21 Mai

Sous les pavés : une histoire d’amour au coeur des événements de mai 68 signée Warnauts et Raives

Sous les pavés… l’amour! Pour leur nouvel album commun, Eric Warnauts et Guy Raives ont choisi de poser leurs plumes et leurs crayons dans la France de mai 1968. Entre barricades, assemblées générales et occupations de la Sorbonne, les deux auteurs belges mettent en images une passion amoureuse exacerbée par les événements entre un Américain et une Française…

Combien d’albums ? Trente-huit ? Trente-neuf ? En bientôt 35 ans de collaboration étroite, Eric Warnauts et Guy Raives ont écrit et dessiné à quatre mains une quantité impressionnante d’histoires qui nous auront fait voyager à travers le monde et les époques, depuis le Congo belge jusqu’à la Venise du 18e siècle, en passant par l’Amérique d’Obama ou encore l’Allemagne nazie.

C’est leur signature, leur truc à eux, utiliser un contexte fort pour y inscrire un récit fictionnel. Après les trois diptyques Les Temps nouveaux, Après-Guerre et Les Jours heureux qui nous embarquaient dans la Belgique des années 40 à 60, Sous les pavés dépeint la France ou plus précisément le Paris de mai 68 autour de cinq personnages, cinq amis, Jay Fergusson, Françoise Bonhivers, Gilles Dussart, Didier Saint-Georges et Sarah Tanenbaum, en révolte contre la France de l’après-guerre, son général, son consumérisme, son productivisme, ses pesanteurs sociales, ses freins à l’évolution des moeurs et à l’émancipation des femmes.

Contrairement au livre Le Grand soir de Patrick Rotman et Sébastien Vassant, dont nous vous parlions ici-même, Sous les pavés ne prétend aucunement dresser une fresque chronologique des événements et encore moins poser un regard d’historien. Malgré tout, comme dans tous les récits de Warnauts et Raives, le contexte est minutieusement recréé à partir d’une documentation musclée et de nombreux témoignages.

Anarchiste révolutionnaire, pacifiste, opportuniste, fils de député ou bourgeoise rebelle, notre club des cinq surfe sur les événements avec chacun ses rêves d’une nouvelle société et forcément ses désillusions. Dans le tumulte de ce jolie mois de mai, l’Américain Jay Fergusson et la Française Françoise Bonhivers s’aiment d’un amour fou jusqu’au jour où le groupe d’amis découvre le passé caché de Jay Fergusson.

Bien construite et excellemment mise en images dans un style réaliste élégant, Sous les pavés nous permet de retrouver – ou de découvrir pour les plus jeunes – l’esprit de mai 68 et notamment ce fameux romantisme révolutionnaire dont on parle toujours autant 50 ans après…

Eric Guillaud

Sous les pavés, de Warnauts et Raives. Le Lombard. 16,45€

© Le Lombard / Warnauts & Raives

17 Mai

Le coin des mangas : Baby-Sitters, 12 ans, Ranma 1/2, Hikari-Man et Hana Nochi Hare

On commence par Baby-Sitters dont le 15e tome vient tout juste de paraître aux éditions Glénat. On y retrouve bien évidemment les personnages habituels, à commencer par Ryuichi Kashima et Kotaro Kashima, les deux frangins devenus orphelins suite à la disparition de leurs parents dans un accident d’avion et recueillis par la directrice de l’Académie Morinomiya qui a elle-même perdu son fils et sa belle fille dans l’accident. Ryuichi, qui est le plus grand des deux, doit non seulement s’occuper de son petit frère mais aussi des enfants de la crèche de l’Académie, parmi lesquels Takuma et Kazuma Mamizuka. Et ce n’est pas tous les jours facile… (Baby Sitters 15, de Hari Tokeino. Glénat. 6,90€)

Changement radical de style avec le premier volume de Hikari-Man sorti il y a quelques semaines maintenant. Ce manga de Hideo Yamamoto à qui l’on doit précédemment Ichi the killer, adapté au cinéma en 2001 et Homunculus, met ici en scène un jeune nerd (passionné d’informatique asocial) prénommé Hikari. En apparence semblable à ses camarades de classe même s’il passe tout son temps à bricoler des ordinateurs, Hikari découvre un beau jour qu’il est sensible à l’électricité statique au point de faire quelques séjours à l’infirmerie du lycée. Rien de très inquiétant, juste de petites pertes de connaissance, jusqu’au jour où le corps du jeune garçon est traversé par un arc électrique violent. A son réveil, Hikari se rend compte que sa conscience peut circuler à travers l’électricité… (Hikari-Man 1, de Hideo Yamamoto. Delcourt / Tonkam. 7,99€)

Vous avez aimé Hana Yori Dango et son univers ? Ne bougez pas, Yoko Kamio vous en offre la suite avec ce premier volume de Hana Nochi Hare. Retour donc au lycée d’élite Eitoku, un lycée réservé aux plus riches dans lequel un groupe d’élèves, les Correct 5, s’évertue à débusquer et faire expulser les lycéens pauvres simplement pour préserver la réputation de l’établissement. La jeune Oto Edogawa pourrait être la nouvelle victime. Elle fait tout pour cacher les origines modestes de sa famille,  jusqu’au jour où Haruto Kaguragi, leader des Correct 5, découvre que la jeune fille travaille dans une supérette… (Hana Nochi Hare 1, de Yoko Kamio. Glénat. 6,90€)

On reste chez Glénat avec le douzième volet de ce qui devait être au départ une histoire courte,12 Ans de Nao Maita. Au menu, comme toujours, des histoires qui tentent d’apporter des réponses aux questions que peuvent se poser les lectrices à cet âge-là. On y parle bien évidemment de l’amour et plus largement de la vie… (12 Ans, de Nao Maita. Glénat. 6,90€)

On termine avec Ranma 1/2 troisième volet, un manga de Rumiko Takahashi publié chez Glénat. Akané n’a aucune blessure apparente, tout juste a-t-elle ressenti de l’air frais derrière les oreilles et une sensation de légèreté. Rien d’autre. Pourtant, la jeune fille est totalement amnésique depuis son duel avec Shampoo. Elle ne se souvient même pas de Ranma avec qui elle vit depuis pas mal de temps maintenant. La seule solution pour Ranma ? Se procurer un shampooing spécial, le numéro 119, qui ne se vend qu’en Chine. Histoires d’amour, personnages qui se transforment en animaux et surtout arts martiaux, Ranma 1/2 a tout pour plaire aux jeunes ados de sexe masculin. (Ranma 1/2 tome 3, de Rumiko Takahashi. Glénat. 10,75€)

Eric Guillaud

16 Mai

La Route de Tibilissi : le périple de deux gamins dans un pays en guerre signé David Chauvel et Alex Kosakowski

Scénariste prolifique et reconnu au delà de nos frontières, David Chauvel est devenu en 2004 éditeur chez Delcourt où il a lancé plusieurs séries concept telles que 7, Le Casse, La Grande évasion… Il signe cette fois le scénario de La Route de Tibilissi, une histoire originale qui navigue entre les genres…

Tibilissi ? Ce nom me disait quelque chose… Une ville peut-être ? Une capitale ? Oui, c’est ça, à une lettre près, la capitale de la Géorgie, Tbilissi. Côté environnement, inutile d’aller chercher bien loin. Les montagnes, la neige, les forêts de sapins… pourraient également appartenir à la Géorgie.

Voilà pour le décor. Côté histoire, La route de Tibilissi nous raconte la fuite éperdue de deux gamins orphelins, Jake et Oto, accompagnés d’une espèce de peluche blanche et verte sur pattes et d’un robot grossièrement rafistolé. « Allez à Tibilissi!! Votre grand-père vous attend là-bas!! », leur avait dit leur père juste avant de mourir sous les flèches de pillards ou peut-être bien de sanguinaires mercenaires. Le pays est en guerre et leur fuite s’avère pour le moins dangereuse. Parviendront-ils à rejoindre Tibilissi ? Réponse 176 pages plus loin après un périple et un final aussi surprenant qu’inattendu.

David Chauvel aurait mis des années à trouver le dessinateur idéal pour illustrer cette histoire aux ambiances à la fois médiévales et réalistes, futuristes et fantasy. On le comprend tant il s’agissait d’un véritable défi, défi relevé finalement haut le crayon par l’Américain Alex Kosakowski qui s’est fait une réputation dans le jeu vidéo et signe ici sa première bande dessinée. A noter, les très belles couleurs de Lou qui jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de ce récit.

Eric Guillaud

La Route de Tibilissi, de Chauvel, Kosakowski et Lou. Editions Delcourt. 22,95€

© Delcourt / Chauvel & Kosakowski

02 Mai

Tout est à sa place dans ce chaos exponentiel : un récit fait de petits riens essentiels signé Lewis Trondheim

Des dizaines et des dizaines d’albums, beaucoup de fictions, pas mal d’autobiographies, de l’humour, de la science-fiction, du polar…, il n’y a pas un domaine dans lequel le sieur Lewis Trondheim n’excelle. C’est l’un des auteurs les plus novateurs et prolifiques de ces vingt dernières années. Le revoici avec le huitième tome de la série Les Petits riens de Lewis Trondheim

« Un livre avec beaucoup de pas grand-chose ». C’est pas moi qui l’écrit, c’est Lewis Trondheim lui-même en quatrième de couverture. Et c’est exactement ça ! Ce nouvel album autobiographique rassemble des anecdotes, des impressions, des sensations, des réflexions fugaces, des interrogations furtives… tout un tas de choses qui peuvent nous paraître insignifiantes au premier abord et se révéler pourtant essentielles.

Mais qui d’autre que Lewis Trondheim peut dans le même ouvrage s’étonner de la moquette au design destroy d’un hôtel de Las Vegas, s’enthousiasmer devant le beurrier made in Limoges d’un restaurant en France, comparer les shérif planqués derrière les arbuste de quelque désert américain à des Pokémon, s’agacer de la tenue vestimentaire d’une gamine habillée d’un simple sweat à capuches et de collants et se rassurer dans la foulée que d’autres s’en offusquent de la même manière.

Ne cherchez aucun logique, aucun fil rouge dans cet album si ce n’est la vie quotidienne de Trondheim racontée ici par petits morceaux, souvent à l’occasion de voyages à l’étranger. Pour l’auteur, l’autobiographie est « un carnet de notes, pour mettre à plat ses idées, ses sentiments à un instant donné. Pour marquer un moment et s’en souvenir plus tard. Ce sont comme des albums photos mais qu’on met plus de temps à créer ».

Bien sûr, tout l’intérêt de ce genre est dans la manière de raconter et de dessiner. Et de ce côté là, pas de souci, c’est du Trondheim…

Eric Guillaud

Tout est à sa place dans ce choaos exponentiel, de Trondheim. Delcourt. 12,50€

01 Mai

Brico Queen, une nouvelle aventure de Canetor signée Michel Pirus

Brico Queen est plus qu’un livre, c’est un beau livre, de par ses dimensions déjà, 255 sur 348 mm, de par son contenu ensuite. On y retrouve les aventures de Canetor, un personnage imaginé par Pirus et Schlingo au début des années 2000 pour le magazine Ferraille Illustré, un bijou d’humour et de graphisme à déguster tranquillement avec un bon café…

Rangez les tournevis, marteaux et autres perceuses, le bricolage aujourd’hui, c’est Canetor qui s’en charge. Et ça ne va pas rigoler. Enfin si, justement, on va tous se marrer grâce au talent de Michel Pirus que beaucoup d’entre vous connaissent certainement pour ses œuvres antérieures, réalisées avec son complice Mezzo, depuis le diptyque Les Désarmés jusqu’à la série Le Roi des Mouches, en passant par Deux Tueurs, Un Monde étrange ou encore Mickey Mickey.

Au début des années 2000, Pirus s’associe à Schlingo pour créer Canetor. Ses aventures sont prépubliées dans le magazine Ferraille Illustré avant de sortir en album en 2006, un an après le décès de Schlingo, un album d’ailleurs dédié « à l’inaltérable mémoire » de l’auteur.

On pouvait pensait ne jamais revoir le personnage mais c’était finalement mal penser ! Canetor fait son retour avec sa trousse à outils sous la plume et le pinceau du seul Michel Pirus. On y retrouve le même univers détourné de Disney, les mêmes références aux cartoons des années 1940-1950, de nombreux clins d’œil, notamment à Little Nemo in Slumberland de Winsor McCay.

Graphiquement, c’est magnifique, aussi soigné qu’un album de Chis Ware, et c’est d’une drôlerie absolue, on rit – parfois jaune – à toutes les pages de ces quarante tableaux mettant en scène bien évidemment Canetor mais aussi sa sœur Canetorine, sa petite amie Canetorrette, hospitalisée suite à un malencontreux accident, et en guest-star, la Brico queen du quartier, la reine du bricolage, sa maîtresse en quelque sorte, qui surgit dans la vie de la petite communauté au risque de tout chambouler. Passez-moi la clé de douze !

Eric Guillaud

Brico Queen, une aventure de Canetor. Pirus. Glénat. 25€

© Glénat / Pirus

Génération Y : l’auteure belge Mauryn Parent en dresse un portrait plausible

À quoi peut bien ressembler la génération Y ? Doit-elle d’ailleurs ressembler à quelque chose de précis, d’homogène ? À travers une année de la vie de quatre amis, deux jeunes-femmes et deux jeunes-hommes, Mauryn Parent en dresse un portrait loin des caricatures…

Cette histoire-là commence par la fin, du moins par la fin de quelque chose entre deux des personnages de l’album, Jérémy et Lise. L’amour peut-être. Jérémy a pris sa décision. Il part pour l’Australie où il pense trouver plus aisément du travail. Pas la peine de s’embarrasser. « Tu sais ce que je pense des relations à longue distance », lui lance-t-il.

C’est violent. Lise accuse difficilement le coup. Elle a envie de pleurer. Mais ne veut pas pleurer. Ses examens approchent. Elle doit se concentrer et remettre à demain ses questionnements. Tout de même, se demande-t-elle, « comment peut-on parvenir à concilier ses espoirs avec la réalité? ».

Thomas aurait aimé être… quelqu’un d’autre. Son job l’ennui, il s’en fera virer. Sa copine Mathilde, elle-aussi, l’ennui surtout quand elle lui reproche de trop boire. Il ira voir ailleurs. Pourquoi pas du côté de Lise restée seule ? Mais Jérémy revient d’Australie. Pas de job, plus de sous. Il espère retrouver Lise telle qu’il l’a laissée…

L’histoire écrite et dessinée par Mauryn Parent, dont c’est ici le premier album, se déroule à Liège en Belgique mais elle pourrait très bien se dérouler n’importe où tant le propos est universel.

Génération Y raconte le quotidien de ces quatre personnages qui ont entre 20 et 30 ans et découvrent encore les tourments de la vie.

Plus qu’un portrait d’une génération, Mauryn Parent parle ici de ce moment de la vie très spécial que l’on pourrait situer à cheval entre l’adolescence et l’âge adulte avec ses infinis questionnements, ses peurs, ses espoirs, ses rêves et ses désillusions.

Des dialogues allégés, un trait gracieux au crayon, des planches en noir et blanc, relevées de quatre couleurs, une par personnage, pour un propos finalement pas si léger que ça : restons maître de notre vie en toutes circonstances !

Eric Guillaud

Génération Y, de Mauryn Parent. La Boîte à Bulles. 16€

© La Boîte à bulles / Parent

29 Avr

Thanos : une espèce de gros malabar violet aussi méchant que cosmique

Mais qui est vraiment Thanos, le nouveau ‘super-méchant’ de la galaxie Marvel que la dernière adaptation cinématographique sur nos écrans depuis le 25 Avril dernier met en valeur ? Une anthologie tombe à point nommé pour permettre au grand public de (re)découvrir ce vilain bien plus cosmique qu’il n’y paraît…

Par rapport à ses (nombreux) collègues on va dire, Thanos est un petit jeune. Contrairement à Magnéto, Fatalis, au Docteur Octopus et autre Bouffon Vert, ce fils maléfique du roi de la race supérieure peuplant la planète Titan est apparu assez tardivement. En 1968 pour être précis dans une aventure d’Iron Man que l’on retrouve d’ailleurs ici en introduction. Et à la base, c’est un méchant de plus on va dire, un être surpuissant, surméchant et suréquipé dont le but ultime est de tuer tout le monde et d’asservir la galaxie. La base en somme.

© Marvel/Panini

Mais dès sa troisième apparition quatre ans plus tard dans la série ‘Warlock’, et sous l’impulsion de son créateur Jim Starlin, cet espèce de gros malabar violet prend une tournure nettement plus cosmique. En lui donnant les pleins pouvoirs, grâce au gant de l’infini qui est au centre du film, ce féru de science-fiction qu’est Sterlin en fait l’équivalent d’un dieu omnipotent capable s’il le veut de faire disparaître, littéralement, la moitié de la population de la galaxie (cf l’épisode ‘Pierres Qui Roulent’).

Or plutôt que d’user et d’abuser de ce pouvoir, à la manière d’un Galactus il prend de la hauteur. Loin, très loin des basses contingences matérialistes de nous pauvres être humains de chair et de sang et très souvent aux côtés de celle qu’il dit servir, la Mort silhouette encapuchonnée et silencieuse se présentant parfois sous la forme d’un jolie jeune femme. Sa stature est telle que sa présence est même parfois juste suggérée, dixit le très beau mais aussi très désespéré épisode ‘Cendres et Défaites’.

© Marvel/Panini

Autant dire que cette approche quasi-mystique a permis aux nombreux artistes de Marvel qui s’en sont emparés de s’en donner à cœur joie et de planer très haut au-dessus de l’habituel archétypes du gros-méchant-qui-à-la-fin-perd-tout, et en premier lieu Starlin dont par exemple l’histoire ‘L’Effet Infini’ (où il signe à la fois les dessins et le scénario) sortie en 1972 est un petit chef d’œuvre pop et psychédélique, avec son double maléfique du héros Warlock à la coupe afro argentée, son découpage parfois épique et ses couleurs chatoyantes qui rappellent plus l’univers de ‘Metal Hurlant’ que celui des ‘4 Fantastiques’… Même si Starlin n’a jamais caché son admiration pour le maitre Jack Kirby dont la série ‘New Gods’ fait clairement ici figure de modèle.

Alors pour le film, on vous laisse seul juge. Mais pour ce qui est de sa place dans la cosmologie Marvel, Thanos est définitivement à part et cette anthologie de 320 pages mérite vraiment le détour !

Olivier BADIN

 Je suis Thanos, Marvel/Panini, 20 euros

26 Avr

Tyler Cross sous le soleil de Miami, le troisième volet d’un polar radical signé Fabien Nury et Brüno

Quand Tyler Cross débarque à Miami, ce n’est pas en classe touristes mais plutôt en classe affaires, l’avion en moins. Le soleil, la plage, le farniente, il préfère laisser ça aux autres, ce qui l’intéresse pour l’instant, c’est l’argent, son argent, du moins celui que son avocat aurait dû lui garder durant sa détention. Pas de chance, l’avocat le croyant mort et enterré l’a placé dans un projet immobilier aussi véreux que lui…

Welcome to Miami brancarde une publicité aérienne ! Pas sûr que le message s’adresse à Tyler Cross. Partout où l’homme passe, des hommes et des femmes trépassent. Et visiblement ce n’est pas prêt de changer. Deux femmes tuées dans les dix premières pages de ce nouvel album, une troisième assommée. Un record depuis le début de la série. Mais pourquoi tant de haine ?

« Nous n’avons rien contre la gente féminine… », nous rassure Brüno si toutefois nous avions pu être inquiets, « le genre noir n’est pas tendre avec les femmes. On peut également s’amuser a compter les morts masculines, bien plus nombreuses dans l’album. De plus, le personnage central, est une femme, Shirley. L’histoire était plus intéressante de son point de vue, du coup, on a développé un chapitre entier autour de son point de vue ».

Qui est Tyler Cross ?

De lui, on ne sait rien ou presque si ce n’est bien sûr qu’il s’agit d’un criminel froid et calculateur. « Un personnage comme Tyler Cross se définit bien plus par ses actes et son style que par sa biographie… », nous expliquait Fabien Nury au moment de la sortie du premier tome, « Prenez le détective sans nom de Dashiell Hammett dans la « Moisson Rouge », ou son descendant westernien, incarné par Clint Eastwood : franchement, on s’en cogne de savoir s’ils ont eu une enfance heureuse ou non ! Ce serait même contre-productif, de le savoir : vous imaginez un criminel professionnel comme Tyler Cross vous raconter sa vie ? »

© Dargaud / Brüno et Nury

Un épisode sous le soleil de Miami…

« Miami s’est rapidement imposé… », explique Brüno, « Nous voulions un univers différent, plus urbain. Tandis que les deux précédents empruntaient beaucoup au western, de par leur intrigue et leur localisation, ce tome-ci est vraiment un pur polar, sans doute plus complexe ».

Exit l’ambiance pluvieuse et boueuse du deuxième épisode, exit l’univers du bagne dans lequel Tyler Cross était enfermé, direction la Floride. Notre criminel a besoin de changer d’air. Mais ne vous y trompez pas, le soleil, les belles filles, les plages de rêve, ce sera pour un autre jour, un autre album peut-être. La Floride de Fabien Nury et Brüno n’a rien d’un paradis. D’ailleurs, les auteurs le précisent dès la couverture, « En Floride, le crime paye ». Et il paye même grassement. La preuve avec tous ces promoteurs immobiliers véreux qui montent des projets tout aussi véreux pour loger les touristes, « des ploucs de Milwaukee ou de Détroit », dixit l’un d’entre-eux, Everett Loomis, « Toute l’année, ils ne rêvent que d’une chose : leurs deux semaines de congés, sous le soleil de Floride. L’Eden Blue est fait pour eux ».

L’Eden Blue, c’est le fameux projet immobilier dans lequel l’avocat Sid Kabikoff a investi l’argent de Tyler Cross. Et Everett Loomis, c’est le gus qui a encaissé l’oseille, le boss. Avec l’assurance de rendre l’argent un mois plus tard, bonus de 50% compris. Tyler Cross sait compter. 70 000 dollars + 50% = 105 000 dollars. De quoi calmer Tyler Cross un temps… mais pas longtemps. Car bien sûr, le coup se révèle foireux, de quoi faire ressortir les flingues de leurs étuis…

© Dargaud / Brüno et Nury

Un polar sombre et violent 

Hors champs, plans subjectifs, voix off, scènes en clairs obscurs, cases en cinémascope, Tyler Cross est un polar qui doit autant au cinéma qu’à la littérature, autant à la bande dessinée qu’à la musique noire américaine, un polar violent, sombre, comme toujours où les emmerdes volent en escadrille et les cadavres se ramassent à la pelle. Quand il met son chapeau sur la tête le matin, Tyler Cross sait que les ennuis ne vont pas tarder.

ll y a du Tarantino dans Tyler Cross, du Tarantino mais aussi du Frank Miller, du Breccia, beaucoup de cinéma américain des années 50, beaucoup de littérature noire. Le scénario taillé au scalpel par Fabien Nury révèle toute sa puissance dans le découpage des planches et plus largement la mise en scène, tout à fait exceptionnelle.

Cette narration nerveuse, sans temps mort, est l’essence même de Tyler Cross

« Sur des albums comme Tyler Cross… », précise Brüno, « la mise en scène est vitale : cela prend plus de temps à mettre en place, mais c’est le domaine où l’on s’amuse le plus avec Fabien. Impossible de se permettre un flottement dans le récit, un coup de mou dans la façon de raconter. Cette narration nerveuse, sans temps mort, est l’essence même de Tyler Cross ».

© Dargaud / Brüno et Nury

Un graphisme singulier pour une histoire singulière 

Pour la série Tyler Cross, Brüno a souhaité donner à son dessin un côté à la fois plus réaliste et plus expressionniste, se rapprochant ainsi d’auteurs comme Breccia et Munoz, Pratt ou Comes, sans renier pour autant ses influences plus classiques que sont Morris ou Hergé. A l’arrivée, son dessin offre une approche très stylisée du réel avec des planches absolument sublimes où les masses noires, les clairs-obscurs et les couleurs (de l’excellente Laurence Croix) rivalisent de justesse pour apporter à l’ensemble une atmosphère noire incomparable.

« Un jour, Tyler Cross paiera pour ses crimes », était-il inscrit sur la couverture du premier album. Ce jour-là, visiblement, n’est pas arrivé.

« Tant que nous prenons du plaisir a confronter Tyler à de nouveaux univers, il n’y a pas de raison d’arrêter la série. D’autant plus que chaque album de Tyler Cross est une histoire complète, indépendante des tomes précédents, ce qui nous apporte beaucoup de liberté artistique, car nous ne sommes pas tenus par un feuilleton à terminer coûte que coûte ».

Propos recueillis par Eric Guillaud le 25 avril 2018

Miami, Tyler Cross (tome 3), de Nury et Brüno. Dargaud. 16,95€

Redneck : le mythe du vampire à la sauce texane, sans rédemption au bout

Le vampire, grande figure tellurique de la littérature d’horreur. Mais ici pas de cape rouge, ni de costard étriqué et encore moins d’accent d’Europe de l’est ou de château lugubre perché en haut d’une falaise, juste une famille dysfonctionnelle qui a réussi à trouver une relative tranquillité sur le point d’être réduite en poussière par ce foutu instinct quasi-animal qui les torture…

L’un de ces personnages secondaires a beau être, sur le plan physique, ouvertement calqué sur l’acteur allemand Max Schreck qui incarnait Nosferatu dans le film du même nom de Friedrich Murnau en 1922, ‘Redneck’ (‘plouc’ en argot US) suit clairement le chemin tracé par des séries télé populaires comme ‘True Blood’ ou ‘American Vampire’ en dépoussiérant le personnage sublimé par Bram Stoker au XIXème siècle. Donc ici pas de cape rouge, ni de costard étriqué et encore moins d’accent d’Europe de l’est ou de château lugubre perché en haut d’une falaise… Les dits vampires sont ici en fait une famille réfugiée dans un trou paumé au Texas depuis des siècles et qui a tout fait pour se faire oublier, quitte à accepter de se nourrir que du sang des vaches qu’ils élèvent leurs terres et dont ils vendent ensuite le cadavre aux abattoirs. Sauf qu’une querelle ancestrale les opposants depuis presque 200 ans à une autre famille et une sorte d’atavisme fatale vont finir par faire basculer tout ce fragile équilibre…

© Delcourt / Donny Cates, Lisandro Estherren et Dee Cunniffe

Difficile de se tromper pourtant à la vue de cette couverture qui tranche dans le vif : on retrouve ici un bon paquet d’hémoglobine, pas mal de violence et ce, avec une totale absence de morale. Et le trait assez noir et vif de l’argentin Lisandro Estherren, tout dans le mouvement, ne fait rien pour renverser la tendance… Tout cela sent la bouse de vache, une certaine misère sociale et des corps soit gras, soit tout secs et noueux, avec cet arrière-goût de cul-terreux qui tord les boyaux. Alors bien sûr, on parle bien de vampires ici. Sauf qu’au final, la thématique est presque tout autre, quasi-sociologique : en gros, sommes-nous, oui ou non, condamnés à faire ce que l’on attend de nous ou plus exactement de notre caste ? Peut-on échapper à sa condition ? (vous avez deux heures) En fait, le héros principal Bartlett n’a pas choisi d’être un vampire, il a juste eu le malheur de tomber sur une bande qui l’a transformé en l’un des leurs en 1836 alors qu’il venait de déserter le fort Alamo. Mais qu’il le veuille ou non, c’est désormais devenu sa famille et il fait tout pour les protéger. Même si parfois, le mal vient de l’intérieur…

Ce premier tome reprenant les six premiers numéros de cette série sortie aux USA l’année dernière ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir et semble suggérer une éternelle fuite, avec son lot régulier de cadavres, un peu comme si le mythe du vampire rencontrait celui du Juif Errant. Reste à voir si le tome 2 réussit à apporter quelques réponses et, surtout, à battre le nombre de macchabés déjà fort élevé de son grand frère…

Olivier Badin

Redneck, de Donny Cates, Lisandro Estherren et Dee Cunniffe, Delcourt, 15,95 euros

© Delcourt / Donny Cates, Lisandro Estherren et Dee Cunniffe

25 Avr

Le journal de Spirou et sa rédaction mis à l’honneur dans deux albums publiés aux éditions Dupuis

Depuis 1938, date à laquelle il a vu le jour, le journal de Spirou en a vu défiler des dessinateurs, des scénaristes, des éditeurs, des séries et des héros de papier, parfois même des anti-héros. Alors forcément, au bout d’un moment, ça fait pas mal de souvenirs, d’histoires, d’anecdotes, de moments inoubliables à raconter. En voici un bel assortiment signé Franquin, Delporte et Ayroles…

Avant de devenir l’anti-héros que l’on connait tous, avec ses cheveux en bataille, son pull-over vert, ses espadrilles bleues et son physique d’éternel adolescent, Gaston était un garçon bien coiffé, veste, noeud papillon. La preuve avec le dessin d’ouverture de ce livre, un Gaston endimanché franchissant la porte de la rédaction de Spirou. Bien sûr, les choses ne vont pas en rester là et notre Gaston va gagner en assurance en même temps qu’il n’hésitera pas à prendre ses aises dans les bureaux de la rédaction. Au point que certains se demanderont très vite ce qu’il fait là !

« Gaston Lagaffe n’est pas un héros de bande dessinée… », écrit en préface Serge Honorez, directeur éditorial, « Du moins, il n’était pas destiné à l’être. Il a été créé en 1957 par André Franquin pour dynamiser, torpiller, « trublionner » les rubriques du beau journal de Spirou jugé un peu trop sage par Yvan Delporte, le rédacteur en chef de l’époque, et par André Franquin lui-même ».

Et il va les torpiller les pages du beau journal, il va même les éparpiller par petits bouts façon puzzle, d’abord par quelques apparitions furtives mais remarquables, puis à travers de nombreuses rubriques relatant la vie de la rédaction et donc les gaffes de ce garçon de bureau qui rompait décidément avec les codes du héros de papier ordinaire.

Gaston, En direct de la rédaction réunit un florilège de ces rubriques et apparitions qui ont apporté aux lecteurs un sentiment de grande proximité, de complicité même, avec la rédaction du journal et donné naissance à un personnage aujourd’hui encore très présent dans l’imaginaire collectif.

Gaston, En direct de la rédaction – Dupuis

Gaston, on le retrouve également dans le livre de François Ayroles, Moments clés du Journal de Spirou, Gaston mais aussi Franquin, son créateur, la famille Dupuis, Rob-Vel, Jijé, Morris, Georges Troisfontaine, Jean-Michel Charlier, Hausman, Wasterlain, Frank Le Gall et tous les autres dessinateurs, scénariste qui ont contribué au succès du journal.

Le principe est simple, à un événement clé de la vie du journal répond un dessin de François Ayroles et ce depuis la sortie du premier numéro du journal en 1938 jusqu’au départ à la retraite du boss Charles Dupuis en 1985, en passant par l’arrêt du journal en septembre 1943 sur ordre des occupants allemands, la reprise des aventures de Spirou et Fantasio par Franquin, celles de Tif et Tondu par Will, l’invention du mot schtroumpf par Peyo, le lancement des Tuniques Bleues, la naissance de Bidouille et Violette ou encore l’apparition des fameux hauts de page de Yann et Conrad…

Moments clés du Journal de Spirou – Dupuis

Près de 150 événements sont ainsi croqués, c’est à la fois truculent et passionnant, on y lit la passion, l’amitié, parfois les conflits, les rivalités qui ont émaillé ces cinquante années du journal.

Sur le même principe, François Ayroles avait déjà réalisé les 28 Moments clés de l’histoire de la bande dessinée et les Moments clés de L’Association. il est par ailleurs auteur d’une bonne quinzaine d’albums parmi lesquels Une affaire de caractères chez Delcourt et L’amour sans peine à L’Association.

Eric Guillaud

Moments clés du journal de Spirou 1937 – 1985, de François Ayroles. Dupuis. 26€

Gaston, en direct de la rédaction, de Franquin. Dupuis. 32€