05 Avr

Trois questions à… Véro Cazot autour de son album Les Petites distances réalisé avec Camille Benyamina

Il y a à peine six mois, la scénariste Véro Cazot se faisait remarquer avec Betty Boob ou le parcours de reconstruction d’une jeune femme ayant perdu son sein gauche, son job et son mec, album mis en images par Julie Rocheleau. Elle revient avec Les Petites distances en compagnie cette fois de la dessinatrice Camille Benyamina, un récit un peu plus léger en apparence qui tient autant de la comédie sentimentale que du récit fantastique. Son titre : Les Petites distances. Interview…

Véro Clazot

Quel a été le déclic de cette histoire ?

Véro Cazot. Je voulais raconter une histoire d’homme invisible plus intime et plus psychologique que celles que j’ai pu lire ou voir jusqu’ici. J’avais envie d’écrire une histoire fantastique très ancrée dans le réel, le quotidien et sous forme de comédie sentimentale. Mon homme invisible n’est pas victime d’une expérience scientifique ou d’un phénomène spectaculaire. C’est juste quelqu’un qui n’arrive pas à s’affirmer, à trouver sa place dans le monde et qui sombre peu à peu dans l’oubli jusqu’à disparaître totalement de la vue et de la mémoire des gens. Il ne peut rien faire de magique et n’a pas de pouvoir sur les choses matérielles. (Par exemple, s’il prend un chapeau, on ne voit pas le chapeau se déplacer dans le vide : le chapeau ne fait que se dédoubler pour devenir une image immatérielle). Le seul pouvoir de Max est de toucher nos sens, notre inconscient, de provoquer par des actions subliminales des douleurs, des émotions, de la joie ou du désir, tout ce qu’on ne peut pas toujours expliquer.

© Casterman / Cazot & Benyamina

J’avais envie d’explorer les avantages et les limites d’être invisible d’un point de vue purement humain. Découvrir une personne dans toute sa vérité, débarrassée de tout masque social parce qu’elle ne nous voit pas est une expérience aussi merveilleuse qu’ambigüe. Tomber amoureux d’une personne qui ignore tout de notre existence est une limite. Éveiller en elle un désir que seul un corps matériel peut combler en est une autre.

C’est comme ça qu’est née l’idée de départ : Comment un homme effacé va apprendre à s’affirmer et se connaître en devenant invisible. Et comment une femme qui a peur de tout et de tout le monde va prendre confiance en elle et en l’Autre au contact de cet homme invisible. Et enfin comment cette relation ne peut être que bancale et incomplète quand le désir entre en scène et que Léonie commence à être attirée par d’autres hommes, physiques et palpables.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans l’écriture et peut-être dans la réalisation graphique de l’album ?

Véro Cazot. Être compréhensible dans mon concept de vie à deux à sens unique. Il fallait absolument que cette intrusion de Max dans l’intimité de Léo ne soit pas perçue comme (trop) malsaine. Il fallait qu’on aime ce personnage et qu’on le comprenne. Qu’il y ait un maximum d’humour et de bienveillance dans leur “relation“.

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retrouvez la chronique de l’album ici

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Mais le vrai casse-tête a été de rendre compréhensible ce principe de monde dédoublé dans lequel notre homme invisible évolue. Il a fallu établir des règles strictes sur ce qu’il peut faire ou ne pas faire pour que tout tienne et reste crédible. Je pars du principe que Max a basculé dans un monde superposé au monde réel. Qu’il est comme un écho du monde matériel et qu’il ne peut donc toucher que l’écho de tout ce qui l’entoure. Il fallait donc décider par exemple que tous les objets que Max utilise, n’ont qu’un seul écho et ne peuvent se dédoubler qu’une fois. Par exemple, la tasse de thé que Max prend à Léonie n’a qu’un seul écho, la chaise qu’il dédouble pour s’y asseoir aussi. Sinon, les objets se seraient entassés à l’infini dans l’appartement de Léo, il y aurait eu des centaines de tasses et de chaises accumulées dans la dimension de Max et la dessinatrice de l’album, Camille Benyamina, se serait arraché les cheveux.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Quel fantasme réaliseriez-vous si vous deveniez subitement, comme votre personnage, invisible ?

Véro Cazot. J’ai déjà réalisé tous mes fantasmes dans cet album ! Cette histoire est la moins réaliste et pourtant la plus personnelle que j’ai écrite jusqu’ici. Comme Léo, je n’ai pas vraiment de barrière entre le réel et l’imaginaire. Et comme Max, il m’arrive fréquemment de manquer de matière et de douter de mon existence.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 4 avril 2018

© Casterman / Cazot & Benyamina