Il faut avoir le pied sacrément marin et le cœur bien accroché pour embarquer à bord d’un bateau comme l’abeille Bourbon. Ça tombe bien, Clément Belin et Costès sont tous les deux marins. Ils ont navigué ensemble sur des bateaux de haute mer. Ils nous font découvrir aujourd’hui la vie à bord du Saint-Bernard des mers en BD, un docu-fiction qui pourrait bien vous faire tanguer…
C’est un navire connu de tous ceux qui aiment la mer, naviguent ou exploitent ses ressources. L’abeille Bourdon comme le nomment les auteurs, l’abeille bourbon avec un b de son vrai nom, car c’est bien de lui dont il s’agit ici, est un remorqueur d’intervention, d’assistance et de sauvetage en mer qui assure la sécurité du rail d’Ouessant.
Avarie, tempête, accident… ce navire affrété par l’état français et basé à Brest est considéré comme un Saint-Bernard des mers pour tous les marins, le dernier espoir des bateaux en détresse.
Costès et Clément Belin le connaissent bien ce remorqueur. Tous les deux ont fait partie de son équipage, tous les deux sont par ailleurs des marins confirmés qui se sont rencontrés sur les bancs de l’école à Nantes et dont les parcours se sont croisés sur de nombreux bateaux.
« J’ai rencontré Clément à l’Hydro de Nantes, l’École de la Marine Marchande… », explique Bruno Costes-Beau, aka Costès, « Tous deux internes, habitant loin, férus de dessin et de BD, nous avons scellé durant ces années d’étude les bases d’une solide amitié. Depuis, on a gardé contact de loin en loin, se repassant les postes sur différents navires aux (presque) quatre coins des océans. Clément entre ses embarquements a publié trois BD, et c’est donc un dessinateur accompli que j’ai retrouvé 15 ans plus tard à bord de la Flandre (qui a été remplacée par la Bourbon en 2005, ndlr) ».
Des effluves de rouille et d’huile chaude qui remontent de la salle des machines
Afin de garantir l’anonymat de leurs collègues et de se préserver une certaine liberté sur le plan de l’écriture, Costès et Clément Belin ont fait le choix de changer les noms du bateau et des personnages. « Le récit présente deux cas significatifs et représentatifs des différentes opérations que le navire rencontre, un remorquage de haute mer et un d’urgence. S’ils ne sont pas, à proprement parler des cas concrets, Ils sont constitués d’expériences vécues, ou relatées par les collègues (…) D’où un léger brouillage des noms, et des représentations (…) Ce qui servait nos intentions puisque nous voulions mettre dans cet album un peu de nos navigations précédentes au long cours ».
Hormis ces changements de noms, Fortune de mer relate avec un grand réalisme la vie quotidienne à bord, les odeurs, les repas, les longues périodes à quai, l’ennui parfois, les tensions entre marins, et puis bien sûr les opérations d’assistance ou de sauvetage dans une mer déchaînée, les cargo-poubelles qui refusent toutes aides pour des raisons financières ou autres, les paquets de mer qui emportent les hommes…
L’histoire commence avec l’arrivée à bord de Jonathan, un jeune officier de la marine marchande venu de Marseille. « L’ambiance à bord est particulière, compliquée pour les nouveaux arrivants, il faut faire ses preuves avant d’espérer s’intégrer à l’équipage. Les relations sont abruptes, rugueuses, au premier abord les tensions sont palpables (…) À travers le personnage de Jonathan, le lecteur est emmené pas à pas vers le grand large ».
Ça sent la rouille et l’huile chaude, ça sent la sueur et parfois la merde, ça sent surtout le courage et le dévouement pour éviter le pire, les naufrages, les pollutions et parfois les morts.
Si Clément Belin n’est pas un novice en bande dessinée puisqu’il a déjà réalisé plusieurs albums aux éditions Futuropolis (Au nom du fils, Les Marins perdus), Costès, quant à lui, signe ici son premier récit, un récit porté par le quotidien incroyable de ces hommes prêts à affronter les pires conditions pour remplir leur mission. On est tout de suite happé par l’histoire et même surpris par certaines situations, notamment lorsque l’abeille Bourbon, pardon Bourdon, se retrouve en concurrence en pleine mer pour le sauvetage d’un cargo. Après des négociations difficiles, le remorqueur rentre à vide, c’est un « vieux portuaire grec » qui remporte le marché. Un album instructif sur un monde souvent méconnu du grand public !
Eric Guillaud
Fortune de mer, de Clément Belin et Costès. Futuropolis. 20€