27 Sep

La Dame de fer : une histoire de potes dans l’Angleterre thatchérienne

790546_01Tournée générale ! La vieille Maggy vient de passer l’arme à gauche et ça se fête. Surtout ici, à Kingsdown, petite ville de la côte sud de l’Angleterre située à quelques encablures de Douvres où la politique d’austérité de la Première ministre britannique a fait des ravages et laissé des traces…

Tournée générale donc et c’est le patron du pub, David, qui paye, un patron heureux de voir enfin disparaître ce satané personnage des écrans radar. « Mesdames, c’est un grand jour pour l’Angleterre ! on va fêter ça et ce sera pour la maison! ». C’est vrai qu’il a de quoi être heureux le patron. Et de se rappeler ses souvenirs de jeunesse quand la Maggy tenait le pays d’une main de fer et que ses deux potes, Abby et Owen, partageaient encore son quotidien avant de devoir migrer pour Londres dans l’espoir de trouver un job.

Mais qu’importe, Margaret Thatcher est aujourd’hui morte et enterrée, pas mal d’eau a coulé sous les ponts et de bière à la pompe, l’heure est aux retrouvailles. David monte un stratagème pour faire revenir ses deux amis d’enfance à Kingston. Ils se retrouvent tous autour d’une autre dame de fer, une vieille bécane – une Norton Manx pour les connaisseurs – qui a bercé et accessoirement promené leurs fesses sur les routes de la région. Ensemble, ils décident de relancer l’économie du village en créant un camping écolo bobo. C’est à la mode et c’est une belle revanche sur la vie !

Non, La Dame de fer n’est pas une énième biographie sur la mère Thatcher mais une histoire d’amitié dans l’Angleterre thatchérienne et post-thatchérienne. Plus souvent au dessin qu’au scénario, Michel Constant signe ici les deux avec réussite et nous offre un récit à la fois intimiste et universel autour d’une génération marquée par le punk rock. À lire en écoutant The Jam, The Stranglers et ça passe bien aussi avec The Only Ones.

Eric Guillaud

La Dame de fer, de Michel Constant. Éditions Futuropolis. 15€ 

© Futuropolis / Constant

© Futuropolis / Constant

 

19 Sep

Frnck, Harmony, les Cochons dingues, Super Caca, Marie-Lune… Les héros de la BD jeunesse ont aussi fait leur rentrée.

hzMT7AAbpa7UfgInkjqvM6HWRyeY0deX-couv-1200Frnck est de retour, cinq petits mois seulement après un premier volume qui en a surpris plus d’un, à commencer par les hommes préhistoriques  et les mammouths qui ont vu débouler dans leur environnement un gamin de 13 ans qui ne ressemble à rien de connu pour eux. Et pour cause, Frnck, je sais c’est difficile à prononcer mais vous pouvez l’appeler Franck, est un ado d’aujourd’hui, moderne, jean, baskets rouges au pied, du genre à avoir tout le temps le nez sur les écrans. Sauf que là, dans la préhistoire, il n’y a pas de réseau, pas d’internet, pas de Facebook… bref la galère. Et justement, qu’est-il venu faire dans cette galère remplie de bestioles monstrueuses, d’hommes poilus qui mangent les voyelles et de jolies filles, enfin surtout d’UNE jolie fille qui ne le lâche plus depuis son arrivée ? Hein ? Alors ? Franck est simplement tombé dans une faille spatiotemporelle qui l’a propulsé jusqu’à la préhistoire. cochonsDinguesSi vous voulez en savoir plus, lisez le premier tome et sinon jetez-vous sur celui-ci, c’est toujours aussi poilant! Le Baptême du feu, Cossu et Bocquet, Dupuis, 10,95€

Eux n’ont rien de préhistoriques, quoique, ce sont Les Cochons dingues de Laurent Dufreney et Miss Prickly, des cochons d’Inde qui dorment, grignotent, dorment, grignotent, dorment, grignotent… bien au chaud dans le salon de la maison hôte. Un vie bien remplie troublée par l’arrivée d’un petit nouveau tout gris qui s’appelle César et se pose beaucoup de questions sur sa condition d’animal. Son objectif : s’évader. Enfin, après le repas et la caresse de la maîtresse… Les Cochons dingues, Dufreney et Miss Prickly, Delcourt, 10,95€

AgoChangement de style avec Harmony qui clôt son premier cycle avec un troisième volet intitulé Ago. Les jeunes filles adorent cette héroïne de Mathieu Reynès que l’on a pu découvrir en novembre 2015 dans les pages du journal Spirou puis en janvier 2016 en album. Le sacré coup de crayon de l’auteur, l’intrigue mystérieuse à souhait, la mise en scène particulièrement efficace et le caractère bien affirmé de l’héroïne ont fait de la série un succès d’édition. Tout avait commencé dans la cave d’une maison perdue au milieu des bois. Enfermée, Harmony se réveille. Elle est amnésique mais découvre très Dream-ballvite qu’elle est dotée d’un pouvoir surnaturel, la télékinésie. Ago, Harmony (tome 3), Reynès, Dupuis, 12€

Super Caca est de retour et avec lui Luca, le jeune garçon qui l’a inventé ou plus précisément rêvé lors d’un test d’admission à l’école de l’imaginaire. Oui je sais ça peut surprendre. Super Caca est un gros caca mais attention un caca qui sent la fraise. Et ça change tout parce que Super Caca et Luca ne vont plus se quitter de l’année scolaire et devoir affronter les épreuves et les rêves des autres ! Malgré ce que pourrait laisser penser le titre de la série, Super Caca n’a rien de débile et encore moins de scatologique ! Dream Ball, Super Caca (tome 2), Mourier, Silas, Sierro, Delcourt, 11,50€Capture d’écran 2017-09-19 à 19.31.23

Marie-Lune nage dans le bonheur. Ou presque ! Pour ce neuvième album, les parents de notre ado aux cheveux rose bonbon se sont remis ensemble, ça c’est le côté positif. Mais la famille s’est agrandie, un bébé, un garçon qui monopolise un peu trop l’attention. « Il est tellement mignon, il est tellement chou ». Pour Marie-Lune, hyper-méga jalouse, ça devient insupportable mais son attention va très vite se reporter sur Mathieu son ex-futur petit ami. Le problème, c’est que Pénélope, la nouvelle-ex-copine de Mathieu – vous suivez? – ne le sait pas encore… Un univers très coloré et une héroïne très très branchée devenue la coqueluche des pré-ados. Je nage (presque) dans le bonheur!, Marie-Lune (tome 9), Douyé et Yllya, Vents d’Ouest, 10,50€

Eric Guillaud

17 Sep

On Mars : Sylvain Runberg et Grun dessinent un futur possible pour l’humanité

81SI9ym80+LAprès avoir colonisé tout ce qu’il y avait à coloniser sur Terre, et au passage dilapidé toutes les ressources disponibles, l’homme doit se résigner à trouver un autre os à ronger et accessoirement un nouveau gîte d’accueil. Et pourquoi par Mars ? C’est le parti pris de Sylvain Runberg et Grun dans ce très bel album paru aux éditions Daniel Maghen. En route pour 2132… 

Coloniser Mars oui, ruiner la population terrienne non ! Les services RH et financiers n’auront pas à sortir la calculette et remuer le chiffon rouge des ETP, vous savez ces fameux équivalents temps plein qui régissent aujourd’hui la vie des entreprises, l’idée est toute trouvée : envoyer tous les repris de justice y bâtir la nouvelle colonie, une main d’oeuvre qui coûte absolument rien, nada, et qui ne discute pas, ne demande rien. Le rêve quoi ! Et ça bétonne dur comme ça depuis 20 ans maintenant. Une dizaine de cités dômes sont en construction pour les colons libres, des habitats confortables, agréables et autosuffisants en énergie, bref le bonheur pour tous… sauf bien sûr pour les condamnés à l’exil.

« Ça vous aura pris plus de six mois pour arriver ici… Ça ne vous prendra pas vingt-quatre heures pour comprendre comment fonctionne le plus grand camp de travail jamais construit dans notre système solaire. »

Jasmine Stanford est flic. Ou plutôt, elle était flic jusqu’à ce qu’elle foire une mission en tuant une gamine de 15 ans. Pour elle, ce sera 20 ans. 20 ans à casser du caillou et couler le béton pour les autres sur la planète rouge. Les conditions de travail sont rudes, il y a souvent des accidents, des morts, les violences entre prisonniers sont quotidiennes et l’environnement général n’est pas franchement idéal pour se refaire une opinion toute neuve sur l’humanité…

L’avantage avec cet album de Sylvain Runberg et Grun, c’est que vous n’avez nullement besoin pour comprendre l’intrigue d’avoir absorbé et digéré tout ce qui se fait en science fiction depuis des décennies. Aucune culture spécifique n’est demandée et, franchement, ça fait du bien. On repart de la base, le scénario est simple mais pas simplet et les planches de Grun, grand admirateur de Moebius, ancien designer de décors et de personnages dans une société de production de jeux vidéos, sont tout simplement magnifiques. Un cahier graphique en fin d’album, réunissant grandes illustrations en couleur et recherches graphiques, permet d’admirer plus encore son immense talent. Une histoire prévue en trois volumes. On attend la suite avec une très grande impatience!

Eric Guillaud

On Mars (tome 1) de Sylvain Runberg et Grun. Éditions Daniel Maghen. 16€

© DM / Runberg & Grun

© DM / Runberg & Grun

13 Sep

Pauvre Jean-Pierre et Les Gens honnêtes : deux intégrales rigoureusement indispensables

697JqbzDzEi5cX5Qo7ObbIJkUQ53RZGO-couv-1200Je sais, le porte-monnaie va être encore mis à rude épreuve ce mois-ci tant les sorties sont nombreuses et pour certaines indispensables. C’est le cas de Pauvre Jean-Pierre de Grégory Mardon et des Gens honnêtes de Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat, deux albums parus chez Dupuis…

On commence a avec le Pauvre Jean-Pierre, une intégrale qui réunit les trois premiers albums de Mardon chez Dupuis, parus entre 2004 et 2006, les trois albums qui m’ont en fait permis de découvrir l’auteur. Il avait à l’époque déjà publié Vagues à l’âme aux Humanoïdes Associés et Cycloman chez Cornélius mais la trilogie aujourd’hui rassemblée sous le titre Pauvre Jean-Pierre vont le faire connaître du grand public et le propulser au rang d’auteur incontournable. Après une bonne vingtaine d’albums parmi lesquels L’Echappée chez Futuropolis, L’Extravagante comédie du quotidien chez Dupuis ou encore et tout dernièrement Prends soin de toi chez Futuropolis, l’intégrale que voici permet de nous relancer dans les pas de Jean-Pierre, du pauvre Jean-Pierre.

« Je me présente, Jean-Pierre Martin, ni grand, ni petit, ni beau, ni moche, je suis un individu moyen. Je rêve d’excès et de démesure, de déséquilibre et de sensations fortes. Je rêve de me sentir en vie mais je reste là, bien au milieu, imperturbablement raisonnable ».

Personnage central mais pas unique, Jean-Pierre nous permet de croiser et de suivre les ADxLfYDjLuMEwGl74SAmhVMUZHPwzWEz-couv-1200trajectoires de tout un tas de protagonistes, des hommes et des femmes tou(te)s plongé(e)s dans le bain de la vie urbaine offrant une photographie de notre société sans pareille, à la fois caustique et souriante, douce et poétique, Il y a du Monsieur Jean dans l’esprit, du Blutch dans le trait, et du génie dans l’air ! (Pauvre Jean-Pierre, de Mardon, Dupuis, 32€)

On reste dans la chronique du quotidien avec l’intégrale Les Gens honnêtes qui réunit les quatre volets existants, autant de petits bijoux de sensibilité, de tendresse et d’humanité publiés originellement entre 2008 et 2016 et signés par deux grands messieurs de la BD, Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat.

En héros de l’ordinaire cette fois, Philippe, la cinquantaine, une vie paisible, une femme, des enfants, une maison… jusqu’au jour où il apprend son licenciement. Patatras, tout s’écroule autour de lui, sa femme le quitte, il perd sa maison, plonge dans l’alcool avant de finalement se raccrocher à la vie, d’enchaîner les petits boulots, de retrouver une petite amie…

Le parcours accidenté d’un homme honnête en près de 300 pages. C’est beau, c’est intelligent et c’est émouvant. (Les Gens honnêtes, de Durieux et Gibrat, Dupuis, 35€)

Eric Guillaud

12 Sep

La Vallée du diable d’Anthony Pastor : embarquement pour la Nouvelle-Calédonie des années 20

Capture d’écran 2017-09-06 à 22.41.27Impossible de passer à côté de cette magnifique couverture qui promet à elle-seule voyage et aventure. Et de fait, dès les premières pages du récit d’Anthony Pastor paru aux éditions Casterman nous voilà propulsés aux antipodes, dans la Nouvelle-Calédonie des années 20…

1925 exactement. En Europe, les blessures de la grande guerre ne sont toujours pas cicatrisées et la vie difficile pousse certains à émigrer vers d’autres horizons. Blanca, Florentin, Pauline et Arpin sont de ceux-là. Ils ont décidé de fuir leur Savoie natale où ils ne trouvent plus leur place pour rejoindre la Nouvelle-Calédonie, promesse d’une nouvelle vie.

Mais depuis cinq ans qu’ils y ont débarqué, Blanca, Florentin, Pauline et Arpin ont largement eu le temps de déchanter. La Nouvelle-Calédonie est toujours en phase de colonisation. La population indigène est dans sa grande majorité parquée dans des réserves d’où elle peut uniquement sortir pour travailler. Exploités dans les fermes par les colons, réquisitionnés par l’administration pour certains travaux de force, maltraités d’une façon générale, réprimés à la moindre rébellion, les Kanak assistent impuissants à la main mise des Blancs sur les terres calédoniennes.

Totalement étrangers à cet univers colonial, les quatre Savoyards ne supportent pas le climat de tension permanente, les violences, les injustices flagrantes et le racisme qui gangrènent la Nouvelle-Calédonie. Et le mariage entre Pauline et Arpin n’y change rien, la nouvelle vie tant espérée n’a franchement pas le goût du bonheur.

Au delà de l’histoire de ces quatre migrants savoyards que l’on avait déjà pu suivre dans un album précédent intitulé Le Sentier des reines (éd. Casterman), Anthony Pastor nous raconte toute l’horreur de la colonisation qui ne prendra fin finalement qu’après la seconde guerre mondiale. Un passé pas si lointain qui a forcément laissé des traces sur ces lointaines terres de France. Sur un peu plus de 120 pages, Anthony Pastor déroule un scénario habile emporté par un mise en scène assez classique mais efficace, un graphisme époustouflant et des couleurs qui nous restituent parfaitement l’atmosphère. Un récit judicieusement complété par un dossier d’Isabelle Merle, historienne au CNRS et conseillère historique sur l’album.

Eric Guillaud

La Vallée du diable, d’Anthony Pastor. Éditions Casterman. 20€

© Casterman / Pastor

© Casterman / Pastor

Big John Buscema : un gros pavé consacré à l’un des maîtres absolus de l’univers Marvel

CapturebigjohnIl aurait fêté ses quatre-vingt dix ans en décembre prochain. Décédé en 2002, John Buscema fut un monstre de la culture comics, lui qui a rencontré dès 1948 Stan Lee et qui entra chez MARVEL en 1966, juste au moment où après des années de crise, l’industrie redécolle à nouveau, lui offrant un nouvel âge d’or auquel, véritable stakhanoviste, il contribuera largement. Cet épais ouvrage retrace son parcours.

Alors hagiographique, ce livre l’est (forcément ?) un peu mais c’est un peu la nature de l’exercice. Autre bémol, histoire de vider nos tiroirs d’entrée : une traduction pas toujours bien adaptée, certes réussie sur le plan grammaticale bien sûr mais dont certaines tournures de phrases un chouia rigides gâche parfois la lecture. Mais on chipote. Parce que pour le reste, à part ses toutes premières publications (pour d’obscures raisons de droit ?), visuellement c’est un véritable festin où planches définitives et colorisées et croquis plus ou moins finalisés du maître de toutes les séries par lesquelles il est passé se côtoient, parfois sur une pleine page. Et c’est du lourd.

Déjà, on retrouve cette exigence dans le choix du papier, bien épais, et dans les iconographiques. De plus, l’auteur connaît à fonds son sujet et cela se voit. On revient notamment sur son enfance, son entrée (difficile) dans le monde des comics et comment cet admirateur absolu de Michel-Ange et fils d’immigrés italiens s’est fait tout seul. Certes, le ‘style’ Buscema reste pour toujours attaché à un certain état d’esprit des années 70. Et on voit combien le grand manitou de l’esprit MARVEL des origines Jack Kirby l’a influencé, même s’il a su s’en détacher par la suite. Mais ses références culturelles (l’homme ayant toujours affirmé préférer les récits mythologiques à la BD traditionnelle), son style très emphatique et son sens du dramatique ont marqué toute une génération de lecteurs, surtout qu’il a dessiné bon nombre de personnages emblématiques, des Avengers aux Quatre Fantastiques, en passant par Spider-Man ou Captain America.

Mais tout l’intérêt de ce superbe objet, en plus de pouvoir mesurer sur plus de 300 pages comment ce boulimique de travail a évolué en près de 50 ans de carrière, est de pouvoir réévaluer certains de ses travaux, comme cette trop brève série sur Le Surfeur D’Argent écrite avec Stan Lee, abandonnée au bout de dix-huit numéros par manque de succès. Ou comment ses années en tant que graphiste dans la pub aux débuts des 60’s ou avec Roy Thomas sur la série Conan le Barbare lui a permis progressivement de s’affranchir du style parfois trop policé des super-héros (qu’il affirmait, apparemment, d’ailleurs détester !) pour quelque chose de plus brut, sensuel et sombre, bref adulte. On découvre même que pendant un temps, ce type qui visiblement ne savait pas dire non, a donné dans les romans graphiques à l’eau de rose… Alors certes, le terme est un peu galvaudé mais on peut vraiment parler d’ouvrage exhaustif. Ou, traduction un chouia moins lettrée, juste un truc foutrement d’indispensable pour tout fan de comics digne de ce nom.

Olivier Badin

Big John Buscema, collectif, Urban Comics, 328 pages, 39 euros

10 Sep

Kérosène : le photographe Alain Bujak et l’auteur de BD Piero Macola donnent la parole aux manouches

Couv_307948C’est un endroit où personne ne devrait logiquement vivre, coincé entre une déchetterie et la base militaire aérienne B118 de Mont-de-Marsan, la plus active de France. 3000 soldats, 20 000 mouvements d’avions par an et du kérosène qui vous dégringole dessus en permanence. Non, personne ne devrait y vivre, pourtant la maison de Marie s’y trouve, et à côté d’elle d’autres familles, d’autres maisons, formant le plus ancien camp de gitans de France…

« De la graine de vauriens, des cambrioleurs, des voleurs de cuivre, des bagarreurs mal rasés qui sillonnent les routes de France et de Navarre à bord de grosses bagnoles tractant d’énormes caravanes. Des gens peu fréquentables, dont il faut se méfier et qui n’apportent que des ennuis… ».

Ces mots-là, nous les avons tous entendus un jour ou l’autre. Claquant comme une évidence. Alors, beaucoup d’entre eux se sont isolés et beaucoup d’entre nous les ont évités. Au point aujourd’hui de vivre chacun dans l’indifférence totale, deux mondes qui ne se voient pas, ne se parlent pas, d’un côté les manouches, de l’autre les gadjos et au milieu une rivière de préjugés, de méfiances et d’ignorances.

En arrivant au camp, le photographe Alain Bujak se remémore lui aussi ces mots. Et d’autres encore. Il est venu ici pour enquêter sur le prochain démantèlement du camp arès le rachat du terrain par l’armée et le relogement des manouches dans des habitations plus traditionnelles pour une vie forcément plus standardisée.

Marie est la première personne que rencontre Alain Bujak. Un passage obligé. Elle vit dans le camp de rond depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle y a vécu le racisme ordinaire, la misère, l’exclusion, la solitude. Mais elle y a aussi vécu de belles choses. En 60 ans et plus, Marie a largement eu le temps d’installer ses petites habitudes et d’engranger les souvenirs.

Comment réagit-elle à ce déménagement ? Comment tous voient-ils l’avenir ? Pourront-ils conserver leur manière de vivre, leur identité ? Leur culture ne risque-t-elle pas de se diluer dans un quotidien « normalisé » ? C’est à toutes ces questions et beaucoup d’autres que le photographe espère trouver des réponses en interrogeant les manouches.

Kérosène nous raconte cette enquête avec les dessins de Piero Macola, les photographies – une trentaine – d’Alain Bujak et un objectif clair : donner la parole aux manouches et garder la trace de cette histoire humaine. Une bande dessinée soutenue par Amnesty International.

Eric Guillaud

Kérosène, par Alain Bujak et Piero Macola. Éditions Futuropolis. 21€

© Futuropolis / Bujak & Macola

© Futuropolis / Bujak & Macola

03 Sep

Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied : une petite gourmandise poétique signée Pascal Rabaté et Alain Kokor

Couv_306446Plutôt que la déprime, Alexandrin a choisit la rime. Et même si la rue est son quotidien, la mendicité son gagne-pain, rien jamais rien ne peut l’empêcher de trouver le bon mot, le bon vers, au bon moment. Plus qu’un exercice, c’est une discipline, une façon de vivre…

« C’est ce jeu avec les mots qui me tient debout… C’est cette quête du beau qui m’évite de rester à genoux… ». Alexandrin ne parle pas en alexandrins mais en vers assurément, et ce du matin au soir, quelques soient les circonstances, le contexte et l’orientation du vent. Sans domicile fixe, Alexandrin fait du porte à porte pour proposer sa poésie contre quelques menues monnaies, il arpente ainsi les rues de la ville au hasard des rencontres, en change lorsque plus rien ne l’y retient.

Faire sonner les mots est devenu son obsession et son unique richesse.

« Bonjour mon brave monsieur, j’espère ne point vous déranger sous ces cieux. Je me présente, Alexandrin de Vanneville, poète des campagnes et des villes, arpentant les chemins de terre et de bitume, par le vent et par la pluie, sans me taire et sans amertume, je survis en proposant ma poésie »

Vendre sa poésie, rester libre, sans attaches, sans femme, sans enfants… Alexandrin est seul et heureux de l’être jusqu’au jour où son chemin croise celui de Kevin, un jeune garçon qui a fui son foyer pour cette même envie de liberté. Alexandrin en fait pour un temps son auxiliaire, son « contrat à durée indéterminée en mendicité » comme il l’appelle.

C’est un drôle de personnage que nous ont imaginé Alain Kokor et Pascal Rabaté, oui un drôle de gus que l’on croirait arrivé tout droit d’un autre siècle avec son accoutrement, ses bonnes manières et ses vers. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une histoire contemporaine, une ode à la poésie, une invitation à la vie, un album magnifiquement écrit et mis en image par deux auteurs de très grand talent, réunis pour la première fois. Les rimes sont sublimes et drôles, le trait de Kokor comme toujours délicat et presque évanescent se marie à merveille avec l’histoire. Bref, pour ne plus être chagrin, lisez Alexandrin!

Eric Guillaud

Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied, de Pascal Rabaté et Alain Kokor. Éditions Futuropolis. 22€

© Futuropolis / Rabaté & Kokor

© Futuropolis / Rabaté & Kokor

02 Sep

Broussaille : le deuxième et dernier tome de l’intégrale est dans les bacs

9782800170190_1_75Un peu de poésie pour la rentrée. Et ce sont les éditions Dupuis qui s’y collent avec le deuxième volet de l’intégrale consacrée au héros de Frank Pé et Bom : Broussaille.

Un deuxième et dernier volet hélas puisque la série lancée dans les pages de Spirou en 1978 compte uniquement cinq albums et deux hors-série, tous désormais réunis dans cette intégrale avec en bonus de nombreuses illustrations, des récits courts ainsi qu’un dossier.

En parlant de rentrée, c’est justement sur une histoire courte consacrée à l’école que s’ouvre cette intégrale, une histoire publiée en septembre 1987, il y a tout juste 20 ans, mettant en scène un Jean Rostand jeune, déjà très brillant et curieux de la vie. Il n’est pas encore le biologiste et écrivain célèbre mais les auteurs rappellent qu’il écrira quelques années plus tard :« La recherche scientifique est la seule poésie qui soit rétribuée par l’état ». 

Entre Jean Rostand et Broussaille, il n’y aurait que quelques pas selon l’éditeur. En tout cas, c’est toujours un immense plaisir de se replonger dans les histoires de ce personnage attendrissant qui quitte la bande des gros nez à partir de l’album La Nuit du chat pour une physionomie beaucoup plus réaliste. Il perd notamment son énorme touffe de cheveux très 70’s pour une coupe pétard beaucoup plus branchée à l’époque.

Le look de Broussaille évolue mais les histoires gardent leur magie, Frank Pé et Bom explorant le territoire de l’intime, de la poésie et du merveilleux avec une infinie délicatesse. Unique !

Eric Guillaud

Broussaille, L’Intégrale tome 2 (1988 – 2002), de Frank Pé et Bom. Éditions Dupuis. 35€

© Dupuis / Frank et Bom

© Dupuis / Frank et Bom

31 Août

Book of Death : le livre des géomanciens

bookLes ‘crossovers’ (collusion de plusieurs univers au sein d’un même volume) étant l’une des grandes spécialités des comics, on voyait mal comment l’éditeur spécialisé dans le genre Valiant allait y échapper, surtout à l’heure où ses productions sont ENFIN traduites en Français. Paradoxalement, cet imparfait Book of Death à la conclusion hélas un peu bâclée vaut presque plus par ses (généreux) bonus.

Au centre de ce tome une nouvelle fois volumineux (300 pages) se trouve le Guerrier Éternel, peut-être le personnage le plus maudit de l’univers Valiant car condamné, comme son nom l’indique, a ne jamais mourir et à traverser les âges pour protéger Gaia (en gros, la Terre mais perçue comme une entité consciente) et surtout sa géomancienne, sorte de mystique à laquelle elle est liée et dont la survie et qui ici apparaît sous a forme d’une jeune fille boudeuse et impatiente. Au passage, cette idée d’une humanité dont le destin dépend de la planète sur laquelle elle vit sans que cela l’empêche pour autant de la piller sans compter est d’ailleurs l’une thématique récurrente chez Valiant, sorte de variante écolo aux pays des super-héros si vous préférez…

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

Ici, les rôles sont quasi-inversés vu que le gentil est le méchant, enfin, ce que en tous cas les autres héros de l’écurie Valiant que l’on retrouve ici (X-O Manowar, Ninjak et Live Wire entre autres) croient : que le Guerrier Éternel défend une géomancienne qui ne contrôle pas ses pouvoirs et qui sème donc mort et destruction sur son passage, alors qu’en fait ce sont là les agissements d’un autre géomancien, capturé par un sorcier maléfique. Un scénario assez manichéen donc mais transfiguré par ces visions d’un possible futur apocalyptique si les prophéties du livre des géomanciens s’accomplissent. Des images chocs avec pas mal de combats au programme qui ne rattrapent pas, hélas, la faiblesse de certains personnages (Ninjak, par exemple, à qui Valiant a consacré trois volumes dont on parlera bientôt, apparaît aussi bourrin que buté) et une fin ratée car bien trop facile et surtout expédiée en quelques planches, comme si la montagne accouchait un peu d’une souris.

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

Non, une fois n’est pas coutume, c’est dans les bonus que ‘Book of Death’ fait la différence. Pas forcément avec cette opulente galerie de croquis ou ce petit prologue de trois pages initialement paru sur le web, non, mais bien dans ces quatre ‘spin-off’ d’une vingtaine de planches qui, individuellement, imagine la mort de quatre des héros de la galaxie Valiant. Or si celui consacré à Harbinger par exemple est trop bavard, le récit de la fin de Bloodshot est à classer parmi les meilleurs de cet éditeur car à la fois beau, mélancolique et d’une incroyable force émotionnelle. Vingt-cinq pages qui valent presque à elles seules l’achat, même si la porte d’entrée pour néophytes au vaste monde Valiant attendue n’est pas hélas vraiment au rendez-vous.

Olivier Badin

Book of Death par Robert Venditti, Robert Gill, Doug Braithwaite, David Baron et Brian Reber, Valiant Comics, éditions Bliss. 24,50€