d’arrêter la série. D’autant plus que chaque album de Tyler Cross est une histoire complète, indépendante des tomes précédents, ce qui nous apporte beaucoup de liberté artistique, car nous ne sommes pas tenus par un feuilleton à terminer coûte que coûte ».
Propos recueillis par Eric Guillaud le 25 avril 2018
Miami, Tyler Cross (tome 3), de Nury et Brüno. Dargaud. 16,95€